L'article 1113 du Code civil (C. civ., art. 1113">Lien) dispose que « le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ». Dans un univers dématérialisé, cet échange des consentements interroge sur la date et le lieu du contrat dans son environnement numérique
(§ I)
, lesquels permettent ensuite d'identifier la loi applicable au contrat numérique
(§ II)
.
La rencontre des volontés : regard spatio-temporel
La rencontre des volontés : regard spatio-temporel
La date et le lieu du contrat dans son environnement numérique
? Le moment de conclusion du contrat « entre absents »
V. sur le moment de la conclusion du contrat dans l'univers du numérique : C. Mangin, L'expression numérique du consentement contractuel, thèse, Université Toulouse 1 Capitole, 2020, nos 343 à 406.
. ? Un contrat peut parfaitement se former sans la présence simultanée des parties dans un même lieu, sauf exception
Illustre cette exception le contrat de mariage qui nécessite la présence simultanée des deux conjoints (C. civ., art. 1394).
. Cet échange des volontés peut par ailleurs être formalisé sous forme électronique, comme l'autorise l'article 1174 du Code civil
Sur les conditions de fond et de forme de la conclusion du contrat sous forme électronique, V. infra, nos et s.
(C. civ., art. 1174">Lien). La convention ainsi établie sous forme numérique présente donc la particularité de pouvoir être conclue entre des parties présentes en un même lieu et un même instant, mais aussi et surtout entre des parties absentes. Il en va par exemple ainsi pour toutes les ventes conclues par correspondance sur des sites internet, ou encore par un simple échange d'e-mails. Le contrat est alors dit « entre absents ». Celui-ci a fait l'objet de très nombreux échanges avant la réforme du droit des obligations
Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
, avec l'opposition de deux grandes théories. D'une part, celle de l'émission
C. Demolombe, Cours de Code Napoléon, t. XII, Stenion, 1868, no 75.?L. Grynbaum, Contrats entre absents : les charmes évanescents de la théorie de l'émission de l'acceptation : D. 2001, chron. p. 1706.
: l'accord de volonté intervient dès que l'acceptation de l'offre est envoyée, sans attendre donc que le pollicitant en ait connaissance. D'autre part, celle de la réception
G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, t. II, LGDJ, 1957, no 354.?L. Larombière, Théorie et pratique des obligations, t. 1, Durand et Pedone-Lauriel, 1885, art. 1101, no 19.
: le contrat est alors conclu lors de la réception par l'offrant de l'acceptation de son offre par son cocontractant. L'ordonnance du 10 février 2016
Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
introduit un nouvel article 1121 du Code civil (C. civ., art. 1121">Lien) disposant que : « Le contrat est conclu dès que l'acceptation parvient à l'offrant. Il est réputé l'être au lieu où l'acceptation est parvenue ». La théorie de la réception est donc consacrée, le droit français s'alignant sur les Principes Unidroit
« L'Institut international pour l'unification du droit privé (Unidroit) est une organisation intergouvernementale indépendante (…). Son objet est d'étudier des moyens et méthodes en vue de moderniser, harmoniser et coordonner le droit privé?en particulier le droit commercial?entre des États ou des groupes d'États et, à cette fin, d'élaborer des instruments de droit uniforme, des principes et des règles » (www.unidroit.org/fr/presentation/presentation">Lien).
, les Principes du droit européen des contrats
Principes du droit européen des contrats, art. 2 :205 (www.unisob.na.it/universita/facolta/giurisprudenza/age/pecl_part1e2_francese.pdf">Lien).
, ou encore la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises
CVIM, 11 avr. 1980, art. 15.
.
? L'accusé de réception électronique. ? La directive européenne du 8 juin 2000
PE et Cons. UE, dir. 2000/31/CE, 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »).
impose (art. 11) concernant la passation de commandes par voie électronique l'obligation, à l'égard des consommateurs, d'en accuser réception sans délai et par voie électronique. Cet accusé de réception est en revanche optionnel dans les relations B to B
B to B : Business to Business, visant les relations entre professionnels.
et C to C
C to C : Consumer to Consumer, visant les relations entre consommateurs, ou non professionnels.
. Il suffit simplement que l'auteur de la commande ait accès à cette confirmation, sans que le professionnel ait à prouver sa prise de connaissance. Certains auteurs ont pu déduire de cette rédaction que le contrat est conclu après la prise de connaissance par l'offrant de l'acceptation de son cocontractant
En ce sens : E. Grimaux, La détermination de la date de conclusion du contrat par voie électronique : Contrats, conc. consom. avr. 2004, no 4, chron. 10.
. Il s'agit de la théorie de l'information de l'offrant, connue du droit américain et de certains pays européens, notamment le droit anglais.
La transposition en droit français de l'obligation de l'accusé de réception électronique est réalisée à l'article 1127-2 du Code civil (C. civ., art. 1127-2">Lien) créant la règle dite du « double clic »
V. infra, no .
. Ledit article précise que : « Le contrat n'est valablement conclu que si le destinataire de l'offre a eu la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total et de corriger d'éventuelles erreurs avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation définitive ». La même disposition impose ensuite à l'auteur de l'offre d'en accuser réception sans délai et par voie électronique. Le moment de la conclusion du contrat est donc précisé par l'alinéa 1, c'est-à-dire lors de la validation par le destinataire de l'offre de son acceptation
En ce sens : F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 2018, p. 253 et s.
. L'alinéa 2 prévoyant l'accusé de réception ne suspend pas la conclusion du contrat mais impose simplement une obligation, sans en préciser la sanction
Sur l'opportunité d'introduire une exception à la théorie de la réception pour les contrats conclus par voie électronique entre absents, V. C. Mangin, L'expression numérique du consentement contractuel, thèse, Université Toulouse 1 Capitole, 2020, nos 404 et 405.
. Le non-respect de cet impératif semble donc uniquement réparable par des dommages-intérêts.
S'agissant du lieu de formation du contrat sous forme électronique, lorsque celui-ci est conclu entre absents, le nouvel article 1121 du Code civil prévoit qu'« il est réputé l'être au lieu où l'acceptation est parvenue ». C'est donc le lieu de situation du pollicitant qui importe pour la détermination du lieu de conclusion du contrat.
? Les règles liées à la date et au lieu de conclusion du contrat numérique ont des applications pratiques importantes. ? Elles permettent par exemple d'apprécier la possible rétractation de l'offre tant que le contrat n'est pas conclu
Cette rétractation peut être fautive et engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur, mais ne peut conduire à une conclusion forcée du contrat en vertu de l'article 1116 du Code civil.
, les conditions de formation du contrat, notamment la capacité des cocontractants et la réalité du consentement exprimé, ainsi que le moment de la formation du contrat lorsque l'une des parties décède. Surtout, ces règles vont permettre de déterminer la loi applicable au contrat, tant temporellement que spatialement.
La loi applicable au contrat numérique
Le contrat numérique est une convention classique, ne faisant pas l'objet d'une réglementation particulière, notamment dans un contexte international pour ce qui concerne la loi applicable au contrat. En effet, il ne présente pas de spécificités justifiant un traitement différent
En ce sens : J. Passa, Contrat électronique international. Le contrat électronique international : conflits de lois et de juridictions : Comm. com. électr. mai 2005, no 5, étude 17.
. Le droit international privé en matière contractuelle s'applique donc pleinement, notamment s'agissant de la protection du consommateur.
Dans les relations
B to B
et
C to C dans un premier temps, les principaux textes applicables au niveau européen
S'agissant du droit international privé avec des États hors Union européenne, la jurisprudence française a déterminé des règles jurisprudentielles, auxquelles s'ajoutent quelques conventions internationales dans des domaines particuliers, notamment la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises, ou la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes internationales d'objets mobiliers corporels. En ce qui concerne la jurisprudence française, l'arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 5 décembre 1910, American Trading Comp., établit que « la loi du lieu où le contrat est intervenu est en principe celle à laquelle il faut s'attacher, ce n'est donc qu'autant que les contractants n'ont pas manifesté une volonté contraire ».
sont la convention de Rome du 19 juin 1980
Conv. Rome, 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
et le règlement Rome I du 17 juin 2008
PE et Cons. UE, règl. (CE) no 593/2008, 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
. Le premier texte régit les contrats conclus avant le 17 décembre 2009, et le second ceux conclus à partir de cette date. Le principe gouvernant ces deux textes est l'autonomie de la volonté.
? Le principe de l'autonomie de la volonté. ? Les articles 3 du règlement Rome I et de la convention de Rome disposent que la loi applicable au contrat est celle choisie expressément ou tacitement par les parties.
Ce choix n'est pas nécessairement global et peut différer selon les dispositions du contrat
Ce que l'on appelle le « dépeçage » du contrat.
afin de soumettre ses éléments à des lois nationales variées.
Le choix peut être fait lors de la conclusion du contrat ou postérieurement.
N'importe quelle loi nationale peut être choisie par les parties, même si elle n'a aucun rapport avec ces dernières, ou avec le lieu d'exécution ou de conclusion du contrat. Toutefois, les deux articles 3 précités limitent ce choix en précisant qu'il ne peut avoir pour effet d'évincer les règles impératives de l'autre pays dans lequel « tous les autres éléments de la situation sont localisés au moment de ce choix ». L'objectif de cette limitation au libre choix de la loi applicable est d'éviter que des parties choisissent une autre loi nationale dans l'unique but d'échapper aux dispositions impératives de l'État avec lequel le contrat a tous ses liens. Il en va de même pour les dispositions d'ordre public du droit européen pour le contrat dont tous les éléments sont localisés dans un État membre
Règl. Rome I, art. 3.4.
.
À défaut de choix de loi, la logique diffère entre les deux textes. La convention établit des présomptions simples visant à déterminer la loi avec laquelle la convention a les liens les plus étroits
Conv. Rome, art. 4.2 : « Il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale ». La convention prévoit ensuite des exceptions pour certains contrats, comme ceux portant sur des biens immobiliers présumés avoir leurs liens les plus étroits avec le lieu de situation du bien.
, alors que le règlement détermine la loi applicable par catégorie de contrat
Par ex. : le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle ; le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle.
. Ce n'est que si le contrat n'entre pas dans le champ de l'une des classifications ci-dessus, ou s'il entre au contraire dans plusieurs de ces qualifications que le règlement soumet le contrat « à la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle »
Règl. Rome I, art. 4. 2.
. Cette prestation caractéristique, visée tant par la convention que le règlement, est celle qui permet de distinguer le contrat d'un autre.
Les présomptions de la convention de Rome et la détermination de la loi applicable par catégorie de contrat du règlement Rome I sont écartées s'il « résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays »
Conv. Rome, art. 4.5, le règlement Rome I présentant une rédaction quasi équivalente en son art. 4.3.
.
Le critère de rattachement se dégageant de ces deux textes est celui du lien le plus étroit, comme le précise le point 4 de l'article 4 du règlement Rome I qui dispose que : « Lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ».
Dans les relations
B to C
dans un second temps, la convention de Rome
Conv. Rome, 19 juin 1980, art. 5.
et le règlement Rome I
Règl. Rome I, art. 6.
ont la même inspiration. Le principe ici encore est le choix de la loi applicable. Ce choix ne doit toutefois pas avoir pour effet de priver le consommateur de la protection qui lui est accordée par les dispositions impératives de sa loi nationale
Sous certaines conditions précisées dans les articles 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I.
. À défaut de détermination par les parties, le principe est l'application de la loi de l'État dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle.
Le consommateur reçoit la même définition dans les textes, il s'agit de celui qui agit « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ». Il suffit donc de conclure un contrat ayant un lien avec son activité professionnelle pour sortir de la définition, même si le contrat n'a rien à voir avec la spécialité du professionnel
Nombreux arrêts en ce sens, not. Cass. 1re civ., 24 janv. 1995, no 92-18.227 : Bull. civ. 1995, I, no 54, p. 38.
.
S'agissant de la loi applicable à la validité au fond, l'article 8 de la convention et l'article 10 du règlement soumettent le contrat à la loi qui lui serait applicable en vertu de chacun de ces textes si le contrat était valable. Il s'agit donc des mêmes règles de détermination que celles ci-dessus exposées. Une exception est faite pour l'appréciation du consentement s'il n'est pas « raisonnable » de déterminer son existence selon la loi ci-dessus fixée. La loi de la résidence habituelle est alors retenue. Cette notion de raison figurant tant dans la convention que dans le règlement laisse une porte ouverte à une appréciation judiciaire et instaure une certaine insécurité juridique.
S'agissant de la loi applicable à la forme, l'article 9 de la convention et l'article 11 du règlement distinguent entre le contrat conclu entre des parties se trouvant dans un même pays et celui conclu entre des parties se trouvant dans des États différents.
Lorsque les parties sont dans un même pays, le contrat est valable en la forme s'il respecte les conditions de la loi applicable au contrat déterminée selon les règles ci-dessus, ou celles de l'État dans lequel les parties se trouvent.
Si les parties ne se trouvent pas dans le même pays, la forme est soumise à la loi du contrat, ou à la loi de l'un des pays dans lequel les parties se trouvent. Cette situation est courante en matière de contrat électronique conclu entre absents. On la retrouve notamment pour toutes les transactions réalisées sur les plateformes en ligne lorsque leurs utilisateurs sont dans un autre État que leur siège social.
Lorsque le contrat est conclu par l'intermédiaire d'un représentant, la loi du pays devant être prise en compte est celle de l'État du représentant, et non celle de la personne représentée.
Des dispositions particulières s'appliquent au consommateur, pour lequel la forme du contrat est régie par la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle.
S'agissant des contrats portant sur un immeuble (droit réel ou droit d'utilisation), la loi applicable à la forme est celle de l'État où le bien est situé. Cela sera notamment le cas pour toutes les plateformes en ligne proposant des locations courte ou longue durée et de meublé touristique.
Une question se pose à propos du dépeçage du contrat et des conséquences sur l'appréciation de la validité sur la forme. Trois solutions semblent envisageables :
- la première est de considérer que le contrat est valable en la forme s'il respecte les règles de l'une au moins des lois applicables aux différentes stipulations du contrat ;
- la deuxième est « d'appliquer la loi de fond applicable à la partie du contrat à laquelle la condition de forme litigieuse se rattache le plus étroitement » ;
- la troisième est de retenir la loi de la résidence habituelle des parties.
Lorsque les parties décident, conformément aux deux articles 3 de la convention et du règlement
V. supra, no .
, de modifier la loi applicable au fond du contrat après sa conclusion, la forme ne peut être remise en cause.
Il n'y a pas à ce jour de jurisprudence permettant de trancher entre ces différentes possibilités. Il semble toutefois opportun de retenir la solution conduisant à minimiser les risques de remise en cause de la validité du contrat afin de rassurer les cocontractants
En ce sens : Portalis in Les travaux préparatoires du Code civil (Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. VI, 1827, p. 51).
.
La loi applicable au contrat numérique étant déterminée, il y a lieu d'analyser comment la protection du consentement est organisée lors de la conclusion des conventions. Cette protection du consentement est notamment assurée par des délais légaux de réflexion et de rétractation.