Accompagner un client à l'étranger

Accompagner un client à l'étranger

Un client que nous suivons habituellement peut être amené à nous demander conseils et informations concernant une opération immobilière projetée à l'étranger. Àl'heure actuelle, la compétence des notaires est limitée au territoire national, et la prudence doit être de mise lors de la délivrance d'informations sur un domaine que nous ne maîtrisons pas entièrement. Outre les conseils et avertissements fiscaux que nous devrons transmettre et qui sont abordés ci-dessus (V. supra, nos et s.), certains réflexes indispensables et des contacts et coopérations avec les notariats étrangers permettent actuellement une certaine forme d'accompagnement d'un client à l'étranger (Sous-section I), sans que cet accompagnement soit direct. Ce rôle essentiellement informatif et de mise en relation évoluera-t-il dans le futur ? (Sous-section II).
Il conviendra en tout état de cause d'agir avec prudence, et dans les limites de notre domaine de compétence.

Avec les moyens actuels

En ayant les premiers réflexes indispensables

– Dresser un premier cadre informatif avec le client. – Notre formation juridique et notre expérience nous permettront tout d'abord de guider un client dans une première approche globale des questions à se poser et à poser au juriste étranger en charge de l'opération. Cette démarche sera facilitée par notre connaissance du client, de son environnement familial, patrimonial et fiscal. Ces premières informations communiquées ne constitueront toutefois qu'un cadre informatif.
– Anticiper les conséquences en France de l'opération à l'étranger. – Il nous appartiendra également d'avoir un rôle d'information en amont, afin d'envisager avec notre client les conséquences en France, tant civiles que fiscales, d'une acquisition à l'étranger, que ce soit lors de la détention, en cas de revente, ou lors de liquidation de la succession.

Comptes bancaires détenus à l'étranger. Avertir les clients concernés

En présence de clients investissant à l'étranger, y habitant, y travaillant et ouvrant à cette occasion un ou plusieurs comptes bancaires à l'étranger, il sera utile de leur rappeler l'obligation de déclaration de ces comptes bancaires vis-à-vis de l'administration fiscale française.

En s'entourant des contacts et informations nécessaires

Quoi qu'il en soit, il sera toujours recommandé au notaire français d'identifier dans les pays concernés un ou des juristes reconnus capables de le guider dans le traitement local des questions fiscales et patrimoniales de ses clients.
Ces contacts peuvent être établis par chaque notaire individuellement, grâce à son propre réseau, ses propres relations professionnelles. Mais il peut aussi bien sûr être fait appel aux diverses collaborations, aux différents réseaux ou associations mis en place par le notariat français avec les notariats étrangers.
– Le réseau mis en place au niveau européen et à l'international par le notariat français. – Sans pouvoir être exhaustifs, nous citerons ici :
  • le Bureau des notaires de France à Bruxelles aide et contribue à la formation des notaires français aux questions européennes, réalise la veille des textes européens et actions concernant le notariat à Bruxelles, fait valoir la position du Conseil supérieur du notariat auprès du Conseil des notariats de l'Union européenne (CNUE), promeut la position du notariat européen ;
  • le Conseil des notariats de l'Union européenne (CNUE), qui regroupe vingt-deux notariats de l'Union européenne et 45 000 notaires en Europe, est l'organisme officiel et représentatif de la fonction notariale auprès des institutions de l'Union européenne ;
  • l'Union internationale du notariat latin (UINL) est une « organisation non gouvernementale, constituée pour promouvoir, coordonner et développer l'activité notariale dans le domaine international ». Elle comprend quatre-vingt-neuf membres répartis sur quatre continents ;
  • l'Institut européen et international du notariat créé en février 2013 par le Conseil supérieur du notariat (CSN) pour sensibiliser la profession notariale au droit international privé (DIP) et jouer un rôle d'alerte pour la profession sur les évolutions en la matière ;
  • le Réseau notarial européen (RNE) ( www.enn-rne.eu">Lien), permettant d'avoir accès à un contact par pays des vingt-deux États membres de l'Union européenne connaissant le notariat de droit civil, dans le cadre de dossiers transfrontières, via une plateforme dématérialisée et sécurisée ; il aide les notaires confrontés à des questions pratiques comportant des aspects transfrontières ;
  • l'Association des notaires des métropoles européennes (ANME), qui regroupe les chambres des notaires de métropoles européennes (Berlin, Bruxelles, Genève, Lausanne, Madrid, Moscou, Paris, Rome et Vienne) et se réunit autour de travaux de « pratique comparée », sur la base d'échanges entre professionnels européens ;
  • l'Acenode : créé il y a dix ans à Lyon, le Centre notarial de droit européen a pour but d'accompagner les notaires dans leurs dossiers internationaux et de renforcer leur compétence en droit international privé (www.acenode.eu">Lien) ;
  • l'Annuaire des notaires d'Europe (www.notaries-directory.eu">Lien) permet à un citoyen européen de trouver un notaire parlant sa langue partout en Europe.
– Les sites internet utiles à l'international. – Nous renvoyons ici au tableau récapitulatif des sites internet utiles à l'international, dressé par l'équipe du 115e Congrès des notaires de France :
https://rapport-congresdesnotaires.fr/2019-rapport-du-115e-congres/2019-co1-p3-t4-st3-c5/">Lien.
– Coopérations avec les notariats étrangers : l'exemple du Québec. – Une convention de coopération notariale a été signée par le Conseil supérieur du notariat avec la Chambre des notaires du Québec le 15 mars 2019, afin de faciliter les démarches des Français vivant en Amérique du Nord et des Québécois vivant en France. La convention assure la collaboration notariale entre la France et le Québec en matière de réception de procurations ou d'actes notariés et en matière de réception d'une signature. Elle permet également au notaire français d'agir en tant que notaire délégué pour la réception d'une signature de l'une des parties à un acte reçu devant un notaire québécois. Àcette occasion, Me Jean-François Humbert, alors président du Conseil supérieur du notariat, a rappelé que « la mondialisation, c'est la transformation de notre planète en un gros village. Nos concitoyens se déplacent, se marient, font des affaires, achètent et héritent bien au-delà de leurs frontières initiales. Il nous appartient dès lors à nous, notaires, d'organiser des coopérations entre professionnels pour faciliter ces nouveaux flux et permettre que ces opérations puissent se réaliser le plus simplement, tout en veillant à garantir une parfaite sécurité juridique. C'est la mission des notaires de répondre à ce besoin de simplicité et de confiance ».
– Une coopération récente avec le Vietnam. – Un accord de coopération a été signé dernièrement avec le Vietnam, qui connaît le notariat depuis une loi de 2014, et qui a créé une association nationale de notaires en juin 2019.
– Les initiatives des notaires français. – Certains offices notariaux français ont mis en place des réseaux, coopérations avec des confrères étrangers (Althémis, Monassier, LexUnion, EPSG…).

Grâce aux évolutions récentes et à venir ?

Le projet Crobeco

– Un projet de l'Elra. – L'European Land Registry Association (Elra), créée en 2004, est actuellement composée de trente-deux organisations représentant les différents registres fonciers de vingt-cinq pays européens. Elle a développé deux projets :
  • le projet Imola, d'interconnexion des registres fonciers (évoqué infra, no ) ;
  • et le projet Crobeco (Cross-Border Conveyancing).
– Fondements du projet Crobeco. – Le projet Crobeco vise à faciliter les mutations immobilières intervenant entre citoyens résidant dans un pays autre que celui de situation de l'immeuble vendu. Il est basé sur la possibilité pour des parties résidant dans le même pays, de choisir un juriste de ce pays afin d'intervenir pour la transaction immobilière portant sur un bien pourtant situé dans un autre État. Il repose sur l'idée qu'il est préférable que le notaire en charge de la transaction soit un notaire connaissant la langue et le système juridique dans lequel évoluent les parties au contrat, plutôt qu'un notaire connaissant ceux du pays où se trouve l'immeuble objet de la transaction.
– Limites du projet. – Ceci pose le risque de permettre des mutations immobilières à l'étranger, sous un régime ne connaissant pas le notariat de type latin par exemple. Et celui de privilégier l'intervention d'un professionnel du lieu de résidence des parties, parlant certes leur langue, mais ignorant totalement ou largement la législation immobilière du pays dans lequel le bien objet du contrat est situé. Le Conseil des notariats de l'Union européenne (CNUE) a fait connaître sa position défavorable sur ce projet.
Àce jour, le projet Crobeco semble abandonné, mais l'interconnexion des registres fonciers (évoqué infra, no ) a été maintenue et développée.

Vers un rôle plus actif à l'étranger ? Limites et difficultés

– La compétence territoriale des notaires français. – La compétence territoriale des notaires français est nationale. En droit français, et conformément à l'article 1317 du Code civil, l'acte authentique est « celui qui a été reçu par des officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises ».
– Recevoir en France un acte de vente portant sur un bien situé à l'étranger. – En théorie, et en application notamment du règlement européen du 17 juin 2008 dit « Rome I », il est possible pour un notaire français de recevoir un acte de vente d'un immeuble sis hors de France. Le notaire bénéficiant d'un champ de compétence illimité, il peut être requis par toute personne, physique ou morale, nationale ou étrangère, d'établir tout acte authentique dont les parties, l'objet ou les effets peuvent se trouver ou être produits en France comme à l'étranger, dans toutes les matières que la loi lui reconnaît le droit de pratiquer. Les seules réserves qui peuvent être faites à cette compétence illimitée reposent sur deux principes fondamentaux : le premier concerne le respect des dispositions d'ordre public, d'une part, et le second l'utilité et l'efficacité de son instrumentation, d'autre part.
En pratique, différents obstacles existent, tels que la connaissance du droit local, la langue, les nécessités de traduction, la connaissance des règles d'ordre public, le coût de l'intervention de deux notaires sans partage d'honoraires, la fiscalité (et notamment au regard de l'article 714 du Code général des impôts).
– Des ouvertures possibles ? – Que l'on considère que ces évolutions sont souhaitables ou non, aurons-nous à l'avenir un rôle plus important à jouer dans des transactions immobilières relatives à des biens situés à l'étranger ?
– L'arrêt Piringer de la Cour de justice de l'Union européenne et l'idée d'un notariat européen. – Dans une décision du 9 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée en faveur de la reconnaissance d'activités réservées au notariat par les États membres. Pour le professeur Cyril Nourissat, il est possible d'y voir « sans exagération aucune (…) une contribution jurisprudentielle majeure à l'idée même d'un notariat européen ».
Mais, comme relevé dans le rapport du 115e Congrès des notaires de France, un notariat européen ne pourrait prendre forme que sous réserve notamment de la reconnaissance d'une autorité publique relevant du droit européen, de la coordination des modalités de contrôle identiques pour des conditions d'exercice dans les États membres et de l'intégration des matières douanière, fiscale et administrative dans les chefs de compétence de l'Union.
– L'ordonnance du 13 février 2020 de la Cour fédérale de justice allemande. Dans une ordonnance rendue le 13 février 2020, la Cour fédérale de justice allemande a précisé le rôle des notaires étrangers dans les ventes d'immeubles situés en Allemagne, indiquant que l'acte faisant naître l'obligation de transférer la propriété pouvait être reçu par un notaire français selon les règles de forme du droit français (tandis que l'acte de transfert de propriété du bien immobilier ne peut être reçu que par un notaire allemand).

La vente immobilière en Allemagne : nécessité de deux actes

En droit allemand, la vente immobilière se décompose en deux actes :
  • un contrat de vente (qui fait naître les obligations de transférer la propriété du bien immobilier et celle de payer le prix de vente) ;
  • et un contrat de disposition, en exécution du contrat de vente, par lequel la propriété du bien immobilier est transférée.
(Ces deux actes pouvant bien sûr également intervenir dans un seul instrument.)