– Un modèle venu d'outre-Atlantique. – Le mot coliving est un terme anglais qui traduit littéralement le fait d'habiter (living), ensemble (co). Apparues aux États-Unis dans les années quatre-vingt, les hacker houses, maisons dédiées aux travailleurs de la Silicon Valley, sont apparues en réaction à la pénurie de logements dont souffraient ces travailleurs des sociétés high-tech
. Face à l'explosion des prix des loyers à San Francisco, ces ingénieurs choisirent de se regrouper dans de grandes maisons partagées, afin de diminuer les coûts d'un logement individuel devenu inabordable. Ils y trouvèrent alors plus que la simple économie qu'ils avaient primitivement recherchée : un véritable mode de vie commun reposant notamment sur la mutualisation de certains services (blanchisserie, salle de sport, automobile…) qui leur permettait de se consacrer pleinement et sans contrainte à leur travail. Le phénomène s'est accru après la tempête Sandy en 2012, qui a amené les habitants privés de leur maison détruite à revoir leurs modes de vie et à emménager, à plusieurs familles, sur ce modèle californien, dans les habitations épargnées. Ce type d'habitat collectif est devenu pérenne pour nombre d'entre eux et a ainsi poursuivi l'essor du coliving. En France, sur ce modèle et un peu plus tardivement, les associations telles que COOLOC, The Babel Community, Colonies… ont mis en place ce même système du « vivre-ensemble ». Des regroupements se forment en fonction de l'appartenance à un même de type de population (mères célibataires, travailleurs d'un même secteur, etc.). Un tel foisonnement d'idées nouvelles met parfois des décennies avant de trouver son cadre juridique. En attendant, force est de constater que chaque coliving fonctionne comme il peut ! Les innovations devancent ainsi toujours les lois et les règlements. Cependant, la recherche d'une définition du coliving
(Sous-section I) est riche en conséquences juridiques (Sous-section II).
Le coliving : un nouveau statut à conquérir ?
Le coliving : un nouveau statut à conquérir ?
Une notion en quête de définition
Il ne paraît pas possible de cerner la notion de coliving par le biais du public auquel il s'adresse. Il est plus pertinent d'en rechercher d'autres éléments caractéristiques intrinsèques.
– Le public varié du
coliving
. – On ne peut définir le coliving par le public auquel il s'adresse. Cette forme d'habitat « à la carte » est, en effet, susceptible d'intéresser une clientèle très variée au sein de laquelle dominent les jeunes actifs (25-35 ans), mais qui se compose aussi d'étudiants et, à l'opposé, de jeunes seniors encore actifs et non dépendants. Leurs motivations sont tout aussi variables : parcours de formation ou activité professionnelle imposant une résidence temporaire mais néanmoins prolongée loin du domicile, manque de moyens pour accéder à une forme plus stable de logement, situation personnelle transitoire, voire choix de vie et traduction moderne d'un besoin ancestral de vivre en solidarité avec son voisinage.
– Les caractéristiques intrinsèques du
coliving
. – S'exprimant à propos du coliving, un auteur indique : « Il s'agit (…) d'une occupation facilitée par une flexibilité du bail dont la durée s'adapte aux besoins des clients, et par la mise à disposition de services avec un objectif d'affranchissement des tâches administratives et ménagères ». Souscrivant à cette définition, il existerait donc deux éléments constitutifs du coliving : un bail à durée « flexible », et la prestation de services. Or, l'un et l'autre de ces traits caractéristiques emportent des conséquences juridiques qui sont loin d'être neutres.
Une définition riche de conséquences juridiques
On peut mesurer les enjeux de la recherche d'une définition du coliving tant lors de la construction de la résidence (§ I) qu'au cours de son fonctionnement (§ II).
Quelles destination et sous-destination lors de la construction d'une résidence de coliving ?
– Hésitation. – En droit de l'urbanisme, de quelles destination et sous-destination relève la construction (rénovation ou réhabilitation) d'une résidence de coliving ? Il est, tout d'abord, permis d'hésiter entre la destination « habitation » et celle de « commerces et activités de services ». Cette dernière destination est elle-même subdivisée en deux sous-destinations que sont les « activités de service où s'effectue l'accueil d'une clientèle » et l'« hébergement hôtelier » (temporaire, courte durée, service commercial).
– Discussion. – Généralement l'investisseur d'un projet de coliving qui doit construire ou rénover un immeuble choisit la destination « habitation ». Toutefois, notre consœur Anne Muzard, souligne que le décret du 31 janvier 2020 distinguant les sous-destinations « hôtels » et « autres hébergements touristiques », ainsi que l'arrêté du 31 janvier 2020 ayant supprimé la référence aux constructions destinées à l'hébergement temporaire de courte ou moyenne durée proposant un service commercial, ont laissé (volontairement ?) de côté le coliving, « en quête de son écrin juridique ». Un autre auteur y voit plutôt « une résidence services qui s'ignore ». Cette opinion repose sur un constat : aucun des critères habituellement retenus pour qualifier le coliving ne permet d'écarter la qualification de résidence services, énoncée par l'article L. 631-13 du Code de la construction et de l'habitation. Il propose de retenir, pour les pétitionnaires de construction de tels projets, la destination « habitation » et la sous-destination « hébergement ». La destination « habitation » englobe le logement et l'hébergement, alors que celle de « commerce et activités de services » correspond aux hébergements touristiques, artisanat, restauration.
Intérêts de la distinction. Les conséquences du rattachement de l'opération à l'une ou l'autre des catégories proposées se mesurent en termes, notamment, d'obligations de création d'emplacements de stationnement et de respect de la mixité sociale.
Quel contrat pour le coliver ?
– Le bail. – La question est de savoir si le bail consenti à l'occupant d'un coliving relève ou non de la loi de 1989. Certes, il s'agira toujours d'une location meublée, ce qui appelle un statut locatif moins contraignant. Rappelons cependant que :
- depuis la loi Alur, la loi de 1989 s'applique, par principe, à la location meublée, moyennant certaines exceptions, lorsqu'elle est consentie à titre de résidence principale ;
- il y a résidence principale lorsque le locataire habite le logement au moins huit mois dans l'année . Une location prévue pour une plus courte durée demeure soumise au statut de droit commun du Code civil.
Dès lors, deux conceptions sont possibles. Pour certains, il y a lieu d'appliquer la loi de 1989 au bail en coliving dès lors que l'occupation du locataire est prévue pour durer plus de huit mois par an. Pour d'autres, tel n'est pas le cas. Selon cette dernière tendance, il s'agirait d'un contrat sui generis, une résidence mise à disposition dans les conditions spécifiques du coliving ne pouvant être qualifiée de « principale ». Cette position fait intervenir le second critère caractéristique de la notion : la fourniture de services.
– Les services. – Il n'y aurait de coliving que lorsque le contrat va au-delà de la simple mise à disposition d'une habitation meublée dotée des éléments ordinaires de confort. L'idée est que le coliving doit affranchir l'occupant de certaines tâches ménagères ou administratives et lui proposer un confort personnalisé. Ceci devrait se traduire :
- en premier lieu, par la possibilité d'avoir recours à des prestations telles qu'accès à l'internet, système de télévision connectée, assurances collectives, cours de sport à domicile, services de réparation, etc. ;
- en second lieu, par l'existence, au sein de la résidence, d'espaces communs (salle de sport, buanderie, blanchisserie, salle de cinéma, jardin, garage…) ou partagés (salle de séjour, cuisine, salle de bains, etc.).
Le coliving serait donc un mode d'occupation d'immeubles à usage d'habitation, dont les occupants partagent des services et des espaces communs, et utilisent des technologies fournies par leurs bailleurs ou par une société spécialisée qualifiée d'« opérateur ». Néanmoins, ne pourrait-on déceler dans certains colivings une simple colocation, régie, en ce cas, par la loi de 1989 ?
– Conclusion sur le Vivre ensemble. – Au terme de cet inventaire, peut-être incomplet, il apparaît que le Vivre ensemble est une réelle aspiration que partagent un nombre certain de citoyens français. Il semble répondre à un besoin lié tout à la fois à la diversité de la population et à son vieillissement, d'une part, et au coût du logement, d'autre part. Face à la pluralité des outils, le notaire aura sans doute un rôle croissant à jouer. Il est trop tôt, aujourd'hui, pour dire lequel, ce d'autant plus que, procédant d'inspirations analogues, mais dépourvues de caractère collectif, d'autres aspirations se font jour avec le développement de modes d'habitats individuels dits « alternatifs ».