Le couple marié

Le couple marié

– Deux questions fondamentales. – Le mariage emporte, comme l'existence même de l'entreprise, une multitude de conséquences sur le patrimoine du couple. Ce patrimoine influera à plusieurs titres sur l'entreprise, et inversement, notamment :
  • dans quelle masse patrimoniale présente au sein du couple se trouvera l'entreprise ?
  • comment ces masses patrimoniales vont-elles être affectées par l'éventuelle fragilité financière de l'entreprise ?
Ne prétendant pas à l'analyse exhaustive des différents régimes matrimoniaux, nous exposerons les réponses à ces questions sous l'angle de la scission traditionnelle entre régimes communautaires (communauté – légale ou contractuelle – réduite aux acquêts, communauté universelle) et régimes séparatistes (séparation de biens pure et simple, séparation de biens avec adjonction d'une société d'acquêts, participation aux acquêts). Nous renverrons aussi aux développements ci-dessus concernant le Pacs, dans la mesure où ces développements présentent d'évidentes similitudes.
– Une illusion de choix. – En régimes communautaires non universels, coexistent souvent trois masses patrimoniales au sein du couple : la communauté créée par l'effet du mariage, et les masses constituées des biens propres à chacun des époux (biens présents avant le mariage, ou reçus au cours de celui-ci par donation ou succession, acquis en remploi de ces derniers, et biens propres par nature).
L'entreprise pourra alors figurer dans l'une ou l'autre de ces masses, et cette situation emportera des conséquences très différentes en cas de problème financier :
  • l'entreprise pourra être commune si elle a été créée postérieurement au mariage, acquise avec des deniers communs, voire apportée par un époux à la communauté. L'article 1404, alinéa 2 du Code civil répute propres par nature les instruments de travail, « à moins qu'ils ne soient l'accessoire d'un fonds de commerce ou d'une exploitation faisant partie de la communauté ». Ainsi, le droit de gage des créanciers s'exercera sur la totalité des masses patrimoniales du couple, y compris celles constituées de biens propres ;
  • l'entreprise pourra figurer en tant que bien propre d'un des époux, si elle a été créée avant mariage, acquise en remploi de biens propres, ou reçue dans le cadre d'une transmission patrimoniale à titre gratuit. Dans cette situation, ces difficultés engageront l'ensemble desdits biens propres de l'époux, ainsi que la totalité des biens communs.
– Les solutions conventionnelles notariales. – On peut ainsi constater que, quel que soit « l'emplacement » de l'entreprise, plus d'une masse patrimoniale est touchée car l'actif commun des époux l'est en toute hypothèse. La « contamination » du risque se réalise de manière bilatérale : soit parce que l'entreprise est commune et son risque contamine les deux patrimoines propres, soit parce que l'entreprise est propre à l'un des époux et son risque contamine le patrimoine commun. Cet « emplacement » est pourtant modulable. C'est d'ailleurs un point sur lequel le notaire peut démontrer toute sa valeur ajoutée dans la délivrance de conseils ou la rédaction de ses actes. En effet, les régimes communautaires institués par convention (contrat de mariage / aménagement de régime) permettent une liberté totale de choix pour situer l'entreprise dans la masse la plus opportune (exclusion conventionnelle de communauté des biens professionnels et de l'outil de travail), tenant compte bien entendu de son financement (via des fonds communs ou des fonds propres), mais également pour situer les revenus dégagés par l'entreprise (exclusion conventionnelle de communauté des revenus de biens propres).
Cette catégorie de régime se révélera en tout état de cause peu adaptée pour des conjoints qui envisagent de créer leur entreprise, ou disposant d'une entreprise dont la solidité financière est incertaine.
Une analyse détaillée des masses patrimoniales, ainsi que des projets patrimoniaux du couple, est impérative avant tout projet entrepreneurial, ou avant tout mariage si l'entreprise est déjà créée.
– Une analyse proche de celle du Pacs en régime séparatiste. – Au sein des régimes séparatistes, les problématiques sont évidemment différentes. L'absence de communauté les rapproche significativement de ce qui a été détaillé supra concernant le Pacs. Trois masses patrimoniales vont se détacher : les masses constituées des biens propres entièrement à la disposition de chacun des époux, et une masse éventuelle de biens qui seront soit indivis, soit intégrés à une société d'acquêts.
Dans l'hypothèse où l'entreprise est localisée au sein d'un patrimoine propre décrit ci-dessus, le risque entrepreneurial ne s'exercera qu'exclusivement sur celui-ci. Cette stratégie est évidemment très intéressante dans la mesure où le patrimoine propre de l'autre époux ne pourra pas subir le droit de gage général des créanciers, et ce quelle que soit sa composition. Cette affirmation est par ailleurs renforcée par le fait que les créances éventuelles entre époux (hypothèse dans laquelle l'époux entrepreneur finance un bien acquis par son conjoint) ne seront pas saisissables puisqu'elles ne sont qu'éventuelles, et n'auront d'existence juridique qu'en cas de liquidation du régime (par suite de divorce ou de décès).
Dans la seconde hypothèse, où l'entreprise est indivise ou partie intégrante d'une société d'acquêts, la solution sera identique à celle du Pacs puisque les créanciers auront donc accès à la totalité des patrimoines des époux, chacun de ces derniers disposant d'une quote-part de propriété de l'entreprise. Choisir cette solution emportera ainsi de lourdes conséquences. La pratique l'évite donc assez systématiquement, d'autant qu'elle peut poser question sur la logique intrinsèque du choix d'un régime séparatiste en partageant, dans le même temps, les bénéfices et risques de l'entreprise.
– En synthèse. – Fort de ces constats, le notaire pourra utilement privilégier l'adoption d'un régime séparatiste, qui présente indéniablement un niveau supérieur de sécurité.
De toute évidence, cantonner le risque à un seul patrimoine sera la meilleure défense contre l'expansion non maîtrisée du droit de gage des créanciers. Cette stratégie devra cependant nécessairement prendre en compte la volonté légitime de chaque époux de gérer, d'administrer, de disposer des actifs, certains pouvant être d'origine familiale, de leur capacité respective de financement, et aura en tout état de cause des répercussions en cas de divorce.