Des statuts de société revisités

Des statuts de société revisités

La structuration des statuts pourrait, nous semble-t-il, être repensée en y insérant systématiquement un exposé (Sous-section I), en respectant un plan uniforme (Sous-section II) et en y adjoignant un document de synthèse, prélude d'un Kbis augmenté (Sous-section III). Ne pourrait-on pas aller jusqu'à imaginer que la signature des statuts établis en la forme authentique puisse conférer la personnalité morale à la société (Sous-section IV) ?

Les vertus d'un exposé

De façon quasi systématique, pour ne pas dire uniforme, les statuts d'une société ne comportent, à ce jour, aucun exposé. Or, à la vue de ce qui précède, un exposé pourrait être le lieu d'une restitution des réflexions orchestrées par le deal mediator par exemple, ou tout simplement le lieu de l'expression d'attentes de la part des signataires. Pourraient y être consignés les objectifs qui gouvernent le projet entrepreneurial et les raisons qui ont conduit les fondateurs à faire route ensemble.
Cet exposé pourrait apporter un début de réponse aux nombreuses difficultés soulevées par la notion d'intérêt social.
– La délicate notion d'intérêt social. – La loi Pacte no 2019-486 du 22 mai 2019 est venue ajouter un alinéa supplémentaire à l'article 1833 du Code civil, lequel est ainsirédigé : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
L'intérêt social est une notion à laquelle les juges ont souvent recours sans pour autant qu'il en existe une définition clairement établie. Que faut-il entendre par intérêt social ? À défaut de définition précise, il est possible de concevoir l'intérêt social comme étant l'objectif poursuivi au travers de l'activité sociale, foncièrement distinct d'un quelconque objectif individuel poursuivi par l'une ou l'autre des parties prenantes, potentiellement contraire aux aspirations propres à chaque associé.
Dès lors, comment s'articulent entre elles les notions d'objet social et d'intérêt social ?
– La portée de l'objet social au regard de la qualification de la société. – Si l'objet social est un élément de qualification secondaire concernant les sociétés commerciales, dans la mesure où le caractère commercial résulte de la forme sociale indépendamment de la nature de l'activité économique, il en va tout autrement pour les sociétés civiles dont l'objet doit nécessairement être civil à titre principal sous peine de requalification et de conséquences juridiques et fiscales.
– Les conséquences du dépassement de l'objet social selon la nature de la société. – D'une façon générale, qu'il s'agisse d'une société civile ou d'une société commerciale, les contours de son objet social déterminent sa capacité selon le principe de spécialité. La société ne peut agir que dans le cadre de son objet social et ses dirigeants ne doivent pas en dépasser les limites.
S'agissant toutefois des SARL et des sociétés par actions, commerciales par la forme, à risque limité, elles demeurent engagées à l'égard des tiers de bonne foi par les actes qui seraient réalisés par leurs dirigeants dépassant l'objet social, sans aller jusqu'à le modifier. Les dirigeants engagent, néanmoins, leur responsabilité à l'égard des associés en pareille hypothèse.
S'agissant des sociétés civiles, dans lesquelles le risque est illimité pour les associés, la donne est différente : la société n'est pas engagée à l'égard des tiers par les actes réalisés par le gérant, dépassant l'objet social.
– La constitution de garanties, terrain de confrontation entre objet social et intérêt social. – La constitution d'une garantie pour le compte de tiers doit-elle être conforme à l'objet social et à l'intérêt social pour être licite ?
Si la Cour de cassation a statué que la constitution d'une garantie contraire à l'intérêt social d'une société à risque limité n'en était pas moins valable, là encore, il en va tout autrement s'agissant d'une société à risque illimité.
Si elles sont à risque illimité, ces sociétés ne sont tenues que par les actes relevant de leur objet social. En cas de dépassement, les juges ont parfois maintenu la garantie incriminée au motif qu'à défaut de relever de l'objet social au sens littéral, cette garantie pouvait s'y rattacher, indirectement, comme étant pour autant conforme à l'intérêt de la société. Cette analyse pourrait être confortée, par ailleurs, par une décision prise à l'unanimité des associés entérinant la conformité de la convention avec l'intérêt social, voire une actualisation de l'objet social.
Nous serions confrontés à cette problématique dans le cas, par exemple, d'une société civile se portant garante du remboursement de la dette contractée par une structure commerciale, en présence d'un lien capitalistique entre les deux entités.
Si, en revanche, la constitution de la garantie est considérée comme étant contraire à l'intérêt social en ce qu'elle compromet, par exemple, l'existence même de la société, elle sera annulée, et ce quand bien même elle serait conforme à l'objet social.
Pierre-Marie Reverdy s'est interrogé sur la portée de ces arrêts rendus en matière d'affectation hypothécaire à la garantie de la dette d'autrui : ne pourrait-on pas imaginer que tout engagement souscrit au nom et pour le compte d'une société civile, non expressément visé dans l'objet social, supposé contraire à l'intérêt social, puisse être frappé de nullité ? Tout acte, même conforme à l'objet social, n'encourt-il pas le risque d'être frappé de nullité, en l'état de la jurisprudence actuellement développée par la Cour de cassation, sur le fondement du non-respect de l'intérêt social ?
On voit combien l'absence de définition explicite de ce qu'est l'intérêt social est source de contentieux.
– Un exposé qui ferait office de lexique ? – Compte tenu des développements qui précèdent, ne pourrait-on pas imaginer un exposé qui ait pour ambition de donner une définition de ce qu'est l'intérêt social, après avoir relaté ce qui a conduit les signataires à entreprendre ce projet ?
L'exhaustivité ne pourrait vraisemblablement pas être atteinte, mais une tentative de délimitation pourrait prévenir certains contentieux.
L'intérêt social, défini dans cet exposé, pourrait être perçu comme une nouvelle délimitation des pouvoirs du gérant. Ce dernier ne pourrait agir que dans le respect de l'objet social et de l'intérêt social.
L'exposé étant rédigé, il nous faudrait, dans un deuxième temps, nous atteler à la rédaction du corps même des statuts à proprement parler.

Vers une définition de l'intérêt social d'une société ?

Un exposé pourrait faire état d'une définition, au cas d'espèce, de ce qu'est l'intérêt social.

L'intérêt d'un plan uniformisé

L'intérêt d'un plan uniformisé

À ce jour, la rédaction des statuts est libre bien qu'il existe, selon les formes de sociétés, quelques statuts-types créés par la pratique. Aucune norme n'existe, en tout état de cause, en matière d'ordonnancement et de numérotation des clauses. À l'ère de la simplification et de la dématérialisation, ne serait-ce pas là une piste de réflexion ?
– Simplification et procédé numérique. – Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a édité le 6 juillet 2020 un « Rapport sur les statuts-types de SAS », l'objectif poursuivi, à la demande de la Chancellerie, étant de fournir aux plus petites structures un outil simple dans un contexte « tout numérique ».
Ces statuts-types comprennent trois parties :
  • une partie I consacrée aux opérations de constitution et de souscription ;
  • une partie II correspondant aux statuts à proprement parler ;
  • et une partie III regroupant les annexes.
– Vers un plan normé ? – Au-delà de cette structuration en trois parties et de la simplification du contenu, ne pourrait-on pas envisager un plan et une numérotation d'articles normés à la façon du Plan comptable général ou d'un plan local d'urbanisme ? Cela pourrait s'appliquer tant aux statuts qu'aux pactes d'associés.
Une numérotation d'articles uniforme permettrait à tout un chacun de naviguer très aisément dans le document et de trouver très rapidement l'information recherchée.
Cette normalisation n'empêcherait aucunement, dans un second temps, une rédaction plus fine et plus sophistiquée à l'appui de conseils dispensés par des professionnels.
Cette pratique, en vigueur outre-Atlantique, permet d'arrêter les termes définitifs du contrat plus rapidement et plus efficacement.
Il nous faudrait alors, dans un troisième et dernier temps, clore les statuts…

Un document de synthèse en fin de statuts et une fiche d'identité juridique, sociale, fiscale, synthétique

Un document de synthèse en fin d'acte permettrait de prévenir un certain nombre de difficultés rencontrées par les praticiens.
– La répartition des pouvoirs au sein de la société. – Il est très surprenant de constater, au regard des questions récurrentes posées au Cridon, que la délimitation despouvoirs de chacun au sein de la société suscite un très grand nombre de questions de la part des praticiens.
Aussi peut-on se demander s'il ne serait pas de bonne pratique d'insérer en fin de statuts un tableau synoptique permettant de connaître en quelques instants les compétences de chaque organe : gérant/président, directoire, conseil d'administration, conseil de surveillance, assemblée générale ordinaire, assemblée générale extraordinaire, avec mention des quorum et majorités requis et des éventuelles restrictions statutaires.
Peut-être ces informations pourraient-elles également figurer sur le Kbis ? La question reste toutefois délicate s'agissant des restrictions statutaires qui, par nature, ne sont pas opposables aux tiers. Elles le deviendraient par ce procédé et s'en trouveraient dénaturées.
Il est intéressant, tout de même, d'observer que les extraits d'immatriculation de certains de nos voisins européens sont beaucoup plus fournis que les nôtres.
Pour preuve, notamment, les extraits d'immatriculation allemands qui mentionnent, indépendamment de la dénomination, de l'adresse du siège social, de l'objet social, du montant du capital social, de la forme sociale, et des dates clés (signature des statuts, immatriculation, début d'activité), les règles de représentation en déclinant l'identité des gérants et l'étendue de leurs pouvoirs, mais également l'identité des personnes titulaires d'une délégation de pouvoirs, en capacité d'engager conjointement avec le gérant la société (Prokurist).
– Une fiche d'identité juridique, sociale, fiscale, synthétique visant à accroître la lisibilité des règles sociétaires. – Afin de renforcer la lisibilité des règles de fonctionnement sociétaires, il est proposé la création d'une fiche, qui porterait le nom de « Fiche d'information des entreprises et des sociétés » (Fides). Cette fiche pourrait être rendue obligatoire pour les formes sociales au sein desquelles la liberté est consacrée comme principe (la Société Libre et/ou la SAS).
Elle serait mise à disposition des parties prenantes de la société :
  • exhaustivement et à première demande des associés et des souscripteurs, sous réserve d'un engagement de confidentialité ;
  • partiellement et à l'initiative du dirigeant aux autres parties prenantes (clients, fournisseurs, financeurs, partenaires commerciaux, salariés, etc.).
La fiche devrait être actualisée à l'occasion de toute modification de l'un des paramètres mentionnés et serait certifiée par un notaire afin de lui conférer une solide crédibilité.
Son contenu pourrait être le suivant :
  • Reprise des éléments de l'extrait d'immatriculation.
  • Dirigeants : ajout des modalités de nomination/révocation (décision collective ou non), de la date de fin du mandat, de la mention d'une limitation de pouvoirs, du montant de leur rémunération.
  • Autres organes de gouvernance qui ne représentent pas la société vis-à-vis des tiers : mêmes informations que pour les dirigeants, et mention de l'implication décisionnelle et/ou consultative.
  • Table de capitalisation avec nature et nombre de droits sociaux émis, prise de garantie sur ces droits sociaux, proportionnalité ou non des droits de vote et droits financiers, état des délégations octroyées sur les futurs droits sociaux à émettre.
  • Mode de libération des actions : suivant les dispositions légales, ou selon la règle statutaire.
  • Transmission des droits sociaux : agrément tel que prévu par les textes, agrément selon des dispositions statutaires contractuelles, ou libre cessibilité.
  • Inaliénabilité : présence de la clause, de sa durée.
  • Mention de la présence de clauses ayant un impact sur la propriété des droits sociaux (clause d'exclusion, sortie conjointe, sortie forcée, etc.).
  • Mention de la présence d'une clause de valorisation des droits sociaux, hors commun accord ou expertise.
  • Mention de la présence d'un pacte extrastatutaire opposable à la société, ou dont elle est gestionnaire.
  • Décisions collectives : champ d'application, modalités sommaires, quorum et majorité (avec mention particulière pour les modifications statutaires), mention des associés disposant d'une majorité à eux seuls ou d'une minorité de blocage (incluant la représentation des personnes morales associées).
  • Régime fiscal de la société, et date d'option.
  • Régime social des dirigeants, et date d'option.
  • Commissaire aux comptes : présence, identité, date de fin de mandat, historique des certifications de comptes (présence de réserves à la certification, présence de conventions réglementées).
Un tableau synoptique, en fin de statuts ou décliné en annexe aux statuts, ou encore venant enrichir notre actuel Kbis, ainsi que cette fiche « Fides » permettraient peut-être d'accroître la sécurité juridique de nos actes notamment au regard de l'identité et de la capacité des mandataires sociaux, signataires.
Mais à vrai dire, un autre gage de sécurité juridique, majeur, serait de supprimer le délai s'écoulant entre la signature des statuts et l'immatriculation de la société.

Des statuts authentiques qui conféreraient la personnalité morale

– Le principe. – L'alinéa 1 de l'article 1842 du Code civil dispose que : « Les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ». À l'exception près de la société en participation et de la société créée de fait, l'acte de naissance de la société est centré sur son immatriculation auprès du registre du commerce et des sociétés (RCS).
C'est donc à cet instant que la société va disposer d'un patrimoine définitivement propre, qu'elle pourra fonctionner selon ses statuts et exploiter des activités distinctes de celles de ses associés. C'est aussi à cet instant que s'achèvera une période très nébuleuse au cours de laquelle la société aura été réputée « en cours de formation », puis « en cours d'immatriculation ».
La signature des statuts sociaux, instant pourtant hautement symbolique, ne représente donc à ce jour qu'une « première » phase au cours de laquelle les associés, qui auront d'ores et déjà pu agir au nom de la société, vont véritablement formaliser leur projet, leurs règles de fonctionnement, mais sans voir encore naître leur société.
– Les méandres de la période dite « de formation ». – Le laps de temps s'écoulant entre la signature des statuts et l'immatriculation effective de la société nourrit, hélas, un contentieux abondant.
Rappelons les lignes directrices du dispositif :
La société étant privée de capacité juridique dans l'attente de son immatriculation, un acte la concernant ne peut être accompli que par la voie de l'exception légale énoncéeà l'article 1843 du Code civil et, le cas échéant, à l'appui du deuxième alinéa de l'article L. 210-6 du Code de commerce.
L'article 1843 du Code civil dispose que : « Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l'origine contractés par celle-ci ».
Quant au deuxième alinéa de l'article L. 210-6 du Code de commerce, il est ainsi rédigé : « Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société ».
  • une liste des actes accomplis au nom et pour le compte de la société en formation peut être annexée aux statuts. Elle sera de la sorte approuvée par l'ensemble des associés signataires et l'immatriculation de la société emportera reprise de ces engagements par la société elle-même ;
  • les associés peuvent, dans les statuts ou par acte séparé, à l'unanimité, donner mandat à l'un d'eux, plusieurs d'entre eux, ou encore au gérant non associé, à l'effet de conclure un acte au nom et pour le compte de la société en formation. Le mandat devra être rédigé avec précision et rigueur pour emporter valable reprise à compter de l'immatriculation de la société ;
  • enfin, postérieurement à l'immatriculation de la société, un acte conclu en son nom et pour son compte du temps de sa formation peut être repris sur décision prise, sauf clause statutaire contraire, à la majorité des associés.
Par ailleurs, autre source de litige : l'acte peut ne pas être frappé de nullité, ayant été conclu « au nom et pour le compte de la société en formation », sans pour autant être repris par la société immatriculée pour diverses raisons.
Or, comme la Cour de cassation a eu l'occasion de le rappeler, cette reprise d'engagement ne peut s'opérer que dans le strict respect des dispositions de l'article 6 du décret no 78-704 du 3 juillet 1978 et, là encore, le cas échéant, de celles de l'article R. 210-5 du Code de commerce, énonçant, à eux deux, trois modalités distinctes :
Et c'est à ce stade qu'apparaît la principale source de contentieux : ces trois modalités de reprise supposent pour être efficientes que les actes en cause aient été conclus « au nom et pour le compte de la société en formation » et non « par la société en formation », faute de quoi les conventions seraient frappées de nullité absolue. La confirmation de l'acte irrégulier au moyen d'un acte d'exécution postérieur à l'immatriculation de la société n'est pas admise.
En ce cas, seul sera engagé le signataire, la société n'étant pas tenue par les engagements ainsi souscrits. On notera toutefois qu'une décision relativement récente de la Cour de cassation permet d'adoucir le propos, la Haute juridiction ayant considéré que la société pouvait encore se substituer à l'associé signataire dans l'exécution du contrat litigieux avec l'accord des parties.
– Un principe récent, et pour lequel un débat demeure tout à fait possible. – Les dispositions ci-dessus reprises du Code civil ne sont apparues que relativement récemment dans notre législation, puisqu'elles sont issues de la loi du 24 juillet 1966, s'agissant des sociétés commerciales et de la loi du 5 janvier 1978, s'agissant des sociétés civiles.
Concernant ces dernières, il est intéressant de noter que la loi prévoyait expressément que les sociétés constituées avant son entrée en vigueur, et non immatriculées deux ans après celle-ci, conserveraient leur personnalité morale. Ce n'est que par l'effet, très tardif, de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, qu'il a été fait obligation à ces sociétés de procéder à leur immatriculation. Nombreux sont les notaires qui ont été confrontés à ces problématiques, lorsque la perte de la personnalité morale de la société a automatiquement emporté transfert de leur patrimoine aux associés.
La personnalité morale, et sa reconnaissance, ne sont pas et ne doivent pas être une construction purement technique.
Notre législation actuelle, qui lie l'acquisition de la personnalité morale à la formalité de l'immatriculation, est un leurre dans la mesure où elle résulte d'une autre volonté, technique elle aussi, de catégoriser les groupements et de les identifier au sein de l'annuaire que constitue le registre du commerce et des sociétés.
Hélène Paerels-Albot relève que la personnalité morale va conférer « à l'entité supra-individuelle, qui en est dotée, la qualité de personne juridique ». Cette reconnaissance n'est pourtant pas systématiquement conditionnée à l'immatriculation, notamment lorsqu'il s'agit de faire valoir judiciairement l'exercice d'un droit sur le patrimoine d'un groupement.
La personne « juridique » ne doit-elle être conçue, reconnue, qu'à travers sa capacité à être titulaire d'un droit de propriété ? Cette conception apparaît très partielle, et très lacunaire.
Un autre raisonnement conduirait à reconnaître la personnalité morale aux groupements organisés en vue d'une expression collective ou encore d'une gestion collective.
Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 28 janvier 1954 peut parfaitement inspirer et nourrir la réflexion au sujet de la nature d'un groupement qui « fait société » :
« Attendu que la personnalité morale n'est pas une création de la loi : elle appartient en principe a` tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes, par suite, d'être juridiquement reconnus et protégés ».
Nous pourrions également citer le professeur Frédéric Ze´nati-Castaing dans un registre tout à fait similaire et plus contemporain : « Toute copropriété est, dans notre droit, candidate a` la personnification pour cette raison. Il suffit qu'elle se dote d'une possibilité d'expression collective pour que s'opère cette métamorphose, conformément a` la théorie de la réalité technique des personnes morales adoptée par la jurisprudence ».
– Modalités et intérêts de la procédure d'immatriculation. – L'immatriculation au registre du commerce et des sociétés est aujourd'hui assurée par les greffiers des tribunaux de commerce, lesquels ont majoritairement un statut d'officier public et ministériel. Ainsi, une des premières vertus de l'immatriculation est de donner date certaine à la naissance de la société. Bien entendu, la formalité n'a pas cette seule vocation. En parallèle, l'immatriculation procède d'un contrôle de légalité de la société et de ses composantes par le greffier, lui permettant une naissance et une activité licites.
Cependant, force est de constater que cette formalité n'est plus véritablement une difficulté, tant la création de sociétés a été simplifiée au fil des années. À ceci près que la formalité entraîne inévitablement, nous l'avons vu, un délai qui, comme tout délai dans cette matière, nuit intrinsèquement à la vie des affaires. Ce délai vient également s'ajouter aux délais préparatoires précédemment subis par les fondateurs, et pourrait faire l'objet d'un raccourcissement. La plupart des professionnels le savent pour l'avoir vécu : ces jours perdus dans l'attente de l'immatriculation peuvent avoir des effets extrêmement délicats, lourds financièrement, ou délétères – et en tout état de cause hautement anxiogènes – sur une opération particulière. A fortiori lorsque la société est créée dans l'objectif d'acquérir un patrimoine particulier (souscription à une levée de fonds, acquisition d'un fonds de commerce, prise à bail, acquisition immobilière, etc.), parfois au moyen d'un financement bancaire : l'absence d'immatriculation ou son retard complexifie et fragilise la réalisation de l'opération principale sous-jacente (qui implique naturellement d'autres parties prenantes que les seuls associés fondateurs) ; obstacle capable à lui seul dans certains cas de mettre un terme prématuré et définitif à l'opération en cause.
– Le notaire offre compétence et responsabilité à la création de sociétés. – Le notaire est parfois chargé de rédiger et de régulariser des statuts sociaux en la forme authentique. Il dispose de toutes les compétences techniques nécessaires pour cela, au-delà de ses qualités intrinsèques de médiateur et de conseil des parties. Le notaire est par ailleurs habilité à recueillir les fonds destinés à être apportés au capital social pour toutes les sociétés qui nécessitent une libération immédiate des droits sociaux souscrits.
En sa qualité d'officier public et ministériel, et en vertu des principes généraux de responsabilité (C. civ., art. 1240), il est tenu d'assurer en tout temps l'efficacité des actes qu'il instrumente. À ce titre, il lui sera donc évidemment interdit de régulariser les statuts d'une société sans s'être préalablement assuré qu'elle puisse in fine être immatriculée au RCS. Il devra, en amont de la signature, vérifier scrupuleusement que toutes les conditions légales sont remplies, et réunir la documentation nécessaire à la réalisation de la formalité d'immatriculation. À défaut, sa responsabilité serait bien évidemment engagée, au même titre que celle du greffier qui aurait immatriculé à tort une société qui ne remplirait pas les conditions requises. En outre, les dispositions spéciales de l'article R. 123-89 du Code de commerce prévoient expressément que : « Le notaire qui rédige un acte comportant, pour les parties intéressées, une incidence quelconque en matière de registre est tenu de procéder aux formalités correspondantes à peine d'une amende civile de 15 à 750 euros prononcée par le tribunal judiciaire, sans préjudice de l'application de sanctions disciplinaires et de l'engagement de sa responsabilité, garantie dans les conditions prévues au chapitre III du décret no 55-604 du 20 mai 1955 relatif aux officiers publics ou ministériels et à certains auxiliaires de justice ».
La mise en œuvre pratique de cette proposition n'apparaît plus spécialement délicate au demeurant, dans la mesure où les outils informatiques de la profession, agréés par le Conseil supérieur du notariat, disposent déjà dans leur quasi-totalité d'une connexion directe aux tribunaux de commerce pour la commande et le règlement de pièces.

De la personnalité morale acquise au jour de la signature de statuts authentiques

Pour fluidifier le processus de création de société, permettre à cette dernière d'exister et de débuter son activité immédiatement, sur la base de la collaboration, statutaire comme naturelle, entre les officiers publics et ministériels que sont le notaire et le greffier du tribunal de commerce, il pourrait être proposé d'ajouter aux dispositions de l'alinéa 1 de l'article 1842 du Code civil la possibilité pour les sociétés de jouir de la personnalité morale, au jour de signature de leurs statuts, si ces derniers sont reçus en la forme authentique.
L'acte notarié comportant les statuts sociaux serait alors l'acte de naissance de la société.
– La situation à l'échelon européen. – La directive européenne 2019/1151 concernant l'utilisation d'outils et de processus numériques en droit des sociétés, adoptée par le Parlement européen et le Conseil le 20 juin 2019, ne peut que favoriser l'adoption de cette proposition.
Les notaires allemands et espagnols se sont fortement mobilisés sur le sujet. Une conférence de presse a été tenue conjointement par leurs représentants le 18 septembre 2019 :
  • Me José Angel Martinez Sanchiz, président du Conseil général du notariat en Espagne, a déclaré considérer que cette directive, permettant la création d'entreprises à distance, par un canal numérique, « repos[ait] sur l'implication des notaires pour garantir la sécurité juridique dans le processus, l'identification et la vérification de la capacité juridique des entrepreneurs, le conseil impartial et la prévention du blanchiment des capitaux, du financement du terrorisme et de la fraude fiscale » ;
  • Me Jens Bormann, président de la Chambre fédérale du notariat allemand, a mis en exergue, pour sa part, au cours de cette même conférence de presse, « le rôle important que le législateur européen a attribué aux notaires dans la directive, en les plaçant au cœur de la procédure de constitution de sociétés en ligne », et a ajouté : « L'objectif est de garantir la constitution légale des sociétés afin d'éviter tout litige ultérieur. En même temps, l'identification fiable de l'entrepreneur permettra d'établir qui est derrière chaque entreprise et qui la représente, et sera d'une importance vitale pour l'inscription au registre du commerce, puisque le contrôle du processus par un notaire donne toutes les assurances que l'information est fiable et légale ».
Le processus projeté en Espagne est le suivant :
  • identification des associés par le notaire de leur choix au moyen d'un document d'identité national électronique conforme au règlement eIDAS ;
  • confirmation de l'identité réelle des associés par le notaire en confrontant les informations contenues dans le document d'identité électronique à celles recueillies par lui à l'occasion d'une visioconférence ;
  • délivrance de conseils juridiques à l'occasion de cette même visioconférence ;
  • confirmation numérique par le notaire des apports en numéraire constatés en sa comptabilité ;
  • signature des statuts sous la forme d'un acte authentique électronique ;
  • envoi d'une copie certifiée conforme numérique de cet acte aux associés et au registre du commerce.
De là à ce que la personnalité morale de la société soit réputée acquise au jour de la signature des statuts en la forme authentique, il n'y a qu'un pas… Un bel axe de réflexion pour la profession.