Le développement des blockchains privées ou de consortium

Le développement des blockchains privées ou de consortium

Les professionnels du droit doivent s'appuyer sur leurs identités et qualités respectives pour proposer de nouveaux outils de conservation sécurisés. Le statut d'officier public des notaires et des huissiers de justice leur confère un avantage indéniable en la matière V. supra, nos et s. .
La profession d'avocat semble avoir lancé une réflexion sur les avantages qu'elle pouvait retirer de la mise en place de la technologie blockchain. Elle laisse le soin aux incubateurs de la profession d'imaginer les outils de demain utilisant cette technologie. Ainsi, à titre d'exemple, peut être cité l'incubateur du barreau de Montpellier www.incubateur-barreaudemontpellier.fr/categories/actualites-11752/articles/legal-hackathon-2019-14-projets-preselectionnes-19.htm">Lien qui avait présélectionné, lors de son Legal Hackathon 2019, quatorze projets dont certains s'appuyaient sur la technologie blockchain (Carpablock, une blockchain de consortium contrôlée par les Carpa pour sécuriser les ordres de mouvement, Reginius, pour la conservation des données imposées par les obligations liées au droit des sociétés, en un seul lieu, sous forme dématérialisée et parfaitement sécurisée…). Si les idées semblent se multiplier, il faut attendre la mise en place concrète de ces blockchains pour connaître les degrés de fiabilité et de sécurité offerts à leurs utilisateurs.
Les huissiers de justice ont très vite compris les bienfaits qu'ils peuvent retirer de la technologie blockchain en matière de preuve. Ils lancent ainsi plusieurs projets intégrant cette technologie.
  • En 2018, Syllex, l'incubateur de la profession, lance un partenariat capitalistique et opérationnel avec la startup Attestis . Cette startup propose aux équipes opérationnelles et juridiques des promoteurs et aux bailleurs sociaux de constater en temps réel la continuité de l'affichage des autorisations d'urbanisme. Une puce intégrée permet la géolocalisation par satellite (Galileo) du panneau d'affichage. Les équipes peuvent constater l'affichage continu sans se déplacer sur le terrain, depuis leur navigateur web ou leurs smartphones iOS et Android. Les données sont ancrées dans une blockchain. Les huissiers procèdent néanmoins à trois constats pour s'assurer de la lisibilité continue des mentions figurant sur le panneau.
  • Toujours en 2018, la profession lance Alertcys. Cet outil permet à un lanceur d'alerte de déposer une alerte sur la plateforme et d'en informer son entreprise tout en garantissant son anonymat. Les entreprises de plus de cinquante salariés et les établissements publics ont l'obligation de mettre en place une procédure garantissant la confidentialité des lanceurs d'alerte. La technologie blockchain permet d'en conserver la trace.
  • En 2019, la profession crée Filecys, un outil permettant d'effectuer un dépôt horodaté de tous types de fichiers utilisant la technologie blockchain. Après avoir créé son compte et déposé son fichier, l'utilisateur obtient un certificat de dépôt et une empreinte numérique dans la blockchain.
Les notaires ont, eux aussi, compris les avantages qu'ils peuvent tirer de cette technologie comme outil de stockage et de transmission d'informations à moindre coût.
  • Le 25 janvier 2017, lors des désormais traditionnelles propositions aux présidentiables, le Conseil supérieur du notariat suggère que le « notariat propose de garantir l'exactitude des informations, dans tous les domaines jugés utiles par l'État, constituant ainsi la Blockchain Notariale, tant pour les pouvoirs publics que pour les utilisateurs ». La même année, le 113e Congrès des notaires de France suggère dans son rapport la création d'une blockchain du notariat. C'est récemment, le 7 juillet 2020, que la Chambre interdépartementale des notaires de Paris a présenté et lancé officiellement la Blockchain Notariale (BCN). Le communiqué de presse précise que « de par son organisation et l'usage de mécanismes de cryptographie très élaborés, il est apparu que la Blockchain est une technologie particulièrement aboutie pour assurer la constitution de preuves, leur conservation et leur restitution, en donnant toutes les garanties de fiabilité et d'inviolabilité, correspondant parfaitement aux usages et aux valeurs de la profession notariale ». La répartition de l'information s'effectue entre vingt-cinq notaires mineurs, chacun disposant d'un matériel spécifique. Plusieurs applications concrètes sont recherchées. La première vise à pouvoir transférer des fichiers volumineux entre notaires et entre les notaires et leurs clients avec la certitude qu'ils n'ont pas été falsifiés. La deuxième permettra de connaître avec exactitude l'ensemble des documents déposés sur une data room et leur traçabilité. Ainsi, dans le monde des affaires, la BCN permettra de suivre la traçabilité des mouvements des actions des sociétés non cotées (application dénommée « Registre »). La troisième a pour objectif de permettre une photographie des documents déposés pour être ensuite versés dans le coffre-fort électronique. Ensuite, en présence d'un smart contract couplé à une blockchain, les débouchés peuvent être nombreux. Plusieurs exemples ont déjà été suggérés par les universitaires et les professionnels. Deux seront repris. Dans le cadre des ventes en état futur d'achèvement, le versement des quotes-parts de prix appelées sera automatiquement exécuté à la suite de l'intégration dans la blockchain de la preuve justificative dûment contrôlée. Dans le cadre d'un avant-contrat classique, l'indemnité d'immobilisation ou le dépôt de garantie sera automatiquement versé à l'une ou l'autre des parties à l'expiration des délais contractuels.
  • En 2018, le Conseil supérieur du notariat lance l'idée d'une blockchain pour les copies authentiques et les copies exécutoires électroniques. Jusqu'à présent, les copies authentiques sont délivrées aux créanciers en format papier, le sceau du notaire étant apposé manuellement. Selon les banques, la classification et la conservation de ces documents sont plus ou moins organisées. Il n'est pas rare en pratique que l'organisme bancaire soit dans l'incapacité de retrouver l'original lorsqu'il s'agit d'engager une voie de recouvrement ou d'accorder la mainlevée de son inscription hypothécaire. C'est la raison pour laquelle le procédé de la blockchain est apparu comme l'outil adéquat permettant de satisfaire les notaires, les huissiers de justice et les banques. Ainsi, tout transfert de la copie exécutoire électronique entre ces professionnels devait faire l'objet d'une inscription sur la Blockchain Notariale. Cette inscription aurait permis de connaître à tout moment de façon incontestable le détenteur de ladite copie. En 2020, le projet initié il y a maintenant deux ans est à l'arrêt. Les banques ne semblent pas être en mesure de s'exprimer d'une seule voix. Des divergences entre organismes bancaires empêchent toute discussion.
? Perspectives d'utilisation de la technologie blockchain pour la profession de notaire. ? Les usages futurs de la technologie blockchain en tant que registre de stockage sont déjà parfaitement identifiés. L'assemblée de liaison des notaires de France les a développés dans son rapport de 2018, précité Assemblée de Liaison des notaires de France, Rapport préc., 2018, p. 272, § 2026 ; Rapp. AN no 1501, déc. 2018, Rapport d'information sur les blockchains, p. 34. . À titre d'exemple, il pourrait être envisagé la création d'une blockchain pour les mandats de protection future et les mandats à effet posthume facilitant les échanges entre le banquier, le notaire et le juge. Ou encore une blockchain pour recevoir et conserver les renonciations à succession, ou le certificat successoral européen. Ou bien une blockchain pour le stockage sécurisé des actes relatifs aux sociétés (statuts ou procès-verbaux d'assemblée générale), afin de faciliter la publication des modifications en partenariat avec les greffes des tribunaux de commerce V. supra, no . . Ou encore une blockchain en matière de délivrance des accords de mainlevée d'hypothèque entre les notaires et les banques.
? Blockchain et actes authentiques. ? Dès l'émergence de la technologie blockchain, certains auteurs ont suggéré que cette technologie était à même de remplacer l'acte authentique notarié. Ainsi, le 13 mai 2016 un amendement avait été déposé à l'Assemblée nationale dans le cadre de la discussion du projet de loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. L'objet de cet amendement était de considérer que toutes les transactions financières Ou les « opérations de règlement d'instruments financiers ou de devises dénouées dans un système de règlement au sens de la directive 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres ». utilisant la technologie dite de la blockchain constituaient des actes authentiques électroniques de la même manière que les actes passés devant notaires www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3785/AN/227.asp">Lien . Cet amendement n'avait finalement pas été soutenu et avait été retiré le 1er juin. Mais l'idée était lancée. Par la suite, de nombreux auteurs ont souligné l'ineptie d'une telle idée sur la base de l'article 1369 du Code civil 113e Congrès des notaires de France, Rapport préc., p. 989, § 3490 ; https://mustaphamekki.openum.ca/files/sites/37/2018/05/L%e2%80%99authenticite-notariale.pdf">Lien . Récemment, dans une réponse écrite publiée le 10 décembre 2019, le ministère de la Justice précise comment il entend encadrer juridiquement la blockchain, lui donner une définition et une force probante légale http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-22103QE.htm">Lien . Alors même que le sujet n'avait pas été soulevé dans la question Entretien entre V. Baufumé et C. Carminati, La blockchain, un outil technologique… et juridique : JCP N 24 juill. 2020, no 30, 1162. , il conclut sa réponse en affirmant que la blockchain « ne peut être assimilée à un acte authentique, en ce que l'officier ministériel participe à l'élaboration de l'acte authentique, garantissant dans une certaine mesure sa validité, son absence de contrariété à l'ordre public ainsi qu'aux droits des tiers, ce qui n'est absolument pas assuré par les blockchains ». L'affirmation univoque devrait ainsi mettre un terme au sujet.