L'analyse critique et la recherche d'amélioration possible de la publicité foncière digitalisée pour chacun des acteurs seront menées en premier lieu pour le notaire lui-même
(§ I)
, puis au niveau des services de la publicité foncière
(§ II)
, et enfin au niveau de l'État et de la DGFiP
(§ III)
.
Les améliorations pour les acteurs de la publicité foncière
Les améliorations pour les acteurs de la publicité foncière
Les améliorations possibles pour le notaire
– Approche métier du notaire. – Le notaire a principalement deux besoins dans sa relation avec la publicité foncière. D'une part, il doit connaître au plus juste le contenu du fichier immobilier et le cadastre par rapport au dossier qu'il traite, afin d'adapter son conseil et ses contrats. D'autre part, dès lors qu'il reçoit un acte soumis à publicité foncière, il doit veiller à le publier au plus vite dans toutes ses dispositions pour en obtenir l'opposabilité aux tiers, et s'assurer in fine qu'aucune action intercalaire n'a privé d'effet ou amoindri sa publication.
– Le notaire et la vérification du fichier immobilier. – La connaissance du fichier immobilier par le notaire repose sur les demandes de renseignement qu'il formule informatiquement via Télé@ctes, avec un délai de réponse en principe de dix jours maximum
C. civ., art. 2449 ; D. 14 oct. 1955, art. 43.
, ou via ANF qui est en principe immédiat. Le contenu de ces renseignements peut ne pas être entièrement à jour, certains services de la publicité foncière ayant un décalage important entre le registre des dépôts et la journée de traitement des inscriptions
V. Cour des comptes, Rapport public « La DGFiP, dix ans après la fusion. Une transformation à accélérer », juin 2018 : entre 2007 et 2016, le délai de mise à jour du fichier est passé de seize à quatre-vingt-six jours.
. Mais le notaire est bien informé de l'existence de ces dépôts en cours de publication sur l'état réponse généré. Ainsi, en termes de délai et de fiabilité, l'ANF offre une donnée la plus fraîche possible au notaire selon des modalités informatiques et comptables simples
Cf. M. Bourassin et C. Dauchez, Accès des notaires au fichier immobilier : les notaires au cœur de la transformation numérique de l'action publique : JCP N 27 mars 2019, étude 1151, nos 4 à 6 sur les avantages de l'ANF et nos 7 à 11 sur les risques de l'ANF.
.
– Le notaire et la publication au fichier immobilier. – L'envoi de la demande de publication au fichier immobilier effectuée via Télé@ctes permet un traitement quasi instantané du côté du notaire qui en reçoit accusé de réception via la plateforme « Planète ». Il n'a toutefois pas la certitude du traitement à cette étape dans l'attente de l'inscription au registre des dépôts, sauf refus, puis de l'inscription au fichier immobilier, directement ou via une inscription intercalaire en cas de rejet, avec un retour dématérialisé au notaire. Le flux des refus/rejets est malheureusement toujours en courrier recommandé pour les refus et principalement en télécopie pour les rejets. Ces flux, qui font courir un risque important pour l'exécution de la formalité voulue par le notaire, ne bénéficient pas d'une digitalisation suffisante. Par ailleurs, le rejet peut être très tardif au regard du retard de traitement des services de la publicité foncière, parfois plusieurs mois après le dépôt. Ce qui fait courir un risque plus important d'inscription intercalaire si jamais le rejet n'est pas régularisé/régularisable.
– La vérification de la publication au fichier immobilier. – Une fois l'acte publié, le notaire va vérifier que l'inscription de la formalité n'a pas été précédée d'une inscription intercalaire (autre mutation, inscription d'un créancier, etc.). Actuellement cette démarche résulte d'une demande de renseignements « sur formalité » qui accompagne le dépôt de l'acte. Dans le système Télé@ctes, la demande sur formalité s'opère sous la forme dématérialisée d'une demande complémentaire, qui contiendra tous les dépôts et formalités sous Fidji intervenus entre la date de dépôt et la date de la publication de l'acte, étant rappelé que seule la date de dépôt fait foi. Ainsi le notaire n'est informé de la situation intercalaire de la publication qu'à partir de la publication et le retour informatisé qui lui sera fait par le service de la publicité foncière, ce qui peut prendre plusieurs mois en cas de retard de dépôt.
– Les améliorations du côté des notaires. – Du point de vue du notaire, l'architecture Télé@ctes/ANF lui offre une sécurité et un délai de traitement quasi instantané, qui semble raisonnable au regard de l'objectif poursuivi et de la sécurité de la procédure. Il subsiste toutefois quelques leviers d'amélioration :
Sur la gestion du flux des refus/rejets, qui devrait être administrée en ligne en lien avec Télé@ctes, pour éviter les courriers et télécopies qui sont peu sécurisants et non rattachés à la procédure informatique. Cet aspect pouvant probablement être amélioré avec la suppression du refus en considération du formalisme et de la standardisation de Télé@ctes qui devraient techniquement empêcher les vices rédhibitoires
En ce sens notamment le rapport Aynès cité supra, no
, qui critique le caractère trouble de la distinction refus/rejets et les différences de pratique sur ce point entre les services de la publicité foncière en l'absence de critères réglementaires, et préconise la suppression du refus compte tenu de Télé@ctes, d'autant que le régime des recours contre les décisions de refus, qui peuvent avoir un impact dramatique pour le rang des inscriptions, n'est pas stabilisé.
.
Sur le temps de réponse entre le dépôt et les rejets, qui peut prendre plusieurs mois et qui est le résultat du retard pris par les services de la publicité foncière dans le traitement des formalités. Le décret de 1955 prévoit un délai d'un mois
V. supra, no
.
qui devrait être un maximum opérationnel. Toutefois il a été vu
V. supra, no
.
que l'adoption de l'ANF devrait permettre d'alléger fortement l'activité des services de la publicité foncière liée aux réquisitions, qui représentent plus de 60 % de leurs tâches, et de recentrer en conséquence le travail des agents sur l'actualisation du fichier immobilier. Ainsi, les délais aujourd'hui excessifs, notamment entre le dépôt et les décisions de rejet, devraient être réduits.
Sur le délai de traitement des demandes de renseignements sur formalité, il semble que le notariat pourra à terme modifier ou abandonner la pratique consistant à attendre le retour de publication de l'acte en raison de l'ANF, dans la mesure où l'état sur formalité en Télé@ctes est formellement une demande complémentaire, mais également car l'ANF devrait lui permettre d'automatiser la démarche à un mois et une semaine, pour couvrir un éventuel refus, ce qui lui donnera une vision du dépôt en attente d'inscription et d'éventuels dépôts intercalaires. Le dépôt étant la seule formalité qui fait foi, les informations combinées du retour de l'acte publié par le service de la publicité foncière avec mention de publication et la preuve de dépôt sans dépôt intercalaire seraient suffisantes.
Les améliorations possibles pour le service de la publicité foncière
- l'adaptation des outils et de la masse salariale, en tenant compte des évolutions logicielles, afin de maintenir la bonne qualité de traitement du service de la publicité foncière, dans de bonnes conditions de travail et dans des délais favorables au tissu économique ;
- le parachèvement de la digitalisation des flux hors Télé@ctes, à savoir les utilisateurs hors notaires, et de manière résiduelle certains actes complexes des notaires, qui représentent environ 10 % du flux mais une part chronophage de l'activité, et qui forcent les services de la publicité foncière à maintenir un double flux/circuit chronophage ;
- le traitement quotidien des formalités au plus près de la date de dépôt, certains services de la publicité foncière accusant un retard de plusieurs mois.
– Approche organique de la publicité foncière. – Le service de la publicité foncière, en tant que service public, est habité par les principaux objectifs suivants
Sur les perspectives d'amélioration, cf. C. comptes, Rapport public « La DGFiP, dix ans après la fusion. Une transformation à accélérer », juin 2018.
:
– Les améliorations possibles du côté des services de la publicité foncière. – La décharge progressive des demandes de renseignements et copies via l'ANF, qui représentent 60 % du flux, va leur permettre de se recentrer sur l'administration pure du fichier immobilier. L'architecture Télé@ctes et les logiciels de gestion interne offrent un sas sécurisé globalement performant pour la gestion des formalités par le service de la publicité foncière.
Le bon fonctionnement des services de la publicité foncière, tant en personnel que sur le plan technique, dépasse la question de la publicité foncière et concerne plus généralement la relation de la DGFiP avec ses services au regard, notamment, de son budget, de ses recettes et des préconisations faites par la Cour des comptes
Cour des comptes, Rapport public « La DGFiP, dix ans après la fusion. Une transformation à accélérer », juin 2018.
. On observera que le notariat se présente comme un partenaire technique volontaire dans l'amélioration des outils dans lesquels il investit, au bénéfice des services de la publicité foncière également
En ce sens, cf. M. Bourassin et C. Dauchez, Notariat et évolutions numériques de la publicité foncière : Bull. Cridon Paris 15 juill. 2019, no 14. – C. Dauchez, La coproduction de la publicité foncière en ligne par l'État et le notariat : RF adm. publ. 2020/1, no 173, p. 181 à 194.
.
La question du parachèvement de la digitalisation est tout aussi complexe. Pour ce qui concerne les actes des notaires, le notariat s'est engagé à atteindre 99 % de Télé@ctes pour la fin de l'année 2023
V. supra, no
.
. Le 100 % ne sera pas loin et pourrait raisonnablement arriver avant 2025. Pour ce qui concerne les tiers au notariat, que ce soit les professionnels (huissiers, avocats, administrations, etc.), ou les particuliers, l'accès au fichier immobilier est garanti mais repose toujours sur des demandes par formulaires papier. Les choix et développements à faire à ce sujet dépendent de la DGFiP
V. infra, no
.
.
– La question du délai de traitement des dépôts. – En conservant la séquence actuelle, avec consécutivement une première étape d'inscription en registre de dépôt suivi, une phase de vérification intermédiaire, et l'inscription au fichier immobilier, la performance en terme de délai repose sur les outils et la main-d'œuvre déployée par les services de la publicité foncière au regard des flux. Sur la partie technique, il semble que les logiciels de la publicité foncière permettent une meilleure automatisation de la saisie de données acheminées via « Planète »
La plateforme Planète impose un langage informatique standardisé qui doit favoriser l'automatisation des saisies. V. Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, 2017, #Familles #Solidarités #Numérique, nos 3340 et s. (V. supra, no
).
, et sur la partie humaine ANF devrait libérer de la main-d'œuvre.
– La question de la centralisation des services de la publicité foncière. – La standardisation du service de la publicité foncière, en grande partie liée à l'informatisation et à la dématérialisation des flux, pourrait possiblement aboutir à la disparition des services locaux au profit d'un service national de la publicité foncière ou de services concentrés au niveau régional. Cette évolution est proposée par la Cour des comptes dans son rapport de 2018
Rapport de la Cour des comptes, juin 2018, préc., p. 106 : « Le remplacement des 354 SPF par un service à compétence nationale, concentré sur un nombre limité d'implantations, voire sur une seule implantation, et doté d'effectifs peu nombreux doit être mise à l'étude sans délais et la transformation mise en œuvre à un horizon de trois ans ».
, avec un horizon de temps de trois ans (2021). Un mouvement de fusion des services de la publicité foncière a déjà été initié
https://forumeco.fr/depeches/reorganisation-des-services-de-publicite-fonciere-de-la-marne/">Lien. Par ex. : A. 21 févr. 2020, portant ajustement de périmètre des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques fusionnant plusieurs SPF en Gironde, Loire, Marne, Meuse, Oise, Pyrénées-Atlantiques et Vosges à effet d'avril 2020.
, mais la démarche d'unification régionale ou nationale n'a pas encore fait l'objet d'une étude d'impact ou d'un projet rendu public. Cela imposerait toutefois de parachever le travail d'indexation des archives de chaque service de la publicité foncière dans un langage interopérable pour tous les centres de manière centralisée. Ce travail a déjà été initié pour la mise en œuvre d'ANF.
– La question de la gestion du fichier immobilier centralisé. – Le mouvement de concentration des services de la publicité foncière souhaité par la Cour des comptes semble assez inéluctable, et se justifie au regard des évolutions présentées ci-avant qui convergent vers une meilleure digitalisation/standardisation du service à l'échelle nationale. Logiquement, ce ou ces services de la publicité foncière concentrée devraient être administrés par la DGFiP. Il n'est toutefois pas certain que cela soit souhaitable au regard des objectifs de maillage du territoire et de dynamisation des bassins d'emploi.
Dans le futur, l'étape ultime du partenariat DGFiP/notaires pourrait être la délégation aux notaires de la gestion du fichier immobilier
V M. Bourassin et C. Dauchez, Notariat et évolutions numériques de la publicité foncière : Bull. Cridon Paris 15 juill. 2019, no 14. La Commission de réforme de la publicité foncière a anticipé ce bouleversement en proposant que la mention de « service de la publicité foncière » disparaisse des futurs textes évoquant l'organisme chargé de cette mission de publicité. Le président du Conseil supérieur du notariat a quant à lui déclaré que la profession était « prête à assumer la gestion d'un fichier immobilier informatisé et centralisé ».
.
Les améliorations possibles pour la DGFiP
– Approche organique de la DGFiP au regard de la mission de publicité foncière – La DGFiP indique que ses missions de service public permettent « à la fois de contribuer à la solidité financière des institutions publiques et de favoriser un environnement de confiance dans la société, l'économie et les territoires »
Présentation de la DGFiP sur le site www.economie.gouv.fr/dgfip/presentation">Lien
. Si l'on traduit cette double exigence vis-à-vis du service de la publicité foncière, la DGFiP est garante de la maîtrise du coût de la publicité foncière et doit rendre ce service collecteur d'impôts
Pour les activités impliquant les notaires, plus de 25 milliards d'impôts ont été collectés en 2019 (Source : Rapport annuel des notaires de France, www.notaires.fr/fr/profession-notaire/rapport-annuel-des-notaires-de-france">Lien).
le plus rentable possible, tout en déployant un service aux usagers le plus efficient possible.
La DGFiP est devenue un acteur direct de la publicité foncière en abritant la plateforme ANF présentée plus haut
V. supra, no
.
, qui est le fruit d'un investissement important du notariat, son partenaire privilégié. Cette fonction consiste toutefois à abriter la copie des données traitées par les services de la publicité foncière via une plateforme miroir, ce qui ne participe pas directement à l'administration de la publicité foncière qui demeure exercée localement par les trois cent cinquante-quatre services de la publicité foncière.
– Les évolutions souhaitables du côté de la DGFiP. – La question de la réduction du coût du service de la publicité foncière peut être abordée du point de vue des dépenses/recettes. Le déploiement de l'ANF rentre parfaitement dans cet objectif en permettant de réduire le travail des agents des services de la publicité foncière sur le flux des demandes de renseignements, tout en maintenant une taxation équivalente des formalités
À ce sujet la loi de finances pour 2019 a modifié l'article 881 D du Code général des impôts pour rendre applicable le tarif de la contribution de sécurité immobilière (CSI) relatif aux demandes de renseignements hypothécaires, « quelles que soient leurs modalités de traitement ».
. Grâce notamment à Fidji et Télé@ctes, l'État a réduit les effectifs affectés à la publicité foncière de presque moitié en vingt ans
46 % des effectifs des services de la publicité foncière ont été supprimés (Cour des comptes, Rapport 2017, p. 99).
. La prochaine étape pourrait être une forme de concentration du service de la publicité foncière
V. supra, no
.
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En ce qui concerne la question de l'efficience du service vis-à-vis du public et du virage numérique inéluctable, la question d'une meilleure accessibilité au fichier est centrale et possiblement vecteur d'économie
La commission Aynès se déclare favorable au principe de la généralisation d'un accès dématérialisé au fichier immobilier, via l'infrastructure Planète/Télé@actes, mais sans le justifier par des considérations budgétaires.
. Mais le sujet est à forts enjeux.
Si l'État décidait d'ouvrir la publicité foncière à l'accès direct en ligne, en l'incluant par exemple dans la mission Etalab
Etalab est un département de la direction interministérielle du numérique (DINUM), dont les missions et l'organisation sont fixées par le décret du 30 octobre 2019. Il coordonne notamment la conception et la mise en œuvre de la stratégie de l'État dans le domaine de la donnée (www.etalab.gouv.fr/">Lien). V. supra, no
.
, cela impliquerait de lourds investissements en infrastructures informatiques. Étant rappelé que la matrice cadastrale n'est pas en accès direct, et que les données nominatives du cadastre ne sont accessibles qu'aux notaires et géomètres-experts.
Cet accès direct poserait le problème du contenu du fichier immobilier et de ses modalités d'accès : est-il souhaitable d'ouvrir en ligne un accès facile et immédiat à la propriété de son voisin, avec son nom, date de naissance, et le prix de son achat, et la copie de son titre de propriété ? Est-il souhaitable de permettre à des plateformes ou des géants du numérique de prélever les données du fichier immobilier ?
Si le fichier immobilier étant en accès ouvert
Si l'on estime que Paris a environ 62 000 parcelles dont 80 % en copropriété avec une moyenne de vingt lots, il faudrait exposer un investissement d'environ 12 000 000 € pour connaître les références des titres de propriété et l'identité des propriétaires de Paris, et encore 15 000 000 € en plus pour obtenir la copie de leur titre de propriété. En imaginant l'intérêt des informations du fichier par rapport au poids dérisoire qu'une telle dépense représenterait par exemple pour les Gafam, il faut s'interroger sur l'intérêt d'ouvrir le fichier immobilier en accessibilité directe large, même payante.
– Si l'État décidait de dupliquer Planète/Télé@ctes. – Une alternative à l'ouverture en accès direct en ligne serait de dupliquer l'architecture technique de Planète/Télé@ctes à destination de certains professionnels uniquement.
– Si l'État décidait d'ouvrir Planète/Télé@ctes. – Soit enfin l'État revoit son partenariat avec les notaires et décide de s'appuyer sur l'architecture existante en trouvant un modèle et des accords avec les professionnels afin d'encadrer un usage raisonnable du fichier.