Les atteintes aux procédures d'insolvabilité

Les atteintes aux procédures d'insolvabilité

Parmi les principes et objectifs gouvernant les procédures d'insolvabilité, deux paraissent ériger de sérieux obstacles à l'utilisation d'un smart contract : d'une part, le principe d'égalité des créanciers (§ I) et, d'autre part, la protection des intérêts économiques et sociaux du débiteur en difficulté (§ II) .

Le principe d'égalité entre les créanciers

? Changement de paradigme. ? Le principe d'égalité se traduit par la dimension collective de la procédure. À l'origine, le droit de la défaillance ne connaissait pas le règlement collectif du passif. Le paiement se faisait au prix de la course. Seule la notion de déconfiture, encore présente dans le Code civil Exemples d'effets produits par la déconfiture : la révocation du mandat (C. civ., art. 2003), l'exception d'inexécution (C. civ., art. 1613), le recours immédiat à la caution (C. civ., art. 2309), l'exigibilité du capital de la rente perpétuelle (C. civ., art. 1913), la déchéance du terme en cas de perte de sûreté (C. civ., art. 1305-4). , prenait en compte la situation du débiteur insolvable à l'égard de chacun de ses créanciers. Qu'elles concernent le surendettement des particuliers ou l'entreprise en difficulté, les procédures d'insolvabilité ont pris une dimension collective. Elles privent les créanciers du droit d'obtenir individuellement le paiement de leur produit ou service. À l'exception des sûretés établissant un ordre entre les créanciers, la procédure privilégie l'égalité de paiement.

Rappel sur le principe d’égalité entre les créanciers

Le principe d'égalité. Les procédures d'insolvabilité sont d'ordre public. Afin de préserver le principe d'égalité, les créanciers sont tenus de respecter des obligations auxquelles ils ne peuvent déroger.
S'agissant des entreprises en difficulté, deux interdictions gèlent les droits individuels des créanciers au profit de la procédure collective :
  • l'interdiction de demander le paiement des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure (C. com., art. L. 622-7">Lien) ;
  • l'interdiction d'engager ou l'obligation de suspendre toute action en justice (C. com., art. L. 622-21, al. 1er ">Lien) à quelques exceptions près (C. com., art. L. 622-17, I">Lien), toute procédure d'exécution sur les meubles et les immeubles et toute procédure de distribution n'ayant pas un effet attributif avant le jugement d'ouverture (C. com., art. L. 622-21">Lien).
La procédure de surendettement a été conçue dans cette même logique, interdisant ou suspendant à compter de la décision de recevabilité du dossier toute procédure d'exécution ou cession de rémunération autre qu'alimentaire (C. consom., art. L. 722-2 et s.">Lien) et toute mesure d'expulsion du logement (C. consom., art. L. 722-6 et s.">Lien).
L'exception au principe d'égalité. Par exception au principe d'égalité, la loi établit dans certains cas un ordre de paiement des créances. Les créanciers privilégiés et chirographaires se différencient. Parmi les créanciers antérieurs au jugement d'ouverture, les privilégiés bénéficient d'un droit d'être payés par préférence aux autres (C. com., art. L. 641-13">Lien, relatif au classement des créances propre à la procédure de liquidation judiciaire). Les créanciers chirographaires sont les créanciers ordinaires. Ils sont payés proportionnellement à leur créance au moyen du solde des fonds restant après paiement des créanciers privilégiés. Les créanciers dont la créance est née après le jugement d'ouverture sont également ordonnés. Les salaires, les productions agricoles, les frais de justice, les prêts et les créances consentis avec un délai de paiement sont payés prioritairement dans cet ordre. Les créances ordinaires sont payées au marc le franc. En matière de surendettement, les loyers impayés sont réglés prioritairement aux établissements de crédit (C. consom., art. L. 711-6">Lien).
? Finalités antagonistes du smart contract et des procédures collectives. ? Le règlement collectif du passif est subordonné à la paralysie des créances individuelles. Le smart contract répond à une logique individuelle. Il consiste à automatiser le « prix de la course ». Le mécanisme smart contractuel a vocation à anticiper le risque pour le créancier de ne pas recouvrer sa créance. Il permet l'anticipation de son éventuelle négligence et, par là même, lui retire le pouvoir de décision face à la défaillance de son débiteur. Lui assurant dès la conclusion du contrat la solvabilité du débiteur grâce à la fonction de registre de la blockchain, le créancier est garanti de l'exécution de l'obligation. En revanche, le processus a vocation à protéger exclusivement le paiement de la prestation convenue. Le contrat, rien que le contrat. Le smart contract se désintéresse de l'environnement économique du débiteur. Le smart contract programmé exécutera invariablement le contrat en dépit d'une procédure collective, rompant l'égalité entre les créanciers. En tout état de cause, il ne tiendra pas compte de l'ordre des créanciers pour s'exécuter.

Combinaison du règlement collectif avec le

Le smart contract mis en place pour garantir l'exécution d'une obligation est peu compatible avec les procédures collectives. En revanche, il pourrait permettre d'en automatiser certaines étapes clés. Les procédures sont jalonnées de délais impératifs très courts. Elles laissent peu de temps aux créanciers pour réagir. L'automatisation peut pallier les négligences humaines.
  • La déclaration de créances :Le créancier a deux mois à compter de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc) du jugement d'ouverture pour faire valoir ses droits (C. com., art. L. 622-24">Lien et R. 622-24">Lien). Le délai est court. Il nécessite de s'informer régulièrement sur les nouvelles procédures collectives.Conformément au décret du 18 août 2015, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires a mis en place un portail électronique. Il est désormais possible de procéder aux déclarations de créances par voie dématérialisée.Au moyen d'un smart contract connecté au Bodacc jouant le rôle d'oracle, il est possible de pallier la négligence du créancier de manière efficace. Une déclaration de créance nécessite de renseigner des mentions obligatoires telles que le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture et le mode de calcul des intérêts en cours, ou encore la nature de la garantie éventuellement afférente. Si ces éléments sont déterminables dès l'ancrage du smart contract sur la blockchain, la publication au Bodacc d'une procédure collective frappant le débiteur déclenche automatiquement la déclaration de créance en se connectant au portail électronique des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. L'utilisation du portail permet un horodatage considéré comme incontestable et donne une force probatoire aux documents joints à l'appui de la déclaration. Mais, le plus souvent, la créance au jour de l'ouverture d'une éventuelle procédure collective ne pourra pas être déterminée au jour de la programmation du smart contract. Il est alors possible d'automatiser la saisine d'un oracle chargé d'établir la déclaration de créance dès la publication au Bodacc d'une procédure collective frappant le débiteur.
  • La revendication des marchandises ou du prix :Lorsqu'une clause de réserve de propriété est convenue au contrat, la revendication des marchandises ou de leur prix de revente est un mode de paiement indirect efficace. Elle doit être faite dans les trois mois de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc (C. com., art. L. 624-9">Lien).Le smart contract pourrait être utilisé pour mettre en œuvre l'action en revendication grâce au Bodacc jouant le rôle d'oracle et au portail dématérialisé.De manière plus générale, la blockchain pourrait servir à sécuriser les relations entre les tribunaux, les mandataires de justice, les créanciers et tous les acteurs des procédures collectives. La procédure s'en trouverait sécurisée et accélérée.En matière de surendettement des particuliers, la blockchain dans sa fonction de registre pourrait également avoir un rôle important à jouer. Actuellement, la publicité des procédures de surendettement est peu fiable. La commission de surendettement est tenue au secret professionnel. Le Bodacc est mal renseigné. L'interdiction faite au débiteur d'accomplir des actes de disposition a des conséquences graves que, souvent, il n'appréhende pas. Par exemple, la vente d'un bien par un débiteur en difficulté est souvent faite avec l'objectif de payer ses dettes. De bonne foi, il ne mentionne pas sa situation sans percevoir que la conséquence de ce silence est la nullité de l'acte. Mettre en place une automatisation de la publicité des procédures de surendettement sécuriserait les opérations en garantissant au notaire l'absence de procédure restreignant la capacité des parties à l'acte.
La rigidité du smart contract due à l'automaticité du processus contredit également le besoin de pérennité et de stabilité du débiteur.

La sauvegarde des intérêts économiques et sociaux du débiteur en difficulté

? Droit de l'entreprise en difficulté. ? La finalité affichée des procédures d'insolvabilité professionnelles est d'assurer la pérennité de l'entreprise (C. com., art. L. 620-1">Lien), de faciliter sa réorganisation et de permettre la poursuite de l'activité (C. com., art. L. 631-1, al. 2">Lien). Historiquement, l'objectif des procédures collectives était avant tout l'apurement du passif. Aujourd'hui il vient en dernier lieu (C. com., art. L. 640-1">Lien). La « faillite » n'est plus une punition. Tout doit être mis en œuvre pour l'éviter et conforter le « rebond » du débiteur.

Les procédures d'insolvabilité en droit européen

La directive sur la restructuration et l'insolvabilité du 20 juin 2019 a pour objectif général de réduire les principaux obstacles à la libre circulation des capitaux dus aux différences entre les cadres de restructuration et de gestion de l'insolvabilité par les États membres. Elle est venue renforcer la culture du sauvetage des entreprises dans l'Union européenne. Inspirée du droit français sur de nombreux points, elle préconise une prévention plus efficace des difficultés. Les axes principaux sont la suspension des procédures individuelles jusqu'à la validation d'un accord et l'effacement des dettes impayées. L'idée est de permettre le rebond des débiteurs et de favoriser la croissance et l'emploi.
? Procédure de surendettement du particulier. ? Cette procédure a pour finalité d'organiser l'apurement du passif de la personne physique manifestement hors d'état de faire face à ses dettes non professionnelles. Il s'agit d'une procédure éminemment personnelle, prenant en considération la situation individuelle, familiale et professionnelle du débiteur. Le paiement de ses dettes par le débiteur doit lui laisser un minimum de ressources pour vivre et faire face à ses charges quotidiennes. L'objectif poursuivi par la commission de surendettement des particuliers est de permettre au débiteur de retrouver dans l'avenir une situation financière stable et pérenne. L'étude de chacune des situations se fait au cas par cas.
? La finalité économique et sociale et le smart contract . ? Le smart contract est le résultat de la négociation des parties. Peu importe ce qui a amené une partie à contracter. Si elle a donné son accord, c'est qu'elle y avait intérêt. Le smart contract peut être un facteur d'accélération des difficultés de l'entreprise J.-C. Roda, Smart contracts, dumb contracts ? : Dalloz IP/IT 2018, p. 397. ou du débiteur particulier. En effet, si les conditions convenues sont réunies, il s'exécute automatiquement quelle que soit la situation du débiteur. Il ignore les intérêts supérieurs au contrat tels que la sauvegarde de l'emploi ou la stabilité de l'équilibre économique pour l'entreprise, ou le maintien d'une vie décente pour le particulier. La sécurité est apportée à l'exécution du contrat indépendamment des conséquences pour les contractants et leur entourage.

Exemple d'antagonisme des finalités des procédures d'insolvabilité et du en matière de surendettement

L'article L. 711-6 du Code de la consommation (C. consom., art. L. 711-6) dispose que les créances des bailleurs sont réglées prioritairement aux créances des établissements de crédit. La règle vise à rassurer le bailleur. Dans l'esprit du législateur, maintenir au débiteur un cadre de vie décent est la clé de la réussite du plan de surendettement.
Dans le cadre de la location, le mécanisme smart contractuel a vocation à fonctionner avec une serrure connectée. Si le locataire ne paie pas son loyer, la serrure connectée bloque l'accès au logement. Outre le fait qu'il ignore les règles légales de résolution du contrat, d'expulsion et l'éventuel plan de surendettement mis en place, il est un accélérateur des difficultés du débiteur.