La propriété des données

La propriété des données

– Le BIM, support de données informatiques susceptibles de propriété ? – Le BIM se présente comme l'avatar numérique de l'immeuble et devrait logiquement à ce titre conférer une forme de propriété à son détenteur. Toutefois, la notion de BIM est protéiforme et difficile à rattacher aux catégories traditionnelles des biens immatériels D. Richard, Le BIM à l'épreuve du droit des biens : RD imm. 2018, p. 484. Si l'on se cantonne au BIM, une des notions les plus pertinentes a été développée par le doyen Carbonnier. Il s'agit du concept de biens incorporels absolus. Ces derniers se définissent comme « (…) des droits absolument détachés de tout support matériel ». . En effet, le BIM est une démarche entièrement numérique qui peut renvoyer alternativement à une méthode de construction digitale collaborative, à une base de données ou encore à une maquette 3D de l'immeuble. Comme réceptacle d'un ensemble d'informations, dont la propriété est débattue compte tenu de leur hétérogénéité et de leur impersonnalité J. Frayssinet, A. Lucas et J. Devèze, Droit de l'informatique et de l'Internet, PUF, 2001, § 472, p. 271. – P. Catala, Ébauche d'une théorie juridique de l'information, in Le droit à l'épreuve du numérique : Jus ex machina 1998, § 31, p. 242. , le BIM semble difficilement pouvoir être qualifié de bien J.-C. Galloux, Ébauche d'une définition juridique de l'information : D. 1994, 229 : « L'information entre donc dans la catégorie des choses avant de pouvoir être considérée comme bien car toutes les choses qui existent ne sont pas des biens pour le droit ». . La reconnaissance d'un droit de propriété sur les données, parfois présentée comme une mesure de nature à favoriser leur circulation, soulèverait en revanche de multiples difficultés, notamment dans la définition de son champ et de ses titulaires, ainsi que dans son articulation avec le droit de la propriété intellectuelle V. Rapport « Droit de la propriété littéraire et artistique, données et contenus numériques » présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) qui dépend du ministère de la Culture, 11 oct. 2018, Mission présidée par V.-L. Benabou. .
– Qualification des informations ou des données. – Le BIM a recours au numérique et donc au système d'information (SI) qui désigne un ensemble organisé de ressources permettant de collecter, stocker, traiter et distribuer de l'information. Pour autant, les notions de « donnée » et d'« information », ou de « contenu numérique », qui sont souvent employées comme synonymes, ne bénéficient d'aucune définition légale même si elles sont l'objet de nombreux textes nationaux et internationaux Exemple avec la loi no 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui utilise le mot « donnée » cent quarante-deux fois sans en donner une quelconque définition. . La donnée renverrait à « un fait, une notion ou une instruction représentée sous la forme conventionnelle convenant à une communication, à une interprétation ou à un traitement soit par l'homme, soit par des moyens informatiques » Selon la définition de l'Afnor. , et pourrait être décrite comme « … un message porteur de signification dont la valeur patrimoniale est fonction de sa densité informative » E. Daragon, Étude sur le statut juridique de l'information : D. 1998, p. 63. .
– La donnée renvoie à la notion d'information. – La définition et la qualification de l'information posent question depuis les premières lois traitant de la donnée, et notamment la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés P. Catala, Ébauche d'une théorie juridique de l'information : D. 1984, 98, « l'information est un bien en soi, immatériel certes, mais constituant un produit autonome et antérieur à tous les services dont elle pourra être l'objet (…). L'information est un bien créé et non pas donné. C'est un produit de l'activité humaine (…). Mais les éléments régulièrement captés ne deviennent information véritable qu'à travers le deuxième terme de l'appropriation : la formalisation qui les rend communicables ». . Le Sénat avait proposé la définition suivante : « Ensemble composé d'une ou plusieurs unités de traitement automatisé de mémoire, de logiciel, de données, et d'organes d'entrée sortie et de liaisons qui concourent à un résultat déterminé, cet ensemble étant protégé par un dispositif de sécurité » Définition proposée par le Sénat lors de l'élaboration du nouveau Code pénal, V. Rapp. Sénat no 3, 1987-1988, J. Thyraud, p. 52). . On peut également citer la définition issue de la Convention sur la cybercriminalité (dite aussi « convention de Budapest ») signée le 23 novembre 2001, aux termes de laquelle l'expression « données informatiques » caractérise « toute représentation de faits, d'informations ou de concepts sous une forme qui se prête à un traitement informatique, y compris un programme de nature à faire en sorte qu'un système informatique exécute une fonction ».
L'absence de définition légale de la donnée se comprend cependant au regard du but poursuivi ; elle permet d'embrasser large et ainsi de mieux servir la finalité des textes et suivre l'évolution rapide des technologies numériques Rapport « Droit de la propriété littéraire et artistique, données et contenus numériques » présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) qui dépend du ministère de la Culture, 11 oct. 2018, Mission présidée par V.-L. Benabou. . En pratique, la notion de donnée ou d'information répond à des qualifications « spéciales » dotées d'effets propres à chaque catégorie. Nous retiendrons ainsi que toute information renseignée dans la base BIM pourra, selon les circonstances et sa finalité, être une donnée appropriable et susceptible de droits.
– Les attributs d'une propriété sur la base BIM. – Dans l'attente d'une avancée notable des débats théoriques sur la qualification du BIM en tant que bien sous un concept unitaire de propriété, la question est de savoir si le propriétaire d'un BIM bénéficie des attributs d'une propriété qui lui ferait défaut O. de Maison Rouge, La donnée, enjeu cardinal de la cybersécurité : Dalloz IP/IT 2018, p. 170 : « C'est pourquoi il convient ensuite de la qualifier, de manière à la soumettre à un régime juridique ad hoc, et à la préserver, en l'absence de tout droit de propriété. En l'espèce, la préservation prime sur le défaut de réservation ». et qui prend souvent la forme d'une réservation. Du point de vue du maître d'ouvrage qui pense détenir le BIM de son immeuble, la base BIM consiste en un ensemble d'informations ou de données sur un immeuble au format numérique, pouvant être visualisées sous forme d'une maquette. Ce sentiment de propriété est-il corroboré par un exercice plein et véritable des droits associés à la propriété, à savoir l'usus, droit d'user de la chose, le fructus, droit d'en récolter les fruits et l'abusus, droit de disposer de la chose ?
– La contractualisation des attributs de la propriété sur la base BIM. – Le droit d'user, de récolter les fruits et de disposer de la chose va résulter des contrats passés avec les producteurs de la base BIM, tel que le BIM Manager et tous les contributeurs tels que la maîtrise d'œuvre, les entreprises, bureaux d'études, etc. Aussi, il est indispensable de prévoir la cession de tous les droits patrimoniaux de toutes sortes détenus par les contributeurs et créateurs du BIM, et de fixer l'étendue des effets de la cession. La nature de ces droits et les modalités de cession seront analysées plus loin V. infra, nos à . . Le droit d'user de la chose va également résulter du support logiciel qui est l'outil de visualisation et d'utilisation des données en format natif (par opposition aux formats ouverts et universels tels que l'IFC). Il est donc indispensable de maîtriser parfaitement les contrats d'éditeurs de logiciels qui seront conclus en vue d'en garantir la pérennité d'accès, la sécurité et l'interopérabilité. Les fruits de l'utilisation et de l'exploitation des données issues du BIM seront en principe attribués au détenteur de la base de données dans les mêmes conditions que l'utilisation du BIM, sauf à tirer des revenus particuliers de la maquette non prévus par les parties.
– La protection des données du BIM. – Il appartient à l'équipe de BIM Management d'organiser la sécurité de la base de données, pendant la période de production de la maquette, et jusqu'à sa remise au maître d'ouvrage dans sa version finalisée. Le maître d'ouvrage devra ensuite, éventuellement avec tous conseils spécialisés, organiser l'hébergement, l'entretien de la maquette, les logiciels et leur sécurité, antivirus, firewall, etc. Ces mesures visent à assurer la détention pérenne de la maquette et à protéger contre des intrusions et des extractions frauduleuses des données.
Bien qu'elles soient immatérielles et insusceptibles d'appropriation en dehors de mécanismes de défense et de cryptographie, les données informatiques sont aujourd'hui protégées contre une appropriation frauduleuse, par les dispositions de l'article 323-1 du Code pénal qui réprime le fait « d'extraire, de détenir, de reproduire, de transmettre » frauduleusement les données d'un système de traitement automatisé de données (STAD) Le « système de traitement automatisé de données » n'est pas défini par une loi, mais la jurisprudence a déjà pu reconnaître cette qualification pour : un disque dur (CA Douai, 7 oct. 1992) ; un radiotéléphone (CA Paris, 18 nov. 1992) ; le réseau Carte bancaire (T. corr. Paris, 25 févr. 2000). .
Pour la jurisprudence, « l'accès frauduleux, au sens de l'article 323-1 du Code pénal, vise tous les modes de pénétration irréguliers d'un système, que l'accédant travaille déjà sur la même machine mais à un autre système, qu'il procède à distance ou qu'il se branche sur une ligne de télécommunication » Paris, 11e ch., 5 avr. 1994 : LPA 1995, no 80, p. 13, obs. V. Alvarez ; JCP E 1995, I, no 461, obs. M. Vivant et C. Le Stanc ; D. 1994, inf. rap. 130. . Le vol de données est plus sévèrement sanctionné que le vol classique d'un bien. Le risque pénal d'un mauvais usage ou d'un usage frauduleux de la base de données remise ou cédée au maître d'ouvrage doit conduire les parties prenantes à définir précisément les droits et modalités de consultation/alimentation de la maquette aux différentes étapes et après achèvement.