La nature de la transmission des droits maintenus

La nature de la transmission des droits maintenus

– Quels « héritiers » ? – Dans un texte qui, après le RGPD et tant de jurisprudence A. Debet, La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in Informatique et Libertés, La protection des données à caractère personnel en droit français et européen, Lextenso, coll. « Les intégrales », 2015, nos 256 et s. , confirme la nature personnaliste et non réaliste (extrapatrimoniale et non patrimoniale) des données personnelles et des droits des personnes concernées à leur égard, la loi utilise maladroitement le terme très patrimonial d'« héritier ».
Le législateur ne souhaitait-il pas viser plutôt les simples successibles, qu'ils aient ou non accepté la succession, ou les ayants droit, à l'instar de ceux déterminés plus largement en matière de droit d'auteur CPI, art. L. 121-2. ?
La lettre de la loi n'indique que les héritiers, probablement dans un souci, aujourd'hui fréquent, de simplification, mais au prix malheureusement d'une perte de précision. L'application de cette disposition, pour en respecter l'inspiration et l'esprit, élargira probablement cette définition. Pour le prédire, il faut noter que le décret d'application du 29 mai 2019 prévoit la justification par l'héritier prétendant exercer les droits qui lui sont reconnus sur les données personnelles du défunt, d'un simple livret de famille ou d'un acte de notoriété D. no 2019-536, 29 mai 2019, art. 124. . Le premier ne justifie que de la qualité d'un descendant, pouvant être exhérédé contre une simple indemnité de réduction. Le second ne présume pas l'acceptation de la succession d'un successible. Et, s'agissant de l'exercice de simples droits personnels de la personne concernée défunte, celui-ci n'emporterait pas acceptation tacite de sa succession. Il ne faudrait donc pas parler d'héritiers, malgré la lettre du texte, mais de simple successible, conformément au régime établi.
À quel mécanisme juridique de transmission de droits personnels leur maintien provisoire répond-il ?
– Une exécution testamentaire ? – Celle-ci est limitée à une origine volontaire, et non légale. Or, à défaut de volonté de la personne concernée défunte, la loi prévoit aussi le maintien des droits du défunt sur ses données personnelles au profit de ses héritiers légaux.
L'exécuteur testamentaire peut disposer des biens de la succession. Ici, sur des droits non patrimoniaux, il n'est pas question d'acte de disposition, mais d'exercice de droits personnels.
Le décès de l'exécuteur testamentaire met fin à sa mission. Le contraire est ici prévu.
L'exécuteur testamentaire doit rendre compte aux héritiers. Ce qui au contraire n'est pas prévu ici.
– Un mandat de droit commun, au besoin d'origine légale ? Proposition de A. Favreau, Mort numérique : précisions sur la nature et le régime du contrôle post mortem des données à caractère personnel collectées : RLDI 1er déc. 2016, no 132 et C. Béguin-Faynel, La protection des données personnelles et la mort, in Regards sur le nouveau droit des données personnelles, Ceprisca, coll. « Colloques », 2019, p. 56 et s. (79-10-97323-05-9. hal-02357967). Un mandat est un contrat, devant par principe être consenti par un mandant. Or, les droits du défunt peuvent être exercés en l'absence même de directives du défunt.
Un mandat doit être accepté par le mandataire, ce qui n'est pas prévu pour le destinataire des directives, pas plus que pour les héritiers.
Un mandat suppose un accomplissement pour le compte de tiers. Or, il n'y aurait plus de mandant lors de l'exercice des prérogatives conférées aux héritiers ou au moment de l'exécution des directives données.
Le décès du mandant met fin au mandat, alors que sous cette qualification la mission du mandataire débuterait avec sa mort Pour des exceptions ne pouvant trouver à s'appliquer ici, M. Mekki, Mandat – extinction du mandat : JCl. Civil Code, Art. 2003 à 2010, fasc. unique, 2012, spéc. no 30 : « Une clause contraire peut prévoir la continuité du mandat au-delà du décès du mandant », mais il ne s'agit pas ici d'achever après le décès une mission qui était entamée mais n'était pas terminée avant le décès, mais de n'exécuter la mission qui ne naîtrait qu'après le décès. .
Enfin, il est encore de l'essence du mandat que le mandataire rende compte de sa mission, au mandant ou à ses héritiers. Or, cette reddition de compte est impossible pour le premier, et n'est pas prévue pour les seconds.
– Un mandat à effet posthume alors ? – Un mandat à effet posthume suppose une gestion de tout ou partie de la succession « pour le compte et dans l'intérêt d'un ou plusieurs héritiers identifiés » C. civ., art. 812. , même s'il n'emporte pas représentation des héritiers G. Wicker, Successions – mandats successoraux – le mandat à effet posthume : JCl. Civil Code, Art. 812 à 812-7, fasc. unique, 2014, spéc. no 133-8. . Ce qui n'est pas le cas ici.
Un mandat à effet posthume doit en outre être « justifié par un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de l'héritier ou du patrimoine successoral, précisément motivé » C. civ., art. 812-1-1. . Ce qui est donc exclu s'agissant de l'exercice de droits personnels et extrapatrimoniaux du défunt.
La forme notariée est imposée pour ce mandat spécial. Ce qui n'est pas prévu ici.
– Une succession anomale ? F. Bicheron, La transmission à cause de mort des données personnelles ou la mort numérique, in Mél. en l'honneur du Professeur M. Grimaldi, Defrénois, 2020, p. 86 : « … la succession anomale se justifiant par l'existence de droits extrapatrimoniaux dont nous sommes tous titulaires, il faut dorénavant compter sur le fait que toute succession traditionnelle se trouve doublée d'une succession numérique, succession anomale qui n'a finalement plus rien d'exceptionnel ». – C. Pérès, Les données à caractère personnel et la mort : D. 2016, p. 90 : « Le plus simple serait de voir dans le mécanisme institué par le texte une transmission volontaire ou légale de nature successorale. Cela présuppose, bien sûr, de considérer que les données ou les droits portant sur elles, constituant des biens du vivant de la personne, font partie de sa succession à sa mort » même si « cette approche patrimoniale cadre mal avec la dimension personnaliste du système juridique français et européen de protection des données personnelles ». Une succession anomale n'est qu'une dévolution successorale dérogatoire, en raison de l'origine ou de la nature d'un bien C. civ., art. 757-3 : droit de retour des frères et sœurs sur la moitié des biens d'un défunt disparu sans descendant reçu de leurs ascendants ; C. rur. pêche marit., art. L. 321-14, al. 1er : dévolution aux seuls enfants vivants ou représentés de son bénéficiaire de la créance de salaire différé ; etc.. . Elle demeure une modalité, même particulière, de succession, c'est-à-dire, selon l'architecture même du Code civil, une – et d'ailleurs la première – manière dont on acquiert la propriété. Or, en matière de données personnelles, point d'appropriation envisageable de droits numériques extrapatrimoniaux. La loi informatique et libertés elle-même ne parle que d'exercice, de surcroît temporaire, des droits du défunt, et non de transmission ou d'appropriation de ses droits ou biens.
– Alors quoi ? – S'agissant de droits personnels, extrapatrimoniaux, un parallèle plus probant peut être fait avec les directives (un même mot !) anticipées des patients Création par L. no 2005-370, 22 avr. 2005, dite « loi Leonetti », relative aux droits des malades et à la fin de vie. et les personnes de confiance L. 4 mars 2002. Il figure à l'article L. 1111-6 du Code de la santé publique. (là aussi !) qu'ils peuvent désigner Personne de confiance qui doit cependant accepter sa mission, ce qui diffère de ce qui est prévu pour le tiers de confiance. , pour exprimer leur consentement aux traitements (le parallèle est décidément troublant !) médicaux dont ils peuvent faire l'objet ; directives et désignation pouvant être modifiées à tout moment et pouvant être conservées sur un registre national L. no 2016-87, 2 févr. 2016, dite « loi Claeys-Leonetti », créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. (là encore !).
En matière médicale, comme dans le cadre de la protection des données, il s'agit d'exprimer une volonté soit par des directives, soit par la voix d'un tiers, présumé bien connaître les valeurs et intentions du défunt, à même de les exprimer fidèlement à sa place, le moment venu M. Grosset, Étude sur les directives anticipées et la personne de confiance : le rôle du tiers dans l'expression de la volonté du sujet empêché : D. 2019, p. 1947. ; ce que les simples assistance ou représentation des personnes incapables n'assurent pas.
À l'image des directives anticipées et désignation d'une personne de confiance, le juriste va devoir se résoudre à la qualification d'un mécanisme sui generis, conçu pour l'exercice post mortem des droits personnels d'un défunt, maintenus temporairement pour les besoins d'une disparition organisée.

Quel est le mécanisme juridique de transmission de droits personnels d'un défunt ?

Ce n'est ni une exécution testamentaire, ni un mandat, ni un mandat à effet posthume, ni une succession anomale.
On peut en revanche faire une comparaison troublante avec les directives anticipées de fin de vie.
– Quelques modalités de mise en œuvre. – Sur leur demande, l'exécution des instructions données par les héritiers dans la mise en œuvre des droits qui viennent d'être décrits Droits à l'information, à l'accès, à la rectification, à l'effacement, à la limitation, à la portabilité et à l'opposition. doit leur être justifiée gratuitement par le responsable de traitement. À ne pas y déférer, le responsable encourt des sanctions C. pén., art. R. 625-12. .
Pour la mise en œuvre de ces prérogatives, l'héritier doit justifier de sa qualité par la production d'un simple livret de famille ou d'un acte de notoriété D. no 2019-536, 29 mai 2019, art. 124. , selon le niveau de vérification que voudra réaliser le responsable de traitement sollicité.
En cas de litige entre plusieurs héritiers, celui-ci est tranché par le tribunal judiciaire compétent pour la succession.
L'apport de la loi pour une République numérique est finalement assez limité et imprécis sur le sort des données personnelles ab intestat. Il est plus significatif en ouvrant à toute personne la possibilité de rédiger des directives sur le sort de ses données personnelles à son décès.