Faisabilité technique et financière du projet

Faisabilité technique et financière du projet

En théorie, il n’existe pas d’immeuble tertiaire qui ne soit pas transformable en logements. Dans la pratique, un nombre conséquent de données vont entrer en jeu.

La typologie des immeubles transformables

Certaines reconversions d’immeubles tertiaires en logements consistent simplement en un retour à leur usage initial. Ces opérations sont le plus souvent réalisées par des particuliers ou des sociétés familiales agissant selon les opportunités de marché, leurs besoins ou en raison d’une vacance locative professionnelle prolongée. Il s’agit alors principalement de travaux de restructuration interne de l’immeuble, financés en grande partie grâce à la cession de commercialité opérée lors du changement d’usage. Cependant, elles ne portent le plus souvent que sur de petites surfaces et, à l’échelle nationale, ne peuvent donc être significatives.
L’enjeu majeur de la transformation de bureaux en logements réside donc avant tout dans la transformation de grands ensembles de bureaux, par les bailleurs sociaux ou les institutionnels et représentant à chaque fois plusieurs milliers de mètres carrés.
La grande majorité des acteurs intervenants dans ces opérations, et au premier chef les architectes, s’accorde pour considérer que les immeubles de bureaux construits dans les années 60 et 70 sont les plus aisément transformables. En effet, ces bâtiments ont des caractéristiques constructives qui permettent de les rapprocher du logement à plusieurs points de vue et de réduire ainsi le coût de l’opération.
Les caractéristiques constructives et architecturales d’un bâtiment constituent le premier point d’approche dans l’étude de faisabilité d’un projet de transformation. Malheureusement les immeubles les plus aisément transformables ne correspondent pas nécessairement à ceux des grands îlots voire des grands quartiers d’affaires conçus et construits initialement uniquement pour un usage professionnel. Malgré leur vieillissement, ceux-ci risquent, techniquement, ne pas pouvoir muter dans des conditions acceptables de rentabilité ; ces simples raisons financières font alors préférer leur démolition et leur reconstruction.

Transformation des bureaux en logement : la part belle est faite aux immeubles des années 60-70

1. Morphologie du bâtiment
Étant généralement construits sur poteaux ou poutres, avec une faible épaisseur, Les bâtiments des années 60 et 70 se prêtent plus aisément aux opérations de reconversion que les constructions des années 90, dont la conception plus épaisse limite les possibilités de restructuration. Par ailleurs, leurs façades sont généralement plus aisées à traiter que les façades rideaux des immeubles de bureaux plus récents. Assurer un ensoleillement suffisant tout en évitant les écarts thermiques constitue une donnée importante de l’opération. Il devra également être pensé à la possibilité de réaliser des balcons ou ouvertures sur l’extérieur ; cette donnée devenant essentielle depuis le premier confinement de 2020. Or, devoir retraiter une façade en son entier, de par sa complexité technique et son coût, peut facilement obérer le bilan économique de l’opération et entrainer son abandon.
2. Trame du bâtiment
La profondeur de la trame de la construction à transformer constitue une autre donnée essentielle dans la faisabilité de l’opération. Idéalement elle doit être comprise entre 12 et 14 mètres. Celle-ci permet d’assurer un éclairage naturel des pièces sur toute leur profondeur. Au-delà certaines pièces feront l’objet d’un second jour, ce qui va à l’encontre des orientations actuelles dans la conception du logement. L’excédent de profondeur de la trame nécessitera alors des aménagements pouvant obérer 10 à 20 % de la surface transformée. Au-delà d’une profondeur de 18 mètres, il est communément admis que l’immeuble de bureaux n’est plus mutable…ou du moins dans des conditions supportables. Cette profondeur de trame a toutefois constitué, lorsque cela était possible, la norme depuis les années 90. C’est là un élément possiblement bloquant, dans la généralisation, la globalisation à grande échelle voire la duplication des opérations de reconversion d’un immeuble à l’autre.
3. Autres contraintes
Au-delà de la conception même du bâtiment et sa profondeur qui constituent les éléments techniques principaux de sa mutabilité, il devra également être tenu compte, notamment :
  • de la hauteur sous-plafond exploitable. Celle-ci ne devra pas être inférieure à 2,50 mètres et si possible de 2,70 mètres ;
  • de la multiplication de passage des réseaux (eaux et sanitaires notamment) ;
  • des surfaces « techniques » à réexploiter. Ainsi, il devra être traité de l’insertion des locaux techniques aveugles dans les logements à créer. De même, les surfaces en sous-sol généralement affectées à l’archivage pourront servir de pièces de stockage pour les logements. Cependant, la valorisation « réduite » de ces surfaces aura d’autant plus d’impact sur la rentabilité de l’opération qu’elles seront nombreuses.

Aspects financiers des opérations de transformation

– Cas des investisseurs. – La crise survenue dans les années 90 a amené les grands investisseurs institutionnels à s’orienter vers les immeubles tertiaires afin de répondre à leurs besoins de rentabilité. Cependant, aujourd’hui, l’obsolescence accélérée du parc, la surproduction d’immeubles professionnels depuis trente ans et la désaffection du concept même de bureau traditionnel au profit de ceux de télétravail, de coworking ou de flex-office, amènent à un accroissement du taux de vacance de ces grands ensembles de bureaux, pouvant aboutir à une vacance structurelle, à l’heure même où la demande de logement n’a jamais été aussi importante. Il paraît alors tout à fait logique de prédire une évolution de l’un vers l’autre. Or, mesurer la rentabilité de l’opération suppose d’en mesurer les coûts (A).
Cas des bailleurs sociaux. S’agissant des bailleurs sociaux, l’approche est différente puisque leur objectif n’est pas la recherche d’une rentabilité mais la production de logements sociaux, intermédiaires ou en accession et la préservation de la mixité sociale, en priorité dans les secteurs tendus (B).

Les acteurs institutionnels

Dès lors qu’un immeuble détenu par un investisseur est frappé d’obsolescence et/ou par une inoccupation plus ou moins importante, il devient nécessaire de déterminer si l’un ou l’autre de ces éléments risque de dériver vers une vacance structurelle. Prioritairement, la possibilité d’une remise aux normes actuelles est étudiée, puisqu’elle conditionne la remise sur le marché. À défaut, l’investisseur doit décider s’il est préférable :
  • de maintenir l’état de vacance. La perte financière récurrente peut en effet être préférable au coût d’une restructuration, d’une démolition ou à la perte définitive générée par une réduction drastique de sa valeur d’immobilisation en cas de cession. L’immeuble est alors voué à devenir une friche ;
  • d’engager une opération de démolition/reconstruction. Cette option, souvent plus viable financièrement, doit cependant être assumée au regard des risques liés à la perte de constructibilité et au coût carbone généré par une telle opération ;
  • d’engager une opération de transformation soit par ses propres moyens, soit liée à une opération de cession.
Dans le second cas (cession), l’écueil principal est que, pour pouvoir assurer un équilibre financier de l’opération, le cessionnaire qui assume le coût de la transformation, souhaite acquérir l’immeuble à un prix inférieur à sa valeur de marché. Or, l’immeuble étant par principe situé en zone tendue, il est difficile pour son propriétaire d’accepter cette décote.
Dans la première hypothèse (transformation à son initiative), le propriétaire n’aura à supporter que le coût des travaux de transformation, ce qui peut l’inciter à en limiter l’ampleur. En termes de rentabilité pour les investisseurs, les opérations de transformation s’orientent d’abord vers le commerce ou l’hôtellerie et en second choix vers les résidences services ou étudiantes. Ce n’est que par défaut qu’une transformation en logements sera entreprise ; la rentabilité escomptée étant moindre, lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement d’arriver uniquement à équilibrer l’opération. En outre, l’acceptabilité du projet est sujette à l’appréciation des pouvoirs publics locaux en raison du coût des équipements publics pouvant être rendus nécessaires en cas de transformation en logements.
Il est communément admis que le coût de transformation d’un immeuble tertiaire en logements est supérieur de 10 à 20 % par rapport au coût de la construction neuve (traitement de l’amiante, restructuration des façades et réseaux, adaptation des normes techniques et de sécurité…). Ce surcoût obérant nécessairement l’équilibre financier du projet, celui-ci sera recherché par des gains de commercialité. Nous étudierons au cours des développements à venir les outils juridiques permettant d’y parvenir.
Toutefois, de telles opérations doivent dépasser la logique purement financière. Ce « recyclage urbain » permet en effet de réduire de moitié le coût carbone par rapport à une construction neuve. Il permet en outre d’introduire l’économie circulaire. Dès lors, les institutionnels doivent appréhender ces projets sous l’angle d’une démarche environnementale, éco-responsable et/ou dans le cadre d’une démarche de Responsabilité sociétale d’entreprise (RSE). En somme, les enjeux financiers doivent désormais céder le pas sur les enjeux environnementaux.

Les bailleurs sociaux

Exempts de la contrainte de rentabilité et poursuivant un objectif différent des acteurs institutionnels, les bailleurs sociaux se doivent d’être au nombre des acteurs majeurs de la réalisation de telles opérations. Même en secteur tendu, cet atout leur permet de faire réaliser l’acquisition d’immeubles à transformer pour un prix relativement proche voire identique à leurs prix de marché (condition sans laquelle le propriétaire aurait du mal à accepter une cession). Cette dynamique est d’autant plus efficace qu’elle peut s’appuyer sur une démarche volontariste des instances publiques locales de revitalisation et de mixité sociale de certains îlots voire de quartiers entiers.

LA FTI de Action Logement

La Foncière de transformation immobilière (FTI) a été créée par Action Logement, dont elle constitue une filiale, en 2020. Elle est dotée d’un fonds de 1,5 milliard d’euros. Son but exclusif est l’acquisition d’immeubles tertiaires en vue d’en assurer leur transformation en logements, sur l’ensemble du territoire national et principalement en zone tendue. La FTI a développé son propre modèle économique de portage foncier sur le long terme assis principalement sur les baux à construction (bailleurs LLS et LLI) et accessoirement sur les baux réels solidaires (BRS) afin de faciliter la réalisation des opérations mais aussi d’en assurer « l’équilibre » économique ; celles-ci s’attachant tant que possible au respect de la mixité sociale.

Afin d’atteindre son objectif de création de 20 000 logements, la FTI s’est d’ores et déjà engagée dans plusieurs opérations d’envergures parmi lesquelles on peut citer, entre autres, l’acquisition de l’ancien siège de la société Trapil dans le 15<sup>e</sup> arrondissement de Paris (création de 2 600 m² de SDP de logements) ou plus récemment celle de l’ancien siège de l’Urssaf de Lorraine (3 200 m² de logements étudiants).