Le difficile recensement des actifs numériques

Le difficile recensement des actifs numériques

– Le recensement des actifs numériques du défunt grâce à l'exercice par les héritiers de ses données personnelles. – En l'absence de directives du défunt, le II de l'article 85 de la loi informatique et libertés L. no 78-17, 6 janv. 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, art. 85, II. prévoit la possibilité pour les héritiers d'exercer provisoirement l'ensemble des droits de la personne décédée sur ses données personnelles, c'est-à-dire les droits à l'information, à l'accès, à la rectification, à l'effacement, à la limitation, à la portabilité et à l'opposition Pour une étude détaillée : V. supra, nos et s. . Ils pourront notamment accéder aux traitements de données à caractère personnel qui concernent le défunt afin « d'identifier et d'obtenir communication des informations utiles à la liquidation et au partage de la succession. Ils peuvent aussi recevoir communication des biens ou des données s'apparentant à des souvenirs de famille, transmissibles aux héritiers » Sur l'interprétation qu'il convient de retenir de la communication des biens et données, V. supra, no . .
Les héritiers pourront donc théoriquement avoir accès aux informations leur permettant d'identifier les actifs numériques du défunt, mais encore faut-il qu'ils aient connaissance des sites et plateformes qui hébergent de tels actifs.
– L'obligation fiscale de déclaration de certains actifs numériques. – Les actifs numériques doivent en principe être déclarés à l'administration fiscale ce qui devrait, au moins en théorie, faciliter leur recensement. Ce principe se vérifie en particulier s'agissant de la détention de cryptomonnaies telles que le bitcoin sur des plateformes en ligne situées à l'étranger, comme c'est le cas pour les plateformes Coinbase, Bitfinex, Kraken, Bittrex ou encore Bitstamp. Le deuxième alinéa de l'article 1649 A du Code général des impôts prévoit ainsi que : Les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos à l'étranger ».
L'article 150 VH bis du Code général des impôts qui encadre les plus-values issues d'actifs numériques oblige également le contribuable à déclarer les plus-values réalisées dans l'année si celles-ci excèdent un montant total de 305 € (CGI, art. 150 VH bis, II, B et V). .
Ces obligations fiscales liées à la déclaration d'actifs numérique sont cependant peu convaincantes en pratique, car elles ne concernent que certains actifs numériques, les cryptomonnaies en particulier, et reposent sur le bon vouloir du détenteur de ce genre d'actifs qui, en matière fiscale, est toujours peu enclin à la déclaration volontaire…
La matière fiscale n'est donc pas suffisante pour permettre le recensement des actifs numériques d'une personne décédée et l'on remarquera au passage que les proches du défunt peuvent eux-mêmes parfaitement ignorer que le défunt possédait de tels actifs. La détention d'actifs numériques présente en effet la dangereuse particularité de ne laisser aucune trace papier : pas de relevé de compte adressé par la poste ou de chéquier dans un tiroir laissant aux héritiers la piste de comptes ouverts auprès d'une banque.
Peut-on alors se fier aux outils traditionnels à la disposition du notaire chargé de régler une succession pour recenser les actifs numériques ?
Rappelons que le Fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) liste tous les comptes bancaires ouverts en France : comptes courants, comptes d'épargne, comptes titres, etc.
Il indique les opérations d'ouverture, de modification et de clôture d'un compte, en précisant les informations suivantes :
  • nom et adresse de la banque qui gère le compte ;
  • identité du ou des titulaires ;
  • caractéristiques essentielles du compte (numéro, type de compte, etc.) ;
  • date et nature de l'opération déclarée (ouverture, clôture, modification).
Ces informations sont conservées durant toute la durée de vie du compte et pendant dix ans après sa clôture.
Toute personne physique ou morale qui reçoit en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces, a l'obligation de déclarer l'ouverture et la clôture des comptes de toute nature.
Sont notamment visés :
  • la Banque de France ;
  • les comptables publics ;
  • les services financiers de La Poste ;
  • l'ensemble des établissements visés par la loi bancaire du 24 janvier 1984 modifiée ;
  • la Caisse des dépôts et consignations ;
  • les sociétés de Bourse.
– De l'utilité de Ficoba et de Ficovie pour le recensement d'actifs numériques ? – Depuis le 5 août 2016 A. 25 juill. 2016, modifiant A. 14 juin 1982, relatif à l'extension d'un système automatisé de gestion du fichier des comptes bancaires. , les notaires chargés d'établir l'actif successoral en vue du règlement de la succession pour laquelle ils ont été mandatés, ont accès au Fichier des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), afin d'identifier l'ensemble des comptes bancaires ouverts au nom du défunt.
Cette obligation s'est traduite par la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel de gestion du fichier des contrats de capitalisation et d'assurance vie dénommé « Ficovie ».
Depuis un arrêté du 5 janvier 2017, les notaires ont accès à ce fichier.
Ce dispositif permet :
  • d'une part, à un notaire en charge d'une succession d'interroger la base Ficovie afin de savoir si le défunt possédait des contrats de capitalisation ;
  • d'autre part, à un notaire mandaté par un bénéficiaire potentiel d'un contrat d'assurance vie d'interroger la base Ficovie pour connaître l'existence d'éventuels contrats pour lesquels la personne à l'origine de la demande est désignée bénéficiaire.
La mise en place d'un accès à Ficovie pour les notaires a pour finalité la lutte contre la déshérence des contrats d'assurance vie et des contrats de capitalisation.
De même, en matière de contrats de capitalisation et d'assurance vie, le législateur L. fin. rect. 2013, no 2013-1279, 29 déc.2013, art. 10. depuis le 1er janvier 2014, a institué à la charge des organismes d'assurance une obligation de déclaration des contrats détenus en France et de leur encours.

Du bitcoin dans les contrats d'assurance vie ?

Depuis la loi Pacte du 22 mai 2019 les assureurs peuvent désormais proposer des contrats d'assurance vie comprenant des cryptoactifs via des fonds professionnels spécialisés. La détention directe de bitcoins en unités de compte dans un contrat d'assurance vie n'est pas encore possible. L'article 72 de la loi Pacte prévoit la possibilité, pour les gestionnaires de contrats d'assurance vie, de proposer à leurs clients d'investir des unités de compte dans des parts de fonds professionnels, y compris les fonds professionnels de capital investissement (FPCI) et les fonds professionnels spécialisés (FPS). L'article 88 de la loi Pacte permet par ailleurs à ces FPS d'investir dans des actifs numériques, des tokens ou des cryptomonnaies. Les FPCI peuvent également investir en actifs numériques dès lors qu'ils ne dépassent pas 20 % de l'actif. La combinaison de ces deux articles a pour effet de permettre la détention de cryptoactifs dans les contrats d'assurance vie par l'intermédiaire de supports spécialisés.
La consultation de ces fichiers, tant Ficoba que Ficovie, ne permettra pas de recenser l'existence d'actifs virtuels dans le patrimoine du défunt.
En effet, l'obligation déclarative ne s'impose ni aux plateformes d'échange, qui peuvent détenir des portefeuilles de monnaies virtuelles, ni aux différentes blockchains sur lesquelles sont émis les actifs numériques. Rappelons que même si les transactions sont publiques, elles sont pseudonymes et ne permettent pas en théorie de faire le lien entre une adresse et une personne.
De plus, il n'existe aucun registre comparable pour ces actifs. Ainsi, seule la connaissance par les héritiers de ce type d'actifs par suite de la divulgation qu'en aura faite le défunt de son vivant permet d'en assurer le recensement. À défaut, les actifs eux-mêmes avec la valeur qu'ils représentent risquent d'être définitivement perdus Sur le risque de disparition des actifs numériques au décès de leur titulaire, V. infra, no . .
Le notaire chargé de régler la succession n'a donc aucun moyen de connaître l'existence d'actifs numériques pouvant dépendre de la succession. Comme c'est déjà le cas pour d'autres actifs (bijoux, objets d'art ou de collection par exemple), il devra se contenter de la déclaration de ses clients… mais encore faut-il qu'il pense à les interroger sur ce sujet !
– L'inventaire numérique : une solution pour assurer le recensement des actifs numériques. – L'intervention du législateur serait sans doute nécessaire, soit pour inclure les plateformes d'échange permettant la création des portefeuilles d'actifs numériques dans la liste des personnes ayant l'obligation de déclarer l'ouverture et la clôture de ces comptes au Fichier des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), soit pour créer un fichier spécifique pour ce type d'actifs.
Mais à l'heure actuelle, le législateur ne pourrait qu'apporter une solution partielle.
En effet, lorsque les échanges d'actifs numériques sont réalisés directement sur la blockchain sans l'intervention de quiconque (plateforme dématérialisée), sur qui pèsera alors l'obligation de déclaration ?
De plus, rappelons que ces fichiers ne concernent que les comptes ouverts en France par des établissements français. Or, une grande majorité des plateformes d'échange de cryptomonnaies sont situées à l'étranger.
Pour les autres actifs numériques ou « choses numériques » Sur cette notion de « chose numérique », V. supra, nos et s. , tels les comptes de réseaux sociaux, les sites internet, les blogs Sur la notion de blog, V. supra, nos et s. , il en existe un tel nombre et une telle diversité qu'il paraît impossible de tous les recenser après le décès de leur titulaire, à moins que ce dernier en ait informé ses héritiers ou le liquidateur.
Il conviendrait donc idéalement que chacun établisse de son vivant un inventaire de son patrimoine numérique qui permettra de porter à la connaissance des héritiers et/ou du notaire chargé de liquider la succession, la liste des différents actifs numériques qui peuvent constituer au sens large le patrimoine virtuel d'une personne (musique, films, photos, compte de cryptomonnaies, sites web, nom de domaine, abonnements, logiciels, livres numériques, etc.).
Cet inventaire numérique pourrait parfaitement s'intégrer dans un bilan patrimonial global ayant vocation à identifier l'ensemble des biens matériels traditionnels (comptes bancaires, valeurs mobilières, biens immobiliers, etc.) et immatériels d'une personne. Les notaires, conseils des familles et observateurs privilégiés de l'évolution patrimoniale de leurs clients sont sans doute les professionnels tout désignés pour dresser ce bilan patrimonial. Ils pourraient ensuite en assurer la conservation Notons que cette conservation pourrait se faire dans un coffre-fort numérique. V. infra, nos et s. ou le confier à leur client qui le déposera en lieu sûr comme par exemple dans un coffre auprès d'une banque dont seuls le client puis ses héritiers à son décès ont accès. Une mention à cet effet pourrait être inscrite dans le testament pour indiquer au liquidateur l'existence de cet inventaire et l'endroit où il est déposé.
Le niveau de sécurité et de confidentialité attaché au mode de conservation du bilan patrimonial conditionnera inévitablement son contenu, notamment en ce qui concerne l'indication des mots de passe et codes utilisateurs permettant d'accéder aux comptes bancaires ou autres plateformes hébergeant des cryptoactifs. Pour des raisons évidentes de sécurité, il sera en effet recommandé de ne pas mentionner ces dernières indications dans le bilan patrimonial si ce dernier n'est pas conservé dans une stricte confidentialité. Dans ce cas, les mots de passe et codes d'accès pourront être mentionnés dans un testament qui sera de préférence déposé et conservé chez un notaire après avoir été inscrit au fichier des dernières volontés. Si tel n'était pas le cas ou si les mots de passe ont été modifiés, il sera toujours possible pour le liquidateur ou l'héritier, une fois en possession des différents noms d'utilisateurs ou des identifiants répertoriés dans l'inventaire numérique, de récupérer les mots de passe grâce à la fonction « Redéfinir mon mot de passe » ou « Mot de passe oublié » que nous retrouvons la plupart du temps sur les sites internet offrant un accès sécurisé.
– Intérêt de l'inventaire numérique pour la mise en œuvre du mandat de protection future. – Ce bilan patrimonial intégrant un inventaire des biens numériques peut également présenter un intérêt certain lorsqu'il s'agira de déclencher un mandat de protection future (C. civ., art. 477 à 488">Lien). Le mandat pourrait prévoir à cet effet des dispositions spécifiques concernant la gestion des actifs numériques mais aussi des comptes sur réseaux sociaux, et viser l'inventaire numérique ainsi dressé pour permettre au mandataire désigné de remplir sa mission. Le bilan patrimonial établi par le mandant et conservé en lieu sûr serait également une aide précieuse pour le mandataire chargé de procéder à un inventaire des biens de la personne protégée lors de l'ouverture de la mesure (C. civ., art. 486, al. 1">Lien).

L'inventaire du patrimoine numérique proposé par la Chambre des notaires du Québec

Les notaires du Québec proposent déjà à leurs clients de dresser un bilan patrimonial intégrant l'inventaire de leur patrimoine numérique. Ils commencent par établir avec leurs clients un inventaire de leurs avoirs personnels, de leurs actifs numériques, de leurs documents importants et de leurs emplacements à l'aide d'un formulaire qu'ils mettent à leur disposition.
Les comptes bancaires, les cartes de crédit, les polices d'assurance, les placements, les régimes de retraite, les dettes, les contrats et documents légaux, les comptes sur les réseaux sociaux, les photos, etc., y sont mentionnés.
Cet inventaire est réalisé en la forme notariée, mais peut aussi être établi sous seing privé et faire l'objet d'un acte de dépôt.
Puis il est inscrit dans un registre à la Chambre des notaires du Québec.
Ce bilan patrimonial doit être mis à jour périodiquement pour refléter la réalité financière et personnelle de son auteur.
Cet inventaire sert notamment au liquidateur successoral ou à un mandataire si une inaptitude est établie. Il peut aussi servir aux fins de redistribution du patrimoine à la suite d'une séparation ou d'un divorce, par exemple.
Pour expliquer l'intérêt de cet inventaire, la Chambre des notaires du Québec propose le formulaire suivant :
« Évitez à vos proches qu'ils se transforment en détective en cas de décès ou d'inaptitude.
Faites l'inventaire de vos avoirs personnels, des actifs numériques, des documents importants à l'aide du formulaire court ou long du guide. Évitez des recherches laborieuses à votre liquidateur ou mandataire, indiquez-leur l'emplacement de vos biens et documents importants.
Indiquez à vos proches l'existence de :
Vos comptes bancaires, vos cartes de crédit, vos polices d'assurance, vos placements, vos régimes de retraite, vos dettes, votre coffret de sûreté, vos contrats et documents légaux, vos comptes sur les réseaux sociaux, vos photos, etc.
Un inventaire utile en plusieurs circonstances
Cet inventaire servira notamment au liquidateur successoral ou à votre mandataire si votre inaptitude est établie. Il peut aussi servir aux fins de redistribution du patrimoine à la suite d'une séparation ou d'un divorce, par exemple. Un tel document serait également très utile dans l'éventualité d'une réclamation d'assurance, d'un incendie ou d'un autre événement tragique.
Obtenez l'aide de votre notaire
Afin que rien ne vous échappe, vous avez intérêt à consulter un notaire qui recevra votre bilan en forme notariée ou qui révisera votre bilan et l'annexera à un acte de dépôt. Dans un cas comme dans l'autre, le notaire conservera votre bilan dans un lieu sûr dans son greffe (voûte à l'épreuve du feu). Le document est ainsi protégé contre les risques d'intrusion et de destruction. De plus, le notaire inscrira votre bilan dans un registre à la Chambre des notaires du Québec, ce qui facilitera grandement sa recherche éventuelle par le liquidateur ou le mandataire. »