Les cryptomonnaies

Les cryptomonnaies

Au-delà du contexte économique précis ayant présidé à leur naissance (Sous-section I) , les monnaies électroniques connaissent un essor au service des entreprises (Sous-section II) qui dépasse définitivement le seul accident de l'histoire, ce qui n'est pas sans poser des problèmes de perfectibilité de leur valorisation (Sous-section III) .

La généralisation mondiale d'une pratique

– Aux sources des cryptomonnaies : un projet politique et informatique affranchi des banques. – À l'origine des actifs numériques se trouve le projet né en 2008 de créer une monnaie numérique fonctionnant en toute indépendance d'institutions existantes et d'organe de contrôle central X. Lavayssière, L'émergence d'un ordre numérique : AJC 2019, p. 328. , le bitcoin. Ce projet est né en réaction à la crise des subprimes et aux failles du système bancaire révélées à cette occasion.
Le bitcoin est le premier objet informatique de type blockchain programmé par son inventeur Un certain Satoshi Nakamoto, mais ce nom ne pourrait être qu'un pseudonyme. pour un usage d'unité monétaire. Le qualificatif de « cryptomonnaie » vient du fait que les informations relatives à l'objet monétaire en question sont cryptées suivant le protocole de cryptologie informatique des dispositifs d'enregistrement électronique partagés. Dénommées génériquement bitcoins, ces cryptomonnaies se distinguent de deux points de vue. En premier lieu, le système du Bitcoin fonde son unité monétaire propre : on parle souvent de monnaie virtuelle par opposition aux monnaies officielles. En second lieu, chaque bitcoin est en lui-même un objet informatique indépendant, avec son propre programme de « blocs » JCl. Notarial Formulaire, Vo Paiement, fasc. 30, no 78, par F. Grua et N. Cayrol. . Sa transmission en « pair-à-pair » s'opère par simple connexion entre ordinateurs du système.
D'autres unités de compte fonctionnent de la même façon (usage de moyen d'échange), comme l'ether créé et stocké sur la plateforme Ethereum.
La possession de ces unités de compte est matérialisée par une inscription en numéraire sur le grand registre de la blockchain ; associé à une clé publique V. infra, Chapitre II, « Le fonctionnement technique », no . , un compte représente son détenteur légitime.
– Un volume financier en croissance exponentielle. – Les cryptomonnaies sont générées par le protocole de la blockchain en rémunération de l'entretien du réseau : à ce titre elles permettent son fonctionnement. L'ether et le bitcoin sont ainsi des rouages indispensables au fonctionnement de leurs blockchains respectives : ils permettent la rémunération des mineurs achetant et utilisant le matériel informatique adapté Par ex., le protocole Ethereum prévoit que celui qui trouve un bloc valide reçoit automatiquement cinq ethers nouvellement émis. . De surcroît, les cryptomonnaies sont des réserves de valeur. Ces deux fonctions expliquent que leur montant a connu une augmentation vertigineuse.
La valeur totale des actifs blockchain échangés sur les marchés a par exemple progressé de plus de 500 % pour l'année 2017, passant de 18 milliards de dollars à plus de 90 milliards à l'automne 2017 Site ethereum.org">Lien, publication de S. Polrot le 24 mai 2017. . On estime à 10 milliards de dollars environ la capitalisation boursière totale des actifs Ethereum, à plus de 70 milliards d'euros celle de Bitcoin. Quant au nombre de cryptomonnaies en circulation, il s'établissait à près de 2 400 fin 2019 (sur le site coinmarketcap.com">Lien). Enfin, les grandes entreprises réfléchissent à la création de leurs propres monnaies virtuelles M. Touré, Cryptomonnaie : pourquoi les grandes entreprises optent-elles pour les monnaies virtuelles ?, publié sur www.boursedescredits.com">Lien le 7 mai 2019. , et la Banque de France s'y intéresse aussi L'idée est de créer une monnaie virtuelle européenne, un « euro digital », selon le gouverneur de la Banque de France, dans une annonce du 4 décembre 2019. .

Les attraits pour les entreprises

– Ni banque centrale ni taux de change. – Les monnaies virtuelles n'apparaissent pas uniquement comme une alternative aux monnaies émises par les institutions financières nationales. Les entreprises réfléchissent à créer des valeurs qui ne dépendent pas d'un tiers, d'une banque.
Un euro entré dans une base de données gérée par une banque, qui s'affiche sur un compte bancaire, signifie que la banque reconnaît devoir un euro. Le titulaire du compte n'ayant aucun contrôle réel sur ce qui s'affiche sur son compte bancaire, il doit faire confiance à la banque et aux organismes de contrôle sur le fait qu'ils ne changeront pas arbitrairement ce chiffre. De plus, ce même euro n'a de valeur que s'il est reconnu et accepté comme moyen de paiement dans tous les pays de la zone euro, dans la mesure où il est émis par la Banque centrale européenne.
Pour l'unité de compte numérique, la logique est tout autre : le solde « 1 » inscrit sur la blockchain est appréhendé sans intermédiaire. Ce chiffre inscrit sur l'actif blockchain ne représente pas une créance envers un tiers, telle une banque. Il est l'actif lui-même : la blockchain fait exister par elle-même cet actif.
C'est ainsi que l'on parle parfois de révolution de la confiance : cette dernière est déportée de l'acteur traditionnel vers la technologie elle-même V. S. Polrot, publication du 24 mai 2017 sur ethereum.org">Lien, op. cit. , illustration caractéristique des mouvements de fond de disruption à l'œuvre dans toute l'économie.
– Une liberté de langage de programmation. – À chaque projet sa blockchain et son langage d'algorithmes. Nous verrons plus loin que les variables techniques permettent d'ouvrir plus ou moins l'accès d'une blockchain à des utilisateurs déterminés.

La nécessaire prise en compte d'une valorisation volatile

La perception des cryptomonnaies est parfois encore liée aux polémiques qui ont entaché leur déploiement initial (piratages de plateformes d'échange, utilisations pour l'achat de produits illégaux sur le darknet, etc.). La pseudonymisation des transactions peut être détournée par des utilisateurs voulant agir dans la clandestinité pour transférer de l'argent. Au-delà des usages frauduleux, des risques de cybercriminalité se déployant dans la blockchain, l'usage des cryptomonnaies soulève enfin des enjeux de souveraineté étatique ou internationale, et d'éthique : le code doit-il être la loi ?
Sur le plan patrimonial, la question de la pérennité de la valorisation de ces actifs se pose.
– Le risque de chute de valeurs. – La critique fréquemment formulée à l'encontre des cryptomonnaies tient à leur grande volatilité qui ne leur permettrait pas, pour certains régulateurs, d'être des unités de compte. Ces régulateurs considèrent par ailleurs que leur absence de valeur intrinsèque ne pourrait en faire des réserves de valeur. Enfin, leur complexité d'utilisation associée à leur volatilité les rendrait impropres à constituer de véritables intermédiaires d'échange.
– Les stablecoins ou la recherche d'une cryptomonnaie moins volatile. – En réponse aux critiques sur l'instabilité de la valorisation des cryptoactifs utilisés comme moyen de paiement, sont apparus sur le marché des jetons spécifiquement structurés pour éviter une trop grande volatilité : les stablecoins.
Un stablecoin est un jeton de paiement adossé à un actif, ou dont la valeur est stabilisée ; en fait ce sont les droits émis qui sont eux-mêmes stabilisés par les qualités du bien de référence. Il faut ainsi distinguer ces stablecoins selon la catégorie d'actif à laquelle ils sont adossés J. Sutour, CMS Francis Lefebvre, Les stablecoins, une forme particulière d'utility tokens ? : Option fin. 14 oct. 2019. .
– Les stablecoins ayant une monnaie fiat comme sous-jacent. – Une monnaie dite « fiat » est une monnaie ayant cours légal, émise par une banque centrale. Référencée comme sous-jacent signifie que la cryptomonnaie y est en quelque sorte arrimée quant à sa valorisation. Comme l'a rappelé l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en mars 2018, et conformément à l'article L. 111-1 du Code monétaire et financier : « La monnaie de la France est l'euro (…) Les cryptoactifs ne peuvent pas être qualifiés en France de monnaie ayant cours légal ». Toutefois, l'article L. 315-1 dudit code, qui transpose l'article 2.2 de la directive 2009/110/CE PE et Cons. UE, dir. 2009/110/CE, 16 sept. 2009, concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements. , définit la monnaie électronique comme une « valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique (…), représentant une créance sur l'émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l'émetteur de monnaie électronique ».
Ainsi, dès lors qu'un stablecoin est adossé à une monnaie et donne un droit de créance contre son émetteur pour la livraison de cette monnaie, ce stablecoin a la nature d'une monnaie électronique. Il doit ainsi en principe éviter l'instabilité des valeurs Pour illustrer une approche institutionnelle de cet actif, on peut relever son appréciation par l'autorité de régulation financière suisse (la Finma) en septembre 2019 dans ces termes : « La valeur des « stablecoins » est fréquemment liée à un actif sous-jacent (par ex., une devise ayant cours légal). L'objectif de ces projets est en général de minimiser la volatilité des prix qui est habituelle pour les jetons de paiement actuellement disponibles ». Relevé par J. Sutour, Les stablecoins, une forme particulière d'utility tokens ?, op. cit. . Cela explique que son émetteur soit tenu d'être agréé en qualité d'émetteur de ce type d'instrument.
– Les stablecoins adossés à d'autres actifs. – Dans l'hypothèse où le stablecoin serait adossé à d'autres actifs qu'une ou plusieurs devises, il convient de préciser comment le distinguer des tokens d'usage. Un utility token peut avoir pour objet la livraison d'un bien ou d'un service. Sa valeur est naturellement corrélée au bien ou au service auquel il donne droit ; son utilisation éventuelle comme instrument de paiement adossé à cet actif n'est qu'accessoire.
En revanche, si le stablecoin a pour objet principal la réalisation d'un paiement, son usage à titre de livraison de l'actif sous-jacent ne saurait être qu'accessoire, lorsqu'il ne sera pas tout simplement impossible.
Ainsi, si le stablecoin a pour objet la livraison du bien ou du service, il est un utility token. Si le stablecoin a pour objet la titularité sur un instrument financier, il deviendrait par lui-même un instrument financier (un dérivé, voire un titre financier).
– Les stablecoins non adossés. – Il s'agit de jetons dont la valeur est maintenue grâce à un smart contract Sur cette notion, V. infra, Commission 3 nos et s. qui s'exécute automatiquement et a pour effet d'augmenter ou réduire le nombre de jetons en circulation pour maintenir la stabilité du prix. En clair, « si la demande totale pour le stablecoin augmente ou diminue, alors le contrat changera automatiquement le nombre de coins en circulation pour maintenir le prix stable » JCl. Commercial, Fasc. 535, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques, no 51, par D. Legeais. . Ces cryptomonnaies sont parfois controversées, car elles ne garantissant pas véritablement une conversion en monnaie de cours légal ou se sont heurtées aux exigences des régulateurs financiers notamment américains Ainsi des stablecoins Tether (chaque coin adossé à un dollar américain en théorie), Basis (projet abandonné). ; citons comme exemple de stablecoin en vigueur : TrueUSD, qui fait partie de la plateforme de tokenisation d'actifs TrustToken TrueUSD (TUSD) est un jeton stable ERC20 adossé au dollar USD qui est entièrement garanti, protégé juridiquement et vérifié de manière transparente par des attestations tierces. TrueUSD (TUSD) utilise plusieurs comptes séquestres pour réduire le risque de contrepartie et pour fournir aux détenteurs de jetons des protections juridiques contre les détournements (V. https://conseilscrypto.com">Lien). .