3580 – Premier paradoxe des villes moyennes. – Régulièrement, lors des consultations publiques, les villes moyennes sont plébiscitées par les Français pour leur qualité de vie. Sportives976, à taille humaine977, plus sûres que les grandes villes, souvent préservées sur le plan environnemental, pourvoyeuses de maisons individuelles à satiété, abordables financièrement, elles seraient « le rêve des jeunes familles actives »978. Et pourtant, la population française se détourne de la plupart d’entre elles979.
Même lorsque les villes moyennes mononucléaires980ne perdent pas de population, leurs centres-villes s’essoufflent ou se meurent. La périphérie, objet de critiques acerbes, draine en effet la majeure partie de la croissance.
3581 – Second paradoxe des villes moyennes. – Les pouvoirs publics affichent constamment leur souhait de développer les villes moyennes au nom de l’équilibre de l’armature territoriale. Pourtant, elles ne constituent pas la priorité de l’aménagement du territoire981. La primauté est largement donnée aux métropoles. La revitalisation des villes moyennes est au stade de l’expérimentation982et du saupoudrage financier983, alors que les élus demandent « un plan Marshall des centres-villes »984.
3582 – Une disparité de situations géographiques. – Sur les 807 villes moyennes comptabilisées par l’INSEE, 454 sont des villes banlieues. Elles se différencient des 296 villes-centres et des cinquante-sept villes isolées (pour la distinction, V. n° a3018). Intégrées à des aires urbaines plus denses, elles échappent aux difficultés classiques des villes moyennes étendues.
3583 – Une disparité de situations économiques. – Économiquement, les villes moyennes se répartissent en trois catégories principales985.
Certaines profitent de la force d’attraction des aires métropolitaines situées à proximité. Elles proposent des emplois comparables à ceux de leurs grandes voisines, principalement dans le domaine des services. Il s’agit principalement des villes-banlieues, mais quelques villes-centres ou isolées entrent dans cette catégorie. Ces agglomérations, comme Castres ou Poitiers, sont généralement en expansion.
Une cinquantaine de villes moyennes, principalement industrielles, ne gagnent ni emplois ni habitants depuis trois décennies, quand elles ne les perdent pas986.
Enfin, d’autres villes moyennes, historiquement à dominante administrative, telles que Carcassonne, Bastia ou Moulins, ont subi le désengagement de l’État, fruit de la révision générale des politiques publiques (RGPP) menée à la fin des années 2000. Certaines d’entre elles ont surnagé grâce à un accompagnement des pouvoirs publics locaux. D’autres sont en déclin plus marqué.
3584 Le commerce de centre-ville est représentatif de la situation économique de la cité.
Souvent, la situation des cœurs marchands des villes moyennes est difficile (Section I). Néanmoins, en dehors des cas où les conditions socio-économiques sont fortement compromises, la revitalisation du centre-ville est possible. Elle dépend principalement de la mobilisation des collectivités publiques (Section II) et des commerçants (Section III).
3585 La situation difficile des centres-villes fait l’objet d’un constat implacable (Sous-section I). Elle résulte d’un cercle vicieux qu’il convient de décrypter (Sous-section II).
3586 – La vacance. – La vacance est le meilleur marqueur des difficultés commerciales des villes moyennes.
En dehors des métropoles, le taux de vacance des locaux commerciaux est en constante augmentation dans les centres-villes sur les dix dernières années, principalement dans les villes moyennes. Ainsi, un rapport rendu public le 20 octobre 2016 dévoile que la part de locaux commerciaux ne trouvant pas preneur est passée de 6,1 % en 2001 à 10,4 % en 2015.
À titre d’exemple, le taux de vacance des locaux commerciaux du centre-ville de Béziers est passé de 9,7 % en 2001 à 24,4 % en 2015.
3587 – Un rapport avec le chômage et la pauvreté. – Le déclin des centres des villes moyennes est indissociablement lié aux difficultés économiques rencontrées par leurs habitants. Ainsi, il n’est pas surprenant d’apprendre que Béziers est aussi l’une des agglomérations les plus pauvres et les plus marquées par le chômage en France987. La proximité d’une métropole dynamique susceptible « d’aspirer » les habitants des villes voisines renforce les risques de déclin988.
3588 Il est toujours infiniment plus difficile de sortir d’un cercle vicieux (§ II) que d’y rentrer (§ I).
3589 – Une entrée toujours involontaire. – Le déclin des commerces de centre-ville est un cercle vicieux s’étalant sur quelques années. Son décryptage le plus représentatif démarre dans une ville moyenne mononucléaire classique, de type ville-centre ou ville isolée989, non classée comme station touristique, et dont le cœur vit grâce à ses occupants et à la venue régulière des habitants de la périphérie :
les habitants les plus diplômés partent vers une plus grande ville leur offrant de meilleures perspectives d’avenir, et notamment des postes dans des sociétés de renommée internationale, n’ayant pratiquement jamais leurs sièges sociaux dans les villes moyennes990 ;
les consommateurs sont moins nombreux et souvent moins fortunés, la désindustrialisation paupérisant plus ou moins la population en fonction du contexte socio-économique local991 ;
quelques commerces ferment à défaut de clientèle, mais aussi parfois à cause de mauvaises conditions d’exploitation et d’un environnement défavorable992 ; ceux restant voient leur rentabilité faiblir et diminuent les animations proposées auparavant ;
la population périphérique, déçue d’un centre-ville moins attractif, y vient moins souvent et s’habitue aux centres commerciaux installés à l’extérieur de l’agglomération, très facilement accessibles en automobile et généralement entourés de zones d’activités993 ;
de nouveaux commerces ferment ; les rares établissements s’installant sont des banques ou des assurances, créant des ruptures dans le linéaire commercial du centre-ville ;
le chômage augmente, fragilisant les travailleurs et appauvrissant les consommateurs994 ;
les habitants lassés partent chercher un emploi dans la métropole voisine. La vacance des logements fait ensuite son apparition en centre-ville, accentuée par le fait que les individus revenant dans la commune s’installent en périphérie et ne fréquentent pas le centre-ville995 ;
des services publics ferment eu égard au nombre déclinant d’usagers et aux réformes nationales ;
désespérés de leur ville, d’autres habitants s’en vont vers la métropole voisine996 ;
etc.
3590 – Une sortie forcément volontariste. – Ce tableau simpliste ne prétend bien évidemment à rien d’autre qu’à retracer grossièrement une mécanique avérée à de nombreux endroits. Heureusement, elle connaît parfois des variantes permettant de sortir du cercle infernal. Ainsi, de nombreuses villes refusent le sort qu’on leur promet. Celles réussissant à redynamiser leur centre-ville remplissent les prérequis suivants :
une démographie dynamique et une situation socio-économique favorable, voire une capacité d’attractivité de la ville au-delà de son pourtour immédiat, la demande constituant le facteur principal du développement d’un marché de consommation997 ;
de bonnes conditions économiques d’exploitation et un environnement urbain adapté998 ;
un équilibre préservé entre périphérie et centralité999.
Lorsque ces conditions sont remplies, une adaptation rapide aux modes actuels de consommation, doublée d’un engagement des élus adapté à la situation de leur territoire, doit permettre une redynamisation.
3591 L’investissement des pouvoirs publics est nécessaire à la redynamisation des centres-villes des villes moyennes. Si certaines mesures dépendent de l’État (Sous-section I), une mobilisation importante des collectivités locales est indispensable (Sous-section II).
3592 – Le L. 101-2 des villes moyennes. – Sans les viser nommément, le législateur s’intéresse néanmoins aux difficultés des villes moyennes. La revitalisation des centres urbains et la qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville, sont en effet des objectifs à atteindre en matière d’urbanisme (C. urb., art. L. 101-2, 1°, b) et 2°).
La préoccupation des pouvoirs publics pour l’esthétique des entrées de villes, d’ores et déjà largement défigurées par la tôle ondulée des zones marchandes vieillissantes, arrive tardivement dans le pays ayant la densité de centres commerciaux la plus importante d’Europe.
Par ailleurs, la revitalisation des centres-villes dépend tellement des particularités locales qu’il est impossible de généraliser une politique publique efficiente partout. Il conviendrait que l’État mobilise des sommes colossales pour désenclaver de nombreuses villes, mais il n’en a guère les moyens financiers. La tentation de saupoudrer les villes d’aides publiques est également vaine : elles seront toujours insuffisantes et conjoncturelles, là où le problème mérite une solution structurelle.
Pour autant, l’engagement de l’État en faveur de ses villes moyennes est nécessaire, pour permettre un meilleur contrôle de l’urbanisme commercial de périphérie (§ I) et influer sur le droit européen (§ II).
3593 – Une régulation à réguler. – En France, la régulation des nouvelles implantations commerciales repose sur un dispositif d’examen des projets supérieurs à 1 000 mètres carrés, exercé par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC)1000. Au niveau départemental, 90 % des dossiers font l’objet d’un avis favorable1001. Ainsi, au regard des critères actuels, seuls 10 % des dossiers déposés ne prennent pas suffisamment en considération l’aménagement du territoire, le développement durable et la protection des consommateurs.
Afin de renforcer la régulation, il serait pertinent de contrôler également la préservation des centres urbains1002.
Par ailleurs, pour atténuer le risque d’un traitement au coup par coup et sans vision d’ensemble des projets, il conviendrait également de modifier le niveau territorial de la commission d’aménagement commercial et d’affecter la mission de contrôle à une commission d’échelon régional.
3594 – De l’instabilité législative pour satisfaire le droit européen. – La volonté de réguler la proposition commerciale par un développement limité de l’offre périphérique se heurte aux principes de concurrence et de libre implantation des commerces, chers au droit européen. Comment permettre aux collectivités locales d’encadrer le développement commercial, sans les autoriser à effectuer préalablement des analyses d’impact sur la vitalité de leur territoire ? Or, sur la base de la directive « Services », la législation européenne impose aux pouvoirs publics cette équation hasardeuse, sinon impossible1003. Et à force de tourner la question dans tous les sens, ils tournent en rond… ou à l’envers.
Ainsi, la loi LME du 4 août 2008, ayant notamment relevé à 1 000 mètres carrés le seuil d’intervention de la CDAC1004, était la réponse à une mise en demeure de la Commission européenne en date du 5 juillet 2006, reprochant à la France d’effectuer des évaluations d’impacts économiques préalables aux implantations soumises à autorisation. Dans la foulée, la loi Grenelle 21005a imposé la définition d’un volet commercial obligatoire dans les SCoT, mais la loi ALUR l’a supprimé dès mars 20141006. La loi ACTPE l’a rétabli trois mois plus tard1007sous forme d’un document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC), mais uniquement à titre facultatif1008 !
3595 – Et les autres pays ? – D’autres pays européens ont également la volonté politique de sauvegarder leurs centres-villes. Attaqués à l’instar de la France pour manquement à la liberté d’établissement1009, l’Allemagne et les Pays-Bas défendent avec fermeté leur système, le jugeant compatible avec le droit européen1010.
3596
Au Royaume-Uni, les promoteurs commerciaux n’ont la possibilité de proposer des implantations en périphérie qu’après avoir prouvé qu’aucun emplacement de centre-ville ne convient. Cette preuve est apportée par une série de tests connus sous la dénomination de Sequential Test, justifiant que l’implantation commerciale prévue est la meilleure possible. Ce n’est qu’à défaut d’emplacement satisfaisant au centre-ville que le promoteur est autorisé à localiser son bâtiment en périphérie, à condition d’avoir surmonté un Impact Test destiné à évaluer les impacts négatifs sur les équilibres locaux dans les cinq ou dix ans suivants.
3597 – La sauvegarde des centres-villes, raison impérieuse d’intérêt général ? – La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la liberté d’établissement était un principe à respecter, mais susceptible d’aménagements proportionnés pour des raisons impérieuses d’intérêt général1011. L’État français serait bien inspiré de s’unir à ses puissants alliés pour que la sauvegarde des centres-villes devienne une raison impérieuse d’intérêt général, au même titre que la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire ou la protection des consommateurs.
3598 – Des situations de vacance hétérogènes. – À partir d’un panel de villes moyennes connaissant des situations proches, des études1012dévoilent des situations de vacance commerciale hétérogènes. L’action de proximité est ainsi décisive, à condition que les élus locaux aient la volonté politique de mettre en œuvre un projet global adapté. Le caractère global du projet est d’autant plus important que le commerce n’est qu’une composante du centre-ville, le centre-ville n’étant lui-même qu’une composante de la ville. Il convient d’adopter une approche multifactorielle, prenant en compte l’aménagement urbain, l’accessibilité, le stationnement et la diversité des services aux usagers. Il est également inutile de se contenter de mesures cosmétiques limitées à l’esthétisme de rue si les difficultés du centre-ville nécessitent une action sur les déterminants structurels.
L’établissement d’un diagnostic précis et la mise en place d’une stratégie globale (§ I) sont les seuls moyens d’adapter les leviers d’intervention (§ II).
3599 Les villes ont toutes des atouts et des points faibles. L’analyse des uns (A) et la juste appréhension des autres (B) sont nécessaires à l’élaboration d’une stratégie globale de l’aire urbaine, commençant par son centre-ville. Car plus le centre brille, plus il irradie ses pourtours.
3600 – Le tourisme. – La France possède un atout majeur, envié du monde entier : elle est façonnée pour le tourisme. Un littoral exceptionnel, de nombreux sites naturels d’une rare beauté, une histoire multiséculaire et une gastronomie extraordinaire font de la découverte des mille recoins du pays une suite d’expériences inoubliables. De fêtes en festivals, de traditions en produits régionaux, de marchés aux bestiaux à tant d’autres particularités locales, beaucoup de villes moyennes françaises partagent cet atout du tourisme. Elles donnent à imaginer des centres-villes grouillant d’une activité régulière. Mais la vision que certains étrangers ont de nos villes moyennes, y compris moyenâgeuses, fait réfléchir. Ainsi, si Albi avait rêvé de faire un jour la une du New York Times1013, c’était probablement pour la beauté de ses briques rouges et de sa cathédrale Sainte-Cécile1014plutôt que pour le désert de son centre-ville.
Sans muséifier un patrimoine devant rester vivant, il est indispensable de valoriser nos villes à la hauteur de leurs qualités intrinsèques.
3601 – Des maux plus ou moins curables. – Malheureusement, toutes les villes françaises ne souffrent pas uniquement de l’exploitation inaboutie d’un patrimoine exceptionnel. Certaines sont plus simplement marquées par des problèmes socio-économiques graves, comme les anciennes villes ouvrières frappées par la désindustrialisation. Une analyse précise des difficultés de ces villes sinistrées est d’autant plus importante que les remèdes doivent être concentrés sur les points les plus sensibles, quitte à limiter le périmètre des interventions1015.
Quand il existe, le déséquilibre commercial entre la périphérie et le centre-ville doit être pointé du doigt. Cette rigueur s’impose également face à la perte de services publics, à l’omniprésence de la voiture, au déficit des places de stationnement ou à l’étroitesse des trottoirs. En effet, avant tout traitement médical, la maladie doit être connue avec le plus de précision possible.
3602 – La politique locale. – Parmi les problèmes des villes moyennes, la vérité conduit à dénoncer l’attitude de certains élus locaux, confondant la responsabilité de redessiner leur commune avec le pouvoir de sacrifier leur territoire.
Les journaux à sensation évoquent parfois les petits arrangements entre amis conduisant à rendre constructible tel terrain plutôt que tel autre. L’engagement véritable de l’immense majorité des élus rend heureusement cette attitude marginale. Mais bien plus souvent, au nom d’une guerre de clochers, on construit des équipements publics d’une ampleur démesurée. La volonté d’attirer de nouveaux habitants engendre régulièrement des dépenses d’aménagement somptuaires, provoquant la foudre des chambres régionales des comptes mais surtout le départ de citoyens étranglés d’impôts.
Le sens de la mesure doit être une qualité partagée par tous les décideurs locaux. Un accès citoyen aux données numériques de la gestion de la ville est sans doute de nature à freiner les ardeurs irraisonnées des édiles1016. L’équilibre est cependant fragile, l’excès de contrôle pouvant engendrer une prudence paralysante, alors même qu’il est nécessaire d’agir.
3603 Au niveau local, la redynamisation des centres-villes passe par la recherche de nouveaux équilibres (A), une accessibilité optimisée (B) et, le cas échéant, une action foncière (C).
3604 – Centre ou périphérie : un choix cornélien. – La périurbanisation n’est pas systématiquement l’ennemie du commerce de centre-ville. En effet, les personnes disposant d’un revenu médian plus élevé choisissent souvent de s’installer en périphérie. Lorsque le centre-ville est attractif et facilement accessible, ces individus constituent une clientèle de choix. À ce titre, il convient de créer de nouveaux équilibres transformant en dilemme cornélien leur choix entre commerces de centre-ville et de périphérie.
Ce rééquilibrage est possible à l’aune des premières difficultés rencontrées par les commerces de périphérie (I), et si les centres-villes redeviennent multifonctionnels (II).
3605 – Une périphérie commerciale décriée. – Les périphéries commerciales sont sans cesse décriées. On leur reproche d’avoir déséquilibré l’offre commerciale au détriment des centres-villes. Quiconque veut comprendre le mécanisme de ce déséquilibre devrait se rendre en Avignon. Que l’accès à la ville se fasse depuis Cavaillon, Carpentras ou Nîmes, il se transforme en une interminable traversée de zones commerciales semblablement inesthétiques. Malgré ses attraits exceptionnels, le centre de la Cité des papes est délaissé par les Avignonnais. Abandonné aux seuls touristes, il présente un taux de vacance commerciale d’environ 10 %.
Devant cette situation, fruit d’un urbanisme passif pendant de nombreuses années, certains élus passent des critiques à l’action, en décidant de moratoires sur les créations et extensions des zones commerciales1017.
3606 – Les premières difficultés économiques des zones commerciales. – Les surfaces commerciales périphériques commencent également à être touchées par la vacance commerciale. En 2014, elle atteignait 7,6 % des galeries des centres commerciaux et des parcs d’activités commerciales, contre 4,3 % en 20011018.
Certaines grandes enseignes répondent déjà à ce déclin relatif en s’adaptant aux nouveaux besoins des clients1019. Ainsi, les nouveaux centres commerciaux, à l’architecture innovante, entrent dans une troisième génération1020. Ils répondent à un « marketing du lieu », diffusent une welcome attitude, transformant l’acte d’achat en une « très belle expérience »1021. C’est notamment la stratégie d’Unibail-Rodamco, décernant un label « shopping 4 étoiles » aux centres commerciaux fournissant une très haute qualité de services aux clients. D’autres veillent à inclure leurs surfaces commerciales dans des projets d’ensemble fondés sur la multifonctionnalité. Tous ont à l’esprit la qualité visuelle et environnementale de leurs immeubles.
3607 – Une défense commune contre un ennemi commun. – Si l’augmentation de la vacance des surfaces commerciales périphériques traduit probablement les prémices de plus grandes difficultés engendrées par les achats en ligne et les livraisons à domicile, cette situation nouvelle crée néanmoins les conditions d’une alliance avec les commerces de centres-villes contre un ennemi commun. À l’instar des tribus en conflit larvé, capables de tout temps de s’unir pour affronter un danger plus périlleux, nombre d’enseignes spécialisées dans le commerce de périphérie réfléchissent aux avantages d’une union d’intérêt avec les commerces de centres-villes. Cette paix des braves en est à ses prémices, mais elle doit être renforcée dans l’intérêt de tous.
En effet, les enseignes commerciales généralistes servent de locomotives pour le redémarrage des centres-villes, les supérettes ayant fait leur retour dans le paysage urbain1022. Les commerçants indépendants déjà installés y trouvent une complémentarité d’offre bienvenue. Les enseignes surfent sur une demande globalement dynamique1023.
Par ailleurs, le retour en centre-ville de ces supérettes contribue à un équilibre constituant, au-delà du problème économique, un enjeu majeur de développement durable. À cet égard, les enseignes généralistes s’attirent la reconnaissance d’élus locaux de plus en plus sensibles au sujet1024, souvent disposés à développer des services de transports en commun entre commerces de périphérie et de centre-ville.
3608 – La valeur du temps. – Le temps est de plus en plus précieux. Sensible à la valeur des heures, différente selon l’usage qui en est fait1025, l’homme moderne ne veut plus gâcher son temps de manière improductive. Or, le temps de déplacement d’une activité à une autre est par nature improductif.
Les grandes surfaces de périphérie ont longtemps surfé sur ce besoin de vitesse. Concentrant en un seul point de vente tous les objets du quotidien, elles ont réduit au maximum le temps de transport consacré aux achats et satisfait ainsi leur clientèle. Dans les centres-villes, seuls les quartiers multifonctionnels juxtaposant les lieux d’activités principales sont susceptibles de les concurrencer. Ainsi, la présence de services de soins, d’éducation, de loisirs et de culture est essentielle pour la redynamisation des cœurs marchands.
3609 – Les gares et espaces multimodaux. – Grâce au développement des chemins de fer partout en France au 19e siècle, les villes moyennes ont très souvent en leur centre une gare susceptible de redevenir un pôle d’activités de premier plan. Un réaménagement de ces gares et des espaces alentour permet en effet de développer la multifonctionnalité.
Le commerce d’itinéraire attend ainsi que les trains regagnent des parts de marché sur l’automobile pour s’y développer. Les enseignes commerciales de qualité peuvent là encore jouer le rôle de locomotives. Parallèlement, des services innovants tels que crèches de commerce, centres de coworking ou bureaux temporaires s’intègrent parfaitement à cet univers.
Les endroits les plus inesthétiques de ces centres névralgiques ont également leur utilité. Ils servent par exemple d’entrepôts logistiques pour les achats effectués dans les magasins voisins.
3610 – Le partage des utilisateurs. – Parfois, les loyers en centre-ville sont trop importants pour permettre la pérennité des commerces. Indépendamment de la prise de conscience des propriétaires qu’un magasin loué à un tarif moindre est préférable à un local vide1026, une solution judicieuse est de diviser le loyer entre plusieurs utilisateurs. Ainsi, un médecin généraliste d’une ville moyenne située au milieu d’une vaste zone rurale a la possibilité de partager son cabinet un ou deux jours par semaine avec un kinésithérapeute et d’en profiter pour effectuer des visites en zone rurale. Il bénéficie ainsi d’un allègement de charges, et la population de deux services complémentaires au lieu d’un1027.
3611 – Le commerce éphémère. – Le commerce éphémère permet l’utilisation d’un local sur une période plus courte que le bail commercial classique. Adossé au système du bail commercial dérogatoire1028, il permet de limiter les risques du locataire incertain de son business model et de tester un marché, un produit ou un emplacement. Le bailleur y trouve également un intérêt, ces boutiques engendrant un passage de curiosité susceptible de réanimer des rues et des locaux délaissés. Il existe aujourd’hui un véritable marché pour la location précaire, particulièrement dans le domaine commercial. Le pop-up store peine néanmoins encore à s’imposer dans les villes moyennes.
3612 – Le stationnement. – Le plan de développement urbain (PDU) est l’outil urbanistique traduisant la politique locale en matière de transport. Les choix des élus relatifs à l’importance des transports en commun et à la place laissée à l’accès et au stationnement de la voiture apparaissent à travers ce document.
Cet outil est fondamental car, même en centre-ville, plus de la moitié des déplacements liés aux achats est réalisée en voiture. L’automobile n’est pas l’ennemie du commerce. Au contraire, le commerce doit s’adapter à l’automobile1029.
En effet, l’automobiliste doit accéder aisément au centre-ville et y stationner tout aussi facilement sans dépenser une fortune1030. À ce titre, il convient notamment de proscrire les « voitures ventouses »1031.
Cependant, si certains voient la facilité d’accès et la gratuité des parkings comme l’alpha et l’oméga de la redynamisation des cœurs de ville marchands1032, l’erreur de perception n’est pas exclue. Ainsi, 78 % des commerçants rouennais considèrent que le déficit de stationnement est le principal frein au shopping, alors que 20 % seulement de leurs clients lui donnent la primauté, contre respectivement 23 %, 17 % et 14 % aux causes suivantes : trop de bruit et de circulation, pas assez d’espace pour marcher, et trop d’obstacles sur les trottoirs1033.
3613 – Une crise de douceur de vivre. – La majorité des adeptes du shopping à Rouen réclame ainsi du plaisir. Ce sondage rejoint l’analyse de certains sociologues estimant que la crise des villes moyennes est la traduction d’une crise de la douceur de vivre1034.
Dans l’esprit de la population, ce plaisir prend de l’importance jusqu’à faire oublier, dans une certaine mesure, l’improductivité des déplacements (V. n° a3608). Ainsi, si les centres-villes redeviennent attractifs au point de faire de la déambulation en leur sein un moment de plaisir, la population n’aura pas l’impression de perdre son temps dans les interstices séparant ses différents points de chute1035.
Rendre certaines artères piétonnières sans déséquilibrer la mobilité participe de cette qualité de vie si recherchée, à condition cependant de pouvoir accéder au centre-ville et y demeurer presque aussi facilement que dans les centres commerciaux périphériques. Les parkings en sous-sol et les immeubles dédiés exclusivement au stationnement, s’ils sont respectivement onéreux et moins rentables que d’autres, répondent néanmoins à ce cahier des charges.
3614 – Les enjeux. – L’intervention publique est nécessaire à la bonne gestion du foncier commercial de centre-ville à plusieurs titres.
Elle permet de veiller à la diversité de l’offre commerciale, pierre angulaire d’un aménagement réussi. Plus généralement, elle assure le maintien d’une mixité fonctionnelle, elle aussi indispensable, notamment au travers de l’accessibilité.
Elle contrecarre enfin le jeu de la libre concurrence dans le cadre d’interventions ciblées permettant un développement commercial attractif et varié1036.
3615 – Les outils de l’intervention publique. – Les outils de l’intervention publique susceptibles d’avoir des répercussions sur le dynamisme des commerces de centre-ville sont multiples, indépendamment de la fiscalité locale ou d’un appui financier ciblé1037.
Il s’agit par exemple d’intégrer dans le plan local d’urbanisme un linéaire commercial excluant les banques, les assurances, voire les agences immobilières1038, pour empêcher les ruptures d’élans marchands. À cet effet, certaines communes négocient systématiquement l’achat des pieds d’immeubles auprès des promoteurs construisant dans des zones prédéfinies1039. Parfois, les mesures sont plus radicales, allant de l’instauration de périmètres de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité (C. urb., art. L. 214-1) à la préemption commerciale.
Mais toutes ces mesures n’ont de sens qu’avec la participation active des principaux intéressés, les commerçants.
3616 Les commerçants sont au centre des leviers permettant de redynamiser leur activité. Leurs actions sont individuelles (Sous-section I) ou collectives (Sous-section II).
3617 – Small is beautiful, altermondialisation et autres vérités de notre temps. – Pour réussir, les commerçants indépendants ne doivent pas copier ce que d’autres font avec plus de moyens, mais cultiver leur différence. C’est en valorisant ce dont ils disposent, en déployant une offre alternative et complémentaire aux propositions commerciales de leurs voisins plus puissants qu’ils ont le maximum de chance de tirer leur épingle du jeu.
Certaines tendances leur sont favorables : l’attractivité des très petites surfaces tenant du label informel small is beautiful, l’essor des valeurs d’alter-consommation, l’évolution du commerce vers les services, la valorisation de l’expérience client, etc.
De nouveaux efforts sont néanmoins nécessaires : étendre les heures d’ouverture pour toucher une clientèle contrainte dans ses horaires, ouvrir le dimanche dans des zones touristiques, fidéliser par des remises ciblées, théâtraliser les vitrines, observer et apprendre des habitudes des consommateurs, etc.
Il convient également de s’adapter à l’air du temps, immédiatement et au fur et à mesure d’une évolution de plus en plus rapide. Ainsi, faire aujourd’hui du commerce sans utiliser le numérique est chimérique. Les smartphones des clients transmettent des informations sur les animations ou promotions à tout moment. Au surplus, les nouvelles technologies sont encore sous-utilisées, alors que la complémentarité des sites marchands et des boutiques physiques ne demande qu’à se développer.
Les petits ruisseaux de clients font les grandes rivières de clientèles. Dès lors, il est fondamental de favoriser les aménités urbaines pour que le client ait vraiment le sentiment d’être le roi ou la reine du shopping.
3618 Les cœurs marchands des villes moyennes sont attractifs dans le cadre d’une coopération de tous leurs acteurs, au premier rang desquels se trouvent les commerçants. Mais si l’attractivité est forcément collective (§ I), un managérat de qualité se révèle primordial (§ II).
3619 – La mutualisation des moyens. – Les centres commerciaux de périphérie disposent de moyens importants les rendant attractifs. À défaut d’en bénéficier ab initio, les commerçants de centre-ville doivent chercher des moyens équivalents dans la mutualisation. Leur attractivité en dépend.
Pourtant, très sensibles à la concurrence, ils n’ont pas cette culture de la mise en commun. Ils en connaissent néanmoins les ressorts, comme le prouvent régulièrement leurs animations commerciales collectives ou les opérations promotionnelles croisées. D’autres mises en commun d’outils sont nécessaires. Ainsi, la digitalisation du commerce physique permettant d’élargir les zones de chalandise est individuelle, mais sa rentabilité économique dépend du nombre de magasins concernés par les livraisons de produits. Cette solution s’applique également aux conciergeries numériques chères au click&collect1040.
3620 – Les locomotives et les wagons. – Les commerces sont dépendants les uns des autres. Sans les locomotives commerciales telles que les supérettes, les métiers de bouche ou les enseignes spécialisées, le train du commerce est à l’arrêt au centre-ville. Et sans la multitude de wagons d’un linéaire commercial diversifié, le convoi ressemble un peu à un train fantôme. Ainsi, la complémentarité d’offres est nécessaire à la fidélisation de la clientèle.
3621 – Les associations de commerçants. – Il existe en France près de 6 000 associations de commerçants. Ce chiffre est impressionnant, mais révèle de grandes disparités. En effet, la réussite d’une association dépend fortement de l’énergie de ses bénévoles et de la volonté des commerçants d’y adhérer.
Elle présente aussi le défaut d’avoir comme unique angle de vision celui des commerçants.
3622 – Les managers de centre-ville. – Apparus il y a une quinzaine d’années en France, les managers de centres-villes coordonnent les efforts et les ressources des acteurs publics et privés en vue de promouvoir le commerce et l’artisanat. Leurs missions sont définies localement par les collectivités les rémunérant. Qu’ils attirent des investisseurs, qu’ils organisent des manifestations, qu’ils conseillent des implantations ou qu’ils chassent les subventions, les managers de centre-ville sont des développeurs d’activités dans le cadre d’un partenariat public/privé.
Compte tenu des enjeux, cette fonction mériterait d’être développée et davantage encadrée. L’Hexagone ne compte en effet que cent cinquante titulaires, agissant de façon dispersée.
1025) Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
(A. de Lamartine, Le lac)