Les libéralités d'actifs numériques sont soumises aux mêmes règles de réduction et de rapport que celles portant sur des actifs traditionnels. Il convient donc de les confronter aux règles du Code civil à l'ouverture de la succession pour pouvoir en maîtriser au mieux les conséquences dans le cas de transmissions à titre gratuit.
Les solutions à privilégier pour la donation d'actifs numériques
Les solutions à privilégier pour la donation d'actifs numériques
– Règles applicables au rapport d'actifs numériques. – L'héritier appelé avec d'autres à recueillir la succession doit rapporter dans la masse successorale les biens dont le défunt l'avait gratifié.
Les actifs numériques ne sont pas exclus de cette règle du rapport dans le cas de libéralités, et ce même dans le cas de dons manuels.
– Le cas particulier du rapport de dons de cryptomonnaies. – Il convient toutefois de s'interroger sur l'applicabilité des dispositions de l'article 860-1 du Code civil (C. civ., art. 860-1">Lien) relatives au rapport de sommes d'argent en présence de dons de cryptomonnaies.
Cet article prévoit, par principe, que le rapport d'un don de sommes d'argent se fait au nominal. Toutefois si l'argent reçu a servi à l'acquisition d'un bien, il y aura lieu de rapporter la valeur du bien à l'époque du partage selon son état au jour de l'acquisition.
Comme évoqué plus haut, les cryptomonnaies ne sont pas considérées comme une monnaie
V. supra, no
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Le rapport de dons de cryptomonnaies ne peut donc pas se faire en appliquant les règles du rapport de dons de somme d'argent prévu par l'article 860-1 du Code civil, précisément parce que les biens donnés ne sont pas des sommes d'argent au sens d'une monnaie ayant cours légal
En ce sens M. Julienne, Les cryptomonnaies : régulation et usages : RD bancaire et fin. 2018, no 6, étude 19. Notons que l'application de l'article 790 G du Code général des impôts relatif aux dons manuels exceptionnels doit être exclue pour les mêmes raisons (V. supra, no
).
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– Application des règles de droit commun relatives au rapport. – Le rapport s'effectuera alors selon les règles applicables à tous autres biens et conformément aux dispositions des articles 843 à 863 du Code civil.
Les principales règles sont les suivantes :
- le rapport en valeur constitue le principe et le rapport en nature l'exception (C. civ., art. 858, al. 2">Lien) ;
- la valeur du rapport est alors l'évaluation du bien à l'époque du partage d'après son état à l'époque de la donation (C. civ., art. 860, al. 1) ;
- si le bien objet de la donation a été aliéné : soit l'aliénation n'a pas donné lieu à un remploi, le rapport se fera alors de la valeur du bien au jour de l'aliénation. Soit l'aliénation a été suivie d'un remploi, il y aura alors lieu de rapporter la valeur du nouveau bien à l'époque du partage d'après son état au jour de l'acquisition (C. civ., art. 860, al. 2">Lien).
– De l'utilité du rapport forfaitaire d'actifs numériques ? – En raison de l'extrême volatilité de certains actifs numériques, l'augmentation de la valeur des unités concernées entre la date de la donation et celle du décès peut porter atteinte à la réserve héréditaire et à l'égalité entre les héritiers. En effet, si l'actif numérique donné a fortement évolué à la hausse entre la donation et le décès du donateur, le donataire risque alors de devoir une indemnité de rapport et/ou de réduction importante. À l'inverse, une forte évolution à la baisse de l'actif donné imposera aux autres héritiers de rétablir l'égalité.
Il serait alors tentant de spécifier une clause de rapport forfaitaire dans l'acte de donation des actifs numériques. Lors du règlement de la succession du donateur, il faudra alors procéder à une double liquidation.
En effet, il conviendra d'évaluer la donation selon les règles de l'article 922 du Code civil relatives à l'établissement de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, puis de comparer ce résultat à l'évaluation dérogatoire telle que voulue par les parties.
Et lorsque le montant du rapport forfaitaire s'avère inférieur au montant de la réunion fictive, ce qui sera le cas si les actifs numériques ont pris beaucoup de valeur entre le jour de la donation et celui du décès, la différence est alors traitée comme un avantage indirect hors part successorale.
À travers cet exemple chiffré, nous pouvons comprendre qu'à l'ouverture de la succession, même le rapport forfaitaire ne permettra pas d'éviter les conséquences d'une forte variation de la valeur des unités concernées au décès du donateur.
Réunion fictive en présence d'une donation d'actifs numériques spécifiant un rapport forfaitaire
En mai 2020, Monsieur X donne en avancement de part à l'un de ses trois fils, A, 10 bitcoins pour une valeur globale de 80 900,00 €, en mentionnant une clause de rapport forfaitaire.
À son décès le 15 avril 2021, il dépend de sa succession un seul bien immobilier évalué à 200 000,00 €.
Et les bitcoins donnés ont alors une valeur de 524 200,00 €.
La masse de calcul, conformément à l'article 922 du Code civil, sera de 724 200,00 €.
En application de l'article 913 du Code civil, la quotité disponible est d'un quart (soit 181 050,00 €) et la réserve globale est de trois quarts. Ainsi la réserve individuelle de chacun est d'un quart (soit 181 050,00 €).
Rappelons que :
- la « portion rapportable » s'imputera principalement sur la réserve héréditaire et, subsidiairement, sur la quotité disponible (C. civ., art. 919-1">Lien) ;
- – la « portion préciputaire » s'imputera sur la seule quotité disponible (C. civ., art. 919-2">Lien).
Bien entendu, à chaque fois, l'excédent sera sujet à réduction.
Ainsi la donation à A est imputable à hauteur du forfait, soit 80 900,00 € sur la part de réserve et l'avantage indirect de 443 300,00 € est imputé sur la seule quotité disponible.
Cet avantage indirect excédant la quotité disponible, la donation à A est exposée à la réduction.
En effet, dès lors que la donation-partage respecte les conditions de l'article 1078 du Code civil (C. civ., art. 1078">Lien), les biens donnés n'auront pas à être réévalués au jour du décès du donateur pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible.
L'article 1078 du Code civil pose ainsi trois conditions pour que la donation puisse bénéficier de la fixité des valeurs :
- la participation à la donation-partage de tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l'ascendant ;
- l'absence de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent à laquelle est assimilée la réserve d'usufruit sur créance ;
- l'absence de clause contraire.
– La donation-partage d'actifs numériques. – Pour corriger les difficultés liées à la volatilité et à la valorisation des actifs numériques
V. supra, nos
et s.
, la donation-partage est sans aucun doute le mode de transmission à privilégier
P.-H. Conil, Le notaire et le Bitcoin ou l'heureuse rencontre du notariat traditionnel et des nouvelles technologies : JCP N 2018, no 11, act. 302. – L. Boyer, Legs et donation de Bitcoins : pour le notaire, conseiller et innover : Bull. Cridon Paris 15 avr. 2018, no spécial, p. 10. – R. Vabres, La donation de cryptomonnaies : JCP N 2019, no 47, 1313.
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Ces trois conditions sont parfaitement transposables à la donation-partage d'actifs numériques. Les donataires copartagés seront alors dispensés du rapport de leurs lots ou de ce qui en est la représentation, le rapport ne se concevant pas pour des biens qui ont été déjà partagés
Cass. 1re civ., 16 juill. 1997, no 95-13.316 : Bull. civ. 1997, I, no 252 ; D. 1997, p. 370, obs. M. Grimaldi.
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Cette exclusion du rapport a pour conséquence que les plus ou moins-values qui adviennent aux biens postérieurement au partage entre vifs profitent ou nuisent à ceux-là seuls qui en ont été allotis.
Il s'agit là d'un effet de la donation-partage qui peut toutefois être redoutable si certains donataires reçoivent des actifs numériques dont la valeur a fortement varié, à la hausse comme à la baisse, entre le jour de la donation et le jour du décès, alors que d'autres reçoivent des biens immobiliers dont la valeur est malgré tout moins instable.
– L'utilité d'une clause de remploi. – Afin d'éviter les inégalités en raison de la volatilité des actifs numériques lors du rapport de la donation, le professeur Régis Vabres
JCP N 2019, no 47, préc., 146.
préconise de mettre à la charge du donataire une obligation d'échanger les cryptomonnaies contre de la monnaie ayant cours légal et de stipuler une clause de remploi dans un actif de nature moins spéculative.
– Intérêt du pacte adjoint au don manuel d'actifs numériques. – Les règles qui s'appliquent au don exceptionnel en l'absence d'acte de donation sont généralement inopportunes et ne correspondent pas le plus souvent aux souhaits des parties ; particulièrement pour ce qui concerne le rapport. Elles fragilisent en outre le don. Il est donc préférable de les écarter ou de les aménager aux termes d'un pacte adjoint.
Le don manuel portant sur des actifs numériques peut atteindre une valeur importante.
Afin de conserver la preuve de l'existence du don manuel et des conditions de sa réalisation il peut-être opportun de rédiger un pacte adjoint qui mentionnera notamment si le don a été fait en avancement de part ou hors part successorale, prévoir une clause de retour conventionnel…
Toutes les clauses afférentes aux donations entre vifs peuvent être envisagées.
Ce pacte peut également préciser la nature des actifs numériques transmis, leurs valeurs.