Le crowdfunding

Le crowdfunding

À l'origine, le crowdfunding, littéralement union de « foule » et de « financement », visait essentiellement le financement, par le don, de projets culturels On considère que le premier projet de crowdfunding, qui ne portait pas son nom, fut réalisé par l'Américain Joseph Pulitzer en 1884 : via la parution de son quotidien New York World, plateforme avant l'heure, sous forme papier, il appela tous les Américains à effectuer des dons pour achever le financement de la construction du piédestal de la statue de la Liberté. Plus de 125 000 personnes y contribuèrent et M. Pulitzer leva plus de 100 000 dollars en six mois. ou humanitaires. Aujourd'hui, le crowdfunding intéresse tous les secteurs d'activité, et a vocation à s'appliquer à beaucoup d'entreprises, non seulement des startups, mais aussi des petites et moyennes entreprises.
Plus généralement, le crowdfunding est l'une des composantes de la finance alternative.Celle-ci comprend les prêts à la consommation en ligne, les cagnottes en ligne, la solidarité embarquée, les fonds de prêt aux entreprises en ligne et affacturage, et le financement participatif.
Schématiquement, le procédé de crowdfunding consiste à mettre en relation, à l'aide d'un site internet, les créateurs d'un projet déterminé et les personnes finançant ce projet.
Pour ce faire, les porteurs de projet soumettent les détails de l'activité envisagée : achat ou vente, prestations de service, pour réaliser une opération suffisamment prédéfinie en termes d'objet économique, de montant et de calendrier. Le site ou la plateforme dédié doit accepter le projet y compris en termes d'objectif de levée de fonds. Ainsi, après sélection, les projets sont mis en ligne sur la plateforme pour une durée et un montant de financement déterminés. Notons que l'immobilier constitue l'application la plus dynamique de cette finance participative Cf. C. Mahinc, FINTECH.IMMO, Eden Finances et IEIF, Une nouvelle façon d'investir ? Le financement alternatif de l'immobilier, 2019 ; et infra, Partie II de la présente commission. .
Le spectre des activités est très large, selon que l'on vise des dons sans contrepartie, des prêts ou des financements avec prise de participation ou coproduction.
Un label a été aussi créé pour les projets à connotation écologique, nommé « Financement participatif pour la croissance verte ». Ce label a été créé en 2017 pour valoriser les projets qui œuvrent en faveur de la transition énergétique et écologique.
Dans un monde de plateformes, tous les usages économiques sont en théorie concernés (Sous-section I) . Ce financement alternatif fait aujourd'hui l'objet d'un cadre législatif et réglementaire (Sous-section II) , mais sans doute cette ouverture sur mesure à divers financements devrait-elle davantage interroger les juristes, et singulièrement les notaires, sur leur rôle à jouer dans le processus (Sous-section III) .

Plateforme de et immobilier

Homunity s'est spécialisée dans les projets immobiliers. Il ne s'agit pas dans ce cas de prêts professionnels, mais de projets de constructions immobilières. Les contributeurs perçoivent une partie des ventes ou des loyers versés une fois les logements construits. Cette nouvelle forme d'investissement dans l'immobilier neuf convient notamment aux promoteurs qui peuvent compléter leurs apports personnels avant de souscrire un prêt bancaire, ou financer leur chantier en totalité.

Un usage économique à la carte grâce au digital

Le crowdfunding se prête à de multiples activités, ce qui lui permet de mobiliser une grande variété de financements et de supports d'investissement.
Le domaine immobilier de ce financement participatif est dominant, loin de sa stricte dimension originaire de solidarité et de charité. Mais le crowdfunding trouve des déclinaisons pratiques en termes de prêts à la consommation de particulier à particulier, de prêts de particuliers aux entreprises, et intéresse également l'affacturage ou les titres à base de dette. Il existe des plateformes généralistes et des plateformes spécialisées, sachant qu'en principe, une plateforme de crowdfunding généraliste s'adapte à tout type de projet On peut consulter le site mis en place par l'association Financement participatif France, la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance qui recommande certaines plateformes. On peut citer les plateformes suivantes connues du grand public : Kickstarter, Indiegogo, MyMajorCompany, KissKissBankBank ou encore Ulule. Pour ce qui est des plateformes spécialisées, on peut mentionner par exemple (citées par le site ComptePro) : HelloAsso, Generosity, GoFundMe… pour les projets solidaires ; Homunity, Fundimmo, Bolden… pour les projets immobiliers ; Miimosa, BlueBees… pour les projets autour de l'agriculture et de l'alimentation ; Lendosphere, Enerfip, Lumo, Lendopolis… pour les projets relatifs aux énergies renouvelables et à la transition écologique ; ProArti, Crowdbooks, Sandawe, Movies Angels, Wezaart… pour les projets culturels ; October, Credit.fr, Unilend, PretUp, Wesharebonds… pour les prêts aux entreprises. . Le site de la Banque publique d'investissement (BPI) propose aussi un panorama des projets et un guide d'emploi L'observatoire du crowdfunding de Bpifrance apporte des statistiques fines sur le profil des projets qui sont passés par TousNosProjets.fr depuis son lancement en sept. 2013, en les classant en trois catégories : dons, prêts, actions, qui peuvent aller de quelques centaines à plusieurs centaines de milliers d'euros (https://tousnosprojets.bpifrance.fr">Lien). Citons comme illustrations de projets financés par ce biais : Zig Zag le Mag (financement d'une publication trimestrielle passant « Paris au rayon Z »), Un riad au bout des doigts (financement de travaux de rénovation d'un riad à Marrakech par une particulière française ; contrepartie du donateur : dîner, massage, voyage…), et divers projets d'investissement dans les énergies renouvelables, notamment dans plusieurs départements la réalisation et l'exploitation des centrales solaires Ubrasolar via la plateforme Lendopolis. . En France les sommes concernées sont en expansion constante, passant de 167 millions d'euros collectés en 2015 à 629 millions d'euros en 2019 V. www.economie.gouv.fr/entreprises/crowdfunding-financement-participatif">Lien . Au premier semestre 2020, malgré la conjoncture, les collectes ont continué à augmenter avec une croissance de 34 % par rapport au premier semestre 2019 pour atteindre 320 374 570 € V. www.dynamique-mag.com/art.s/sites-web-crowdfunding-france.5237">Lien .
Du côté de l'investisseur, la question cruciale est l'appréciation des risques liés à l'investissement considéré. C'est pourquoi le législateur s'est efforcé de mettre en place un cadre spécifique où s'exercent les activités des plateformes.

Un cadre normatif favorable au développement des entreprises

– Un nouveau statut pour les intervenants en financement participatif. – Le crowdfunding se situe à la frontière des activités réglementées telles que la fourniture de services d'investissement ou l'offre au public de titres financiers, la réalisation d'opérations de banque et la fourniture de services de paiement. Pour permettre ce qui constitue en pratique une entorse au monopole des services de paiement, une nouvelle réglementation en matière d'émission d'actions et de rédaction de prospectus a vu le jour, et surtout des statuts professionnels dédiés ont été créés.
  • le statut d'intermédiaire en financement participatif (IFP) pour les plateformes en crowdlending (littéralement « prêt par la foule ») : dans ce cas, en échange du financement, les prêteurs seront remboursés et rémunérés grâce aux versements d'intérêts.L'IFP exerce l'activité de financement participatif sous forme de prêts, à titre gratuit ou onéreux, et sous forme de dons ;
  • le statut de conseiller en investissement participatif (CIP) pour les plateformes en crowdequity : à savoir l'investissement en actions, dont le rendement dépend de la réussite du projet et de l'exécution du contrat de cession de revenus futurs.Le CIP exerce à titre de profession habituelle d'une activité de conseil en investissement portant sur des offres de titres financiers émis par une société non cotée, ou « service identique » portant sur des minibons émis par une société par actions (cotée ou non) ou une société à responsabilité limitée, dont le capital est intégralement libéré.
Un PSI ou un CPI offrent tous deux des bons de caisse, dénommés minibons, au moyen d'un site internet. Concrètement, les minibons constituent des titres nominatifs et non négociables comportant l'engagement par un commerçant de payer à une échéance déterminée, délivrés en contrepartie d'un prêt.
L'émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification de ces opérations (C. monét. fin., art. L. 223-12">Lien).
Une ordonnance de 2014 a défini deux statuts distincts Ord. no 2014-559, 30 mai 2014. pour accompagner les porteurs de projet qui soumettent leur demande de financement à un large public via une plateforme :
Le dispositif a été complété par un décret relatif aux conditions d'accès à la profession de CIP ou d'IFP D. no 2014-1053, 16 sept. 2014 ; en substance au titre des règles de bonne conduite de ces professions réglementées, les plateformes doivent exclusivement être des personnes morales établies en France, leurs dirigeants doivent répondre aux conditions d'honorabilité et de capacité professionnelle. Elles sont immatriculées sur le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance, géré par l'Organisme pour le registre des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias) dont le numéro doit figurer sur le site de la plateforme ainsi que sur toute correspondance ou publicité. Elles sont assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et sujettes à sanctions pénales ou administratives. . Puis un autre décret D. no 2016-1453, 28 oct. 2016, relatif aux titres et aux prêts proposés dans le cadre du financement participatif. a modifié les plafonds applicables à certaines catégories de levées de fonds, ainsi que les titres éligibles.
Enfin le statut de prestataire de services d'investissement (PSI) et son agent lié (ALPSI) a été conçu, pour un acteur voulant opérer directement sur une plateforme de crowdequity par la fourniture d'un service de conseil en investissement Pour une analyse fouillée des statuts des IFP, CIP, PSI et ALPSI, V. C. Mahinc, Une nouvelle façon d'investir ? Le financement alternatif de l'immobilier, étude préc. .
– Les faveurs législatives en termes de développement des entreprises. – Enfin la loi Pacte du 22 mai 2019, a posé le principe que les titres émis dans le cadre du financement participatif (actions non cotées, obligations à taux fixe et minibons) soient éligibles au PEA-PME (plan d'épargne en actions destiné au financement des PME et ETI).
Et à l'échelle européenne, le Plan d'action FinTech de la Commission prévoit la création d'un label permettant aux plateformes de financement participatif agréées d'exercer leurs activités dans toute l'Union européenne. L'objectif affiché par Bruxelles est que l'Europe devienne un centre mondial des FinTech. Comme première réalisation majeure de ce plan, est visée l'élaboration d'une réglementation qui aidera les plateformes de financement participatif à se développer dans le marché unique de l'Union.
Cela devait prendre la forme d'un règlement qui, une fois adopté par le Parlement européen et le Conseil, permettra aux plateformes d'obtenir ce label en se conformant à un ensemble unique de règles, label autorisant une offre de services à l'échelle européenne Commission européenne, Communiqué de presse, 8 mars 2008. L'agenda avant crise de la Covid-19 prévoyait une consultation de tous les acteurs en avril 2020, pour mettre en place un nouveau plan d'action pour la FinTech au niveau européen à proposer au troisième trimestre 2020. France FinTech participe à ces travaux. En 2019, ce sont 699 millions d'euros qui ont été levés, et 455 pour le seul premier trimestre 2020 : Newsletter France FinTech, 10 juill. 2020 (https://francefintech.org/consultation-commission-europeenne-fintech-action-plan">Lien). .
C'est chose faite depuis l'adoption de deux textes de droit positif en date du 7 octobre 2020, qui entreront en application le 10 novembre 2021 : un règlement et une directive PE et Cons. UE, règl. (UE) no 2020/1503, 7 oct. 2020, relatif aux prestataires européens de services de financement participatif pour les entrepreneurs, et modifiant le règlement (UE) no 2017/1129 et la directive (UE) 2019/1937 (PE et Cons. UE, règl. [UE] no 2020/1503, 7 oct. 2020 : JOUE no L 347, 20 oct. 2020, p. 1). – PE et Cons. UE, dir. (UE) 2020/1504, 7 oct. 2020 modifiant la directive 2014/65/UE concernant les marchés d'instruments financiers (MIF 2) (PE et Cons. UE, dir. [UE] 2020/1504, 7 oct. 2020 : JOUE no L 347, 20 oct. 2020, p. 50). , dans un mouvement qui a été qualifié par un auteur de « réappropriation européenne du crowdfunding » P. Storrer, L'avènement d'un droit européen du financement participatif pour les entrepreneurs : JCP E 12 nov. 2020, no 46, act. 758. . Ces textes précisent le régime des prestataires européens de services de financement participatif (PSFP), qui sont des personnes morales devant obtenir un agrément auprès de l'autorité compétente de l'État membre dans lequel elles sont établies, laquelle autorité nationale en informe l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Si l'activité du PSFP quant au financement participatif par prêts, est assez neutre et se borne à un rôle de facilitateur, son rôle dans l'investissement participatif est l'objet principal du règlement européen, dans un souci de protection des investisseurs non avertis (via un test de connaissances, une simulation de la capacité à supporter des pertes, un délai de réflexion précontractuel et la réalisation d'une fiche d'informations au niveau de la plateforme).
Notons enfin que très réactives aux évolutions de l'environnement économique et financier global, les plateformes de crowdfunding connaissent des fermetures, fusions, regroupements entre elles, ou impliquent des acteurs traditionnels KissKissBankBank et Lendopolis ont été acquis en juin 2017 par la Banque postale, Leetchi (cagnotte en ligne) est une filiale du Crédit Mutuel Arkéa depuis 2015 ; la Banque Populaire Grand Ouest détient sa propre plateforme avec Proximéa depuis mai 2015…. .

Le rôle du notaire dans les investissements alternatifs

– Quelle est la place du juriste dans le financement participatif ? – Des conseils spécialisés accompagnent bien sûr les startups ou PME dans la rédaction des actes les unissant aux acteurs du financement participatif, et accompagnent aussi les plateformes dans l'obtention de leur immatriculation officielle et bientôt du label européen. Mais l'un des problèmes persistants est la sécurité des versements effectués par les investisseurs.
Le notaire pourrait alors, avec l'accord de la Banque des Territoires (direction créée en mai 2018 au sein de la Caisse des dépôts), remplir le rôle de séquestre tout en se conformant à ses obligations déclaratives en matière de lutte contre le blanchiment. Surtout il peut devenir un acteur du droit du crowdfunding. Son intervention serait légitime dans la rédaction de conventions fixant les règles de dépôt de fonds, les cas de restitution, la responsabilité des contributeurs, les règles de partage de la valeur créée…
Apparu après le crowdfunding, un autre mode de financement, non seulement désintermédié mais surtout de nature entièrement numérique, tient la vedette aujourd'hui : la levée en actifs numériques eux-mêmes ; c'est l'objet de l'étude de la section suivante.