La régulation juridique doit favoriser, voire initier la mise en place d'un système propice au développement de ces nouvelles technologies. Elle doit surtout satisfaire l'idéal de sécurité juridique auquel tout cocontractant aspire
V. supra, no ; à titre d'exemple peut être cité le règlement e-IDAS, qui vise à ce que la confiance numérique garantisse la confiance mutuelle entre des parties réalisant une transaction électronique. Cette confiance n'est possible que s'il existe, à la base, l'assurance que ces parties disposent d'une identité qu'elles reconnaissent mutuellement. Le règlement e-IDAS constitue un vecteur de confiance.
. La régulation peut-être de deux ordres : interne
(Sous-section I)
et externe
(Sous-section II)
.
Les niveaux de régulation
Les niveaux de régulation
La régulation interne (ou autorégulation)
Cette méthode consiste à laisser les acteurs du monde numérique définir eux-mêmes les règles de leurs relations pour en maîtriser tous les aspects. Cette autorégulation prônée par les acteurs du monde numérique évite l'intervention d'un tiers pouvant se révéler trop directif et contraignant.
La régulation externe
Cette méthode consiste en l'intervention d'une tierce personne (législateur le plus souvent, juge) pour définir les règles a priori ou sanctionner a posteriori les abus que les parties au contrat n'auraient pas prévus. L'intervention législative focalisera nos développements.
? Le moment de la régulation. ? Cette question constitue un véritable enjeu politique. Comme le souligne très justement le député Mis, « la régulation d'un secteur, d'une technologie ou d'un écosystème est d'autant plus délicate que l'innovation autour des blockchains est fortement évolutive et peu maîtrisable »
J.-M. Mis, Les technologies de rupture à l'aune du droit : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 425 et s.
. Il est souvent plus facile d'attendre d'identifier précisément les abus d'une nouvelle technologie pour en limiter les déviances plutôt que d'établir un cadre juridique qui peut en freiner le développement. Mais trop tarder, c'est encourager la poursuite de l'insécurité juridique alimentant la défiance envers la nouvelle technologie. Aujourd'hui la régulation constituerait un facteur d'innovation.
Régulation et innovation.
En matière numérique, on a cru que trop de régulation allait tuer l'innovation ; aujourd'hui c'est l'inverse ; l'absence de régulation tue l'innovation.
? Les techniques de régulation. ? Cette question reste aussi un enjeu crucial. Ainsi, « une régulation trop forte tuerait l'innovation en France, qui se réfugierait donc dans des pays limitrophes comme la Suisse. Une régulation trop faible serait inutile à la protection des investisseurs et à la lutte contre les activités criminelles »
J.-M. Mis, Les technologies de rupture à l'aune du droit : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 425 et s.
. Pour un autre auteur, il n'est pas envisageable que le législateur modifie constamment le cadre juridique en réponse à chaque innovation
N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l'innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s.
. Il faut donc trouver une méthode rendant compatibles rapidité de l'évolution des nouvelles technologies et désir de sécurité juridique.
Deux méthodes peuvent être citées : la méthode « d'avance de phase » et la méthode du « bac à sable ».
La méthode « d'avance de phase » consiste à inventer une régulation
J.-M. Mis, Les technologies de rupture à l'aune du droit : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 425 et s.
, permettant d'élaborer « un cadre réglementaire expérimental, au périmètre borné ».
Exemple de mise en œuvre de la méthode d'avance de phase : les plateformes
À l'origine, le texte de référence en matière de plateformes était une directive européenne du 8 juin 2000 sur les aspects juridiques des services de la société de l'information. Ce texte, inadapté, ne donnait aucune définition des plateformes qui se multipliaient de jour en jour, engendrant des abus en tout genre (défaut d'information, publicité mensongère, violations des données personnelles…). Dans ce contexte, le législateur s'est alors posé la question de l'encadrement de cette technologie. La pensée du marché unique avait tendance à s'opposer à tout type de régulation (grand marché sans contrainte). Le ton de l'époque était « trop de régulation tue l'innovation ». Réguler était au mieux une réponse protectionniste, au pire un frein au développement. Le législateur a alors fait le choix de la méthode de l'avance de phase élaborant un cadre réglementaire expérimental et borné. La loi pour une République numérique a fait entrer la notion de plateformes dans le droit français. Après avoir défini la notion, la loi étend le principe général de loyauté (issu du Code de la consommation) aux plateformes. Elle impose ainsi aux gestionnaires des obligations informationnelles relatives aux modalités de référencement/déréférencement, aux avis des consommateurs vérifiés ou non que les sociétés peuvent contester, aux obligations d'afficher la mention de « publicité » lorsqu'il s'agit d'un bien placé. Ces obligations d'information ont pour objet de créer la confiance nécessaire à une économie fluide, tout en respectant la liberté des acteurs.
Une seconde méthode, appelée « méthode du bac à sable », tire son origine du langage de programmation
www.journaldunet.fr/web-tech/dictionnaire-du-webmastering/1203469-sandbox-definition-traduction">Lien. Traduit littéralement en français par « bac à sable », le terme sandbox désigne, en sécurité informatique, un mécanisme utilisé pour diminuer les risques, pour un système d'exploitation, lors de l'exécution d'un logiciel. Dans l'univers du web, le terme évoque l'environnement qui permet de tester des logiciels ou des sites web.
. Elle consiste en « une série de règles permettant aux entrepreneurs de tester leurs produits et modèles économiques dans un environnement réel », sans contraintes juridiques et sous contrôle d'une autorité. Cette méthode minimise l'incertitude juridique tout en permettant l'accès à l'investissement
N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l'innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s.
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Exemple de mise en œuvre de la méthode du bac à sable : les véhicules autonomes
À l'origine, plusieurs textes épars traitent de la question des véhicules autonomes : la loi no 2015-992 du 17 août 2015, l'ordonnance no 2016-1057 du 3 août 2016, le décret no 2018-211 du 28 mars 2018 et un arrêté du 17 avril 2018. Ces textes permettent la circulation sur des voies publiques de véhicules à délégation totale ou partielle de conduite. Cette circulation ne peut avoir lieu qu'à des fins expérimentales, c'est-à-dire en vue de réaliser des essais techniques ou d'évaluer les performances de ces véhicules. Cette circulation doit être précédée de l'obtention d'autorisations préalables délivrées par le ministre chargé des transports et diverses autres autorités (gestionnaire de la voirie, autorité compétente en matière de police de la circulation…). Mais tous ces textes ne prévoient aucune disposition en matière de responsabilité en cas d'accident routier. C'est la loi Pacte de 2019, dans son article 125, qui est venue compléter l'ordonnance pour rendre l'expérimentation possible :
- �Art. 1er modifié (al. 1) : La loi pose symboliquement le principe de l'autorisation de circulation sur la voie publique des véhicules autonomes. Ainsi : « La circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite à des fins expérimentales est autorisée. Cette circulation est subordonnée à la délivrance d'une autorisation destinée à assurer la sécurité du déroulement de l'expérimentation ».
- �Art. 1er modifié (al. 2) : La loi décrit les conditions de circulation en l'absence de conducteur à bord du véhicule et le rôle de ce dernier. Dans ce cas : « Le demandeur fournit les éléments de nature à attester qu'un conducteur situé à l'extérieur du véhicule, chargé de superviser ce véhicule et son environnement de conduite pendant l'expérimentation, sera prêt à tout moment à prendre le contrôle du véhicule, afin d'effectuer les manœuvres nécessaires à la mise en sécurité du véhicule, de ses occupants et des usagers de la route ».
- Art. 1er-1 créé : Désormais tous les véhicules peuvent circuler sur ces voies, sous réserve de l'avis conforme de l'autorité de police de la circulation concernée et de l'autorité organisatrice des transports. Seuls les véhicules autonomes affectés à un transport public de personnes pouvaient être autorisés jusqu'à présent.
- �Art. 2-1 créé : Cet article ainsi que le suivant clarifient la responsabilité pénale en cas d'accident impliquant un véhicule autonome, intervenu pendant l'expérimentation. En droit positif, le conducteur d'un véhicule est responsable pénalement des infractions qu'il commet dans la conduite de son véhicule. Avec le véhicule autonome, donc par définition sans conducteur, il a fallu trouver des adaptations au texte existant. Ainsi le conducteur d'un tel véhicule est désormais déchargé de sa responsabilité pénale « pendant les périodes où le système de délégation de conduite, qu'il a activé conformément à ses conditions d'utilisation, est en fonctionnement et l'informe en temps réel être en état d'observer les conditions de circulation et d'exécuter sans délai toute manœuvre en ses lieux et place ». Qui est alors responsable ?
- �Art. 2-2 créé : Dans ce cas, la responsabilité du conducteur est transférée au titulaire de l'autorisation d'expérimentation. C'est ce dernier qui devra payer le montant des amendes lorsque la conduite du véhicule contrevient à des règles dont le non-respect constitue une contravention. Si, par ailleurs, cette conduite a provoqué un accident entraînant un dommage corporel, ce titulaire sera pénalement responsable des délits d'atteinte involontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne lorsqu'il est établi une faute dans la mise en œuvre du système de délégation de conduite.
- �Art. 3 (al. 1 complété) : Un décret (toujours en attente à ce jour), doit préciser les conditions de délivrance de l'autorisation d'expérimentation ainsi que les modalités d'information du public sur la circulation à des fins expérimentales de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite.
À l'échelon national, le législateur s'est appuyé sur cette méthode pour expérimenter la circulation des véhicules autonomes
Pour en savoir plus sur le sujet, cf. P. Glaser, Intelligence artificielle et responsabilité : un système juridique inadapté ? : BRDA 19/2018, inf. 22.?M.-J. Loyer-Lemercier, Droit et assurance : risques et enjeux des véhicules autonomes : BRDA 2/2019, inf. 25.
. Dans cet exemple, tous les aspects relatifs à la circulation sur la voie publique d'un véhicule autonome et à ses conséquences sont désormais organisés (autorisation, information, responsabilité). L'expérimentation du produit dans son environnement réel peut se réaliser. C'est cette même méthode du bac à sable que met également en exergue le rapport Villani relatif à l'intelligence artificielle
http://www2.assemblee-nationale.fr/15/les-delegations-comite-et-office-parlementaire/office-parlementaire-d-evaluation-des-choix-scientifiques-et-technologiques/secretariat/a-la-une/intelligence-artificielle-presentation-du-rapport-de-cedric-villani">Lien
. Cette méthode, parce qu'elle organise les responsabilités en cas de déviance, accroît la confiance des usagers et des tiers et participe à garantir une meilleure sécurité juridique. À l'étranger, pour les technologies blockchain, c'est la méthode du « bac à sable » qui est généralement utilisée
Cf., pour des exemples concrets utilisés au Royaume-Uni, en Inde, en Chine et aux États-Unis, N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l'innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s. (https://syntec-conseil.fr/wp-content/uploads/2020/06/Syntec-Conseil_Prix-academique-de-la-Recherche-en-Management-2020_Article-Nathalie-Devilliers.pdf">Lien).
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