L'intérêt limité de la blockchain pour le registre immobilier français

L'intérêt limité de la blockchain pour le registre immobilier français

– Intérêt de la blockchain pour les registres existants et réputés fiables ? – Classiquement, un fichier immobilier est alimenté et administré par un tiers de confiance (un État, un établissement public, un agent à statut particulier, etc.), qui s'assure de sa sauvegarde et de sa sécurité dans des locaux d'archives, et pour la partie informatisée sur des serveurs centralisés classiques, le plus souvent dans le pays hôte pour éviter la fuite de données. C'est ce que l'on pourrait qualifier « d'architecture classique » d'un fichier public, tenu par un agent de confiance qui en assume la garde et la responsabilité.
L'intérêt de la blockchain serait possiblement d'adjoindre au modèle de sauvegarde centralisée sur des serveurs, en théorie plus facilement attaquable, une couche blockchain pour prévenir les modifications et certifier la date sur des serveurs distribués, comme en Géorgie V. supra, no . .
Quel que soit le back-office informatique des institutions, l'ajout ou la substitution d'un outil en blockchain n'apporte qu'une réponse très limitée aux enjeux de la publicité foncière. Ainsi, comme le souligne un avocat spécialiste : « Une information de propriété inscrite sur le registre de blockchain vaut-elle propriété dans le droit ? Quelle force juridique accorder à cette technologie ? Une propriété inscrite sur ce grand livre numérique est-elle opposable à un tiers ? Tant de questions qui méritent d'être éclairées » Hubert de Vauplane, avocat lors du Paris FinTech organisé fin janvier 2017. .
En d'autres termes, le support que constitue la blockchain n'apporterait aucune réponse à la fiabilité de la procédure et des auteurs des inscriptions. Par ailleurs, en l'absence d'un cadre juridique adapté et d'une reconnaissance par les États concernés, le fichier blockchain n'aurait aucune validité dans l'ordre interne, sauf à ce qu'un juge y reconnaisse un début de preuve. Pour ces raisons, il ne semble pas raisonnable d'imaginer substituer aux experts actuels de l'immobilier des experts informatiques décidant de ce qui est une preuve valable ou non de la propriété immobilière.
– L'équilibre subtil des institutions. – Il a été vu qu'en réalité la complexité juridique et fiscale qui entoure une transaction immobilière en France ne rend pas souhaitable sa digitalisation complète, et a fortiori sa désintermédiation totale V. supra, nos à . . En compilant objectivement les besoins et aspirations associés à une transaction immobilière, il n'est pas apparu un décalage flagrant entre le modèle actuel et un modèle idéal numérisé. Retirer un organe de l'architecture actuelle, comme le notaire, le fichier immobilier ou le cadastre, priverait l'ensemble de la sécurité et de la fiabilité qui sont actuellement les siennes. Ainsi le recours à la blockchain n'apparaît pas comme une réponse évidente à un problème structurel ou de confiance.
– La méconnaissance de la blockchain comme substitut des organes traditionnels. – À titre d'illustration, un amendement déposé en 2016 Amendement no CF2 déposé par Laure de La Raudière, alors députée d'Eure-et-Loire, le 13 mai 2016, dans le cadre des débats parlementaires précédant l'adoption de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3623/CION_FIN/CF2.asp">Lien). démontre l'engouement possiblement exagéré pour la blockchain. Cet amendement, qui prévoyait que l'acte en blockchain vaut acte authentique, portait plus spécifiquement sur les opérations de règlement-livraison Le règlement-livraison désigne la phase finale du processus d'achat-vente de titres, qui va permettre, par l'échange simultané des titres contre les espèces, de finaliser le transfert de propriété issu de la négociation entre l'acheteur et le vendeur. d'instruments financiers ou de devises. Nonobstant la bonne volonté du député, l'ouverture d'un acte blockchain authentique traduisait le sentiment de nombreux agents économiques qui voient dans l'authenticité une forme d'enregistrement formel, auquel un protocole informatique sécurisé serait substituable.
Cet amendement illustre le risque associé à la méconnaissance des acteurs et à leur fonction organique dans le système des transactions immobilières, couplé avec des attentes exagérées envers la blockchain. Il n'est ainsi pas exclu qu'une proposition vise un jour à remplacer le fichier immobilier et l'acte authentique par une simple inscription en blockchain. Il faut toutefois tempérer ce risque, comme l'illustre Sébastien Choukroun, manager du Blockchain Lab chez PwC : « Il faut plutôt envisager la blockchain comme un enjeu de transformation des métiers, d'avocat ou de notaire notamment, et non comme un enjeu de suppression de ces expertises » www.pwc.fr/fr/decryptages/data/comment-la-blockchain-va-revolutionner-l-immobilier.html">Lien .
– Conclusion quant à l'intérêt limité de la blockchain pour le registre immobilier français. – Le système de publicité foncière français, dans son architecture d'ensemble, est digitalisé de manière presque optimale selon des critères de performance, de temps et de sécurité. À ce titre, l'ajout de la blockchain dans l'architecture actuelle ne présente pas d'intérêt évident, et les modalités de conservation des données au sein des services de la publicité foncière et de la DGFiP, sur des serveurs sécurisés très robustes, ne posent pas question.
Les agents de la publicité foncière et leurs outils ne posent actuellement pas de question de fiabilité ou de sécurité. Les enjeux sont plus généralement d'informatisation et d'automatisation sécurisée des tâches pour ces agents, dans une approche d'amélioration de la performance principalement en interne.
En conclusion, il semble raisonnable d'affirmer que le système de publicité foncière français n'a pas d'intérêt immédiat à reposer sur la blockchain.
– Intérêt résiduel de la blockchain pour de nouveaux outils de la publicité foncière. – Si, dans l'architecture actuelle de la publicité foncière, la blockchain semble présenter un intérêt limité, il est possible que de nouvelles fonctionnalités soient associées en tout ou partie à la blockchain. Par exemple, si l'État décidait d'ouvrir la consultation informatisée du fichier immobilier à d'autres acteurs que les notaires, voire au public, il faudrait notamment répondre au défi de l'octroi de droits de consultation au fichier Cette possibilité a été analysée supra, nos et s. .
L'enjeu du droit d'accéder au fichier immobilier et d'obtenir copie des documents recèle deux questions, à savoir : qui peut accéder au fichier et pour quoi ? Et comment assurer le paiement sécurisé de l'accès au fichier ou de la délivrance de copie ? Ces questions pourraient être analysées à la lumière du fichier Amalfi présenté précédemment V. supra, no . .
– La blockchain comme outil de sécurisation d'un fichier ouvert ? Il est possible que la blockchain apporte en partie une réponse technique à l'enjeu de l'ouverture de droits d'accès dans un contexte d'absence de confiance, contrairement à l'architecture actuelle qui implique un duo État-notaire. La blockchain pourrait faire office de péage en y associant des jetons numériques conférés à une personne afin de lui octroyer un accès sécurisé au fichier selon certaines modalités.
L'enjeu du traitement du paiement des consultations et des obligations de la comptabilité publique pourrait trouver une solution avec une blockchain de paiement, qui par nature efface le risque de défaut de contrepartie. Ces possibilités sont toutefois très prospectives en ce qu'elles impliqueraient non seulement la mise à jour, voire la restructuration complète des infrastructures informatiques de la publicité foncière, mais également la confiance des pouvoirs publics dans la technologie blockchain. Ces réflexions nous amènent naturellement à la tokenisation immobilière, présentée comme une nouvelle forme de transaction immobilière.