Le smart contract versus le droit des contrats

Le smart contract versus le droit des contrats

? Des moyens différents pour un objectif commun. ? L'objectif de conforter l'efficacité du contrat est commun à l'ordonnance du 10 février 2016 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016, no 0035, no 25. et au smart contract. En revanche, les moyens pour y parvenir sont différents. Pour le smart contract, le facteur d'efficacité prépondérant réside dans sa principale caractéristique : l'automaticité, moyen objectif, simple et rapide. La mettre à profit pour éviter ou sanctionner l'inexécution d'une obligation contractuelle séduit. Cependant cette automaticité est difficilement compatible avec les règles du Code civil?luttant contre les entraves à l'exécution du contrat ?, qui reposent sur des notions subjectives et appellent des appréciations nuancées (Sous-section I) . L'ordonnance du 10 février 2016 conforte quant à elle la réalisation des attentes des parties au contrat en reconnaissant amplement la liberté contractuelle ainsi que la force obligatoire du contrat V. supra, no . , mais entend concilier cet objectif d'efficacité avec celui d'éthique contractuelle. Pour cela, des standards juridiques tournés vers la moralisation du contrat sont employés et des pouvoirs de contrôle sont attribués au juge, particulièrement au stade de l'exécution ou de l'inexécution du contrat. À l'aune de la place faite au juge dans le contrat par la réforme de 2016, la dissonance entre le smart contract et le droit positif est manifeste (Sous-section II) .

Les entraves à l'exécution du contrat

L'exécution est la raison d'être du contrat, l'expression de son efficacité. L'inexécution justifie donc des sanctions (§ I) . Les entraves à l'exécution extérieures au débiteur appellent des remèdes différents (§ II) . Le smart contract mérite d'être confronté aux unes et aux autres.

L'inexécution imputable au débiteur

? L'inexécution. ? L'inexécution est une notion large. Elle peut être volontaire ou non, totale ou partielle, le résultat d'une non-conformité aux conventions des parties. Pour le smart contract, la première difficulté est de la découvrir. L'utilisation d'un smart contract pour sanctionner l'inexécution nécessite une définition précise de celle-ci dans le contrat fiat. Tout fait non défini exclut sa mise en œuvre.
? Les sanctions de l'inexécution. ? La mise en œuvre des sanctions de l'inexécution est d'abord l'apanage du créancier. Le pouvoir lui revient de choisir unilatéralement la sanction et le moment pour la mettre à exécution. La question ne se pose pas de la parole donnée par le débiteur mais des attentes légitimes du créancier. Sauf stipulations contraires du contrat, le créancier a le choix de rechercher une sanction ou un remède. L'article 1217 du Code civil (C. civ., art. 1217">Lien) énonce le panel mis à sa disposition. Il peut refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation, poursuivre l'exécution forcée en nature, obtenir une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat ou exiger réparation du dommage subi du fait de l'inexécution du contrat.
Automatiser les sanctions de l'inexécution nécessite de définir le choix de la sanction de l'inexécution dès la conclusion du contrat. Lorsque l'on conclut un contrat, c'est pour qu'il soit exécuté. Il peut se passer beaucoup de temps entre le jour de la conclusion du contrat et son exécution. La projection peut être complexe.
? Avantages et inconvénients de l'automatisation de la sanction. ? Le contrat est conçu comme un instrument de coopération entre les parties. À ce titre, il est propice au développement des concepts de bonne foi et de loyauté et à l'interventionnisme du juge pour faire respecter ceux-ci. Les conséquences d'une inexécution par le débiteur peuvent être atténuées s'il est de bonne foi (C. civ., art. 1221">Lien). Appliquer les sanctions de l'inexécution nécessite donc une faculté de discernement de la part du créancier (C. civ., art. 1219">Lien, 1220">Lien et 1226">Lien) et, le cas échéant, du juge, absente du smart contract. Mode d'exécution automatique, il est basé sur une logique binaire : soit le contrat est exécuté, soit il ne l'est pas A. Saint-Paul, Smart contracts et droit commun des contrats, ss dir. M. Bourassin, Mémoire de recherche soutenu le 5 juill. 2019 : non publié. . Sauf défaillance technique, le contrat augmenté d'un smart contract s'exécute inéluctablement dès lors que les conditions sont remplies. Utilisé comme sanction de l'inexécution, le smart contract présente l'avantage d'être prévisible. Les parties se sont mises d'accord en amont sur la sanction applicable en cas d'inexécution. Il est également dissuasif. Le smart contract est sourd à tout argument du débiteur pour justifier son inexécution. Ce dernier a accepté la sanction ab initio, il ne peut pas la contester, nonobstant les textes le lui permettant (not. C. civ., art. 1223">Lien). Mais prévoir dès l'origine du contrat une sanction adaptée et proportionnée à une inexécution éventuelle dans un contexte encore inconnu semble hasardeux. La proportionnalité est pourtant omniprésente dans le Code civil. Conséquence du principe général de bonne foi (C. civ., art. 1104">Lien), elle rayonne dans tout le droit de l'inexécution du contrat. L'exception d'inexécution ne peut être mise en œuvre par le créancier que si l'inexécution est suffisamment grave (C. civ., 1219">Lienet 1220">Lien). Il en est de même pour la résolution du contrat (C. civ., art. 1224">Lienet 1226">Lien). L'exécution en nature ne peut être poursuivie s'il existe une disproportion manifeste entre le coût engendré pour le débiteur de bonne foi et l'intérêt retiré de l'opération par le créancier (C. civ., art. 1221">Lien). Au stade de la réparation du préjudice, la proportionnalité est toujours présente. Le pouvoir du juge de modérer ou augmenter la clause pénale si elle est manifestement excessive ou dérisoire en est encore un exemple (C. civ., art. 1231-5">Lien).
Enfin, le smart contract, outil numérique, est lié à la quantification. Cela pose plusieurs problèmes. Les inexécutions liées à la qualité de la prestation pourront difficilement être prises en considération dans le processus. Échelonner les sanctions ab initio sans adaptation possible au stade de l'exécution est susceptible de créer un fossé entre la réalité de l'inexécution et ses conséquences au regard des attentes du créancier.
Le smart contract n'échappant pas à la loi, il est également menacé d'inefficacité s'il ne respecte pas les exigences légales afférentes aux sanctions de l'inexécution du contrat. Le juge pourra alors être saisi par le débiteur.

À terme, le risque est d'aboutir à la standardisation et à la systématisation des sanctions.

Compatibilité du avec les exigences légales entourant les sanctions de l’inexécution

L'exception d'inexécution ( C. civ., art. 1219 ">Lien et 1653 ">Lien ). Lorsque l'une des parties n'exécute pas son obligation, l'autre peut suspendre la sienne. Décision unilatérale du créancier dans l'esprit du législateur, c'est une sanction sans discernement lorsqu'elle est algorithmée dans un smart contract. La condition de gravité suffisante, élevée à l'article 1219 (C. civ., art. 1219">Lien) in fine se trouve mise à mal. Toute inexécution même minime peut être sanctionnée par l'inexécution de la contre-prestation prévue au contrat. La proportionnalité de l'exception d'inexécution repose sur le principe général de bonne foi (C. civ., art. 1104">Lien). En matière de smart contract, le comportement des parties étant exclu du mécanisme, la bonne foi ne permet pas de corriger la disproportion entre l'inexécution et sa sanction. Seule une définition quantifiée de la gravité suffisante par les parties dans le contrat fiat permettra d'introduire cette notion dans le processus, avec les difficultés que cela implique.
L'exception d'inexécution par anticipation ( C. civ., art. 1220 ">Lien ). L'exception d'inexécution par anticipation est intimement liée au discernement. Elle se définit comme la prise de conscience que le débiteur, manifestement, n'exécutera pas ou ne poursuivra pas l'exécution de son obligation et que les conséquences de l'inexécution seront suffisamment graves pour le créancier. Le raisonnement prend en compte l'intention du débiteur, l'intuition du créancier et les implications de l'inexécution. Ce sont des notions étrangères au smart contract. Seules les variables du code informatique actionnent le smart contract : il s'exécute ou non. L'intermédiaire n'existe pas. L'exécution partielle est impossible.
L'exécution forcée en nature ( C. civ., art. 1221 ">Lien et 1222 ">Lien ). La mise en demeure du débiteur pour obtenir l'exécution en nature peut être automatisée. Retirer au créancier la possibilité de juger de l'opportunité de l'envoi et de son moment rigidifie la procédure. Le smart contract a pour objet de réduire le coût et la longueur des procédures. Or, son utilité en matière d'exécution forcée se limite à la mise en demeure, les notions de disproportion manifeste, de bonne foi, de délai et de coût raisonnables, au cœur de l'article 1221 du Code civil (C. civ., art. 1221">Lien), étant incompatibles avec le smart contract .
La réduction du prix ( C. civ., art. 1223 ">Lien ). Dans la mesure où le prix n'a pas encore été payé (C. civ., art. 1223, al. 1">Lien ) , la réduction du prix est également un acte unilatéral du créancier. Après mise en demeure, il peut notifier au débiteur de l'obligation une réduction du prix proportionnelle à l'imperfection subie, laquelle devra être acceptée par le créancier. À défaut d'accord ou si la prestation est déjà payée, le juge tranchera le litige. Le discernement est de nouveau au cœur de la procédure. Le créancier doit constater l'insuffisance de la prestation pour la confronter à son attente et en déduire une sanction proportionnée.
Algorithmer une réduction de prix dans un smart contract nécessite de prévoir une échelle des sanctions dès la conclusion du contrat. Une telle clause suscite réflexion. Une échelle a un objet quantitatif. L'appréciation qualitative est exclue du champ d'application de la réduction de prix automatisée par le smart contract. La réduction du prix est déconnectée de son contexte. Les circonstances connues au jour de sa mise en place peuvent avoir changé au moment de son application. L'échelonnement aboutit à une standardisation de la sanction.
Les trois modes de résolution ( C. civ., art. 1224 ">Lien ). Décider à l'avance de l'anéantissement de plein droit d'un contrat du seul fait de l'inexécution d'une obligation par l'une des parties est chose courante grâce aux clauses résolutoires. L'efficacité d'une clause résolutoire nécessite la réunion de plusieurs conditions. La clause doit prévoir précisément les conditions dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat (C. civ., art. 1225, al. 1">Lien). Le smart contract est déterministe. Seule la réunion des conditions codées aboutit à la résolution automatique du contrat. L'irréversibilité du processus smart contractuel doit être comprise et acceptée. La clause s'appliquera compte tenu de la volonté initialement exprimée par les parties dans le code informatique sans prendre en compte leur volonté au stade de l'exécution. Si l'une des parties souhaite la résolution du contrat dans des conditions non prévues initialement, il lui appartient de saisir le juge (C. civ., art. 1227">Lien). Néanmoins, son intervention ne suspend pas le processus smart contractuel. Enfin, la résolution doit être précédée d'une mise en demeure restée infructueuse (C. civ., art. 1225, al. 3">Lien). L'objectif est double : souligner auprès du débiteur le risque de résolution du contrat et contraindre le créancier à se comporter de bonne foi dans son exécution. Le contrat doit être préservé autant que faire se peut. La résolution est le dernier recours.
L'article 1224 du Code civil (C. civ., art. 1224">Lien) envisage deux autres cas de résolution. L'un résulte de la notification au débiteur par le créancier (C. civ., art. 1226">Lien). Cette résolution unilatérale semble compatible avec le smart contract dès lors que l'envoi de la mise en demeure puis celui de la notification pourraient être automatisés. En revanche, toute possibilité de retarder l'envoi, de ne pas y procéder, voire de choisir une autre sanction, est retirée au créancier. Au surplus, alors que l'article 1227 du Code civil (C. civ., art. 1227">Lien) prévoit la possibilité de demander la résolution judiciaire du contrat en toute hypothèse, la résolution unilatérale est réservée à une inexécution grave du contrat. Dans la boucle conditionnelle, l'éviction du créancier aboutit à l'omission de la notion de gravité. L'absence de réunion des conditions est une cause suffisante à la résolution automatique du contrat, ce qui pose la question de la licéité de l'automatisation. Elle nécessiterait la mise en place d'une échelle de gravité sans doute difficile à établir en pratique.
L'autre voie de résolution est judiciaire (C. civ., art. 1227">Lien). Les parties ne peuvent automatiser que partiellement la saisine du juge. Elles pourraient désigner par avance l'avocat choisi en cas de litige. Ainsi, il serait constitué automatiquement par l'envoi d'un mandat l'investissant du pouvoir de saisir le juge compétent. Toutefois, l'automatisation aura peu d'intérêt dès lors que l'avocat reprendra la main pour saisir le juge. Il ne s'agit que d'éviter la procrastination du demandeur.
La responsabilité contractuelle par la réparation en dommages et intérêts ( C. civ., art. 1231-1 ">Lien , 1231-2 ">Lien et 1231-3 ">Lien ). Les assurances se sont très vite emparées du smart contract. L'indemnisation se prête à l'automatisation. L'algorithme prend en charge le calcul de l'indemnité et la verse automatiquement en évitant les procédures longues et coûteuses. Au risque d'une standardisation de l'indemnisation s'ajoute celui de la systématisation. Le processus interroge quant à la manière de traiter la prévisibilité du dommage, l'évaluation de la perte ou du gain dont le créancier a été privé, la faute ou encore le lien de causalité.

Les entraves non imputables au débiteur

? Indifférence du smart contract aux causes des difficultés ou de l'impossibilité d'exécution. ? Dans le mécanisme du smart contract, l'automatisation porte soit sur l'exécution du contrat, soit sur la sanction de son inexécution. Personne n'intervient pour apprécier l'imputabilité de la violation contractuelle. Le smart contract applique la boucle conditionnelle prévue initialement. Un contrat ne peut donc rester inexécuté sans conséquence pour le débiteur défaillant. Peu importe que cette défaillance lui soit ou non imputable. Pourtant, l'inexécution peut être due à une cause étrangère au contrat, à un cas fortuit, au fait d'un tiers, voire du créancier lui-même.
Deux situations extérieures au débiteur méritent notre attention : l'imprévision (A) et la force majeure (B) .

Une exécution automatique sans discernement de la réalité des faits

Si un smart contract ne prévoit pas expressément le cas du décès, l'exécution se poursuit indépendamment de la disparition des parties dans le monde physique. Bien que l'article 1210 du Code civil (C. civ., art. 1210) proscrive les engagements perpétuels, les smart contracts peuvent l'être.

L'imprévision

L'ordonnance du 10 février 2016 introduit la théorie de l'imprévision dans le Code civil. Trois conditions cumulatives sont exigées. Il s'agit d'un changement de circonstances rendant l'exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie n'ayant pas accepté d'en assumer le risque. Si les conditions sont réunies, la partie lésée demande une renégociation à son partenaire contractuel. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe (C. civ., art. 1195">Lien). La révision pour imprévision n'est pas d'ordre public. Elle peut être écartée par les parties.

L'imprévision chez nos voisins européens

La révision du contrat par suite d'un changement de circonstances rendant son exécution excessivement onéreuse est admise de longue date par de nombreux systèmes juridiques européens (l'argument du droit comparé a ainsi été avancé par les auteurs de l'ordonnance du 10 février 2016 au soutien de la consécration en droit français de la révision pour imprévision).
Des évolutions jurisprudentielles en Espagne et en Suisse ont abouti à permettre une telle révision. La loi le prévoit en Grèce et au Portugal.
Quatre exemples :
En Allemagne, l'article 313 du BGB (Code civil allemand) prévoit que lorsqu'un changement de circonstances est tel que les parties n'auraient pas contracté dans les mêmes conditions si elles en avaient été informées, une demande d'adaptation du contrat peut être formulée. Lorsque l'adaptation ne peut être réalisée, le contrat peut être résolu unilatéralement par la partie défavorisée.
Aux Pays-Bas, la remise en cause des engagements contractuels en cas d'imprévu doit être indiquée au contrat. Le silence des parties révèle la volonté de l'écarter du contrat. Si l'imprévision est retenue, le juge peut, à la demande de l'une des parties, modifier les effets du contrat ou le résilier en tout ou en partie sur les fondements de la raison et l'équité. Le juge néerlandais utilise peu ce pouvoir en pratique.
Depuis 1942, les articles 1467 à 1469 du Code civil italien régissent l'eccessiva onerosità. Elle concerne les contrats dont l'exécution est continue ou périodique, ou dont l'exécution est différée. Si la prestation des parties est devenue excessivement onéreuse par l'effet d'événements extraordinaires et imprévisibles, la partie débitrice peut demander la résolution du contrat. L'aléa subi doit être anormal. Le créancier peut l'éviter en offrant de modifier selon l'équité les termes du contrat. S'il s'agit d'un contrat dans lequel une seule des parties a assumé des obligations, celle-ci peut demander une réduction de sa prestation ou bien une modification des modalités d'exécution suffisante pour permettre de le reconduire selon l'équité. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux contrats aléatoires par leur nature ou par la volonté des parties.
En droit anglais, le contrat doit être exécuté. Au fil de décisions jurisprudentielles, une doctrine dite de « frustration » a assoupli ce principe. Elle tend à s'appliquer lorsqu'un changement de circonstances perturbe l'exécution du contrat, devenant soit matériellement ou légalement impossible à exécuter (impossibility), soit beaucoup plus onéreuse (impracticability), soit lorsque la contrepartie est devenue dérisoire (frustration of the purpose). Cette dernière n'a jamais été mise en pratique. La doctrine d'impracticability réglemente l'imprévision. Sous certaines conditions, elle admet la possibilité d'un remède judiciaire en cas de changement de circonstances rendant l'exécution non pas impossible, mais extrêmement onéreuse. Elle a été exclue par les tribunaux anglais. Seule l'impossibility a été admise. En cas de recevabilité de l'argument de la doctrine de frustration, le contrat prend fin sans qu'il soit possible de le réviser ou de l'adapter. Quelle que soit la situation, le juge refusera d'intervenir si les parties ont prévu une clause contractuelle gérant l'imprévision.
? L'incompatibilité du smart contract avec la théorie de l'imprévision. ? La théorie de l'imprévision consiste à prendre en considération le déséquilibre du contrat consécutif au changement de circonstances en cours d'exécution du contrat. L'excessive onérosité devant en résulter varie d'un contrat à un autre. Un autre élément subjectif caractérise le mécanisme de l'imprévision. Il s'agit de la bonne foi Ph. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat, essai d'une théorie, LGDJ, 2000, nos 114 et s. dont les parties doivent faire preuve pendant toute la vie du contrat (C. civ., art. 1104">Lien). Une fois le déséquilibre avéré, le fait pour les parties d'en tenir compte dans leurs relations contractuelles relève de la bonne foi R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011, no 400. . Elle commande de renégocier le contrat profondément déséquilibré par suite de modifications extérieures. La renégociation est cruciale. Elle est imposée avant toute action en justice (C. civ., art. 1195">Lien) Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 25, p. 25. sur le fondement de la bonne foi et avec l'objectif de sauver le contrat. Le Code civil envisage le contrat comme un instrument de coopération. Pour les promoteurs du smart contract, la sécurité juridique ne s'obtient que par une exécution inévitable de la convention initiale des parties. La confiance des parties dans l'institution contractuelle dépend de leur conviction à voir leurs engagements s'exécuter. L'incertitude est une source d'instabilité à éviter. Le contrat est un instrument de prévision. Le smart contract est à son service. L'utiliser, c'est opter pour une exécution infaillible du contrat en restant aveugle aux circonstances extérieures. Au stade de l'exécution, seule l'obligation d'exécution demeure V. supra, no . . Dès la réunion des conditions, l'algorithme s'applique sans rechercher si l'opération conserve un intérêt au moment de son exécution. Le Code civil a une vision moins réductrice. Garantir aux parties la révision du contrat excessivement déséquilibré apporte une forme de sécurité juridique et une pérennité au contrat G. Paisant, Introduction au colloque sur l'intangibilité du contrat : Dr. et patrimoine 1998, no 58. .
Le smart contract apparaît incompatible avec l'article 1195 du Code civil (C. civ., art. 1195">Lien), car renégocier le contrat devient impossible une fois la boucle conditionnelle mise en place. Son exécution devient inéluctable. Mais il est possible de prévoir et d'automatiser une obligation de renégociation du contrat dès la conception du smart contract.
? Le smart contract et les clauses de hardship . ? Dans le monde des affaires, les clauses de hardship sont usuelles. Insérées dans les conventions à long terme, elles permettent d'ouvrir une nouvelle négociation lorsque des circonstances extérieures au contrat viennent en bouleverser l'économie générale. Des possibilités de fallback En français : retrait. sont mises en place dans certains logiciels sous le nom de selfdestruct function ou suicide clause. Il s'agit de sorties de secours permettant de stopper un code algorithmique en cours d'exécution. Transposer cette technologie au smart contract est envisageable A. Bayle, Analyse prospective des smart contracts en droit français, Mémoire ss dir. J. Roque, Maître de conférence à la Faculté de droit de Montpellier, 2016-2017, no 156. . Un smart contract pourrait s'interrompre si le déséquilibre entre les prestations délivrées devenait trop important M. Mekki, Le smart contract, objet du droit (Partie 2) : Dalloz IP/IT 2019, p. 27. .

Automatiser l'obligation de renégociation

Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 février 2015, la société demanderesse avait notamment produit au débat une documentation sur le cours mondial des matières premières.
Un smart contract pourrait automatiser l'obligation de renégociation du prix devenu manifestement excessif en fixant des seuils au-delà desquels le contrat initialement négocié deviendrait excessivement onéreux. Le second smart contract pourrait être connecté à la courbe de l'évolution des prix, l'Insee jouant le rôle d'oracle. Si cette courbe atteint le montant prédéterminé par les parties, il interrompt le premier smart contract jusqu'à la négociation d'un nouvel accord.
En revanche, il s'agit de smart contractualiser les conséquences de l'imprévu mais pas l'imprévu lui-même. Le smart contract n'est pas intelligent. Il n'est pas doté de conscience. Il n'a aucune faculté d'étonnement. Le changement de circonstances doit être prévu. Il doit être évalué par les parties par avance. Le déséquilibre produit par ce nouveau paradigme sur le contrat doit donc être quantifiable par les parties. Elles doivent déterminer, au sein du contrat fiat, les événements constituant un changement de circonstances et à partir de quel moment ils rendent le contrat excessivement onéreux.
Le smart contract ne peut appréhender le déséquilibre non acceptable que s'il a été quantifié de manière chiffrée. L'imprévu n'ayant pas été pressenti ne sera pas pris en considération. Or, à la lecture de l'article 1195 du Code civil (C. civ., art. 1195">Lien), l'événement imprévu est celui ne pouvant être raisonnablement imaginé au moment de la conclusion du contrat.
Aucune marge d'appréciation n'est laissée aux parties au stade de l'exécution du contrat.

L'utilisation d'un oblige les parties à prévoir l'imprévisible.

L’évolution jurisprudentielle de la théorie de l’imprévision

Omnio conventio intelligitur rebuc sic stantibus . Cet adage s'impose jusqu'au célèbre arrêt dit Canal de Craponne . La Cour de cassation met alors un coup d'arrêt à la pratique de la révision du contrat par le juge sur le fondement de la force obligatoire du contrat (C. civ., art. 1134, al. 1er, ancien">Lien). Le temps et les circonstances ne doivent pas être pris en considération pour modifier les conventions des parties. Les clauses librement acceptées sont supérieures à l'équité dans le contrat.
Cette analyse du contrat directement guidée par la philosophie individualiste et libérale dominant à l'époque le droit des contrats connaît un léger infléchissement plus d'un siècle plus tard. Le juge découvre une obligation de renégociation en se fondant sur le principe de la bonne foi inhérent au contrat (C. civ., art. 1134, al. 3, ancien">Lien). La portée en était toutefois limitée par les circonstances s'agissant d'un contrat de longue durée contenant une exclusivité en contrepartie de laquelle le débiteur avait réalisé de lourds investissements. En outre, dans cette espèce portant sur un contrat de distribution, la demande était fondée sur le refus du fournisseur de revoir ses prix pour permettre au distributeur de pratiquer des prix concurrentiels. La décision se fondait plus sur le comportement du créancier lui-même que sur le changement de paradigme économique, entraînant la disparition du caractère concurrentiel des prix initialement convenus.
Six ans plus tard, la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme l'obligation de renégociation du contrat sur le fondement du devoir de loyauté.
Le 16 mars 2004, la question d'un contrat tripartite par lequel une commune concédait à une association l'exploitation d'un restaurant à caractère social, sous-concédé à une société, est portée devant la première chambre civile. La société concessionnaire avait résilié unilatéralement le contrat au motif de son impossibilité économique de poursuivre l'activité. Suite au refus de ses cocontractants, l'exploitation s'est poursuivie jusqu'à la cessation définitive d'activité quelques mois plus tard. Porté devant la Cour de cassation, le pourvoi fut rejeté. La société concessionnaire invoquait un déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non « le refus injustifié (…) de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». La première chambre civile de la Cour de cassation motive sa décision au moyen d'arguments analogues à ceux de la chambre commerciale.
En 2010, la Cour de cassation fonde la caducité du contrat sur l'absence de contrepartie au cours de l'exécution du contrat. Il faut rechercher « si l'évolution des circonstances économiques et notamment l'augmentation du coût (…) n'avait pas eu pour effet (…) de déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature (…) et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit (…) ».
Par le jeu du « forçage du contrat », la Cour de cassation a donc modéré la théorie de l'imprévision de manière indirecte, se fondant sur le devoir de bonne foi et non sur le changement imprévisible des circonstances. En revanche, les décisions précitées n'ont pas remis en question la jurisprudence Canal de Craponne écartant la révision judiciaire pour cause d'imprévision.

La force majeure

? Définition. ? L'ordonnance du 10 février 2016 épouse la conception classique de la force majeure. Elle se définit comme un événement irrésistible et imprévisible dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (C. civ., art. 1218">Lien). L'événement n'est pas nécessairement extérieur aux parties (la maladie a déjà été reconnue comme un cas de force majeure) Cass. 1re civ., 10 févr. 1998 : JCP G 1998, I, 185, no 16, obs. G. Viney. . Il doit néanmoins échapper au contrôle du débiteur.
? « À l'impossible, nul n'est tenu ». ? L'événement doit être « insurmontable » et « inévitable » F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 12e éd. 2019, no 749. . Contrairement à l'imprévision, l'exécution du contrat ne doit pas être seulement plus difficile. Elle doit devenir impossible. Peu importe qu'elle soit plus onéreuse. Tant qu'elle ne ruine pas le débiteur, dès lors empêché d'exécuter, il ne s'agit pas d'un cas de force majeure. Certains ont soutenu que cette condition d'irrésistibilité suffirait à elle seule à caractériser la force majeure P.-H. Antonmattei, Contribution à l'étude de la force majeure, LGDJ, 1992, nos 33 et s. . Avant l'ordonnance de 2016, la Cour de cassation l'a parfois admis Cass. 1re civ., 9 mars 1994 : JCP G 1994, I, 3773, no 6, obs. G. Viney.?Cass. 1re civ., 6 nov. 2002 : JCP G 2003, I, 152, no 32, obs. G. Viney. .
? Un événement imprévisible.?L'imprévisibilité est le second élément indispensable pour qualifier la force majeure. Si l'événement était prévisible lors de la formation du contrat, cela signifierait que le débiteur a accepté d'en supporter le risque Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 25. . La force majeure devrait donc être écartée.
? Les effets de la force majeure.?La force majeure entraîne l'exonération de responsabilité du débiteur défaillant (C. civ., art. 1231-1">Lien). Elle suspend l'exécution du contrat ou en entraîne la résolution selon que l'empêchement est temporaire ou définitif (C. civ., art. 1218, al. 2">Lien).
  • soit les conditions prévues au smart contract ne sont pas réalisées. La seconde variable du programme s'active et le débiteur considéré comme défaillant est sanctionné automatiquement ;
  • soit les conditions prévues au smart contract sont réalisées mais le dysfonctionnement suspend l'exécution du programme. La continuation automatique du contrat à la fin de l'incident peut avoir lieu alors qu'elle n'est plus souhaitée par les parties.
? Le smart contract et la force majeure.?S'agissant d'un événement extérieur au processus, le smart contract connaît les mêmes écueils qu'en matière d'imprévision V. supra, no . . Mais l'événement peut également être interne au smart contract sans intervention fautive de l'une ou l'autre partie. Une interruption provisoire de réseau, une cyberattaque ou une corruption des données ont pu être qualifiées d'événements de force majeure M. Mekki, Le smart contract, objet du droit (Partie 2) : Dalloz IP/IT 2019, p. 27. . Provoquant un arrêt de l'exécution du contrat, deux situations peuvent s'ensuivre :
Neutraliser le bug informatique semble possible par des stipulations contractuelles au sein du contrat fiat. Deux smart contracts doivent être prévus en plus de celui programmé initialement. En cas de défaillance technique du premier, un autre contrecarre son exécution au moyen d'une selfdestruct function V. supra, no . . Le troisième poursuit l'exécution du contrat fiat. L'ensemble est totalement automatisé. Un tel montage démontre la possibilité technique de pallier les défaillances d'un système, même immuable et inarrêtable. Néanmoins, il interroge sur la qualification de force majeure. L'anticipation sous-jacente laisse à penser que la situation n'est ni irrésistible ni imprévisible. Elle peut être évitée par des mesures appropriées. Par définition, un réel cas de force majeure ne sera pas prévu au contrat. Il ne sera pas prévu par le smart contract.
Le smart contract apparaît comme le bras armé du contrat en tant qu'acte de prévision V. supra, no . . Mais le contrat est également un acte social demandant une grande flexibilité. L'aspect relationnel a une importance croissante, à l'image des pouvoirs accordés au juge par l'ordonnance du 10 février 2016.

La place du juge dans le contrat

L'ordonnance du 10 février 2016 Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 26. fait une place prépondérante au juge. Sa mission de maintenir l'équilibre voulu initialement par les parties au cours de l'exécution du contrat requiert une certaine objectivité. Mais le juge forge sa conviction au moyen d'outils subjectifs. À cet effet, il utilise les standards contractuels. Ce sont des notions à contenu variable en grande partie développées par la jurisprudence. La réforme du droit des contrats leur fait la part belle en multipliant les références à ces concepts. Ils sont autant de moyens pour le juge de sécuriser et/ou de moraliser la relation contractuelle (§ I) . À l'inverse, l'utilisation du smart contract remet en cause l'office du juge, considérant que le contrat est exclusivement la chose des parties V. supra, no . . Annihiler la composante humaine au stade de l'exécution est un argument fort du smart contract pour garantir l'efficacité du contrat (§ II) .

Le smart contract et les standards juridiques

? Définition. ? Le standard est un étalon. C'est une norme souple fondée sur un critère intentionnellement indéterminé que le juge applique espèce par espèce à la lumière de données extralégales, voire extrajuridiques Assoc. H. Capitant, G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 13e éd., 2020, p. 979. . Le droit des contrats est riche de ces notions à contenu variable, telles que la bonne foi (C. civ., art. 1104">Lien), l'importance déterminante (C. civ., art. 1112-1">Lien), le raisonnable (C. civ., art. 1116">Lien, 1211">Lien, 1222">Lien et 1231">Lien), les circonstances particulières (C. civ., art. 1120">Lien), l'avantage manifestement excessif (C. civ., art. 1130">Lien), l'obligation essentielle (C. civ., art. 1170">Lien), le déséquilibre significatif (C. civ., art. 1171">Lien), la disproportion manifeste (C. civ., art. 1221">Lien), ou encore la gravité suffisante (C. civ., art. 1219">Lien, 1220">Lien et 1226">Lien), la force majeure (C. civ., art. 1218">Lien)… Le standard permet au juge du fond, dans son pouvoir souverain, de replacer un contrat dans son contexte factuel et d'apprécier le comportement des parties dans ce cadre, de manière pragmatique. Positionner le contrat face à la réalité d'une situation, en analysant les nuances propres à chaque espèce, peut favoriser la sécurité juridique et l'efficacité du contrat. L'application du contrat n'est pas la seule fin. Le contrat est un acte de prévision servant des objectifs humains. L'appréciation du juge peut conforter cette part d'humanité.
? Le smart contract face aux standards contractuels. ? Le smart contract tend à objectiver le processus contractuel. Il applique le contrat, rien que le contrat. Sauf à objectiver le comportement des parties afin de l'inscrire dans la boucle conditionnelle, il est exclu du processus V. supra, no . .
Enfermer des comportements dans des statistiques aboutirait nécessairement à des injustices. L'automaticité du mécanisme tend également à évincer le juge. L'opération programmée initialement ne supporte pas les référentiels de valeur subjectifs des standards contractuels. Les conditions sont convenues à l'avance. Si une condition est prévue, elle doit être exécutée. Peu importe la gravité de son inexécution. Si un délai est stipulé, il doit être respecté. S'il n'était pas raisonnable, il n'aurait pas été accepté V. supra, nos et s. . Le smart contract prend le contre-pied des standards juridiques. La sécurité offerte résulte de l'invariabilité du mécanisme.

Objectiver la bonne foi notamment reviendrait à stéréotyper une attitude et à standardiser des situations.

L’algorithme à l’épreuve des standards juridiques

La bonne foi (C. civ., art. 1104">Lien), l'importance déterminante (C. civ., art. 1112-1">Lien), le raisonnable (C. civ., art. 1116">Lien, 1211">Lien, 1222">Lien et 1231">Lien), les circonstances particulières (C. civ., art. 1120">Lien), l'avantage manifestement excessif (C. civ., art. 1130">Lien), l'obligation essentielle (C. civ., art. 1170">Lien), le déséquilibre significatif (C. civ., art. 1171">Lien), la disproportion manifeste (C. civ., art. 1221">Lien), la gravité suffisante (C. civ., art. 1219">Lien, 1220">Lien et 1226">Lien), la force majeure (C. civ., art. 1218">Lien)… sont autant de notions sujettes à l'interprétation du juge. La marge de manœuvre laissée au juge témoigne de la volonté du législateur d'envisager le contrat comme une norme de référence. Pour aboutir à un résultat équitable et respectueux des prévisions contractuelles, le juge adapte sa décision compte tenu du comportement des parties et du contexte (éventuellement fluctuant) entre la conclusion et l'exécution du contrat. Autant de données factuelles, subjectives, qui sont difficilement saisissables par le smart contract.
Le standard du raisonnable. Antérieurement à l'ordonnance de 2016, cette notion était fréquente dans la jurisprudence de la Cour de cassation au sujet des différents délais jalonnant la vie du contrat. Elle considérait par exemple qu'une offre imprécise quant au délai d'acceptation devait en tout état de cause être maintenue pendant un « délai raisonnable ». Par ailleurs, la « personne raisonnable » d'aujourd'hui (C. civ., art. 1188">Lien, 1197">Lien, 1252">Lien et 1301-1">Lien) est le « bon père de famille » d'hier, profondément humain. Présente dans de nombreux articles du Code civil, cette notion « incarne la règle de droit calibrée à la situation ». Elle fait référence à une moyenne. Elle appelle le bon sens et la logique sans exclure les éventuelles opportunités offertes aux parties. Le juge compare la situation à une certaine « normalité ». Il applique le droit de manière pragmatique, confrontant le contrat à son environnement et au comportement des parties. Le juge applique un critère légal faisant référence à des qualités humaines exclues du processus smart contractuel. Pour le bon fonctionnement de celui-ci, tous les délais doivent être prévus ab initio. Au stade de l'exécution du contrat, le comportement des parties est banni.
L'obligation essentielle. Elle s'apprécie compte tenu du type de contrat, de son contenu, de son économie générale. Mais, en toute hypothèse, en l'absence d'une obligation essentielle, le contrat ne peut déployer son utilité fondamentale. Minorer la portée de l'obligation essentielle reviendrait à nier la raison pour laquelle le contrat a été conclu. Or le contrat n'est pas une fin en soi, il est un outil de prévision permettant aux parties d'atteindre leurs objectifs. Le smart contract ne saurait traduire les objectifs des parties dans toute leur diversité et leur complexité. Il applique une boucle conditionnelle aveuglément. L'essentiel et son contraire, le dérisoire (C. civ., art. 1169">Lien) sont des notions subjectives dont le programme informatique rend difficilement compte.
La disproportion manifeste. Dans une pure tradition volontariste, un débiteur ne peut se soustraire à une obligation qu'il a volontairement contractée. Il doit exécuter, fût-ce en y étant contraint par le créancier, peu important ce qu'il lui en coûte. L'ordonnance du 10 février 2016 a délaissé cette approche en tempérant le principe d'exécution forcée en nature par une exception de disproportion : le juge doit contrôler le rapport entre le coût de cette exécution pour le débiteur de bonne foi et l'intérêt qu'elle présente pour le créancier (C. civ., art. 1221">Lien). Par ce biais, le juge vérifie la proportionnalité entre les intérêts de chacune des parties et la sanction choisie.
Le résultat de cette appréciation peut varier en fonction de la situation de chacune des parties ou des raisons ayant motivé leurs engagements. Or l'intention des cocontractants autant que leurs intérêts n'étant pas quantifiable, le smart contract ne saurait respecter l'exception de disproportion prescrite par le Code civil.
La gravité suffisante. Le smart contract ignore ce qui est suffisant autant que ce qui est essentiel. La gravité est « le caractère de ce qui est important, de ce qui ne peut être considéré avec légèreté, de ce qui peut avoir des suites fâcheuses ». Déterminer la « gravité suffisante » nécessite d'évaluer l'importance pour chacun de l'(in)exécution de l'obligation par l'autre. Il s'agit d'une appréciation de la situation factuelle personnelle à chacun. Un algorithme n'a pas de discernement. Le smart contract ne pourra pas déterminer si des actions sont suffisamment graves pour interrompre le processus. Dès lors, sa compatibilité avec les règles du Code civil, imposant une appréciation de la gravité de l'inexécution pour faire jouer l'exception d'inexécution ou provoquer la résolution du contrat, est certainement douteuse.

Les pistes de réflexion pour gagner en souplesse d’exécution

Pour aboutir à plus de souplesse, des adaptations sont envisageables. Actuellement la prévisibilité est un préalable obligatoire à l'utilisation du smart contract. Faire évoluer le smart contract vers plus de souplesse semble envisageable avec certains langages de programmation. Toutefois, le risque d'appauvrissement du droit dû à la simplification des clauses demeure. Il faut veiller à adapter les capacités du code informatique au droit et non l'inverse.
L'intelligence artificielle mérite également attention. Basée sur l'étude de multiples cas, elle est en mesure de saisir les nuances lorsqu'elles lui ont été enseignées. Elle pourrait donc permettre au code de gagner en autonomie de décision. Cependant, le risque de standardisation est important. L'intelligence artificielle consiste à apprendre des expériences passées pour reproduire dans une situation future. Aucune place n'est laissée à l'innovation dont le juge peut faire preuve. On abandonne l'intelligence du droit au profit de la prévisibilité.
Au-delà de l'amélioration technique que cela nécessite, cela sous-entend également d'adopter une conception plus solidariste du contrat. Cela va à l'encontre de l'esprit du smart contract. Il perd en automaticité, son point fort.

Souplesse des standards juridiques rigidité du

Objectif, sans discernement et dans l'incapacité d'appréhender les données non quantifiables, le smart contract est actuellement incompatible avec la souplesse des standards juridiques. Toutefois, en perpétuelle évolution, il ne faut pas exclure que la technique puisse apporter des nuances à l'inflexibilité du processus. Reste à savoir si cela est souhaitable.
« La liberté contractuelle ne doit pas être un moyen d'asservissement économique des plus faibles aux plus forts, elle doit donc nécessairement comporter des limites » R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011, no 154. . La souplesse du droit des contrats permet d'avoir un outil pragmatique permettant de maintenir un équilibre dans les conventions lors de sa formation, son exécution et son extinction. Les standards juridiques donnent une marge de manœuvre importante au juge jusqu'à forcer le contrat, pouvoir créateur de droits et d'obligations peu compatible avec le smart contract.

Le smart contract et l'office du juge

? L'opposition de deux philosophies. ? Volontariste et libéral, le smart contract propose de trouver la confiance nécessaire au contrat dans l'efficacité de son mécanisme. La négociation a donné lieu à l'engagement des parties car chacune y trouvait son intérêt. L'exécution inéluctable de cet accord est le seul aboutissement possible. Théoriquement, il s'agit d'un constat sans appel. Dans ce contexte, nul besoin d'une autorité régulatrice. La fin de l'immixtion du juge dans le contrat est heureuse.
L'ordonnance du 10 février 2016 consacre l'interventionnisme du juge. De ce point de vue, elle est bien une loi de codification du droit. Le constat est ancien qu'« entre de tels contractants, les uns colossaux, les autres infimes, la liberté contractuelle dev[ient] en réalité unilatérale, ne fonctionnant qu'au profit des forts, réalisant à coup sûr l'écrasement du plus faible. À l'égalité théorique, désormais rompue dans les faits, il fa[ut] substituer l'égalité effective en instituant une politique de réglementation et d'interventionnisme » L. Josserand, Aperçu général des tendances actuelles de la théorie du contrat : RTD civ. 1937, no 1. . Lorsque la relation contractuelle s'effrite, un tiers de confiance, le juge, garantit la sécurité juridique des parties en restituant un équilibre au contrat. Il sanctionne les abus dans la relation des parties (C. civ., art. 1164">Lien, 1165">Lien et 1171">Lien ; C. consom., art. L. 212-1">Lien). Il s'assure de la loyauté dans l'exécution du contrat. Il applique le droit de manière pragmatique, au regard des faits de chaque espèce.

La désintermédiation consolide l'objectivité garantissant elle-même la sécurité juridique. Mais la réalité est souvent plus complexe.

? La flexibilité de la décision judiciaire.?Au soutien de la justice et de l'éthique contractuelles, l'interprétation du contrat dans la limite de la dénaturation Cass. civ., 15 avr. 1872 : DP 1972, 1, 176. (C. civ., art. 1188 et s.">Lien) voire le « forçage du contrat » Par une fiction, le juge peut faire produire au contrat des obligations ayant un lien avec sa finalité et permettant de l'adapter même si elles n'ont pas été voulues par les parties. Cette notion, mise en exergue par Josserand dans les années 1920, permet au juge de découvrir des obligations d'information, de sécurité, de surveillance. Pour aller plus loin : R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011. , au nom de la bonne foi (C. civ., art. 1104">Lien) et de l'équité (C. civ., art. 1194">Lien), sont des moyens forts à la disposition du juge.
Deux manières d'interpréter le contrat d'après la commune intention des parties s'ouvrent au juge (C. civ., art. 1188">Lien). De manière subjective, il se met à la place de chacune des parties pour déterminer ce qu'elles attendaient du contrat. La volonté réelle prime sur celle exprimée Cass. req., 6 févr. 1945 : Gaz. Pal. 1945, 1, 116. . De manière objective, il recherche ce qu'attendrait une personne raisonnable en pareil cas.
Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres ; chacune doit être cohérente avec l'acte dans sa globalité (C. civ., art. 1189, al. 1er ">Lien). Si plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci (C. civ., art. 1189, al. 2">Lien). Lorsqu'une clause peut être comprise de deux manières différentes, le juge doit privilégier le sens la rendant utile (C. civ., art. 1191">Lien).
Mais toutes ces directives d'interprétation ne sont que des conseils. La Cour de cassation ne sanctionne que l'interprétation de la clause claire et précise dans le cadre de son contrôle de dénaturation (C. civ., art. 1192">Lien). Le juge du fond a donc une importante latitude pour interpréter le contrat.
Dans le silence des parties, le juge a même un pouvoir créateur lui permettant de compléter le contrat en se fondant sur l'équité, l'usage ou la loi (C. civ., art. 1194">Lien). Au premier abord contestable, cette pratique s'avère protectrice. Elle a notamment permis de découvrir une obligation de sécurité dans les contrats de transport de personnes. Il ne suffit pas d'arriver à bon port, il faut l'être sain et sauf, même si cela n'est pas inscrit dans le contrat, et ce sans avoir à prouver une faute du transporteur. Le juge découvre cette obligation de sécurité de résultat sur le fondement de l'équité Cass. civ., 21 nov. 1911 : DP 1913, 1, 249, note Sarrut. . De même, lorsque l'obligation d'information en cours d'exécution est absente du contrat, l'équité et la bonne foi la commandent. Les cocontractants se doivent mutuellement les informations nécessaires à la bonne exécution du contrat.
? La rigidité du code informatique. ? Le smart contract ne reflète pas les attentes des parties à l'origine de la conclusion du contrat. Il traduit uniquement de manière opérationnelle les décisions prises. La condition booléenne V. supra, no . propose deux solutions. Les conditions sont réunies : le code s'applique intégralement. Dans le cas contraire, il reste sans effet. Le cas échéant, une sanction peut être automatisée. Le smart contract est constitué de conditions objectives. Claires et précises, elles tendent à évincer le juge. Alors que les articles 1188 à 1192 du Code civil (C. civ., art. 1188 à 1192">Lien) donnent des directives d'interprétation en cas de doute sur le sens du contrat, le smart contract s'exécute indubitablement. Il ne sait pas ce qu'est le doute. La volonté exprimée est nécessairement la volonté réelle. L'interprétation ou le « forçage du contrat » sont écartés. Cette exclusion est présentée comme un point fort du processus. Le contrat est restitué aux parties. Au stade de l'exécution, il leur est pourtant confisqué. Dans le processus smart contractuel, l'interprétation est celle du programmeur codant le contrat fiat V. supra, no et infra, no . . Elle se situe donc au moment de la conception du code et non de son exécution. Non modifiable, le smart contract est intangible au stade de l'exécution. Seul ce qui a été prévu s'applique, ni plus ni moins.
Toute faculté d'étonnement est exclue. Le smart contract n'est pas libre. Il n'a pas d'appréciation sur l'opportunité d'une clause. Il est aveugle aux vices de conception. Si un bug se produit, le smart contract applique le code même si le résultat n'est pas celui souhaité par les parties. Ajouté au fait que le résultat obtenu est irréversible et que la blockchain enregistre des informations sans vérifier l'exactitude de leur contenu, les conséquences peuvent être graves. Le code confond la volonté exprimée et l'intention réelle des parties. Si le code est faussé, il est difficile de rechercher la volonté de son créateur, sauf à se référer au contrat fiat. Il représente le seul lien entre le monde réel et le code informatique. Si le smart contract n'est pas un contrat à part entière V. supra, nos et s. , il ne s'interprète pas. En revanche, le juge peut interpréter le contrat fiat V. supra, nos et s. .
Le code s'exécute objectivement, mais il est partial. En raison des moyens à mettre en œuvre, écrire un smart contract est généralement ouvert à la partie forte dans le contrat. La partie faible peut ne pas être en mesure de déchiffrer le code. Le contrat d'adhésion redouble le risque d'arbitraire et d'insuffisante réciprocité.
En l'état de la technologie, le smart contract est peu compatible avec les principes du droit positif. Le « tout smart contractuel » n'est pas envisageable.
Le droit de la défaillance ne fait pas exception à ce constat. Le smart contract pourrait offrir la possibilité de simplifier les procédures en les automatisant. Mais le processus présente également des incompatibilités avec le droit positif.

Le droit commun épouse une appréciation profondément humaine du contrat.