Les éléments d'identification choisis

Les éléments d'identification choisis

La plupart des services numériques « grand public » tels que les messageries en ligne, les forums de discussion, les plateformes de jeux vidéo on-line, les réseaux sociaux… laissent à la personne le choix de son identifiant. Il s'agit avant tout de répondre à un prérequis à l'origine du web visant à garantir à chacun la possibilité de garder son anonymat, voire de se construire une identité virtuelle. De plus, la plupart des services numériques sont ludiques et l'usage de pseudonymes favorise cette approche.
Pour autant le monde digital n'a pas l'exclusivité des situations où la personne est en mesure de se choisir un nom. Si les cas déjà connus de choix de noms peuvent avoir un pendant numérique (Sous-section I) , de nombreuses situations propres au numérique méritent une attention particulière (Sous-section II) .

Les choix de noms traditionnels

Dans certaines situations de la vie réelle, les personnes sont amenées à choisir la dénomination de leur identité apparente. Ce libre choix d'un nom comme expression du souhait de se construire une identité apparente, déconnectée de sa réelle identité, peut parfaitement se retrouver dans le monde numérique : le hacker du monde numérique peut ainsi faire le choix d'un pseudonyme à l'instar du criminel du monde réel qui se choisit un surnom !
Le régime juridique lié au choix du nom d'artiste (§ I) ou à la dénomination de la personne morale (§ II) présente un intérêt particulier en raison de son lien direct avec l'activité économique et de sa transposition évidente dans le monde numérique.

Le nom d'artiste

– Protection juridique du pseudonyme choisi par un artiste. – Selon l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II, qui définit le cadre juridique du nom de famille : « Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance ». Pour autant, les artistes utilisent fréquemment un, voire plusieurs pseudonymes, et peuvent même le faire inscrire sur leur carte nationale d'identité, en sus de leur nom patronymique. Ils peuvent également le protéger en le déposant comme marque selon le Code de la propriété intellectuelle (CPI, art. L. 711-1">Lien).
L'usage des outils numériques par un artiste n'a pas de réelle incidence sur son identité d'artiste : elle est régie par les mêmes règles. Cependant, compte tenu de la nature internationale des services en ligne, l'artiste devra être vigilant sur la loi applicable lors de son inscription en ligne : dans quel pays le service en ligne est-il hébergé, les conditions générales d'utilisation font-elles élection de for ? Il devra être d'autant plus vigilant qu'il pourra être considéré comme agissant en qualité de professionnel.
– Pseudonyme des influenceurs. – Certains artistes naissent en ligne, notamment les influenceurs, plus communément appelés YouTubeurs, Instagrameurs…, selon le nom du réseau social sur lequel ils opèrent. L'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) définit l'influenceur comme « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie. Un influenceur peut agir dans un cadre purement éditorial ou en collaboration avec une marque pour la publication de contenus (placement de produits, participation à la production d'un contenu, diffusion d'un contenu publicitaire, etc.) » F. Meuris-Guerrero, Qui sont les influenceurs ? : Comm. com. électr. juin 2017, no 6, alerte 44. .
Au moment du choix de leur pseudonyme, les influenceurs doivent s'assurer qu'il n'est pas déjà utilisé. « L'arène mondiale » dans laquelle ils vont exercer leur art et l'absence de législation uniforme en la matière doivent les conduire à la prudence en matière de propriété intellectuelle. Pour une diffusion mondiale, il faut être mondialement diffusable. Ainsi la prudence commande à l'influenceur de s'interdire de choisir un pseudonyme déjà utilisé, même s'il n'est pas déposé, et à l'inverse de déposer le sien dès qu'il aura une activité sur le web.
Si leur popularité est liée au succès du média utilisé, elle est également rattachée à leur pseudonyme, comme tout autre artiste. Bien que leur existence médiatique ne soit que virtuelle, ils n'en sont pas moins des sujets de droit, et derrière leur pseudonyme il y a une personne réelle.
Cette qualification de sujet de droit ne fait l'objet d'aucun débat. En matière commerciale, les influenceurs signent des contrats de partenariat ou de publicité avec des marques et exercent sous le contrôle et les contraintes des autorités de régulation de la publicité L. Boulet et L. Frossard, Un an de droit de la publicité : Comm. com. électr. juill. 2017, chron. 9. .

La dénomination de la personne morale

– Nom(s) dans le cadre d'un marché numérique. – Il n'est pas tout à fait exact d'affirmer que la personne morale choisit son nom. En réalité, et si l'on fait abstraction de l'écran de la personnalité morale, ce sont bien les associés qui choisissent le nom de leur société. Qu'il s'agisse de la raison sociale, du sigle, de la dénomination commerciale… le raisonnement est le même.
La rapidité, la facilité et la fluidité apportées par les supports numériques aux échanges commerciaux ont ouvert sur le monde entier le marché de personnes morales qui n'avaient pas initialement vocation à traiter d'affaires internationales. Les entreprises qui se lancent ainsi dans le numérique pour dénationaliser leur activité doivent nécessairement s'adapter et, en premier lieu, adapter leur nom ou a minima s'assurer de sa compatibilité avec les marchés en prospect.
S'agissant des marchés numériques, les entreprises de petite taille peuvent travailler avec les plus grandes par le biais des marketplaces Places de marché en ligne. . L'entreprise fait alors le choix d'intégrer une vitrine de grande envergure en mettant son nom et son identité sur un second plan. Outre les rapports financiers, techniques et de responsabilité entre l'hébergeur et l'hébergé, le contrat de places de marché en ligne Pour aller plus loin dans l'étude du contrat de places de marché en ligne : JCl. Commercial, Fasc. 826. peut déterminer les conditions dans lesquelles la société hébergée communique également sous son nom commercial sur la marketplace V. infra, nos et s. .
À l'opposé, le contrat peut également déterminer les conditions dans lesquelles l'hébergeur peut tirer parti de la notoriété de son partenaire hébergé par la mise en avant de son nom.

Les choix de noms spécifiques sur internet

La pratique d'internet est intimement liée à la notion de compte. Chaque fois que la personne, usager d'internet, souhaite utiliser un service en ligne, comme se connecter à un réseau social, acheter un bien, créer une adresse électronique puis relever le courrier, elle doit créer un compte personnel et ensuite s'identifier pour utiliser ce compte. Cette identification peut se faire au moyen d'un login, d'un pseudonyme (§ I) ou encore d'un avatar (§ II) . Le professionnel qui souhaite exister sur la toile doit par ailleurs créer un site web et choisir un nom de domaine (§ III) .

La différence entre login et pseudonyme

– Définitions du login et du pseudonyme. – Créer un compte nécessite une double étape : celle de la détermination du login et celle du choix du pseudonyme. Bien que proches en apparence, et peut-être en pratique, le login et le pseudonyme sont fondamentalement différents : l'un permet d'être identifié par un service numérique (le login identifie la personne dans les rapports entre la personne utilisatrice et le service), l'autre constitue le nom sous lequel l'utilisateur d'un service numérique se fait connaître des tiers (le pseudonyme identifie la personne dans les rapports entre les différentes personnes utilisatrices d'un service numérique, voire vis-à-vis des tiers).
Alors que dans le langage courant français, et dans la pratique régulièrement constatée, le login correspond au nom d'utilisateur, selon le Linux Information Project Login Definition, Linux Information Project (www.linfo.org/login_def.html">Lien [en anglais]). , le login est le couple nom d'utilisateur/mot de passe. Le principe à retenir est le suivant : le login est a minima la donnée lettrée à entrer par l'utilisateur dans l'ordinateur pour être identifié par un service numérique ; et pour avoir une utilité, cette donnée lettrée doit être complétée par un mot de passe. Selon les services utilisés, le login sera ou bien librement choisi par l'utilisateur, ou bien imposé par le service selon un process logique et intelligible (par ex., attribution comme login de l'adresse électronique de l'utilisateur, ou bien encore son prénom et son nom séparés par un point), ou encore attribué de manière aléatoire. Il peut donc dans certains cas être retrouvé par un utilisateur malveillant, et c'est pour cette raison que l'adjonction d'un mot de passe constitue une mesure de sécurité indispensable.
À la différence du login, le pseudonyme constitue le nom sous lequel l'utilisateur d'un service électronique en ligne veut apparaître et être connu des tiers. Le pseudonyme et le login pourront être identiques dans certains services en ligne ; cette solution présente l'avantage de la simplicité pour l'utilisateur, mais l'inconvénient de l'insécurité. Certains sites ne laissent pas le choix.
Au-delà du login et du pseudonyme, se pose également la question d'une notion plus large qu'est l'avatar.

Le choix de l'avatar

– Définitions de l'avatar. – Originairement un avatar informatique était un personnage représentant un utilisateur d'internet ou d'un service de jeux en ligne V. supra, no . . Il désigne désormais le pseudonyme utilisé sur internet et les réseaux sociaux. En s'inscrivant à un service en ligne, la personne utilisatrice crée elle-même son identité sur ce service. En pratique, à moins qu'il s'agisse d'un service ne laissant pas le choix, l'utilisateur doit en premier lieu choisir de s'inscrire sous sa véritable identité ou sous un pseudonyme à déterminer.
– Opportunité ou non de l'avatar. – En choisissant de s'inscrire sous sa véritable identité, l'utilisateur fait le choix de la transparence vis-à-vis du service sur lequel il s'inscrit. Lorsqu'il s'agit d'un service immatériel dont l'utilisation a pour finalité une conséquence réelle et matérielle (comme un service de vente en ligne, un réseau social professionnel), l'utilisateur a tout intérêt à faire ce choix de la transparence. On peut d'ailleurs observer que le service en ligne a en sa possession tous les éléments pour identifier l'usager (instruments de paiement, adresse de livraison, numéro de téléphone) et qu'une dissimulation d'identité ne pourrait donc pas résister à ce réalisme. Il faut surtout souligner qu'en cas de conflit avec le service en ligne, le choix de la transparence permettra à l'utilisateur d'agir sans avoir à justifier de son identité. À l'inverse lorsqu'il s'agit d'un service ludique, l'utilisateur aura tendance à choisir un pseudonyme.
D'un point de vue économique, le choix par l'utilisateur entre nom réel et pseudonyme aura une incidence sur les retombées financières de son inscription revenant à l'éditeur du service en ligne, notamment dans le cadre de services accessibles gratuitement. En effet ces services tirent en partie leurs revenus de la publicité ciblée qui gagne par définition en efficacité avec la précision de l'identification des utilisateurs et de leurs habitudes. Ainsi, par le jeu du regroupement de données et des analyses statistiques, un utilisateur identifié sous sa véritable identité avec des données personnelles réelles fera l'objet d'une publicité bien ciblée et donc plus rémunératrice pour l'hébergeur.
Ces entreprises regroupent également les informations qu'elles ont collectées pour chaque utilisateur, regroupement largement facilité et fiabilisé par l'usage systématique du même avatar.
– Statut de l'avatar. – L'usage récurrent du même avatar, autre que le nom réel, donne de la consistance à ce personnage créé pour internet. Pour autant, et même si l'avatar devient un nom et une personne connue, il ne saurait constituer une seconde personne sujette de droit totalement dissociée de la première V. supra, no . .

L'avatar est le reflet dans le monde numérique de la personne sujet de droit dans le monde réel.

Le nom de domaine

– Statut du nom de domaine. – Le numérique, et plus particulièrement internet, a apporté une nouvelle identité aux entreprises : le nom de domaine De manière générale, toute personne physique ou morale peut acheter un nom de domaine, et cela dans un cadre professionnel, institutionnel, associatif ou strictement personnel, sauf restrictions particulières imposées par l'Icann ou l'un de ses délégués. La notion d'entreprise doit être prise dans sa définition la plus large dans le cadre de ce développement. . À mi-chemin entre l'adresse et le nom commercial, le nom de domaine est bien souvent le seul nom connu par le grand public. En cette qualité, il est une composante essentielle de l'identité numérique d'une entreprise.
Concernant sa protection en France, la cour d'appel de Paris a assimilé le régime juridique du nom de domaine à celui du nom commercial ou de l'enseigne en jugeant que « seul est protégeable un nom de domaine distinctif » CA Paris, 14e ch. A, 25 mai 2005, SA OGF c/ SEM des pompes funèbres de la ville de Paris : JurisData no 2005-280879. – I. Meunier-Cœur, Enterrement d'une jurisprudence hérétique ? : Propr. industr. juin 2006, no 6, alerte 51. .
À l'échelle d'internet, et donc internationale, le nom de domaine bénéficie de statuts juridiques autonomes déterminés par son suffixe (« .fr » ; « .com » ; « .de » ; etc.). Le suffixe est l'élément qui va permettre d'identifier avec précision quel organisme a la charge de sa gestion et de son enregistrement et de quel État il dépend.
L'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann) Site internet de l'Icann en français : www.icann.org/fr">Lien a notamment la charge de l'attribution des noms de domaine dits « de premier niveau ». Elle délivre en effet un droit de délégation sur la vente des noms de domaine aux organisations qui en auront la charge à plus petite échelle. Initialement créé avec le concours du gouvernement des États-Unis d'Amérique et sous contrat avec le Département du commerce américain, l'Icann est un organisme considéré comme indépendant depuis la fin de ce contrat (1er octobre 2016). L'indépendance ou non de cet organisme fait l'objet d'enjeux internationaux complexes repris dans le rapport parlementaire du sénateur Colette Mélot établi en vue d'une proposition de résolution sur la nécessaire réforme de la gouvernance de l'internet Rapp. Sénat no 81, session ordinaire 2014-2015, fait au nom de la commission des Affaires européennes sur la proposition de résolution de C. Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues, présentée en application de l'article 73 quinquies du règlement, sur la nécessaire réforme de la gouvernance de l'internet, par C. Mélot, sénateur, enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2014. . La situation est à ce jour inchangée.
– Les noms de domaine en « .fr ». – La gestion des noms de domaine en « .fr » est déléguée à l'Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) A. 5 avr. 2017, prorogeant la désignation de l'office d'enregistrement chargé d'attribuer et de gérer les noms de domaine au sein du domaine de premier niveau du système d'adressage par domaines de l'internet correspondant au « .fr » : JO 15 avr. 2017, no 3. . S'agissant d'une association de droit français, son activité est réglementée par le législateur et les tribunaux français. L'Afnic a fait l'objet de vives critiques pour sa rigidité dans l'attribution des noms de domaine, jusqu'à l'ouverture en 2006 des noms de domaine en « .fr » aux particuliers M.-A. Ledieu, Ouverture des.fr aux particuliers : Comm. com. électr. juill. 2006, no 7-8, alerte 155. .