Les vertus d'un exposé

Les vertus d'un exposé

De façon quasi systématique, pour ne pas dire uniforme, les statuts d'une société ne comportent, à ce jour, aucun exposé. Or, à la vue de ce qui précède, un exposé pourrait être le lieu d'une restitution des réflexions orchestrées par le deal mediator par exemple, ou tout simplement le lieu de l'expression d'attentes de la part des signataires. Pourraient y être consignés les objectifs qui gouvernent le projet entrepreneurial et les raisons qui ont conduit les fondateurs à faire route ensemble.
Cet exposé pourrait apporter un début de réponse aux nombreuses difficultés soulevées par la notion d'intérêt social.
– La délicate notion d'intérêt social. – La loi Pacte no 2019-486 du 22 mai 2019 est venue ajouter un alinéa supplémentaire à l'article 1833 du Code civil, lequel est ainsirédigé : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
L'intérêt social est une notion à laquelle les juges ont souvent recours sans pour autant qu'il en existe une définition clairement établie. Que faut-il entendre par intérêt social ? À défaut de définition précise, il est possible de concevoir l'intérêt social comme étant l'objectif poursuivi au travers de l'activité sociale, foncièrement distinct d'un quelconque objectif individuel poursuivi par l'une ou l'autre des parties prenantes, potentiellement contraire aux aspirations propres à chaque associé.
Dès lors, comment s'articulent entre elles les notions d'objet social et d'intérêt social ?
– La portée de l'objet social au regard de la qualification de la société. – Si l'objet social est un élément de qualification secondaire concernant les sociétés commerciales, dans la mesure où le caractère commercial résulte de la forme sociale indépendamment de la nature de l'activité économique, il en va tout autrement pour les sociétés civiles dont l'objet doit nécessairement être civil à titre principal sous peine de requalification et de conséquences juridiques et fiscales.
– Les conséquences du dépassement de l'objet social selon la nature de la société. – D'une façon générale, qu'il s'agisse d'une société civile ou d'une société commerciale, les contours de son objet social déterminent sa capacité selon le principe de spécialité. La société ne peut agir que dans le cadre de son objet social et ses dirigeants ne doivent pas en dépasser les limites.
S'agissant toutefois des SARL et des sociétés par actions, commerciales par la forme, à risque limité, elles demeurent engagées à l'égard des tiers de bonne foi par les actes qui seraient réalisés par leurs dirigeants dépassant l'objet social, sans aller jusqu'à le modifier. Les dirigeants engagent, néanmoins, leur responsabilité à l'égard des associés en pareille hypothèse.
S'agissant des sociétés civiles, dans lesquelles le risque est illimité pour les associés, la donne est différente : la société n'est pas engagée à l'égard des tiers par les actes réalisés par le gérant, dépassant l'objet social.
– La constitution de garanties, terrain de confrontation entre objet social et intérêt social. – La constitution d'une garantie pour le compte de tiers doit-elle être conforme à l'objet social et à l'intérêt social pour être licite ?
Si la Cour de cassation a statué que la constitution d'une garantie contraire à l'intérêt social d'une société à risque limité n'en était pas moins valable, là encore, il en va tout autrement s'agissant d'une société à risque illimité.
Si elles sont à risque illimité, ces sociétés ne sont tenues que par les actes relevant de leur objet social. En cas de dépassement, les juges ont parfois maintenu la garantie incriminée au motif qu'à défaut de relever de l'objet social au sens littéral, cette garantie pouvait s'y rattacher, indirectement, comme étant pour autant conforme à l'intérêt de la société. Cette analyse pourrait être confortée, par ailleurs, par une décision prise à l'unanimité des associés entérinant la conformité de la convention avec l'intérêt social, voire une actualisation de l'objet social.
Nous serions confrontés à cette problématique dans le cas, par exemple, d'une société civile se portant garante du remboursement de la dette contractée par une structure commerciale, en présence d'un lien capitalistique entre les deux entités.
Si, en revanche, la constitution de la garantie est considérée comme étant contraire à l'intérêt social en ce qu'elle compromet, par exemple, l'existence même de la société, elle sera annulée, et ce quand bien même elle serait conforme à l'objet social.
Pierre-Marie Reverdy s'est interrogé sur la portée de ces arrêts rendus en matière d'affectation hypothécaire à la garantie de la dette d'autrui : ne pourrait-on pas imaginer que tout engagement souscrit au nom et pour le compte d'une société civile, non expressément visé dans l'objet social, supposé contraire à l'intérêt social, puisse être frappé de nullité ? Tout acte, même conforme à l'objet social, n'encourt-il pas le risque d'être frappé de nullité, en l'état de la jurisprudence actuellement développée par la Cour de cassation, sur le fondement du non-respect de l'intérêt social ?
On voit combien l'absence de définition explicite de ce qu'est l'intérêt social est source de contentieux.
– Un exposé qui ferait office de lexique ? – Compte tenu des développements qui précèdent, ne pourrait-on pas imaginer un exposé qui ait pour ambition de donner une définition de ce qu'est l'intérêt social, après avoir relaté ce qui a conduit les signataires à entreprendre ce projet ?
L'exhaustivité ne pourrait vraisemblablement pas être atteinte, mais une tentative de délimitation pourrait prévenir certains contentieux.
L'intérêt social, défini dans cet exposé, pourrait être perçu comme une nouvelle délimitation des pouvoirs du gérant. Ce dernier ne pourrait agir que dans le respect de l'objet social et de l'intérêt social.
L'exposé étant rédigé, il nous faudrait, dans un deuxième temps, nous atteler à la rédaction du corps même des statuts à proprement parler.

Vers une définition de l'intérêt social d'une société ?

Un exposé pourrait faire état d'une définition, au cas d'espèce, de ce qu'est l'intérêt social.

L'intérêt d'un plan uniformisé

L'intérêt d'un plan uniformisé

À ce jour, la rédaction des statuts est libre bien qu'il existe, selon les formes de sociétés, quelques statuts-types créés par la pratique. Aucune norme n'existe, en tout état de cause, en matière d'ordonnancement et de numérotation des clauses. À l'ère de la simplification et de la dématérialisation, ne serait-ce pas là une piste de réflexion ?
– Simplification et procédé numérique. – Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a édité le 6 juillet 2020 un « Rapport sur les statuts-types de SAS », l'objectif poursuivi, à la demande de la Chancellerie, étant de fournir aux plus petites structures un outil simple dans un contexte « tout numérique ».
Ces statuts-types comprennent trois parties :
  • une partie I consacrée aux opérations de constitution et de souscription ;
  • une partie II correspondant aux statuts à proprement parler ;
  • et une partie III regroupant les annexes.
– Vers un plan normé ? – Au-delà de cette structuration en trois parties et de la simplification du contenu, ne pourrait-on pas envisager un plan et une numérotation d'articles normés à la façon du Plan comptable général ou d'un plan local d'urbanisme ? Cela pourrait s'appliquer tant aux statuts qu'aux pactes d'associés.
Une numérotation d'articles uniforme permettrait à tout un chacun de naviguer très aisément dans le document et de trouver très rapidement l'information recherchée.
Cette normalisation n'empêcherait aucunement, dans un second temps, une rédaction plus fine et plus sophistiquée à l'appui de conseils dispensés par des professionnels.
Cette pratique, en vigueur outre-Atlantique, permet d'arrêter les termes définitifs du contrat plus rapidement et plus efficacement.
Il nous faudrait alors, dans un troisième et dernier temps, clore les statuts…