21 Juil Chapitre I – Les villes intelligentes ou smart cities
3360 – Des villes sous haute tension. – Au fil du temps, les villes se sont adaptées à de nombreuses contraintes. Rien ne les préparait néanmoins à absorber en si peu de temps les essors démographique et économique de ces dernières années, produisant des effets de congestion et de surconsommation dans les aires urbaines. Or, ces phénomènes vont encore s’amplifier.
En effet, les Nations unies estiment qu’en 2025, deux milliards et demi d’habitants vivront dans 1 300 villes de plus de 500 000 habitants622. La densité de population accroît la responsabilité des villes dans la consommation des ressources et l’émission des gaz à effet de serre623. Parallèlement, ces villes subissent une augmentation de la pression pesant sur leurs services, infrastructures624, ressources625et environnement626. Les cités périphériques moins équipées, dont les capacités d’investissement sont limitées, souffrent également.
3361 – Les contraintes, moteurs d’une nouvelle croissance ? – Les collectivités locales luttent contre l’augmentation des consommations et, corrélativement, sont confrontées à l’inflation des mesures environnementales. Or, l’indicateur de bien-être devient un marqueur incontournable de la qualité de vie minimale exigée par la population. Au cœur de cet enjeu se trouve le numérique, assurant une meilleure adéquation entre l’offre et la demande et une utilisation optimisée des infrastructures. Le numérique permet de rationaliser, à défaut de rationner.
Ce nouveau paradigme se propage dans les villes et les territoires. À mesure que les ressources s’amenuisent, les consciences s’éveillent et l’intelligence collective investit la smart city.
3362 – L’appel au secours. – Le concept de ville intelligente ou smart city a été évoqué en 2005 par Bill Clinton. À cette occasion, il avait lancé un appel aux géants américains des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour décongestionner les grandes métropoles mondiales afin de diminuer les émissions de CO² et faire économiser du temps et de l’argent aux citoyens et aux communautés locales627. Simple effet de mode ou gadget pour ses détracteurs, la smart city est pourtant déjà une réalité, notamment en Asie, précurseur dans le domaine628. Au-delà des opportunités économiques pour les entreprises de ce secteur629, elle implique de véritables enjeux pour les villes.
3363 – Un concept élargi : des territoires intelligents. – Pour le Parlement européen, une ville intelligente cherche à répondre aux questions d’intérêt général par des solutions numériques, permises grâce à un partenariat entre des acteurs publics et privés630. L’innovation numérique est au service de tous pour relever les défis posés aux territoires : respect de l’environnement, gestion des ressources et de l’énergie, prévention des risques, efficacité des transports, etc. Les métropoles ne sont pas les seules à devoir mettre en œuvre de tels projets. De nombreux élus des territoires ruraux et des villes moyennes engagent également des démarches pertinentes, véritables vitrines des territoires d’intelligences631.
3364 La smart city apporte une pierre supplémentaire à l’édifice de la ville vertueuse. Elle s’appuie principalement sur les nouvelles technologies numériques. Il s’agit par définition d’une ville connectée au bénéfice du citoyen (Section I), permettant l’optimisation de nombreux services (Section II).
3365 La nouvelle ambition des collectivités est de gérer de la donnée dans le cadre des décisions publiques. Ainsi, la donnée est collectée et traitée (§ I), permettant aux usagers de l’exploiter (§ II).
3366 – La donnée : un moyen. – Une ville est performante pour ses citoyens lorsqu’elle arrive à quantifier leurs besoins et à adapter ses moyens pour les satisfaire632. La smart city repose sur la collecte et l’exploitation des données des différents réseaux connectés, dénommés les smart grids. Les collectivités installent une multitude de capteurs dans l’espace public et les réseaux de distribution. L’accès et le partage des données sont les piliers de l’efficience de la smart city633. Permettre que la donnée soit au service de l’intérêt général implique ensuite un traitement intelligent. Sa collecte repose sur des principes participatifs et de transparence634. Elle ne doit en aucun cas être intrusive, ni constituer un moyen de contrôle de la vie privée, ce qui conduirait à un véritable cauchemar orwellien635.
3367 – Bienvenue à Data City. – Bienvenue à Data City n’est pas le titre d’un film futuriste, mais simplement une plongée au cœur de la smart city, se construisant autour de la donnée : la data. La révolution numérique permet aux données de circuler en temps réel dans un volume très important. Il s’agit du big data. La data est ouverte lorsqu’elle est gratuite et librement accessible aux usagers. On parle de l’open data. À partir des sources de données, des applications renseignent en temps réel, des algorithmes dégagent des scénarios parfois prédictifs facilitant ainsi la vie des usagers au quotidien : c’est la data science. L’intérêt général mis en avant par la smart city repose sur une exploitation encadrée de la data, par les collectivités elles-mêmes ou par leurs délégataires.
3368 – La donnée, le faux-ami pour une politique publique ? – Dévolus traditionnellement aux collectivités, les services urbains sont aujourd’hui concurrencés par les nouveaux acteurs du numérique, start-up et autres plates-formes collaboratives636. Leur développement les rapproche du citoyen, leur permettant ainsi de lui facturer des services. Cette captation de valeur menace le financement déjà fragilisé des services urbains assurés par les acteurs publics traditionnels soumis pour leur part au système de péréquation637. Or, cette concurrence est née en partie après l’ouverture des données publiques.
3369 – La donnée publique, la donnée privée. – Depuis la loi dite « Macron »638, les entreprises de transport public sont tenues de diffuser gratuitement, dans un format ouvert, des informations relatives notamment à leurs arrêts, leurs horaires en temps réel, aux incidents constatés sur le réseau (C. transports, art. L. 111-5). La loi pour une République numérique favorise également l’open data par la publication systématique et la libre réutilisation des données dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental (CRPA, art. L. 321-1)639. Il est paradoxal que des données publiques d’intérêt général mises gratuitement à disposition de tous soient utilisées par des acteurs privés pour cibler des consommateurs, en dehors de toute recherche d’intérêt public. La question de la gouvernance de la donnée est posée.
3370 – La gouvernance de la donnée. – Au-delà de la question de la sécurisation de la donnée (V. n° a3373), il est nécessaire de réfléchir à un système de gouvernance permettant à la donnée d’intérêt territorial, publique comme privée, d’être librement accessible. Il s’agit du prolongement du constat de la complémentarité des solutions publiques et privées, toutes deux au service du citoyen. Cette donnée d’intérêt territorial pourrait bénéficier d’un véritable statut et être gérée par un service public local de la donnée640.
3371 – Science sans conscience. – La ville intelligente ne se résume pas à la multiplication des capteurs numériques ou des bornes Wi-Fi. Ce sont les citoyens, à la fois clients et usagers, qui rendent la ville intelligente et constituent eux-mêmes un réseau.
S’ils ne s’approprient pas les outils mis à leur disposition, les investissements sont réalisés à fonds perdu. Aussi, avant de se lancer dans une démarche numérique, la collectivité doit en identifier les atouts et les faiblesses.
3372 – L’expression d’un paradoxe. – Si les Français jugent le développement du numérique nécessaire (V. n° a3366), ils sont nettement moins nombreux à vouloir le subir au quotidien. Une étude réalisée par le cabinet Chronos641indique un rejet massif de la ville connectée par les citoyens ne souhaitant pas partager leurs données. Il s’agit d’une situation contradictoire, les utilisateurs refusant le partage. Les citoyens plébiscitent même à l’inverse les villes natures, autosuffisantes, où l’homme serait au cœur du territoire. Il revient ainsi aux pouvoirs publics et aux acteurs privés de faire œuvre de pédagogie pour éviter toute défiance à l’égard d’une société data-centrée.
3373 – La sécurisation de la donnée. – Le défaut de sécurisation de la donnée est une crainte légitime des citoyens, accentuant leur méfiance (V. n° a3644). Les grandes entreprises privées ne sont pas à l’abri de la cybercriminalité, mais elles sont déjà sensibilisées. À l’inverse, nombre de collectivités territoriales perçoivent ou comprennent mal les enjeux de sécurité. La cybersécurité est un enjeu majeur des années à venir pour assurer l’efficacité recherchée par la smart city.
3374 – Le risque de la double fracture numérique. – Un territoire intelligent se doit d’inclure tous ses citoyens. Or, d’après le dernier baromètre du numérique de l’ARCEP, 9,5 % de la population n’a pas accès à la 4G ni à un haut débit642. Outre la possibilité d’un accès simplement technique aux outils numériques, les inégalités sociales méritent également une attention particulière. Les personnes en difficulté financière ou peu familiarisées avec ces nouveaux usages ne doivent pas être oubliées, au risque de souffrir d’une « fracture numérique au second degré »643.
3375 – De l’implication à l’incitation. – L’adhésion citoyenne est un facteur de succès pour toute politique publique. À défaut de réelle conviction, il convient d’inciter et même parfois de contraindre le citoyen. L’incitation est parfois financière, telle que la gestion des déchets ménagers (V. n° a3381). Une adaptation tarifaire allant jusqu’à l’individualisation permet à chaque citoyen de mesurer les effets de son comportement644.
3376 Pour bénéficier des optimisations permises par le numérique (§ II), il est nécessaire d’investir. La collectivité le fait bien volontiers lorsque l’investissement est rentable (§ I)645.
3377 – La contrainte budgétaire. – Le service public basé sur un système de péréquation peut se départir de la notion de rentabilité. Toutefois, la baisse des dotations de l’État impose aux collectivités de vérifier le rendement d’un euro dépensé pour arbitrer les investissements à réaliser. Si un euro est égal à un euro, le déploiement du numérique est l’occasion de s’interroger sur la rentabilité socio-économique, créatrice de valeur collective.
3378 – La rentabilité, aide à la décision politique. – Les démarches d’évaluation socio-économiques permettent de juger si un projet crée plus de valeur qu’il ne coûte à lacollectivité. Le coût n’est pas uniquement financier, il est également social, environnemental, etc. Ces coûts sont convertis et exprimés dans une unité monétaire commune, attribuant une valeur de référence au temps ou à la tonne de CO²646. La valeur collective créée prend en compte le bien-être des utilisateurs, les impacts sur le tissu économique du territoire, les dépenses évitées, les bénéfices environnementaux et l’impact sur les finances publiques647.
3379 – L’exemple de la gestion du stationnement. – L’exemple de la gestion du stationnement étudié sous l’angle de la valeur collective est intéressant. La loi MAPTAM ayant dépénalisé les amendes de stationnement648, il appartient aux collectivités de fixer le montant de la redevance due en cas d’infraction. La mise en place d’un observatoire de la mobilité à Strasbourg permet de collecter des données classiques sur le stationnement (taux d’occupation, de rotation, etc.), mais aussi d’identifier spécifiquement un secteur où le stationnement est moins payé. Des contrôles ciblés sont ainsi mis en place, engendrant des ressources supplémentaires pour la collectivité et une modification du comportement citoyen. Les impacts sociaux et économiques ont été identifiés : temps gagné dans la recherche d’une place, amélioration de la santé publique, baisse des émissions de CO², diminution du bruit, et augmentation des recettes de stationnement. Dans cet exemple, la valeur collective créée pour 1 € investi est évaluée à 1,27 €649.
3380 – Des priorités d’applications variables. – Une étude réalisée par la Caisse des dépôts et consignations indique que les priorités pour le développement et l’amélioration des services diffèrent entre les petites villes et les établissements publics de coopération intercommunale650. Les EPCI placent la gestion des déchets, le transport et l’habitat au centre de leurs actions, tandis que les petites villes ciblent en priorité l’éclairage public, l’environnement et l’habitat. Leurs préoccupations correspondent aux compétences leur étant dévolues : le portefeuille guide l’action…
3381 – La gestion des déchets. – Les collectivités locales assument la responsabilité de l’élimination des déchets ménagers produits par leurs habitants (CGCT, art. L. 2224-13). Pour les déchets, l’apport du numérique est surtout attendu pour la mise en place d’une redevance incitative et la réduction des coûts de collecte651. Concernant la redevance incitative, les dispositifs de télémesure visant à comptabiliser le nombre des levées ou le poids des bacs par foyer sont les plus développés652. La réduction des coûts de collecte résulte principalement de la géolocalisation des camions de ramassage, recensant tous les problèmes de collecte afin d’en optimiser la gestion. Mais de multiples idées émergent. Ainsi, la communauté de communes de Royan Atlantique (Charente-Maritime) utilise un système de surveillance du taux de remplissage des colonnes à verre. La collecte n’est déclenchée qu’une fois les bacs pleins.
3382 – La gestion de l’électricité. – Les dépenses d’éclairage urbain s’élèvent annuellement à deux milliards d’euros, les neuf millions de lampes produisant annuellement 85 000 tonnes de CO²653. Ici encore, le cadre légal fixe des objectifs de réduction des consommations654. Entre les lampes à LED et les réseaux de lampadaires connectés éclairant uniquement en présence d’un usager, des économies d’énergie d’au moins 30 % sont envisagées655. Le coût de l’investissement est certes important pour les collectivités, mais il est vite rentabilisé. Les logiques court-termistes appartiennent dorénavant au passé.
3383 – La gestion de l’eau. – Les évolutions réglementaires contraignent les villes à mettre en œuvre une politique volontariste en matière de gestion des eaux656. L’évolution de l’outil numérique devient un moyen pour les collectivités. En 2015, le délégataire du réseau d’eau de l’agglomération lyonnaise a installé 6 000 capteurs sur les 2 000 kilomètres de canalisations du réseau afin de réduire les fuites. Les volumes annuels perdus ont pu être réduits de un million de mètres cubes, équivalent à 500 000 €, outre le bénéfice environnemental.
3384 – La gestion de la mobilité et du stationnement. – Avec 36 % des émissions de CO², la mobilité routière est en France un sujet économique et environnemental majeur. La gestion de la pollution et des congestions liées aux déplacements urbains est une priorité à l’heure de l’accroissement continu de la population. Le numérique permet assurément de fluidifier le trafic par une meilleure utilisation du réseau existant. L’utilisation de systèmes de guidage intégrant les informations publiques du trafic en temps réel permet une réduction de 15 % des temps de trajet individuel en heure de pointe657. Les nouvelles mobilités partagées (covoiturage, vélo en libre-service, etc.) participent également à la régulation des flux en améliorant le taux de remplissage des véhicules et en réduisant ainsi le nombre en circulation.
La gestion du stationnement, point final de la mobilité, concerne tout autant les grands centres urbains que les petites villes soucieuses de faciliter l’accès aux commerces et services (V. n° a3612). Des applications mobiles prédictives permettent aux automobilistes non seulement d’identifier les emplacements libres, mais également d’optimiser leur chance d’en saisir un malgré la concurrence du trafic658. Aujourd’hui, 10 % des émissions de CO² des voitures coïncident avec la recherche d’un stationnement.
3385 – Le bâtiment intelligent. – L’immobilier dépasse la simple notion de logement ou de local d’activités. Il participe à la création de valeur ajoutée pour ses occupants au travers notamment de solutions numériques. De la domotique au pilotage intelligent, l’évolution du bâtiment contribue aussi à l’intelligence de la ville, concourant ainsi à la rendre durable.
Texte ici