L'écrit en phase de constitution

L'écrit en phase de constitution

– Un contrat ou un acte de volonté. – L'article 1832 du Code civil donne le ton : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne. Les associés s'engagent à contribuer aux pertes ».
Étymologiquement instituer signifie mettre en état, donner un commencement à, mais également fixer, organiser.
Cette seconde acception est peut-être à l'origine d'un amalgame trop rapide entre contrat et statuts.
Le contrat, l'acte de volonté qui donne naissance à la société est-il nécessairement écrit ?
L'article 1101 du Code civil définit le contrat comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
Le droit commun des contrats consacre le principe du consensualisme.
Le droit des sociétés déroge-t-il sur ce point à ce principe fondamental ?
L'article 1105 du Code civil instaure, dans son dernier alinéa, une hiérarchie des règles applicables.
La réponse nous est, par conséquent, apportée par ce dernier alinéa : « Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières ».
Le Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations précise, au sujet de cet alinéa, ce qui suit : « L'article 1105 définit quant à lui les contrats nommés et innommés et reprend dans ses deux premiers alinéas l'actuel article 1107. Le troisième alinéa introduit en revanche une nouveauté importante et attendue des praticiens, puisqu'il rappelle que les règles générales s'appliquent sous réserve des règles spéciales. Ainsi, les règles générales posées par l'ordonnance seront notamment écartées lorsqu'il sera impossible de les appliquer simultanément avec certaines règles prévues par le code civil pour régir les contrats spéciaux, ou celles résultant d'autres codes tels que le code de commerce ou le code de la consommation ».
Cette règle induit dès lors, au cas d'espèce, une dichotomie.
Il nous faut distinguer les sociétés non assujetties à la formalité de l'immatriculation (§ I) de celles qui ont vocation à l'être (§ II) et des sociétés par actions constituées avec offre au public (§ III).

Les sociétés non assujetties à la formalité de l'immatriculation

– Sociétés en participation et sociétés créées de fait. – Les cas des sociétés en participation et des sociétés créées de fait illustrent l'absence de juxtaposition parfaite entre l'expression de la volonté d'entreprendre et l'établissement d'un document écrit.
En effet, l'absence de document écrit les instituant n'invalide, pour autant, nullement leur existence.
L'existence d'une société non immatriculée est laissée, dès lors, à la libre appréciation des juges du fond. La preuve est libre en la matière. L'existence de la société peut être démontrée par tous moyens.
Le régime de la preuve est abordé sous un angle plus pragmatique en droit des sociétés qu'il ne l'est en droit des obligations. Le formalisme ne doit pas entraver l'efficacité économique. Aussi est-ce la raison pour laquelle le régime de la preuve est beaucoup plus souple en droit commercial.
– Éléments de preuve retenus à l'égard des tiers. – C'est ainsi qu'ont pu être valablement retenus par la Cour de cassation, comme autant de preuves de l'existence d'une société instituée verbalement, en l'absence de tout écrit signé par les associés, le versement d'honoraires à un architecte, l'approbation de plans de construction, l'obtention d'un permis de construire, ou encore la passation de commandes auprès de fournisseurs.
La théorie de l'apparence y joue un rôle important à l'égard des tiers qui pourront aisément s'en prévaloir, en ce qui concerne notamment la régularité de la désignation des mandataires sociaux ou encore l'étendue de leurs pouvoirs.
– Opposabilité de l'existence de la société à l'égard des associés. – En revanche, dans les rapports entre associés, l'existence de la société résulte d'une démonstration plus rigoureuse.
Les juges doivent s'assurer que les éléments fondamentaux du contrat de société, tels que visés à l'article 1832 du Code civil, sont réunis : réalisation d'apports, participation aux bénéfices, contribution aux pertes, expression d'un affectio societatis.
C'est ainsi qu'il a été jugé, à l'occasion d'un contentieux fiscal, que l'existence d'une société en participation supposait l'apport d'éléments d'actifs en vue de la réalisation de l'objet social ainsi qu'une contribution non léonine aux bénéfices et aux pertes d'exploitation.
La jurisprudence est constante sur ce point : ces éléments sont cumulatifs. L'absence d'un seul d'entre eux invalide le contrat de société.
La preuve de l'existence de chaque élément doit, de surcroît, être rapportée de façon autonome. La démonstration de l'existence de l'un d'entre eux ne peut suffire à établir l'existence des autres critères constitutifs du contrat de société par présomption. La déduction n'est pas admise.
– L'écrit à valeur ad probationem . – Il n'en demeure pas moins, à y regarder de plus près, à la lecture de ces arrêts, que des écrits sont le plus souvent versés au dossier : correspondances, documents bancaires et comptables, contrats de collaboration, bulletins de salaire, projet de cession de fonds de commerce par acte authentique, par exemple.
Aussi, sans adopter une position aussi tranchée que celle de Fernand Yvernès, pour qui « cette conception consensualiste est purement dogmatique », force est de reconnaître que l'écrit est un mode probatoire aisé et efficace. L'écrit a indéniablement une valeur ad probationem, ce qui le dote d'un atout majeur.
À en croire cette si jolie formule, « il en sera ainsi tant que les hommes n'auront pas le pouvoir de sonder les consciences et les cœurs ; un droit non prouvé n'existe pas en pratique ».
Intéressons-nous à présent aux sociétés immatriculées.

Le recours à l'acte authentique renforce la portée probatoire de l'écrit

Le recours à l'acte authentique ayant date certaine, faisant foi et autorisant l'exécution forcée ne peut qu'accroître l'efficacité de ce mode probatoire.

Les sociétés immatriculées

– L'écrit à valeur ad validitatem . – Concernant les sociétés ayant vocation à être immatriculées, l'acquisition de la personnalité morale au moyen de la formalité de l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés confère à l'écrit une valeur différente, à savoir ad validitatem.
Comme l'a fait observer, dans un contexte plus général, M. le Sénateur Charles Jolibois, parfois « le problème de la preuve est « absorbé » par celui de la validité, en ce sens qu'enl'absence d'un écrit dressé dans les formes légales, l'acte ne peut pas être prouvé parce que, juridiquement, il n'existe pas ».
Le propos mérite d'être tempéré dans notre cas. En l'absence d'écrit, il ne s'agit pas véritablement d'un contrat ou d'un acte de volonté qui juridiquement n'existe pas, mais d'un contrat ou d'un acte de volonté rendu non opposable au greffe du tribunal de commerce, privant de ce fait la société de la personnalité morale.
– La formalité de l'immatriculation. – La formalité de l'immatriculation suppose d'écarter les règles générales posées par l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
L'article R. 123-35 du Code de commerce dispose en effet que « toute personne morale tenue à immatriculation dont le siège est situé dans un département demande cette immatriculation au greffe du tribunal dans le ressort duquel est situé son siège », étant précisé à l'article suivant (C. com., art. R. 123-36) que « l'immatriculation des sociétés et des groupements d'intérêt économique est demandée sitôt accomplies les formalités de constitution, publicité comprise ».
L'article R. 123-103 du Code de commerce précise, quant à lui, que : « Les actes constitutifs des personnes morales (…) déposés au plus tard en même temps que la demande d'immatriculation (…) sont :
1o Pour les sociétés ou groupements d'intérêt économique :
a) Une expédition des statuts ou du contrat de groupement, s'ils sont établis par acte authentique, ou un original, s'ils sont établis par acte sous seing privé (…) ».
C'est ainsi que l'écrit devient ad validitatem, les formalités de constitution consistant en l'établissement et en la signature de statuts, lesquels doivent être établis par écrit et comporter certaines mentions obligatoires.
Là encore la rédaction des statuts sera l'occasion pour le notaire d'exercer pleinement son devoir de conseil, après un examen attentif tant du projet d'entreprise que de la situation personnelle et professionnelle de chaque associé.
– Le Guichet unique et le nouveau registre national des entreprises. – L'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) a pour mission statutaire, depuis sa création en 1951, d'encourager l'innovation et la créativité en les préservant de la fraude et de la contrefaçon. C'est ainsi que l'Inpi délivre des brevets, des marques, des dessins, des modèles.
Or cet organisme public indépendant, placé sous la tutelle du ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, s'est vu confier de nouvelles attributions aux termes du décret no 2020-946, paru au Journal officiel le 1er août 2020, lequel a été complété par le décret no 2021-300 du 18 mars 2021.
L'Inpi a désormais, en effet, pour mission d'offrir aux créateurs d'entreprises et aux sociétés un accès à une plateforme informatique appelée Guichet unique, leur permettant d'accomplir par voie électronique toutes les formalités requises, dont les formalités d'immatriculation des sociétés, et de tenir le nouveau registre national des entreprises instauré par l'ordonnance no 2021-1189 du 15 septembre 2021, à compter du 1er janvier 2023.
Bien qu'administrateur de ce nouveau registre, l'Inpi n'en assurera pour autant ni l'alimentation ni la mise à jour, ces missions incombant à l'organisme unique visé à l'article 1er de la loi Pacte, qui se substituera à compter du 1er janvier 2023 aux centres des formalités des entreprises (CFE).
Ce nouveau registre national des entreprises doit se substituer à tous les dispositifs existants ayant vocation à recueillir et à enregistrer les formalités en lien avec la vie des entreprises et des sociétés, hébergés jusqu'alors, de façon éparse, par les chambres de commerce et d'industrie, les greffes des tribunaux de commerce, les chambres d'agriculture, les chambres des métiers et de l'artisanat, les organismes de sécurité sociale, les services fiscaux ou encore le Guichet entreprises.
Demeureront toutefois le Répertoire national des entreprises et de leurs établissements tenu par l'Insee ainsi que les registres tenus par les greffiers des tribunaux de commerce et les greffes des tribunaux judiciaires dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et ceux tenus par les tribunaux de première instance statuant en matière commerciale dans les collectivités visées à l'article 74 de la Constitution.
– Actes sous signature privée et actes authentiques. – Or il est important de rappeler que l'ordonnance de Saint-Germain-en-Laye sur le commerce de 1673 a d'emblée consacré un système bicéphale en imposant l'écrit, certes, mais « par-devant notaires, ou sous signatures privées ».

Les sociétés par actions constituées avec offre au public

Les sociétés par actions constituées avec offre au public

– L'offre au public. – L'ordonnance no 2009-80 du 22 janvier 2009 et l'ordonnance no 2019-1067 du 21 octobre 2019 ont largement participé à l'évolution de la notion d'offre au public, supplantant l'ancien vocable d'appel public à l'épargne.
L'objectif poursuivi a été de mettre un terme au statut de société faisant appel public à l'épargne afin de faciliter le financement des entreprises et autres entités économiques sur les marchés et de parvenir progressivement à une harmonisation européenne.
Les sociétés ayant vocation à être constituées avec offre au public sont principalement les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés civiles de placement immobilier et les sociétés d'épargne forestière, bénéficiant d'une autorisation légale.
Cette autorisation légale est requise à peine de nullité des contrats conclus ou des titres ou parts sociales émis .
L'article L. 411-2 du Code monétaire et financier organise toutefois un régime dérogatoire permettant aux sociétés d'une autre forme et aux groupements d'intérêt économique d'avoir recours, ponctuellement et de façon plus restrictive, à ce mode de financement, notamment si l'offre peut être qualifiée de placement privé, en ne s'adressant qu'à des investisseurs qualifiés ou encore à un cercle restreint d'investisseurs, tel que cela a été développé ci-dessus.
– Le bulletin de souscription. – Or au nombre des formalités requises en vue de la constitution d'une société anonyme avec offre au public et par renvoi à l'article L. 225-4 du Code de commerce, également en vue de la constitution d'une société en commandite par actions avec offre au public, indépendamment de la rédaction d'une notice d'information et d'un prospectus soumis au visa de l'Autorité des marchés financiers, l'établissement d'un bulletin de souscription mentionnant en toutes lettres le nombre de titres souscrits est exigé lors de la souscription initiale d'actions en numéraire. Le souscripteur en conserve une copie sur papier libre.
– La portée juridique du bulletin de souscription. – Selon une lecture littérale de l'article L. 225-6 du Code de commerce, l'établissement du bulletin de souscription serait exigé ad validitatem puisqu'il doit être présenté au dépositaire pour que soit constatée la souscription.
L'écrit peut être envisagé, au cas d'espèce, à nouveau, sous l'angle de la protection de l'épargnant. L'exigence d'une mention manuscrite mentionnée à l'article R. 225-128 du Code de commerce conforte cette analyse.
– Des déclarations de souscription et de versement établis par acte authentique. – La loi du 24 juillet 1867 modifiée par le décret-loi du 31 août 1937 prescrivait une déclaration de souscription et de versement de fonds dressée en la forme authentique à l'occasion de la constitution d'une société anonyme. L'objectif poursuivi était de prévenir les fraudes et de garantir la sécurité des épargnants et des créanciers, en luttant contre toute éventuelle fictivité du capital social. Le recours obligatoire à l'acte authentique a été supprimé par la loi no 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l'épargne.
Le non-respect de cette condition de forme pourrait, dès lors, conduire à la nullité de la souscription.
Toutefois cette irrégularité formelle peut être, selon le professeur Yves Guyon, neutralisée du fait même du comportement de l'épargnant lui-même s'il vient à participer à l'assemblée générale constitutive.
Certains auteurs préfèrent, toutefois, d'emblée n'accorder à ce bulletin de souscription qu'une portée ad probationem , considérant que le droit des sociétés ne laisse que peu de place au régime de la nullité.
La souscription au capital d'une société anonyme étant réputée être un acte de commerce, sa preuve devrait pouvoir être rapportée par tous moyens.
On notera qu'à l'occasion de la constitution d'une société anonyme sans offre au public, aucun écrit matérialisant la souscription n'est requis, la preuve de la souscription étant libre. Les statuts en sont généralement la preuve la plus aisée à rapporter.
La phase de constitution peut donner lieu à la rédaction d'autres écrits, notamment à la rédaction de pactes d'associés ou d'actionnaires. Toutefois ces derniers, très largement pratiqués, ne sont consacrés par aucun texte en rapport avec la constitution d'une société contrairement aux documents énoncés précédemment.
Toutes formes sociales confondues, en 2019, selon l'Insee, le nombre de créations de sociétés s'est élevé à 218 400.
Il est malheureusement probable que peu d'actes constitutifs aient été reçus en la forme authentique. Aucune statistique n'est disponible sur le sujet. Le recours à l'acte authentique est-il davantage pratiqué au cours de la vie sociale ?