Le développement du « coffre-fort numérique »

Le développement du « coffre-fort numérique »

Les avocats disposent d'un service d'enregistrement, de conservation et d'archivage de l'acte contresigné par avocat. En 2013, la Conférence des Bâtonniers a permis de lancer « AvosActes.fr » www.avosactes.fr/">Lien . Ce service offre à l'ensemble des avocats et à leurs clients, dès l'adhésion de leur barreau, l'accès à un service d'enregistrement, de conservation et d'archivage de l'acte contresigné par avocat pendant soixante-quinze ans, moyennant un coût de 15 € par acte. Cependant, à aucun moment le site internet ne mentionne le terme de « coffre-fort numérique » et encore moins le respect des exigences prescrites par la loi Lemaire du 7 octobre 2016 V. supra, no . . Il ne s'agit donc vraisemblablement pas d'un coffre-fort numérique au sens de la loi.
Pour les huissiers de justice, lorsque les actes sont établis sur support électronique, la conservation des originaux est assurée dans un minutier central établi et contrôlé par la Chambre nationale des huissiers de justice D. no 56-222, 29 févr. 1956, pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers de justice, art. 29-4 (www.legifrance.gouv.fr/loda/art._lc/LEGIARTI000025529107/2012-09-01/">Lien). . Dès avril 2012, les huissiers de justice retiennent le coffre-fort électronique « Communicant » de Cecurity.com pour déployer, dans le cadre de leur nouveau service en ligne « Securact », l'acte authentique numérique. La solution mise en œuvre assure la réception par les clients qui le souhaitent des actes authentiques d'huissier au format électronique ainsi que l'archivage à valeur probante, pour les huissiers, des actes authentiques numériques. En 2014, les huissiers proposent une offre de stockage sous forme de coffre-fort électronique (puis numérique avec la réforme de 2016) fonctionnant en mode autonome et sous leur contrôle www.juriscloud.fr/coffre-fort-numerique-securise/">Lien ; le prestataire (JurisCloud) a conclu un accord de partenariat exclusif avec l'Association Droit électronique et communication (Adec) constituée par et pour les huissiers de justice afin de développer les solutions de dématérialisation nécessaires à la profession. . Ce coffre-fort numérique sous contrôle d'huissier permet de certifier les entrées et sorties du coffre, et de conférer une date certaine par horodatage assurant une authentification future certaine des informations conservées. À ce jour, l'onglet « Coffre-fort numérique » ne semble pas accessible au visiteur internet. À aucun moment le site internet ne mentionne le respect des exigences prescrites par la loi Lemaire du 7 octobre 2016 V. supra, no . .
Le dépôt électronique par acte notarié permet :
  • de donner date certaine aux données déposées, de prouver leur détention par le client à cette date et d'établir la preuve indiscutable de leur conformité au moment de leur restitution à terme ;
  • d'établir un lien juridique et technique entre les données conservées dans le coffre-fort électronique et les preuves déposées au rang des minutes de l'étude ;
  • de restituer à tout moment les documents déposés au client, seules les preuves resteront conservées par l'étude sans limite de temps.
Dès 2006, la Chambre des notaires de Paris lance un service de dépôt de données numérisées, cryptées et stockées, auprès d'une dizaine d'études notariales parisiennes et pour une vingtaine d'entreprises. Textes volumineux, plans d'usine, dessins de vêtements ou œuvres littéraires, tous ces éléments peuvent alors être archivés numériquement, c'est le dépôt électronique notarial https://notairesdugrandparis.fr/sites/default/files/pns_fiche_depot-electronique.pdf">Lien ; http://paris-notaires-services.fr/notaires/depot-electronique-notarial/">Lien . Ce procédé simple et entièrement sous le contrôle du notaire permet à ce dernier de déposer dans le coffre-fort électronique une enveloppe constituée des données du client et des métadonnées d'indexation. Il imprime ensuite les preuves de dépôt (empreintes électroniques des documents et accusés de demande et de mise au coffre-fort). En pratique, il permet d'annexer à l'acte seulement l'arborescence des pièces communiquées pour information des parties, à condition que les copies numérisées de ces mêmes pièces soient déversées dans le coffre-fort numérique.
Aujourd'hui, un seul coffre-fort est ouvert par étude. Seul un notaire de l'étude peut accéder au coffre pour y déposer des documents ou pour effectuer des copies, des restitutions ou des suppressions de dépôts réalisés par son étude. Toutes les opérations sont enregistrées dans une main courante sécurisée (mécanismes de chiffrement et d'intégrité). Le coffre-fort numérique intègre des mécanismes de contrôle permanent d'intégrité de tous les dépôts réalisés. La technologie du coffre-fort électronique répond ainsi aux exigences d'intégrité, de traçabilité, de confidentialité et de portabilité imposées par la loi « Lemaire » V. supra, no . . Cette technologie prévoit également sa constante évolution pour répondre aux avancées technologiques (par ex., le re-chiffrement périodique des dépôts et l'utilisation de nouveaux algorithmes de hachage). Le service de coffre-fort notarial est aujourd'hui l'outil de conservation qui offre la plus haute sécurité tant juridique que technique. Les usages sont multiples. Il permet de protéger aussi bien le patrimoine immatériel des entreprises que les données numériques personnelles des particuliers aux fins d'assurer leur dévolution à leur décès dans le respect des lois, notamment au regard de la problématique actuelle de la « mort numérique » V. supra, nos et s. .
Avec le lancement, en 2008, de l'acte authentique électronique (AAE), les notaires créent le Minutier central électronique du notariat (Micen), sur lequel ils déposent leurs AAE après signature. Le fonctionnement actuel et l'exploitation possible de cette base de données incomparable pour développer l'IA ont été largement commentés lors de la 69e session de l'Assemblée de liaison des notaires de France en 2018 Assemblée de Liaison des notaires de France, 2018, L'intelligence artificielle : dangers ou opportunités pour le notariat ?, 69e session, p. 277 et s. .
Si la profession de notaires semble être aussi avancée en matière de conservation des données numériques, c'est parce qu'elle a dû faire évoluer ses outils de travail pour les mettre en conformité avec les exigences de conservation imposées par les textes régissant cette profession Ord. no 45-2590, 2 nov. 1945 (www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006069175">Lien) ; D. no 71-941, 26 nov. 1971, art. 26 et 28 (www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000511476/2021-01-13/">Lien). . Il convient d'en rappeler les principales caractéristiques pour souligner toute la singularité de cette charge à nulle autre pareille. C'est d'abord une obligation extrêmement longue. Ainsi, le notaire doit conserver ses actes authentiques pendant soixante-quinze ans. Cette durée de conservation s'élève à cent ans lorsque l'acte concerne une personne mineure D. no 79-1037, 3 déc. 1979, relatif à la compétence des services d'archives publics et à la coopération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la communication des archives publiques, art. 17 (www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006062951/2009-08-16/">Lien). . Pendant toute cette longue période, le notaire doit être en mesure de délivrer une copie authentique d'un acte reçu précédemment à toute personne partie à cet acte, ou à l'héritier ou à l'ayant droit d'une partie, le demandant. C'est ensuite une obligation incombant à une profession tout entière en plus d'être une charge personnelle des notaires en exercice. Ainsi, en cas de suppression d'un office, les minutes, pièces et documents sont attribués, à titre provisoire ou définitif, à un ou plusieurs offices D. no 71-942, 26 nov. 1971, relatif aux créations, transferts et suppressions d'office de notaire, à la compétence d'instrumentation et à la résidence des notaires, à la garde et à la transmission des minutes et registres professionnels des notaires, art. 14 (www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000694554/2021-01-16/">Lien). . La continuité de cette charge participe d'une sorte de continuité de la mission de service public incombant à la profession. Cette obligation de conservation est enfin une obligation de résultat. Ainsi, l'acte établi sur support électronique doit être conservé dans des conditions de nature à en préserver l'intégrité et la lisibilité pendant ces soixante-quinze ans a minima. Quelle autre profession en France, voire dans le monde, connaît une obligation aussi contraignante ? Aucune, semble-t-il. Si un avocat décède ou prend sa retraite, personne ne repend ses actes si sa clientèle n'est pas cédée. Même les textes régissant la profession d'huissier de justice prévoient que les actes, exploits et procès-verbaux établis en double original doivent être conservés pour une durée d'au moins trente années D. no 56-222, 29 févr. 1956, pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice, art. 29 (www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000686521/2021-01-16/">Lien) ; D. no 79-1037, 3 déc. 1979, relatif à la compétence des services d'archives publics et à la coopération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la communication des archives publiques, art. 17 (www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006062951/2009-08-16/">Lien). . Aucune administration, à l'exception des services d'archives publics dont c'est la raison d'être, n'a une telle obligation. Chaque notaire sait à quel point il est difficile d'obtenir des collectivités locales des copies d'autorisations d'urbanisme délivrées il y a plus de vingt ans. Quant au coût de cette prestation, il est certain que si un tel service devait être facturé par un prestataire aujourd'hui pendant a minima soixante-quinze ans (type Apple, Google, banques privées…), il ne se résumerait pas à 1 € HT la page ! Si l'obligation légale de conservation des actes et de leurs annexes par les notaires est une fonction ancienne, elle devient résolument moderne grâce aux outils numériques développés par la profession. La profession doit poursuivre ses développements numériques pour accentuer cette singularité professionnelle pour qu'à terme cette charge de conservation devienne plus qu'une obligation, un véritable service offert par la profession à ses clients. La fonction de « mémoire » des dépôts de pièces en matière immobilière 93e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 1997, L'investissement immobilier, § 1424 et s., p. 214 et s.?99e Congrès des notaires de France, Deauville, 2003, La vente d'immeuble, sécurité et transparence, § 1109 et s., p. 85 et s. pourrait ainsi être élargie au droit de la famille, au droit de la propriété intellectuelle…
Les professionnels du droit ont su s'adosser aux nouvelles technologies numériques pour proposer des outils de conservation des données garantissant une meilleure sécurité juridique. Ils doivent cependant être en mesure de poursuivre cette adaptation nécessaire indispensable au renforcement de leur identité et à leur survie.