La notion d'usufruit et de quasi-usufruit

La notion d'usufruit et de quasi-usufruit

Le démembrement de propriété est manié quotidiennement par les notaires dans les actes de succession ou de donation. Outil très utile pour assurer la protection du conjoint et organiser la transmission du patrimoine familial, il est aussi utilisé à des fins d'optimisation fiscale. Ainsi le conjoint survivant, en concours avec des enfants ou descendants, lorsque les enfants sont issus des deux époux, peut opter pour l'usufruit légal de l'article 757 du Code civil. Les libéralités, comme les conventions matrimoniales, utilisent l'usufruit comme mode d'optimisation de transmission. Le droit des sociétés met également le démembrement au cœur de ses montages d'ingénierie, comme le droit de l'assurance-vie ainsi que nous l'avons évoqué supra.
– Biens consomptibles. – Le Code civil, dans ses articles 578 et suivants, précise les contours de cette notion en apportant une définition et en indiquant les droits et obligations de l'usufruitier. À l'article 587, le Code civil dispose que : « Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ». Les règles du quasi-usufruit ont donc vocation à s'appliquer lorsque le démembrement porte sur des choses consomptibles par le premier usage.
– Biens non consomptibles. – La majorité des auteurs et des praticiens admettent qu'il est possible d'étendre conventionnellement le champ d'application du quasi-usufruit pour des biens non susceptibles d'être considérés par nature comme consomptibles par le premier usage. Il est alors admis qu'un quasi-usufruit puisse être établi sur un portefeuille de valeurs mobilières, sur des titres sociaux ou sur des créances. L'établissement d'un quasi-usufruit conventionnel permettra de considérer que le quasi-usufruitier jouit de toutes les prérogatives du plein propriétaire, mais qu'il restera redevable d'une dette de restitution envers le nu-propriétaire dans des conditions que la convention doit aménager.
En raison de la nature spécifique des biens objet de l'usufruit, l'obligation de conserver mise à la charge de l'usufruitier classique n'existe plus pour le quasi-usufruitier et permet l'ouverture pour le nu-propriétaire d'une créance de restitution. C'est l'exemple du conjoint survivant ayant opté pour l'usufruit légal ou conventionnel, qui peut disposer, dès l'ouverture de la succession de son époux prédécédé, de toutes les sommes disponibles. Le quasi-usufruitier dispose de pouvoirs élargis par rapport à un usufruitier classique. Comme un plein propriétaire, il peut dépenser ces liquidités, les réinvestir, sans en rendre compte aux nus-propriétaires. Sa seule obligation est celle de restituer soit des choses de même quantité ou qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution, souvent lors du décès du quasi-usufruitier.
Dans un contexte où le patrimoine des Français est désormais plus liquide (environ 40 % d'actifs financiers), le quasi-usufruit constitue un outil d'optimisation fiscale mis en avant par les professionnels de la gestion du patrimoine. L'intérêt principal de cet outil pour le nu-propriétaire réside dans la créance de restitution dont il bénéficie et qui se réglera le jour de la succession de l'usufruitier en tant que passif successoral déductible. Bien entendu la notion d'abus de droit, élargie par la loi de finances pour 2019, oblige le professionnel à s'interroger sur une utilisation raisonnée du quasi-usufruit et à considérer avec attention la limite entre optimisation fiscale et fraude.

Nature juridique du quasi-usufruit

- Le quasi-usufruitier est un propriétaire. - En permettant à l'usufruitier de se servir des choses et donc de les consommer, l'article 587 du Code civil lui a accordé un droit de propriété, le droit de disposer étant un élément essentiel de la propriété. En présence de biens consomptibles, il y aurait donc une confusion entre l'usus et l'abusus. Le quasi-usufruit serait donc translatif de propriété ; le nu-propriétaire conservant uniquement un droit de créance.
La propriété n'est cependant que temporaire puisque le quasi-usufruitier est tenu de rendre, à l'expiration de son droit, soit des choses de même qualité et en même quantité, soit l'équivalent en somme d'argent.
- Le quasi-usufruitier est un usufruitier. - Selon une seconde opinion, le quasi-usufruit ne serait pas translatif de propriété ; ce serait un véritable usufruit . L'existence d'une obligation de restitution, mais également la présence d'un terme viager contreviennent au caractère absolu et perpétuel du droit de propriété. Par ailleurs, le quasi-usufruitier ne peut pas dissiper la chose ou la détourner de manière frauduleuse, ce qui contrevient, là encore, à la notion de propriétaire. Le nu-propriétaire peut demander la déchéance de son droit à l'usufruitier si jamais il ne remplit pas ses obligations d'entretien ou de conservation. Pour le professeur Zénati, le quasi-usufruit demeurerait un usufruit dont seul l'objet serait spécifique.
Compte tenu de la nature particulière de ce quasi-usufruit, il est donc utile ici d'en préciser l'assiette (Sous-section I), les conditions d'exercice (Sous-section II) et les modalités de restitution de sa créance au nu-propriétaire à l'extinction de l'usufruit (Sous-section III).

L'assiette du quasi-usufruit

L'assiette du quasi-usufruit

Le quasi-usufruit est légal ou conventionnel.

Le quasi-usufruit légal

– Le principe. – C'est parce qu'un bien est consomptible qu'il peut être soumis à un quasi-usufruit. Il s'agit donc des biens dont ne peut faire usage sans les consommer matériellement ou juridiquement. La consommation se matérialise donc par une sortie du patrimoine, qu'elle ait lieu par destruction de la chose, ou par transfert de celle-ci. La simple détérioration par l'usage est insuffisante.
C'est aussi à la notion de bien fongible que renvoie le quasi-usufruit, et c'est parce que le nu-propriétaire est assuré de retrouver une chose identique, en nature ou en valeur, que le mécanisme est possible.
Ainsi le démembrement qui s'ouvre à l'ouverture d'une succession sur les fonds qui existent à cette date permet immédiatement l'ouverture d'un quasi-usufruit : dès lors que les sommes sont disponibles, le quasi-usufruit s'applique. Ainsi, le compte de dépôt à vue, le livret d'épargne, l'assurance-vie, les compte et plan d'épargne-logement ouverts au nom du défunt sont-ils susceptibles d'être soumis à un quasi-usufruit immédiat puisque toutes les sommes déposées sur ces supports sont disponibles dès le décès.
– Quasi-usufruit et titres. – Se pose la question de savoir si le quasi-usufruit peut porter sur un plan d'épargne en actions (PEA) ou des valeurs mobilières.
Le PEA fonctionne avec deux supports : un compte-titres et un compte espèces. C'est seulement sur le compte espèces qu'un quasi-usufruit est possible, ce compte fonctionnant comme un compte de dépôt à vue.
Pour les valeurs mobilières, même si le pouvoir de les céder appartient à l'usufruitier, elles ne sont pas consomptibles. Le pouvoir de gestion de l'usufruitier l'oblige en effet à remplacer les titres dans des supports de même nature. Le recours à une convention contractuelle permettra d'ouvrir un quasi-usufruit sur ces valeurs mobilières.
Dans le cas des dividendes, l'usufruitier appréhende le résultat distribué ainsi que les dividendes car ce sont des fruits. Le nu-propriétaire, quant à lui, a droit aux accroissements et plus-values lesquels constituent des produits. Les bénéfices deviennent des fruits dès la décision de distribution par l'assemblée générale. Lorsque les bénéfices sont mis en réserve, ils constituent un accroissement de l'actif social ; le fruit devient un produit. En cas de distribution sous forme de dividendes, à qui reviennent-ils ? La Cour de cassation n'ayant pas une position définitive sur cette question attribue tantôt le bénéfice de ces dividendes au nu-propriétaire, tantôt à l'usufruitier, il est essentiel de prévoir, par une clause des statuts ou de la convention de quasi-usufruit, le sort de la distribution.
– Quasi-usufruit et subrogation. – Mais le quasi-usufruit peut aussi naître en cours d'usufruit quand à une chose non consomptible succède une chose consomptible.
Le quasi-usufruit peut naître fortuitement en cours de démembrement. C'est le cas lorsqu'une indemnité d'assurance est versée en remplacement de la chose détruite. Par application du mécanisme de la subrogation réelle, l'indemnité vient remplacer la chose détruite. C'est aussi le cas lorsque la chose grevée d'un usufruit fait l'objet d'une opération d'expropriation pour cause d'utilité publique : le démembrement se reporte sur l'indemnité, ce qui fait naître un quasi-usufruit. Le bien disparaît matériellement mais pas juridiquement. Ce peut être le cas, puisque l'usufruit peut grever une créance, quand la créance est recouvrée par les soins de l'usufruitier dont les droits se reportent sur la somme d'argent remboursée.

Le quasi-usufruit conventionnel

La validité d'un quasi-usufruit qui porterait sur des biens non consomptibles est reconnue par un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 30 mars 1926 qui admet la création d'un quasi-usufruit sur des meubles meublants.
L'ouverture d'un quasi-usufruit est alors la conséquence d'une expression de volonté expresse et naît d'une convention. Elle peut aussi venir d'une volonté tacite, notamment lors de la remise d'un prix de vente à l'usufruitier. Lorsqu'une clause octroie un pouvoir de disposition à l'usufruitier tout en prévoyant un mécanisme de restitution à l'expiration de l'usufruit, cela vaut établissement d'un quasi-usufruit.
Dans notre pratique, on peut s'interroger sur la constitution d'un quasi-usufruit à l'occasion d'une donation de somme d'argent. Cette donation permet d'anticiper la transmission de son patrimoine tout en gardant l'usage des liquidités données. L'intérêt fiscal est indéniable, puisque lors du règlement de la succession la somme donnée n'est pas à comprendre dans l'actif successoral et le nu-propriétaire est titulaire d'une créance de restitution contre la succession, créance qui, s'agissant d'une dette légale – et non d'une dette consentie –, est déductible au sens de l'article 773, 2o du Code général des impôts.
Le principe d'irrévocabilité des donations (donner et retenir ne vaut) n'est pas inconciliable avec la réserve de quasi-usufruit, car si le donateur a bien la libre disposition de la chose donnée, il ne peut révoquer la donation et il reste débiteur de sa valeur envers le donataire, étant tenu de rendre à l'extinction du quasi-usufruit.
Cela nécessite tout de même de prendre un minimum de précautions pour le notaire appelé à rédiger une convention de quasi-usufruit : s'assurer de l'existence du bien donné dans le patrimoine du disposant au jour de la donation, anticiper une hypothétique insolvabilité du quasi-usufruitier au jour de la restitution qui remettrait à n'en pas douter en cause le principe d'irrévocabilité des donations. Dans la donation de somme d'argent soumise à un quasi-usufruit, il est donc opportun de s'assurer de la disponibilité des fonds au moment de la libéralité et d'organiser la protection du nu-propriétaire, notamment en évitant l'utilisation de clauses dispensant d'inventaire et de caution.
La question se pose également d'utiliser le quasi-usufruit lors de la cession de l'outil professionnel à un tiers. L'idée est de transmettre les titres sociaux en nue-propriété à ses enfants en franchise de plus-value. Seules les opérations à titre onéreux sont taxables. Avant que les titres ne soient vendus à un tiers, ils font l'objet d'une donation en nue-propriété. Ils sont ensuite vendus au prix de la donation, ce qui permet aux donataires nus-propriétaires d'être exonérés d'une taxation de la plus-value. La donation prévoit un report du démembrement sur le prix de vente et génère un quasi-usufruit. Il est admis que si la convention de quasi-usufruit est conclue concomitamment à la cession des titres sociaux, l'opération n'est pas valable car la donation est fictive. Si la convention est conclue avant cette date, la donation ne sera pas remise en cause : il y a création d'un quasi-usufruit pendant la période de démembrement, ce qui ne posera pas de difficulté.
Comme indiqué ci-dessus, le notaire dans une telle opération doit agir avec beaucoup de prudence. Ceci est d'autant plus important que le nouvel abus de droit de l'article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, sanctionnant les actes ayant un but principalement fiscal (et non plus exclusivement), peut interroger sur l'opportunité des donations avec réserve de quasi-usufruit. La doctrine administrative, en rappelant que « les transmissions anticipées de patrimoine, y compris lorsque le donateur se réserve l'usufruit du bien transmis ne sont pas en elles-mêmes concernées par la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 A du LPF, sous réserve que les transmissions concernées ne soient pas fictives. En effet, le législateur a entendu favoriser ce type de transmission », doit conduire le praticien à être extrêmement attentif sur la constitution du quasi-usufruit. Il doit avoir été envisagé dans la donation, avant la cession. Il doit faire l'objet d'une convention qui délimite les pouvoirs des parties notamment en prévoyant des garanties assurant le nu-propriétaire du remboursement de sa créance de restitution.

Conditions d'exercice du quasi-usufruit

Il a été rappelé à plusieurs reprises l'intérêt de signer une convention lors de la constitution du quasi-usufruit, afin d'éclairer les parties sur leurs obligations mais aussi d'assurer l'efficacité juridique et fiscale de leurs engagements.
La convention permettra de fixer les prérogatives des parties et le montant de la créance de restitution.

Les prérogatives des parties à la convention

Les prérogatives du quasi-usufruitier

L'article 587 du Code civil est assez précis pour permettre de déterminer les droits du quasi-usufruitier : si l'usufruit porte sur des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, « comme l'argent, les grains, les liqueurs », l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à charge de rendre. Il peut donc en faire ce qu'il veut, les garder, les consommer ou les aliéner.
La conséquence première de ces droits importants du quasi-usufruitier sur la chose est qu'il supporte les risques liés à la « garde » de celle-ci, comme la perte ou la disparition de la chose. Dans ce cas il ne peut cependant s'exonérer de son obligation de restitution vis-à-vis du nu-propriétaire.
Se pose aussi la question du droit de gage des créanciers des parties sur le bien objet du quasi-usufruit. On renvoie ici à la nature juridique du quasi-usufruit (V. supra, no ) : si l'on considère que le quasi-usufruitier est un propriétaire, le créancier doit pouvoir poursuivre les biens grevés dans les mains de celui qui les possède. Si, au contraire, on retient que le quasi-usufruitier n'a que la jouissance de la chose, les créanciers du nu-propriétaire, tant que la chose n'a pas été consommée, bénéficient d'un droit de poursuite en la faisant vendre en nue-propriété.
En droit des sociétés, le démembrement de propriété des titres ou droits sociaux est source d'interrogations, notamment quant à la reconnaissance de la qualité d'associé à l'usufruitier. La doctrine reste sur ce point partagée. La jurisprudence a pu décider que « l'usufruitier peut exercer certaines prérogatives attachées à la qualité des associés sans pour autant avoir cette qualité ».
Dans un récent avis rendu le 1er décembre 2021, à la demande de la troisième chambre civile saisie de cette question, la chambre commerciale de la Cour de cassation, se fondant sur l'article 578 du Code civil et sur l'article 39, alinéas 1 et 3 du décret no 78-704 du 3 juillet 1978, a affirmé que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé même s'il peut provoquer une délibération des associés, en application de l'article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales.
Quid en cas de quasi-usufruitier ? Étant un quasi-propriétaire, il doit être en mesure de bénéficier des droits reconnus au plein propriétaire de parts sociales et actions. Il n'y aurait donc pas de répartition des prérogatives d'associé entre le nu-propriétaire et le quasi-usufruitier, même si les discussions sur la nature du quasi-usufruit évoqué ci-dessus remettent en cause cette position : pour les auteurs qui arguent de ce que le quasi-usufruit n'opère pas transfert de propriété, le nu-propriétaire ne perd pas sa qualité d'associé.
En ce qui concerne la fiscalité, c'est le quasi-usufruitier qui déclare les revenus et l'impôt sur la fortune immobilière.
En cas de cession de biens démembrés, la convention des parties peut envisager que le prix de vente sera remis intégralement à l'usufruitier en qualité de quasi-usufruitier. Qu'en est-il du paiement de la plus-value ? Dans cette situation, il convient de distinguer selon la nature des biens (biens immobiliers ou titres de société), ainsi qu'il a été précisé par la première commission.
Le quasi-usufruitier, conformément à l'article 578 du Code civil, a aussi obligation de respecter la destination de la chose et d'en conserver la substance. Ceci est notamment justifié par son obligation de la restituer et conduit à examiner les prérogatives du nu-propriétaire.

Les prérogatives du nu-propriétaire

Le nu-propriétaire a droit à une créance de restitution et il faut donc veiller à la solvabilité du quasi-usufruitier comme à l'entretien qu'il doit assurer des biens dont il a la jouissance. Que le démembrement soit légal ou conventionnel, il appartient au notaire d'informer les parties sur l'intérêt et l'importance des diverses garanties offertes par la loi. Cette information est d'autant plus importante que le quasi-usufruitier est jeune ou que les nus-propriétaires sont des enfants d'un lit précédent.
La loi prévoit un certain nombre de garanties pour protéger les nus-propriétaires. Ces garanties n'étant pas d'ordre public, ils peuvent en dispenser le quasi-usufruitier s'ils souhaitent lui donner les pouvoirs les plus larges ou, au contraire, les aménager pour assurer au mieux le paiement de la créance.
– L'inventaire. – L'article 600 du Code civil met à la charge du quasi-usufruitier une obligation de faire dresser un inventaire ; il en supporte donc le coût. L'inventaire permet au nu-propriétaire de se préconstituer une preuve tant de la composition du patrimoine que de l'état de celui-ci. Il établit ce qui sera à rendre au terme du quasi-usufruit. À défaut d'inventaire, les nus-propriétaires devront prouver la consistance des biens soumis à l'usufruit par tout moyen.
L'inventaire permet de lister les biens compris dans l'assiette du quasi-usufruit et de les décrire. L'estimation n'est pas exigée par l'article 600 du Code civil ; elle l'est seulement en cas de constitution d'un usufruit par donation entre vifs. Pourtant cette évaluation, dans le cadre d'un quasi-usufruit, permet de déterminer le montant de la créance de restitution laquelle, en principe, correspond au montant nominal. Cette indication est également indispensable si les biens sur lesquels porte le quasi-usufruit sont amenés à être remplacés.
Mais l'obligation de faire dresser inventaire n'est pas d'ordre public et la convention peut contenir une dispense. Celle-ci est d'ailleurs fréquemment prévue par les disposants eux-mêmes dans les actes gratifiant l'usufruitier (donations entre époux ou testaments). Dans ce cas, il est utile de conseiller au nu-propriétaire de faire procéder à l'inventaire à sa charge.
Il est à ce sujet utile de préciser que les héritiers réservataires peuvent toujours exiger qu'il soit dressé état des immeubles et inventaire des meubles soumis à l'usufruit. Ce texte est d'ordre public, « nonobstant toute stipulation contraire du disposant ». Ce n'est qu'une fois la succession ouverte que les héritiers réservataires peuvent dispenser le quasi-usufruitier de faire dresser un tel acte. Quand l'inventaire est exigé, il n'est pas, contrairement à ce que prévoit l'article 600 du Code civil, un préalable à l'entrée en jouissance de l'usufruitier.
– Le cautionnement. – Le quasi-usufruitier est soumis à l'obligation de donner caution de jouir raisonnablement du bien démembré. Il s'agit là de garantir le propriétaire en cas de détériorations et pour la restitution en valeur des choses consomptibles. La caution devra alors répondre aux règles des articles 2295 et 2296 du Code civil et la personne qui se porte caution doit être capable de s'obliger et avoir un bien suffisant pour répondre de l'objet de l'obligation. Si la caution devient insolvable en cours d'exercice du quasi-usufruit, le nu-propriétaire, sous peine de déchéance du droit, pourra exiger une nouvelle caution.
Si l'usufruitier ne trouve pas de caution, il est tenu d'employer les fonds soumis au démembrement. Le placement des sommes comprises dans son droit est réalisé par l'usufruitier de concert avec le nu-propriétaire.
S'il souhaite laisser une plus grande liberté au quasi-usufruitier, le nu-propriétaire peut le dispenser de fournir caution (prenant le risque de ne pouvoir obtenir la délivrance de la chose ou de sa créance). Cependant, la dispense n'est pas définitive et peut être remise en cause judiciairement. Il en va ainsi lorsque les droits du nu-propriétaire sont en péril (risque d'insolvabilité, malversation, incapacité de gérer). En présence de descendants, l'obligation pour l'usufruitier de fournir caution est d'ordre public, ce n'est donc qu'une fois la succession ouverte qu'ils ont la possibilité de l'en dispenser.
Il sera prudent d'aviser les parties des conséquences de la dispense de fournir caution, la jurisprudence ayant pu décider que le conjoint survivant d'un défunt laissant à sa succession son épouse gratifiée par une donation entre époux et ses enfants d'une précédente union, ne pouvait se voir imposer le placement des sommes d'argent dépendant de la succession sur un compte démembré si la donation entre époux prévoyait une dispense de fournir caution. Cette décision renvoie aux articles 601 et 602 du Code civil pour justifier la cassation de la décision d'appel, sans s'interroger sur l'application qui aurait pu être faite de l'article 1094-3 du même code, qui exige l'emploi des fonds malgré toute dispense,
– L'emploi. – Le quasi-usufruitier est en principe libre de sa gestion et donc dispensé de toute obligation d'emploi. Toutefois, une telle obligation est prévue dans deux hypothèses : l'article 602 du Code civil prévoit que si l'usufruitier ne trouve pas de caution, il doit placer les sommes comprises dans l'usufruit. De même, en présence d'un conjoint donataire ou légataire en usufruit, l'article 1094-3 du même code met à sa charge une obligation d'employer les sommes soumises à son usufruit. Aucune dispense d'emploi ne peut être valablement prévue par le donateur. Cette obligation subsiste même si l'usufruitier a été dispensé de fournir caution dans l'acte constitutif.
Si la majorité des conventions de quasi-usufruit comportent une dispense d'emploi, il peut s'avérer judicieux de conseiller non une dispense, mais un aménagement des modalités du remploi en restreignant plus ou moins la liberté de l'usufruitier.
– L'indexation. Renvoi. – V. infra, nos et s.

L'évaluation de la créance de restitution

– Nominalisme monétaire. – Lorsque le quasi-usufruit légal résulte de l'application de l'article 587 du Code civil (somme d'argent, compte bancaire), la règle du nominalisme monétaire s'impose : la dette de restitution est égale à la somme soumise à quasi-usufruit.
– Indexation. – Par convention, il est possible, comme indiqué ci-dessus, de prévoir une indexation de la dette de restitution afin que le nu-propriétaire ne subisse pas la dépréciation monétaire. Cette clause doit respecter l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier, et il faut donc trouver un indice en lien avec l'objet de la convention.
Le notaire, lors de l'ouverture d'un usufruit qui donnera lieu à une créance de restitution, doit aviser les parties de l'importance de rendre déterminable la créance à restituer. Ceci permettra de limiter les contestations de l'administration qui n'hésitera pas à demander des rectifications au décès de l'usufruitier si la preuve de l'existence de la dette et de son montant ne peut être rapportée par les parties.

Comment bien préparer une convention de quasi-usufruit ?

Il est conseillé, à l'ouverture du quasi-usufruit (conventionnel ou légal), de signer une convention par acte authentique ou sous seing privé dûment enregistré, ceci afin d'assurer la sécurité juridique et fiscale de l'opération.
Il faut rappeler qu'en présence de parties incapables, il peut être nécessaire de requérir l'autorisation du juge des tutelles ou la nomination d'un administrateur ad hoc pour la signature de la convention de quasi-usufruit.
La convention doit au minimum contenir les précisions suivantes :
  • elle doit indiquer que le fait de conclure une convention de quasi-usufruit entraîne acceptation de la succession ;
  • elle doit fixer avec précision son objet. Quand les biens proviennent d'une succession, il sera fait référence aux pièces justifiant de la dévolution successorale. Elle mentionnera l'origine de propriété des sommes et valeurs et leur évaluation ;
  • elle doit prévoir les garanties bénéficiant aux nus-propriétaires ou les écarter expressément (obligation d'emploi, de fournir caution, d'indexer la créance, etc.) ;
  • elle doit préciser le mode d'évaluation ou de calcul de la créance de restitution et les modalités de son règlement.

Modalités de restitution en fin d'exercice

Les causes d'extinction ouvrant droit à restitution

Les causes générales d'extinction des droits réels applicables à l'usufruit s'appliquent au quasi-usufruit.
Le quasi-usufruit s'éteint souvent par la mort naturelle du quasi-usufruitier. S'il a été constitué au profit de plusieurs personnes, il se poursuit jusqu'au décès du survivant. Si la convention a prévu un terme extinctif différent du décès du quasi-usufruitier, si celui-ci décède avant le terme convenu, le droit s'éteint.
Le juge peut prononcer la déchéance du droit s'il constate un abus de jouissance. Il en est de même si le quasi-usufruitier ne fournit pas de caution alors qu'il n'en a pas été dispensé : si le nu-propriétaire craint pour la restitution du bien ou de sa créance, il peut solliciter la déchéance du droit.
Le quasi-usufruitier, comme tout usufruitier, a la faculté de renoncer à son droit, avec ou sans contrepartie ce qui prend alors la forme d'une donation si la preuve de l'intention libérale est rapportée.

Les modalités de la restitution

Depuis la réforme du droit des obligations, la restitution fait l'objet des nouveaux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.
S'agissant des créances ayant pour objet une somme d'argent, le principe du nominalisme monétaire demeure. Le montant de la restitution correspond à la somme existante au jour de la constitution du quasi-usufruit.
– Le rôle de la convention. – La convention pourra prévoir les conditions de la restitution puisque l'article 587 du Code civil n'est pas d'ordre public.
Il peut être accordé des délais de paiement aux héritiers du débiteur.
L'indexation, selon les modalités déjà indiquées, est envisageable (notamment dans le respect de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier).
Il peut être prévu qu'en cas d'emploi des deniers objet du quasi-usufruit, le montant de la créance originelle variera en fonction de la valeur du bien ainsi acquis et sera donc revalorisé en considération de la plus-value prise par les investissements effectués par le quasi-usufruitier.
En présence de parts sociales démembrées, il est important d'organiser dans la convention les modalités de l'obligation de restitution : sort des accessoires (actions gratuites attribuées ou bons de souscription), sort des titres souscrits suite à une augmentation de capital…
Fiscalement, l'extinction du quasi-usufruit ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque celle-ci a lieu par l'expiration du temps fixé par l'usufruit ou par le décès de l'usufruitier. La valeur détenue par l'usufruitier est retirée de sa succession en franchise de droit puisque cette valeur n'est pas assimilable à une dette du défunt au sens de l'article 768 du Code général des impôts.
Si l'usufruit s'éteint avant l'expiration du terme, à la suite d'une renonciation abdicative ou purement extinctive, seul le droit fixe est dû. En revanche, si la renonciation est translative, les droits de mutation sont exigibles quand cette renonciation est motivée par une intention libérale.
La présomption de l'article 773, 2o du Code général des impôts ne concerne que les dettes d'origine contractuelle. La dette de restitution ayant une origine légale (C. civ., art. 587) n'est pas visée par cette prohibition et elle est donc déductible de la succession du débiteur.
En présence d'un quasi-usufruit conventionnel, la question de la déductibilité de la créance de restitution se pose : la jurisprudence a confirmé que s'agissant d'une dette consentie par le défunt envers ses héritiers, elle ne pourra être déduite que s'il existe un acte authentique ou un sous seing privé enregistré.
En présence d'un contrat d'assurance-vie dont la clause bénéficiaire est démembrée, l'article 751 du Code général des impôts (lorsque le nu-propriétaire est un présomptif héritier de l'usufruitier, ce dernier est réputé plein propriétaire pour le calcul des droits de succession) n'est pas applicable puisque le nu-propriétaire tient son droit non pas de l'usufruitier mais du souscripteur assuré. L'usufruitier ne se démet pas de son vivant de la nue-propriété au profit de ses présomptifs héritiers. Il n'a jamais été détenteur de la pleine propriété du capital. C'est par le mécanisme de la stipulation pour autrui décidé par le souscripteur du contrat, qui est un tiers par rapport aux parties, que sont attribués l'usufruit du capital décès à l'un et la nue-propriété à l'autre.

Modèle de convention de quasi-usufruit rédigée à l'occasion du règlement d'une succession (acte authentique ou acte sous signature privée enregistré)

« M. XX, demeurant à …., est décédé le .…, laissant à sa succession :
Mme Y, son épouse survivante commune en biens, donataire en vertu de l'acte reçu par Maître .…, Notaire à .…, le .…, pour la totalité en usufruit.
Et pour héritiers, chacun pour un tiers, Mme XY, Mme YX et M. XXYY, ses trois enfants issus de son union avec son épouse survivante.
Ainsi que ces qualités sont constatées par un acte de notoriété dressé après ledit décès par Maître .…, notaire soussigné, le .…
De la communauté de biens ayant existé entre M. et Mme XX, dépendaient notamment au décès les actifs financiers ci-après énumérés :
  • « Compte courant no .… et Livret A no .… auprès de l'établissement bancaire …. pour une somme de .… ».
  • « Compte-titres no .… auprès de l'établissement bancaire .… pour une somme de .… ».
Ceci exposé, les comparants sont convenus de conclure une convention relative à l'exercice des droits en usufruit et en nue-propriété qu'ils possèdent sur les biens ci-avant désignés.
De convention expresse entre les parties, Mme veuve XX disposera des pouvoirs liés à sa situation d'usufruitière de biens consomptibles ; et par application de l'article 587 du Code civil, il a été adopté par les parties les stipulations qui suivent.
DROITS DU QUASI-USUFRUITIER
En qualité de quasi-usufruitière, Mme veuve XX conservera la jouissance des avoirs bancaires ci-dessus désignés.
Par dérogation à l'article 578 du Code civil, elle pourra librement disposer des biens objets de la convention, dans les conditions prévues à l'article 587 du Code civil, sans avoir à requérir l'autorisation des nus-propriétaires. En revanche, elle sera tenue d'une obligation de restitution en fin d'usufruit selon les modalités ci-après définies.
OBLIGATIONS DU QUASI-USUFRUITIER
Montant de la dette de restitution.
• Compte courant no .… et Livret A no .… : à l'extinction de son droit d'usufruit, Mme veuve XX sera tenue d'une obligation de restitution ayant pour objet la valeur nominale des sommes ci-dessus désignées.
• Pour le portefeuille de titres no …. : à l'extinction de son droit d'usufruit, Mme veuve XX sera tenue d'une obligation de restitution ayant pour objet la valeur nominale des sommes ci-dessus désignées (ou les biens subrogés). Par les présentes, le conjoint survivant s'oblige à maintenir sur un compte spécial référencé .… les titres précités. Figureront à ce compte les titres précités, les titres subrogés et tout accroissement en résultant. En revanche, les intérêts et dividendes perçus resteront à la libre maîtrise du quasi-usufruitier.
Paiement de la dette de restitution.
Pour se libérer de ses obligations de restitution envers les nus-propriétaires, les ayants-droit de Mme veuve XX disposeront d'un délai expirant le .… suivant l'extinction de l'usufruit. Passé ce délai, la dette de restitution produira intérêt au taux légal alors en vigueur sans qu'il soit besoin d'une sommation à payer.
Garantie de paiement.
Mme veuve XX consent la garantie suivante en paiement de la créance de restitution : .… [Il peut s'agir d'un cautionnement bancaire ou d'un nantissement. Les nus-propriétaires peuvent aussi dispenser expressément le notaire de prendre une sûreté pour garantir le paiement de leur créance de restitution].
Protection des nus-propriétaires.
Les héritiers renoncent à demander la conversion de l'usufruit en rente viagère et dispensent de faire emploi des liquidités dépendant de la succession comme le leur permettent les dispositions de l'article 1094-3 du Code civil (ou se réservent la faculté de lever ces options à tout moment en fonction du comportement prodigue de l'usufruitier).
PUBLICITÉ DE LA CONVENTION
Afin qu'à l'égard des établissements dépositaires des avoirs faisant l'objet de la convention, Mme veuve XX demeure investie des pouvoirs de libre disposition propres à sa qualité de quasi-usufruitière, une copie de la présente convention leur sera adressée à sa diligence.
Les actifs financiers concernés fonctionneront désormais sous sa seule signature.

Modèle de convention de quasi-usufruit rédigée à l'occasion d'une donation-partage de titres de société (acte authentique ou acte sous signature privée enregistré)

M. XX, né le .… à .… demeurant à .…
Propriétaire d'une (1) part en pleine propriété et de quatre-vingt-dix-neuf (99) parts en usufruit de la SCI X, société civile au capital de … €, dont le siège social se trouve à .…, et inscrite au RCS de .… sous le numéro ….
Mme XY née le .… à .… demeurant .…
Propriétaire de trois (3) parts en pleine propriété et de quatre-vingt-dix-neuf (99) en nue-propriété de la SCI X ci-dessus désignée et qualifiée.
EXPOSE
Aux termes d'une donation-partage reçue par Maître …, à .…, le .…, M. XX a fait donation à Mme XY, de la nue-propriété de parts sociales de la SCI X, sus dénommée. Mme XY a reçu la nue-propriété de 99 parts sociales numérotées de .… à .…
CECI EXPOSÉ, il est convenu qu'en cas de distribution de réserves disponibles celles-ci auront lieu selon les modalités suivantes : usufruitiers et nus-propriétaires reconnaissent ensemble que les réserves accumulées dans le temps reviennent de droit aux nus-propriétaires en tant qu'élément du capital. Cependant, toute décision de distribution vient réduire l'assiette des droits de l'usufruitier. En conséquence, afin de maintenir à l'usufruitier son droit d'usufruit, les parties, comme le permet l'article 578 du Code civil, conviennent que toute distribution des réserves se fera sous réserve que les des droits de l'usufruitier soient intégralement préservés. Dès lors, par le jeu de la subrogation réelle, usufruitier et nu-propriétaire s'entendent pour que le démembrement de propriété se reporte sur les réserves distribuées.
En vertu des dispositions de l'article 587 du Code civil, l'usufruitier bénéficiaire des réserves distribuées disposera d'un quasi-usufruit. L'usufruitier décidera seul de l'affectation des sommes, et pour jouir de son usufruit, il sera dispensé de faire emploi et de fournir caution.
L'usufruitier restera redevable envers le nu-propriétaire d'une créance de restitution au terme du démembrement de propriété.
Les comparants sont convenus des modalités d'exercice du quasi-usufruit sur les réserves distribuées de la SCI S, ci-dessus désignée et qualifiée, ainsi qu'il suit :
DROITS DU QUASI-USUFRUITIER
En qualité de quasi-usufruitier, M. XX conservera la jouissance des réserves à distribuer. Par dérogation à l'article 578 du Code civil, il pourra librement disposer des sommes dans les conditions prévues à l'article 587 du Code civil, sans avoir à requérir l'autorisation des nus-propriétaires. En revanche, il sera tenu d'une obligation de restitution en fin d'usufruit selon les modalités ci-après définies.
OBLIGATIONS DES QUASI-USUFRUITIERS
Montant de la dette de restitution.
De la distribution des réserves pour un montant de .… €, il revient à l'usufruitier des parts sociales (99 parts sociales démembrées), la somme de … €. Pour cette somme, à l'extinction de son droit d'usufruit, M. XX sera tenu d'une obligation de restitution ayant pour objet la valeur nominale de la somme ci-dessus désignée.
Le montant de la dette de restitution est fixé à la somme de …. euros et …. centimes (… €).
Paiement de la dette de restitution.
Pour se libérer de ses obligations de restitution envers le nu-propriétaire, les ayants-droit de M. XX disposeront d'un délai de six mois suivant l'extinction de l'usufruit. Passé ce délai, la dette de restitution produira intérêt au taux légal alors en vigueur sans qu'il soit besoin d'une sommation à payer.
Garantie de paiement.
L'usufruitier décidera seul de l'affectation des sommes reçues, et pour jouir de son usufruit, il sera dispensé de fournir caution.