L'authenticité ne peut être que fortement encouragée. Elle est, au demeurant, parfois obligatoire, à tout le moins vivement conseillée, au travers de certaines dispositions, pour prévenir le risque contentieux, que le motif du litige potentiel soit en lien avec la qualité du consentement ou son expression même (§ I), ou encore en rapport avec la qualification de l'opération (§ II).
L'authenticité, le consentement et la qualification
L'authenticité, le consentement et la qualification
L'authenticité garante de la qualité du consentement
L'authenticité garante de la qualité du consentement
– Le principe du consensualisme. – Nous l'avons vu : le droit des sociétés consacre le principe du consensualisme dans le sillage du droit commun des contrats. « Les contrats sont par principe consensuels », à la lecture de l'article 1172 du Code civil, laissant une part bien maigre aux contrats solennels et aux contrats réels.
La manifestation de volonté des parties permet, à elle seule, la formation du contrat, sans qu'aucune forme ne soit exigée, cette expression de volonté pouvant s'opérer par tout moyen.
Or, nous le savons, l'efficacité de ce principe tient à l'expression libre et éclairée de la volonté des parties.
L'article 1364 du Code civil dispose que la preuve « d'un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée ».
Tel qu'exposé ci-dessus, l'écrit, sans être une condition de validité, vient au secours du consensualisme sur le terrain de la preuve, la signature de celui qui contracte une obligation en s'obligeant par écrit demeurant la manifestation la plus tangible de son consentement.
L'article 1367 du Code civil confère à la signature un véritable statut en énonçant qu'elle « identifie son auteur » et qu'elle « manifeste son consentement aux obligations qui découlent » de l'acte.
– L'acte sous signature privée. – La signature des parties est la seule condition de forme à laquelle est astreint l'acte sous signature privée, l'article 1375 du Code civil précisant, rappelons-le, que « l'acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s'il a été fait en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l'unique exemplaire dressé ».
L'acte sous signature privée fait foi entre ceux qui l'ont signé ainsi qu'à l'égard de leurs héritiers et ayants cause.
Une partie à l'acte a toujours la faculté de désavouer sa signature, tout comme ses héritiers ou ayants cause. S'engage alors une procédure de vérification d'écriture telle que visée à l'article 1373 du Code civil.
– L'acte sous signature privée contresigné par avocats. – L'acte sous signature privée contresigné par l'avocat de chacune des parties ou l'avocat mandaté par toutes les parties fait foi de la signature des parties par application de l'article 1374 du Code civil. En présence d'un tel acte, la véracité d'une signature ne pourra être remise en cause qu'au travers d'une procédure de faux.
– La supériorité de l'acte authentique. – La supériorité de l'acte authentique n'est plus à démontrer : il offre la plus grande sécurité juridique à la convention en faisant foi notamment de l'identité des parties. Par l'exercice plein et entier de son devoir de conseil, et par la lecture de l'acte, le notaire veille à la qualité du consentement exprimé par chacune des parties.
Le Code civil instaure de lui-même cette hiérarchie en reléguant l'acte authentique irrégulier au statut d'écrit sous signature privée.
– La force probante de l'acte authentique. – Le lecteur pourra utilement consulter sur le sujet les travaux du 111e Congrès des notaires de France (art. 1398 à 1425) : https://www.congresdesnotaires.fr/fr/les-publications/">Lien.
– La nécessité du recours à l'acte authentique. – À y regarder de plus près, en droit des sociétés, il existe une situation spécifique, certes extrêmement rare, dans laquelle le recours à l'acte authentique est obligatoire.
Prenons à titre d'exemple un cas dans lequel, nous l'avons vu précédemment, l'écrit peut avoir une portée non seulement ad probationem mais aussi, ad validitatem, à l'image des statuts de la société devant être présentés au greffe du tribunal de commerce pour parvenir à son immatriculation.
Dès lors, en présence d'une partie se trouvant dans l'impossibilité physique ou technique de signer, le recours à l'acte authentique est la seule solution envisageable.
Les dispositions de l'article 9 de la loi du 25 ventôse an XI viennent de surcroît renforcer ce dispositif en rendant obligatoire non pas la présence d'un seul notaire, mais d'un notaire assisté de l'un de ses confrères non associés ou encore de deux témoins.
À l'évidence, le notaire, officier public et ministériel, est garant du consentement libre et éclairé des parties à l'acte dont il recueille les signatures quel que soit la nature de l'acte dont il s'agit ou le profil des signataires.
Il est, dès lors, tentant de s'inscrire dans le sillage des travaux du 117e Congrès des notaires de France, et notamment dans le prolongement de la première proposition formulée par la deuxième commission, adoptée à 75 %, en se demandant s'il ne serait pas opportun de supprimer l'article 9 de la loi du 25 ventôse an XI en confortant, d'une part, le notaire dans son rôle d'officier public et ministériel, garant de l'identité et du consentement libre et éclairé des parties, en toutes circonstances, et en favorisant de la sorte, d'autre part, le déploiement plein et entier de l'acte authentique électronique.
Rappelons qu'en l'état, les actes supposant l'intervention de deux notaires ne peuvent pas être reçus en la forme électronique, le dispositif informatique actuel n'autorisant pas l'identification simultanée de deux clés Real.
Le lecteur est invité à se reporter à la première proposition formulée par la deuxième commission du 117e Congrès des notaires de France, consistant en la suppression des 1o et 2o de l'article 9 de la loi du 25 ventôse an XI. Selon nous, l'article pourrait purement et simplement être annulé dans toutes ses dispositions.
Lien web : https://www.congresdesnotaires.fr/media/uploads/2021/propositions/commission-2-proposition-1.pdf">Lien
L'authenticité garante de la qualification
Intéressons-nous à présent au rôle du notaire au regard de la qualification juridique de la convention. Une attention particulière sera portée aux articles 854 (A) et 1832-1 du Code civil (B).
Au sujet de l'article 854 du Code civil
– L'article 854 du Code civil. – Cet article renvoie aux règles du partage successoral et des modalités de rapport des libéralités. Il dispose qu'« il n'est pas dû de rapport pour les associations faites sans fraude entre le défunt et l'un de ses héritiers, lorsque les conditions en ont été réglées par un acte authentique ».
Cet article forme un triptyque aux côtés des articles 852 et 853 du Code civil qui prévoient, quant à eux, une dispense de rapport s'agissant des frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, des frais ordinaires d'équipement, de ceux de noces, des présents d'usage ou encore des profits provenant de conventions passées avec le défunt « si ces conventions ne présentaient aucun avantage indirect, lorsqu'elles ont été faites » (C. civ., art. 853).
Le rapport, nous le savons, consiste pour un héritier à déclarer, à l'occasion du partage, les biens qu'il a reçus du défunt par donation, l'objectif poursuivi par ce dispositif étant de préserver l'égalité entre héritiers.
Tout héritier venant à la succession est tenu au rapport des donations dont il a bénéficié, sauf à ce que le donateur l'en ait expressément dispensé et sous réserve que le gratifié ait eu la qualité de présomptif héritier au jour de la donation.
Ce mécanisme n'opère aucune distinction entre donation occulte et donation ostensible.
– La lettre du dispositif. – À s'en tenir à la rédaction même de cet article, deux conditions doivent cumulativement être remplies afin d'échapper au mécanisme du rapport successoral : la société doit avoir été constituée et organisée sans fraude et les statuts doivent avoir été rédigés en la forme authentique.
– La possible exclusion des sociétés de capitaux. – L'article 854 du Code civil s'applique à toutes les sociétés, qu'elles soient ou non dotées de la personnalité morale, qu'elles soient civiles ou commerciales.
Toutefois, cet article semble s'appliquer principalement aux sociétés de personnes dans lesquelles les liens de parenté et les problématiques successorales revêtent une importance particulière. En effet, comme l'ont fait observer les professeurs Marc Donnier et Bernard Vareille, « il ne peut s'agir que de sociétés de personnes car dans les sociétés de capitaux, et, en particulier, dans les sociétés anonymes la personnalité du de cujus et celle de son héritier se dilueraient à un tel point dans la masse des actionnaires que l'application de l'article 854 du Code civil perdrait toute sa raison d'être ».
Ce propos mérite toutefois d'être nuancé, en l'absence de précision apportée par le texte sur ce point, si l'associé et son successible venaient à détenir par exemple une part majoritaire au sein d'une société de capitaux, selon la position du Cridon de Paris.
– Les donations déguisées. – La condition tenant à l'absence de fraude paraît superfétatoire, en phase de constitution de la société, en présence de statuts établis en la forme authentique. En effet la fraude renvoie, essentiellement, en l'espèce, à la notion de donation déguisée. La donation déguisée, nous le savons, s'opère sous couvert d'un acte n'ayant pas l'apparence d'une libéralité, l'objectif étant de maquiller la donation. Le notaire, garant de l'efficacité des actes qu'il reçoit, ne saurait travestir une opération en en modifiant la qualification.
La fraude pourrait toutefois résulter d'un dysfonctionnement comptable ou financier susceptible d'échapper à la vigilance du notaire.
L'absence de fraude ne suppose pas nécessairement que les apports réalisés par le successible aient été en numéraire ou en nature, la sincérité d'un apport en industrie ayant été reconnue par les tribunaux.
En revanche serait constitutive d'une fraude une évaluation volontairement faussée d'un apport en nature réalisé par l'ascendant ou encore des modalités de distribution des bénéfices contraires à l'équité.
– Les donations indirectes. – L'article 854 du Code civil mérite également d'être appréhendé sous l'angle de la donation indirecte. Dès lors, la règle est qu'en présence de statuts établis sous signature privée, les avantages retirés par le successible de l'activité de la société sont présumés être des libéralités, soumises au mécanisme du rapport successoral, et ce quand bien même l'existence et la sincérité de la société ne seraient pas remises en cause.
Pour échapper au rapport, cela suppose que les statuts aient fait l'objet de l'établissement d'un acte authentique et que l'héritier associé se soit comporté au sein de la structure à la façon d'un associé non successible, sans tirer parti frauduleusement de son lien de parenté.
– Des conséquences potentiellement désastreuses. – Le rapport d'un avantage indirect, à l'occasion du règlement d'une succession, peut s'avérer désastreux, cette libéralité pouvant être assimilée, en valeur, par un héritier contestataire, au montant des bénéfices distribués à l'associé successible et de ses droits sociaux.
– L'approche jurisprudentielle. – Fort heureusement, en présence de statuts établis sous signature privée, la jurisprudence est venue au secours des associés successibles, adoptant une interprétation très souple de l'article 854 du Code civil, le vidant quasiment de sa substance.
Dans certains cas, la jurisprudence a retenu l'absence de libéralité au profit de l'héritier associé, en faisant de la présomption énoncée à l'article 854 du Code civil une présomption simple, en admettant une preuve contraire et une qualification autre. C'est ainsi que les bénéfices retirés par le successible de l'activité de la société ont pu être perçus comme étant la juste rétribution du concours de l'héritier aux affaires sociales.
La Cour de cassation a écarté l'application de l'article 854 du Code civil en cas d'apport effectué par l'héritier dont la réalité et la sincérité sont démontrées.
Dans d'autres cas, la jurisprudence a atténué les effets du rapport, sans en paralyser le mécanisme, en allouant à l'héritier, tenu au rapport, une indemnité au titre de sa participation aux affaires sociales venant arithmétiquement compenser en tout ou partie le montant de l'indemnité de rapport. L'idée n'est pas de favoriser au profit de la succession un enrichissement sans cause au détour d'une application trop stricte de l'article 854 du Code civil.
Ainsi, les juges admettent parfois la dispense pure et simple de rapport, parfois le rapport d'une fraction seulement des bénéfices, qualifiant une partie d'entre eux exclusivement d'avantages indirects, soumis au rapport successoral, le surplus étant assimilé à une rémunération.
Les juges veillent, par conséquent, à pacifier les relations familiales en minimisant l'impact que pourrait avoir l'article 854 du Code civil. Comme l'a fait observer le Cridon de Paris dans une consultation en date du 14 octobre 1999, « cette présomption de gratuité et d'obligation au rapport n'est plus de par la jurisprudence d'ordre public : les parties peuvent renoncer au caractère rapportable des bénéfices ».
Il n'en demeure pas moins que le recours à l'acte authentique demeure la meilleure façon de prévenir tout conflit. Le notaire sonde l'intention de l'ascendant de dispenser ou non son successible du rapport de l'avantage procuré par l'association.
Au sujet de l'article 1832-1 du Code civil
– L'article 1832-1 du Code civil. – Cet article est ainsi libellé, en son dernier alinéa : « Les avantages et libéralités résultant d'un contrat de société entre époux ne peuvent être annulés parce qu'ils constitueraient des donations déguisées, lorsque les conditions en ont été réglées par un acte authentique ».
Cet alinéa était pareillement rédigé dans les versions antérieures, en vigueur du 1er juillet 1978 au 13 juillet 1982, ou encore du 13 juillet 1982 au 1er juillet 1986 et n'a pas été modifié depuis.
– La lettre du dispositif. – Cet article a fait écho, jusqu'au 1er janvier 2005, à l'article 1099 du Code civil qui disposait alors, s'agissant d'époux, que « toute donation, ou déguisée, ou faite à personnes interposées, [était] nulle ».
La réforme des régimes matrimoniaux opérée en 1985, en supprimant l'article 1595 du Code civil alors en vigueur, avait supprimé la prohibition de principe des ventes entre époux mais avait, en revanche, maintenu le principe de nullité des donations déguisées entre époux au nom de l'immutabilité des régimes matrimoniaux.
Dès lors, le recours à l'acte authentique semble être la seule parade à la lecture isolée du dernier alinéa de l'article 1832-1 du Code civil.
– Un dispositif obsolète. – On peut, toutefois, s'interroger sur la pertinence de cet alinéa depuis l'entrée en vigueur de la loi no 2004-439 du 26 mai 2004, relative au divorce, qui a abrogé la prohibition formelle des donations déguisées entre époux. L'établissement de statuts en la forme authentique à ce seul motif, à savoir échapper à une prétendue nullité, semble inutile.
Il semblerait opportun de supprimer le dernier alinéa de l'article 1832-1 du Code civil.