La procédure collective pour le chef d'entreprise

La procédure collective pour le chef d'entreprise

– L'opportunité de la procédure collective. – Le risque encouru par le chef d'entreprise se traduit par l'impossibilité de faire face au remboursement de ses dettes, et de devoir assumer des contentieux à titre personnel, engendrant in fine la cessation des paiements, ayant pour conséquence un redressement et/ou une liquidation judiciaire.
L'article L. 631-1 du Code de commerce dispose : « Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements ».
Depuis le 1er janvier 2006, tout entrepreneur individuel en état de cessation de paiement peut bénéficier de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Sur le principe, il va alors engager tout son patrimoine sans distinction (Sous-section I). En cas de faute ou d'erreurs de gestion, des sanctions pourront être prises (Sous-section II). Néanmoins le législateur, attentif aux conséquences d'une telle procédure sur la personne de l'entrepreneur, a prévu des atténuations et des limitations (Sous-section III).

L'ensemble du patrimoine, droit de gage des créanciers

– Étendue des engagements. – C'est probablement dans cette hypothèse qu'a encore tout son sens la notion d'unicité du patrimoine développée par Charles Aubry et Charles Rau. La conséquence pour l'entrepreneur individuel est sans appel : les actifs professionnels ainsi que les actifs privés sont là pour garantir les dettes nées de l'activité de l'entreprise. Le risque entrepreneurial est illimité, mais les règles relatives à la procédure collective vont permettre d'en atténuer fortement le principe.
En parallèle les créanciers, ayant respecté la procédure collective de déclaration de leur créance, sont fondés à réclamer le paiement de leur créance sur l'ensemble des actifs de leur débiteur. Ils disposeront par ailleurs des actions de droit commun que sont l'action oblique, l'action paulienne ou les actions directes en paiement.
À côté de ces actions, l'entrepreneur individuel encourt des sanctions personnelles.

Les sanctions encourues par l'entrepreneur individuel

Les sanctions encourues par l'entrepreneur individuel

– Plan. – Au-delà de la procédure collective qui peut frapper l'entrepreneur individuel, il pourra également être poursuivi pour un comportement fautif et ainsi encourir principalement la banqueroute (§ I), la faillite personnelle (§ II) et subsidiairement des peines complémentaires ou alternatives (§ III).

La banqueroute

La banqueroute, notion très ancienne dans le droit commercial, a connu de nombreuses évolutions.
Cette sanction pénale est prévue par l'article L. 654-2 du Code de commerce qui vise les différents cas de banqueroute.
Pour être mise en œuvre, la banqueroute nécessite l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Sauf exception, les faits reprochés doivent avoir été commis après la cessation des paiements.
La banqueroute étant un délit, un élément intentionnel est exigé.
La peine encourue est de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende.

La faillite personnelle

Prévue par l'article L. 653-1 du Code de commerce, elle peut frapper toute personne physique (commerçant, artisan, agriculteur, personne ayant une activité indépendante y compris libérale).
Pour être mise en œuvre, deux conditions doivent être réunies :
  • en premier lieu, avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ;
  • en second lieu, avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif.
– La mise en œuvre. – Cette procédure peut avoir lieu à l'initiative du mandataire judiciaire, du liquidateur, du ministère public ou bien enfin par la majorité des créanciers en cas de carence du mandataire judiciaire.
Cette action peut se cumuler avec l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.
La faillite personnelle emporte, pour une durée maximum de quinze ans, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise.

Les peines complémentaires et alternatives

Le débiteur en faillite encourt, en vertu de l'article L. 654-5, 2o du Code de commerce, l'interdiction d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, ou d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions peuvent aussi être des alternatives à l'emprisonnement (C. pén., art. 131-6, 15o).
Ces peines sont différentes de la faillite personnelle et de l'interdiction de gérer à deux niveaux. En premier lieu, le champ de ces peines complémentaires est plus limité, car l'interdiction de gérer pénale ne peut pas concerner toute entreprise ou personne morale. En second lieu, les peines complémentaires peuvent être définitives alors que la faillite personnelle et l'interdiction de gérer sont plafonnées à quinze ans comme nous l'avons vu ci-dessus.

Cumul des peines

Le cumul des peines est-il possible ?
Extrait du JurisClasseur Procédures collectives, Fascicule 2910
« Cumul des sanctions professionnelles et des peines complémentaires – La règle Non bis in idem, consacrée par l'article 4 du Protocole 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE, interdit de poursuivre et condamner deux fois un individu pour le même fait. En droit interne, le Conseil constitutionnel la rattache au principe de nécessité et de proportionnalité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Plusieurs cas de faillite personnelle étant par ailleurs constitutifs de banqueroute, la question de la conformité de leur cumul, pour les mêmes faits, a été posée au Conseil constitutionnel à l'occasion de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité. Ce dernier, quoique consacrant la qualification de « sanctions ayant le caractère de punition » des mesures du Code de commerce, et en constatant leur identité avec les peines complémentaires de la banqueroute, a toutefois écarté le grief. Il a estimé en effet que le juge pénal pouvant, du chef de banqueroute, prononcer un emprisonnement, une amende, et d'autres peines complémentaires, ce que ne peut pas faire son homologue civil, les faits « doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente » (Cons. const., 29 sept. 2016, no 2016-570 QPC, consid. 8. – Cons. const., 29 sept. 2016, no 2016-573 QPC, consid. 13, préc. no 10). Cette position s'inscrit dans une jurisprudence aujourd'hui constante, selon laquelle la règle Non bis in idem ne s'applique pas dans ce cas (Cons. const., 14 janv. 2016, no 2015-513/514/526 QPC. – Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-545 QPC : JurisData no 2016-012236. – Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-546 QPC : JurisData no 2016-012237). Toutefois, le Conseil constitutionnel ayant abrogé l'article L. 654-6 du Code de commerce au nom du principe d'égalité (V. no 86), la question du cumul ne se pose plus pour la faillite personnelle et l'interdiction de gérer de l'article L. 653-8 du Code de commerce. Mais cette décision permet de valider a fortiori le cumul pour les peines complémentaires d'interdiction de l'article L. 654-5 du Code de commerce. »

Les atténuations au principe de l'unicité du patrimoine

– Les évolutions. – Au fil des réformes intervenues sur les procédures collectives, le législateur est venu atténuer les conséquences patrimoniales d'une procédure collective à l'encontre de l'entrepreneur individuel. Ces atténuations restent néanmoins de portée limitée.

L'article L. 643-11 du Code de commerce

– La fin de la procédure collective. – Issu de la loi no 2005-845 du 26 juillet 2005, l'article L 643-11 du Code de commerce a réformé les effets de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.
La procédure collective a pour conséquence de purger l'ensemble des dettes subsistantes ; en clair, l'entrepreneur individuel en liquidation judiciaire n'est plus tenu au remboursement des dettes n'ayant pas été réglées, à compter de la clôture de la procédure. Avant la loi du 26 juillet 2005, cette règle ne pouvait être appliquée qu'une seule fois dans la vie de l'entrepreneur individuel ; si ce dernier connaissait une autre procédure de liquidation judiciaire à l'occasion d'une nouvelle activité, il ne pouvait plus en bénéficier.
L'article L. 643-11 du Code de commerce issu de la loi précitée du 26 juillet 2005 dispose désormais que : « Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ».
– Un droit de poursuite maintenu. – Il convient néanmoins de préciser que l'entrepreneur individuel ne peut se prévaloir de cette disposition dès lors que la dette non réglée résulte d'une condamnation pénale ou de droits attachés à la personne de son créancier (action en réparation d'un préjudice corporel notamment).
Par ailleurs, les créanciers subsistants peuvent toujours exercer leur droit de poursuite individuelle, à l'issue de la clôture de la procédure, lorsque la faillite personnelle du débiteur a été prononcée, lorsque l'entrepreneur individuel a été reconnu coupable de banqueroute, ou enfin lorsqu'il a été soumis à une procédure de liquidation judiciaire antérieure clôturée pour insuffisance d'actif moins de cinq ans avant l'ouverture de celle à laquelle il est soumis.
Il s'agit ici d'une disposition d'une réelle importance quand on sait que le dirigeant d'entreprise condamné à une action pour insuffisance d'actif ne connaît pas l'équivalent.

Le principe de subsidiarité des poursuites sur les actifs professionnels

– La subsidiarité. – Issu de la loi no 94-126 du 11 février 1994, dite « loi Madelin », elle a modifié l'article 22-1 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution par le dispositif suivant :
« Lorsque le titulaire d'une créance contractuelle ayant sa cause dans l'activité professionnelle d'un entrepreneur individuel entend poursuivre l'exécution forcée d'un titre exécutoire sur les biens de cet entrepreneur, celui-ci peut, nonobstant les dispositions du 4o de l'article 14 de la présente loi et s'il établit que les biens nécessaires à l'exploitation de l'entreprise sont d'une valeur suffisante pour garantir le paiement de la créance, demander au créancier que l'exécution soit en priorité poursuivie sur ces derniers.
Si le créancier établit que cette proposition met en péril le recouvrement de sa créance, il peut s'opposer à la demande ».
Par cette disposition, l'entrepreneur individuel peut préserver son patrimoine « privé » et faire valoir auprès de certains créanciers un principe de subsidiarité de la poursuite sur ses actifs professionnels.
En pratique, cette disposition a été de peu d'effet dans la mesure où l'article 22-1 précité prévoit que les actifs professionnels doivent être d'une valeur suffisante pour garantir le paiement de la créance, ce qui en pratique sera rarement le cas.
Si l'entrepreneur individuel peut accepter de prendre un risque sur son patrimoine professionnel mais aussi sur son patrimoine privé, il a rarement conscience qu'il peut engager dans son aventure le patrimoine de la personne avec laquelle il partage sa vie.