L'article 1122 du Code civil (C. civ., art. 1122">Lien) issu de la réforme du droit des obligations intègre une définition des délais de réflexion et de rétractation. Le premier est défini comme « le délai avant l'expiration duquel le destinataire de l'offre ne peut manifester son acceptation ». Le second est « le délai avant l'expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement ». Le contrat numérique bénéficie déjà sous certaines conditions d'un délai de rétractation. Pour autant, cette protection est-elle suffisante ? Ne faut-il pas envisager une extension de ce délai de rétractation à tous les contrats conclus à distance
(§ I)
, voire imposer un délai de réflexion à ce type de contrat
(§ II)
?
La protection du consentement par le développement des délais de réflexion et de rétractation
La protection du consentement par le développement des délais de réflexion et de rétractation
Le délai de rétractation : une extension ?
La consumérisation du droit des contrats se manifeste par l'introduction du nouvel article 1122 dans le Code civil (C. civ., art. 1122">Lien), qui porte sur deux types de délais ayant vu le jour dans les contrats de consommation
Le mécanisme de la rétractation est d'abord apparu dans les contrats relatifs à l'enseignement à distance (L. no 71-556, 12 juill. 1971), puis dans le démarchage financier (L. no 72-6, 3 janv. 1972), le démarchage à domicile (L. no 72-1137, 22 déc. 1972), pour s'étendre ensuite à d'autres secteurs comme les crédits à la consommation, les contrats à distance, le courtage matrimonial.
, à savoir les délais de réflexion et de rétractation
Pour une analyse juridique du délai de rétractation, V. not. R. Baillod, Le droit de repentir : RTD civ. 1984, 226.?L. Bernardeau, Le droit de rétractation du consommateur : JCP G 2000, I, 218.?P. Brun, Le droit de revenir sur son engagement : Dr. et patrimoine 1998, no 60, p. 78.
. Ces modes de protection du consentement demeurent toutefois réservés à des contrats déterminés puisque ce texte, issu de l'ordonnance du 10 février 2006, définit ces délais et en précise la source?« la loi ou le contrat »?sans les ériger en mécanismes de droit commun : la volonté des parties ou une loi spéciale continuent de subordonner leur existence.
? Actuellement, il n'existe aucun délai de rétractation spécifique au contrat conclu électroniquement. ? Le format numérique n'appelle pas de protection particulière s'il est utilisé en présentiel. En effet, la conclusion en présentiel d'un contrat au format numérique ne présente guère de différence avec la conclusion d'un contrat au format papier
V. infra, nos et s.
qui justifierait un régime particulier de protection. Reconnaître une protection particulière au contrat conclu au format numérique consacrerait d'ailleurs la reconnaissance par le législateur que ce type de contrat est moins fiable ou plus dangereux que le contrat au format papier. En revanche, les contrats conclus entre absents, notamment par le biais des sites internet et très nombreuses plateformes en ligne, marketplaces ou autres, génèrent certains dangers méritant une protection particulière. En effet, contrairement à un achat en magasin, celui en ligne ne permet pas d'essayer, de prendre le temps de la réflexion, d'aller et venir entre les rayons en réfléchissant au produit que l'on a pu voir et vers lequel on revient finalement. Certains sites jouent même sur ce court délai de réflexion pour précipiter les achats en proposant des promotions disponibles pendant une très courte durée
Par ex., la plateforme Wish « acheter en s'amusant » propose des « jeux » pour obtenir des réductions et débloquer des articles en promotion. Lesdites promotions ne sont valables que pendant de courtes durées (par ex., dix, vingt ou trente minutes) et le produit, s'il n'est pas acheté immédiatement, apparaîtra à un prix supérieur les jours suivants.
. Les paniers virtuels constitués sur les sites de vente en ligne ne sont par ailleurs disponibles que quelques minutes au-delà desquelles les produits ne sont plus réservés. Le paiement dématérialisé est banalisé : il n'est même plus nécessaire de sortir une carte bancaire pour effectuer un règlement sur internet. Soit les cartes sont préenregistrées, soit des modes alternatifs peuvent être utilisés, nécessitant un simple mot de passe
Par ex., les comptes PayPal, directement liés aux comptes bancaires et/ou aux cartes bleues.
ou une empreinte digitale ou faciale
La technologie ApplePay permet, une fois la carte bancaire enregistrée, de procéder à des paiements sans mot de passe, avec le même mécanisme que celui utilisé pour déverrouiller le téléphone.
. Les utilisateurs achètent donc, sans même se rendre compte de l'engagement pris ou du paiement réalisé. Le véritable danger est donc davantage lié au fait que le contrat est conclu à distance qu'à la forme électronique elle-même, qui n'est qu'un moyen de fluidifier ce processus.
S'agissant de ces contrats conclus à distance ou hors établissement, une protection est offerte au consommateur
À l'exclusion des contrats visés à l'article L. 221-28 du Code de la consommation.
. Elle résulte de l'article L. 221-18 du Code de la consommation (C. consom., art. L. 221-18">Lien), transposition de la directive européenne du 25 octobre 2011
Cons. UE, dir. 2011/83/UE, 25 oct. 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil.
. Cette protection consiste en un délai de rétractation de quatorze jours, permettant au consommateur de retirer son consentement, après la conclusion du contrat, et parfois même après son exécution totale ou partielle, sans motif et sans frais
À l'exclusion des frais de retour (sauf si le professionnel n'avait pas informé le consommateur que ces frais seraient à sa charge en cas de rétractation) ; des éventuelles compensations du résultat d'une manipulation excessive des biens entraînant une dépréciation de ceux-ci (une manipulation excessive étant celle dépassant une utilisation qui pourrait être faite en magasin?à titre d'exemple : un vêtement est porté et non seulement essayé) ; pour les contrats de prestation de services, l'équivalent de la prestation déjà fournie lors de la rétractation, si le consommateur avait donné son accord à une exécution pendant la période du délai de rétractation.
. La directive du 25 octobre 2011 avait pour objectif une harmonisation des droits de rétractation pratiqués par les États membres dans les contrats conclus à distance et hors établissement. En effet, auparavant, les législations nationales prévoyaient des protections de degrés très différents, tant en termes de délai que de modalités d'exercice. Ces variations généraient une insécurité juridique, des inégalités entre les sociétés et des coûts d'adaptation pour ces dernières, entravant le marché européen
Dir. 2011/83/UE, 25 oct. 2011, consid. 4 à 7.
.
- pour les contrats de vente : dès la réception du bien par le consommateur ou un tiers, à l'exclusion du transporteur. Le professionnel exécute donc son obligation de délivrance alors même que le consommateur peut encore se rétracter. Il semblerait plus efficace, tant juridiquement qu'économiquement, que le consommateur puisse rétracter son consentement avant que le professionnel n'exécute son obligation. Cela permettrait notamment des économies sur les frais d'envoi, et de ne pas immobiliser le stock pour une vente qui, à la connaissance du consommateur, est déjà vouée à ne pas aboutir. Afin toutefois de ne pas affaiblir la protection du consommateur, il pourrait être envisagé une rétractation à partir de la commande et jusqu'à quatorze jours après la livraison ;
- de la conclusion du contrat, pour les prestations de services. Le professionnel peut ici commencer à exécuter son obligation pendant le délai de rétractation, mais il ne sera payé des services déjà fournis, en cas de rétractation, qu'à condition d'avoir obtenu au préalable l'accord du consommateur sur le commencement d'exécution.
Dans l'hypothèse où le consommateur n'a pas été averti de l'existence de son délai de rétractation, celui-ci ne commence à courir qu'à compter de la transmission de l'information par le professionnel, et au plus tard douze mois après l'expiration du délai initial (C. consom., art. L. 221-20">Lien).
Le délai de rétractation bénéficiant au consommateur
Le consommateur bénéficiant de ce délai de rétractation est défini par l'article 2 de la directive 2011/83/UE du 25 oct. 2011 comme « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».
dans les contrats à distance, souvent conclus au moyen d'un procédé électronique, est de quatorze jours calendaires commençant à courir :
Le consommateur doit avertir le professionnel pendant le délai de quatorze jours de sa volonté de se rétracter. Il peut le faire soit par l'utilisation du formulaire-type
Ce formulaire-type est identique pour tous les États européens et visé à l'article R. 221-1 du Code de la consommation comme lui étant annexé.
, soit par tout autre moyen tant qu'il manifeste clairement la volonté de se rétracter. La charge de la preuve de la rétractation incombe au consommateur, qui aura donc tout intérêt à se rétracter par écrit et se préserver un justificatif de l'envoi. Le professionnel peut aussi décider de mettre à la disposition de ses clients un formulaire de rétractation en ligne, dont il doit accuser réception sans délai. Une fois sa rétractation transmise, le consommateur doit retourner le produit dans un délai de quatorze jours (C. consom., art. L. 221-23">Lien). Le professionnel est quant à lui contraint de rembourser la totalité du prix et des frais engagés par le consommateur, y compris ceux de livraison (C. consom., art. L. 221-24">Lien). Ce remboursement intervient selon le même mode de paiement que celui utilisé pour la transaction initiale, le but étant d'éviter d'éventuels bons d'achat contraignant le client. Le professionnel dispose de quatorze jours pour rembourser le consommateur. Il peut toutefois différer ce remboursement à la réception du bien retourné, ou à la preuve de l'envoi par le consommateur
Une réponse est ici donnée aux craintes des professionnels de devoir rembourser le consommateur dans ce délai de quatorze jours après la rétractation, alors qu'il n'a peut-être pas encore reçu le bien retourné.
.
? L'extension du délai de rétractation à tous les contrats conclus entre consommateurs ? ? Le délai de rétractation bénéficie donc à tout consommateur, dans tout contrat conclu à distance ou hors établissement avec un professionnel
Sauf quelques exceptions énumérées à l'article L. 221-28 du Code de la consommation.
. La question peut légitimement se poser de l'extension de ce délai de rétractation à tous ces contrats conclus entre consommateurs. En effet, de nombreuses plateformes en ligne permettent désormais la mise en relation de non-professionnels
La plateforme de vente en ligne Vinted permet ainsi à des non-professionnels de proposer à la vente des produits d'occasion, achetés par d'autres non-professionnels.
qui contractent ensuite directement. Se retrouvent dans cette hypothèse les mêmes problématiques que celles justifiant l'existence d'un délai de rétractation au bénéfice des consommateurs : la facilité d'acheter, l'absence de réflexion, l'impossibilité d'essayer les produits… il semblerait donc opportun d'étendre l'actuel délai de rétractation du Code de la consommation à tous les contrats conclus à distance, en donnant la possibilité aux professionnels de l'écarter conventionnellement afin de ne pas entraver les relations d'affaires.
Vers une généralisation du délai de rétractation ?
L'article 1122 du Code civil, au lieu de se limiter à une définition du délai de réflexion et de rétractation, pourrait introduire le principe du délai de rétractation pour tous les contrats conclus entre absents. Afin de ne pas entraver les relations d'affaires, il pourrait être prévu des exceptions, notamment pour les contrats conclus entre professionnels ou par échange d'e-mails. Comme le prévoit la règle du double-clic, les professionnels pourraient volontairement écarter ce délai de rétractation. Il est également envisageable de prévoir la possibilité de renoncer audit délai une fois celui-ci ouvert.
Une deuxième solution consisterait à suspendre la formation du contrat à la réception, le commencement d'exécution parachevant le processus de conclusion.
Au-delà du délai de rétractation, une protection alternative peut être offerte à un cocontractant en l'obligeant à faire mûrir son consentement avant de l'exprimer définitivement : il s'agit du délai de réflexion.
Le délai de réflexion : vertus et limites
? Un consentement précipité. ? Les contrats conclus à distance, souvent sous forme électronique, peuvent être précipités. Le consentement est alors également hâtif, ce qui ne garantit pas sa pleine existence lors de l'échange des volontés formant l'engagement définitif des parties
Selon le principe du consensualisme en droit français.
. Dans ce contexte, le législateur impose parfois aux parties un délai pendant lequel l'offre ne peut être ni rétractée (sous peine de dommages et intérêts à l'encontre du pollicitant), ni acceptée. Le destinataire de cette offre est contraint de réfléchir avant de manifester efficacement son consentement. Ce délai lui permet également de comparer et mettre en concurrence sans pression particulière.
? Ce procédé du délai de réflexion s'inscrit dans la logique du consensualisme. ? En effet, par principe, un contrat est conclu par la rencontre d'une offre et d'une acceptation, manifestant la volonté de s'engager (C. civ., art. 1113">Lien). Sauf exception, il n'y a donc pas de forme particulière à respecter. La rencontre des consentements forme le contrat. Contraindre les parties à réfléchir avant d'exprimer un consentement libre et éclairé traduit sans doute une prudence du législateur à leur égard, mais respecte la logique du consensualisme.
C'est dans cet esprit que le législateur a créé divers délais de réflexion propres à des contrats spéciaux. Ce mécanisme est particulièrement présent en matière de crédits, qu'ils soient à la consommation (C. consom., art. L. 312-18">Lien) ou encore destinés à acquérir de l'immobilier (C. consom., art. L. 313-34">Lien). On le retrouve également en matière de transactions immobilières, au bénéfice des acquéreurs non professionnels de biens à usage d'habitation (CCH, art. L. 271-1">Lien). Le délai de réflexion a fait officiellement son entrée dans le Code civil à l'occasion de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 : l'article 1122 en fournit une définition et en rappelle la source?la loi, sous-entendu spéciale, ou le contrat?sans ériger le délai de réflexion au rang de mécanisme de droit commun.
? En pratique, l'instauration conventionnelle d'un délai de réflexion se heurte aux exigences économiques. ? En particulier, l'instauration d'un délai de réflexion pour tous les contrats conclus à distance, notamment sur les plateformes en ligne, aurait pour effet de pénaliser la fluidité des échanges et des transactions commerciales. Il y a donc un choix à faire entre protection et économie :
- la protection de l'utilisateur en le forçant à réfléchir avant d'acheter ;
- l'économie qui repose sur l'instantanéité des relations commerciales, laquelle instantanéité pousse à la consommation (voire à une surconsommation).
La question est de savoir quelle importance accorde la société à la protection du consentement de la partie faible face à un marché efficient et des prix que l'on souhaite de plus en plus bas. Car imposer par exemple aux consommateurs de réfléchir, ne serait-ce que quelques jours, avant d'acheter sur internet, entraîne du côté du vendeur une paralysie de son stock, et occasionne des coûts en conséquence. Par ailleurs, la pratique du délai de réflexion dans les secteurs où il a déjà été instauré est souvent vécue par les personnes protégées comme une charge à laquelle elles souhaiteraient renoncer.
? Une entrave au marché ? ? Le délai de réflexion, bien que théoriquement efficace pour assurer un consentement de bonne qualité, apparaît en pratique comme une entrave disproportionnée au marché. Le délai de rétractation semble une protection plus adaptée tant aux attentes de la société qu'aux besoins d'un marché fluide et efficace. Ce mécanisme mériterait d'être étendu à tous les contrats à distance, et non réservé uniquement aux consommateurs, avec la possibilité pour les professionnels d'y renoncer.
Les nouvelles technologies ont également une incidence importante en matière de rédaction et de signature du contrat.