CGV – CGU

Chapitre unique – La densification du bâti existant

Partie I – Les villes compactes
Titre 1 – Les villes densifiées
Sous-titre 2 – Les ressources du foncier bâti
Chapitre unique – La densification du bâti existant

3166 – Le bâti : double ressource foncière. – Contrairement aux apparences, le bâti est une importante source de réserves foncières.

D’une part, toute construction laisse de la place à ses confins, constitués par le dessous, le dessus et les pourtours (Section I). Ainsi, une extension de l’existant est possible sur des espaces délaissés à l’origine, comme techniquement ou juridiquement inconstructibles ou économiquement inintéressants.

D’autre part, certains immeubles ne sont plus au goût du jour. Rejetés par la société, vidés de leur intérêt économique et de leurs occupants, ils se cherchent un nouvel avenir. Indépendamment d’une démolition les ramenant au statut de terrain à bâtir, les constructions existantes sont susceptibles de trouver une nouvelle vie par des réaménagements ou restructurations leur permettant d’obtenir une nouvelle densité (Section II). En effet, la densification ne se traduit pas forcément en terme de surface de plancher, mais parfois du seul point de vue de l’occupation.

Section I – La densification aux confins du bâti

3167 – L’exemple de la copropriété. – L’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété donne un excellent exemple de ce qu’il est possible de faire évoluer en terme de construction dans un cadre contraint. Il définit quatre types de droits accessoires aux parties communes. Trois d’entre eux correspondent à des droits à construire utilisables pour densifier le bâti281 : le droit de surélévation, le droit d’affouiller le sol et le droit d’édifier des bâtiments nouveaux.

Cet exemple démontre que même s’il ne s’agissait pas d’une priorité de l’époque, les juristes ont pris conscience très tôt de ce que les réserves foncières se trouvaient dans les sous-sols (Sous-section I), ainsi qu’en surélévation et sur le pourtour des bâtiments existants (Sous-section II).

Sous-section I – Les réserves foncières des sous-sols

3168 – Le point d’équilibre financier. – Le sous-sol des villes compactes offre des espaces utilisables dans le futur. Son aménagement est sans doute trop onéreux à ce jour pour se généraliser. Par ailleurs, seuls certains sites spécifiques peuvent être appréhendés avec une vision urbanistique. Mais le prix du foncier en surface augmente sans cesse et les avancées technologiques amenuisent peu à peu le coût des affouillements. Le jour viendra où un point d’équilibre sera atteint, généralisant des aménagements en tréfonds devenus rentables.

Ainsi, il convient de s’intéresser à une matière recelant des potentialités partout (§ I), dans la lignée de l’exemplaire ville de Montréal (§ II).

§ I – Des potentialités partout

3169 – Le charme des dessous. – Fin 2014, la mairie de Paris a lancé un appel à projets intitulé « Réinventer Paris » portant sur vingt-deux sites à réaménager. Devant le succès des propositions faites par les architectes et les promoteurs immobiliers pour réhabiliter des bâtis désaffectés comme d’anciens bains-douches, une station électrique ou des immeubles-ponts surplombant le périphérique, elle a lancé le 23 mai 2017 une seconde édition intitulée « Les Dessous de Paris ». Sur les trente-quatre sites soumis à la sagacité des imaginations innovantes, vingt-six sont souterrains. C’est dire le potentiel de ces espaces, aussi variés que des tunnels et voies de circulation, des parkings inutilisés, d’anciennes gares ou stations de métro désaffectées282. Les villes compactes bénéficiant de ce type d’infrastructures réaménageables sont nombreuses.

3170 – Le sous-sol vécu comme en surface. – De l’avis de tous, la condition principale de la réussite de la vie souterraine réside dans l’établissement d’une synergie entre la surface et le tréfonds. Il est nécessaire que les occupants n’aient pas l’impression d’être en sous-sol283.

Cette synergie nécessite tout d’abord d’introduire de l’air et de la lumière dans les espaces souterrains. À Paris, le PLU a été modifié en juillet 2016 pour permettre de creuser le sol, comme un nouvel exemple des capacités de la volonté politique à aménager les règles d’urbanisme dans le sens de l’histoire.

Mais, pour dépasser la sensation incommodante d’être sous terre, il faut que les occupants puissent circuler « en sous-sol du nord au sud, d’est en ouest », et qu’il n’y ait « pas de culs-de-sac »284. Cette contrainte technique est un défi lancé à l’imagination architecturale dans les villes françaises les plus denses dont les tréfonds sont envahis par les réseaux divers, le métro et les parkings souterrains.

Mais il s’agit également d’un défi juridique obligeant à développer la volumétrie pour en adapter les règles aux nécessités collectives de la densification (V. nos a3265 et s.)285.

§ II – Le modèle de Montréal

3171 – Vive le Québec souterrain. – En matière d’aménagement des sous-sols, Montréal est la ville du globe attirant tous les regards et servant d’exemple à travers le monde286. La métropole québécoise a réussi la gageure de faire de son bâti souterrain une partie intégrante du cœur de la ville, y insérant harmonieusement des commerces, des hôtels, des universités, des bureaux, des stations de métro, des gares, etc. Cette extension de la surface utilisable du centre-ville287permet un développement durable en évitant de rogner sur les terres environnantes et en limitant les constructions en hauteur.

3172 – Un exemple… mais pas duplicable partout. – Malgré tous ses avantages, l’exemple de Montréal n’est pas duplicable partout sur une échelle aussi importante. En effet, le réseau souterrain de la métropole québécoise a la particularité d’avoir été pensé dès les années 1950 dans le cadre des plans de modernisation voulus par le maire de l’époque, Jean Drapeau. Mis en place à compter de 1962, il n’a pas eu à surmonter autant de contraintes techniques que les villes n’ayant pas réfléchi à l’avenir des tréfonds dès cette époque.

De plus, les efforts à faire pour mettre en place ce réseau intérieur étaient d’autant plus supportables au Canada qu’indépendamment de l’aménagement foncier, il répondait également à une autre contrainte : permettre le maintien d’une vie sociale active lors des fréquentes intempéries de la région.

Ainsi, pour être efficace, la volonté politique de développement des tréfonds doit intervenir le plus tôt possible dans la construction de la ville. Les concepteurs des nouveaux quartiers doivent en tenir compte. À défaut, la mutation future devra surmonter les contraintes techniques au même titre qu’aujourd’hui288.

Cet obstacle est moindre dans le cadre de l’utilisation des réserves foncières situées au-dessus ou au pourtour des constructions actuelles, pour lesquelles les contraintes sont davantage juridiques.

Sous-section II – Les réserves foncières au-dessus et sur le pourtour du bâti

3173 – Le cas du propriétaire unique. – L’utilisation des réserves foncières est encouragée partout, y compris sur le dessus des constructions existantes289et sur leur pourtour. Lorsque le pétitionnaire de l’autorisation de construire est seul propriétaire de l’assiette foncière, il est confronté uniquement aux règles du droit de l’urbanisme et de la construction. Dans ce cadre, les extensions sur les terrains nus à côté du bâti sont fréquentes et sans particularités notables.

En revanche, les surélévations sont encore peu nombreuses en pratique, hormis le cas des particuliers créant un étage de plus à leur maison individuelle. Sans doute cette rareté est-elle due à ce que la plupart des immeubles entiers n’appartiennent pas à un seul et même propriétaire. Les exemples connus renvoient généralement à des bailleurs sociaux rehaussant leurs immeubles d’un niveau supplémentaire, souvent fait de structures en bois290, plus légères à supporter par les fondations d’origine qu’une surcharge de béton.

En revanche, lorsque la propriété de l’immeuble devant supporter l’extension est partagée, les cas sont plus nombreux mais des difficultés singulières apparaissent.

3174 – En volumétrie. – En volumétrie, l’extension n’est possible qu’à l’intérieur de la propriété du pétitionnaire. Ainsi, il convient de vérifier que la construction envisagée ne dépasse pas le cadre du volume lui appartenant291.

Les véritables difficultés ont trait à l’application de la loi du 10 juillet 1965, tant pour la surélévation (§ I) que pour la construction sur les parties non bâties de l’assiette des copropriétés (§ II).

§ I – La surélévation en copropriété

3175 – Une volonté politique de surélévation. – En matière de copropriété, la réglementation applicable à la surélévation a été récemment décrite avec exhaustivité292. Il en ressort une volonté législative et politique d’inciter à une augmentation sensible des surélévations de bâtiments. Ainsi, de la loi du 25 mars 2009 ayant allégé les conditions de vote de la décision d’aliénation à un tiers des droits de surélévation d’un bâtiment293, à la loi ALUR ayant de facto supprimé le droit de veto des copropriétaires de l’étage supérieur sur les projets de rehaussement294, les textes récents facilitent tous l’utilisation des droits de surélévation et leur commercialisation.

3176 – L’intérêt économique. – Les copropriétés constituent un gisement important de ressources foncières. Au surplus, les copropriétaires peuvent y trouver un intérêt économique, dès lors qu’ils ont dépassé l’étape des inquiétudes techniques et nouvelles gênes potentielles.

Plus que la construction de nouveaux locaux à usage commun prévue par l’article 30 de la loi de 1965, l’option majoritairement choisie par le syndicat des copropriétaires est assurément la commercialisation des droits à construire. Au prix des mètres carrés constructibles dans les zones tendues, il est ainsi possible de récupérer une somme non négligeable, susceptible d’être réinvestie par exemple dans le financement des travaux de rénovation thermique295. Accessoirement, la création de nouvelles parties privatives diminue les charges liées aux lots déjà existants. Enfin, les travaux donnent une nouvelle jeunesse à la toiture.

§ II – La construction sur les parties non bâties de la copropriété

3177 Les droits à construire sont utilisés sur un terrain appartenant à la copropriété (A) ou sorti de son assiette à dessein (B).

A/ L’utilisation des droits à construire sur l’assiette foncière de la copropriété

3178 – Une utilisation au profit de qui ? – Les aspects juridiques de l’utilisation des droits à construire sur l’assiette foncière de la copropriété ont également fait l’objet de développements complets dans le rapport du 112e Congrès des notaires de France296. La pluralité de situations invite à s’interroger sur le statut de celui profitant de cette utilisation. Il peut s’agir, selon les cas :

du syndicat des copropriétaires : c’est le cas de droit commun. Le syndicat peut alors soit exercer ce droit lui-même297, soit l’aliéner ;

d’un copropriétaire (ou d’un tiers) s’étant réservé ce droit à utilisation dans le règlement de copropriété, en précisant dès l’origine, à peine de nullité, l’importance et la consistance des locaux à construire, ainsi que les modifications que leur exécution entraînerait dans les droits et charges des copropriétaires. Il doit alors exercer ce droit dans un délai de dix ans sous peine de caducité298 ;

d’un copropriétaire bénéficiant d’un droit à construire rattaché à son lot privatif, ou, le plus souvent, d’un lot transitoire constitué pour la totalité de sa partie privative de ce droit à construire299.

En pratique, la mise en place de ces droits à construire est plus aisée lorsqu’il s’agit d’un copropriétaire en ayant fait réserve à son profit dans le règlement de copropriété ou pour un copropriétaire bénéficiant d’un lot transitoire300que pour la majorité des copropriétaires, souvent adeptes du statu quo. Pourtant, au même titre que pour la surélévation, l’aliénation du droit à construire est souvent très rémunératrice pour le syndicat des copropriétaires.

À défaut d’avoir privatisé les droits de construire avant de les vendre301, le syndicat peut décider de les céder en dehors de la copropriété.

B/ L’utilisation des droits à construire en dehors de la copropriété

3179 – Vente et scission. – Les copropriétaires ont la faculté de diviser le terrain d’assiette de la copropriété afin d’en céder une partie. Il s’agit d’un montage simple, le seul utilisable en pratique dès lors qu’il n’y a pas au moins un bâtiment sur la parcelle à céder. La décision est prise à la majorité de l’article 26 de la loi de 1965, soit à la moitié des membres du syndicat représentant au moins les deux tiers des voix.

Les conditions de majorité sont plus simples en matière de scission de copropriété. En effet, la décision de scission est prise à la majorité des voix de tous les copropriétaires, mais elle est conditionnée à ce qu’il y ait plusieurs bâtiments et que la division de la propriété du sol soit possible302. Le Congrès des notaires a déjà eu l’occasion d’analyser les scissions de copropriétés, qu’elles soient « classiques »303ou « en volumes »304. Le lecteur est renvoyé à ces ouvrages.

Section II – La densification par la restructuration du bâti existant

3180 – La seconde vie d’un bâtiment. – Les retours d’expérience démontrent que presque tous les biens immobiliers sont susceptibles de connaître une seconde vie305. La plupart du temps, par choix économique, cette seconde chance ne leur est pas donnée306. Le bâtiment devenu obsolète est démoli. Mais parfois, une simple restructuration est privilégiée.

Le choix du réaménagement (Sous-section I) ne va pas de soi. Il présuppose le dépassement des contraintes de l’existant (Sous-section II).

Sous-section I – Le choix du réaménagement

3181 – Rénovation, réhabilitation et restauration. – La restructuration d’un immeuble se fait par une rénovation sans destruction totale de l’existant, par une réhabilitation, voire par une restauration307. Le choix de la nature du réaménagement dépend le plus souvent du cadre de l’immeuble à restructurer. Les immeubles bénéficiant d’une situation géographique privilégiée sont la plupart du temps réhabilités (§ I), quand la rénovation est privilégiée pour les sites orphelins (§ II).

§ I – La réhabilitation d’immeubles bien situés mais devenus obsolètes

3182 – « Faire du neuf avec du vieux ». – Certains immeubles ont mal vieilli dans un cadre apprécié. Un temps fleurons de la ville, ils ont été implantés à des endroits privilégiés de la cité, mais ne répondent plus aux attentes de leurs utilisateurs. Ces biens ont besoin d’être transformés pour apporter le meilleur d’un emplacement premium.

Le cahier des charges à respecter pour le réaménagement de ces sites stratégiques est souvent complexe et très spécifique. L’aval politique est presque toujours indivisible du projet. Mais, dans un monde où l’apparence permet d’amorcer le cercle vertueux de l’attractivité, comment les édiles pourraient-ils ne pas favoriser ces projets à la fois créateurs d’emplois durant les phases de réaménagement et d’exploitation du site réhabilité, mais aussi et surtout constituant une vitrine sans prix des valeurs de leur ville308 ?

3183 – Une multifonctionnalité difficile. – Dans les villes en déficit de logements, il serait utile de pouvoir transformer tout ou partie des immeubles de bureaux vacants en appartements. Mais la volonté politique affichée à cet égard309se heurte aux contraintes techniques, réglementaires et juridiques (V. n° a3256). La multifonctionnalité dans l’existant ressemble donc à un vœu pieux.

§ II – La rénovation de sites orphelins

3184 – Le passé non réfléchi des sites orphelins. – Le bon mot bien connu faisant de « l’emplacement, l’emplacement et l’emplacement » les trois critères principaux de l’immobilier s’applique aussi en matière de réaménagement des bâtiments existants. En effet, si la réhabilitation des bâtiments les mieux placés résonne régulièrement comme une évidence, le sort des constructions moins bien situées se révèle plus complexe.

Ainsi, dans un pays en pleine désindustrialisation, de nombreuses villes s’interrogent sur l’avenir de leurs friches : que faire des anciens sites, témoins historiques d’un passé prospère et révolu ? Les laisser en l’état dans l’attente d’une hypothétique reprise d’un secteur dont ils furent le fleuron ? Les réhabiliter pour une autre activité ? Les démolir et repartir de zéro ? Lorsque l’usine désaffectée n’est pas située dans une aire urbaine à la mode, et a fortiori lorsque l’activité exercée sur le site était polluante, il n’y a guère que la troisième hypothèse qui soit applicable, souvent à perte dans le cadre de sociétés d’économie mixte « sauvant les meubles »310.

De nombreux sites industriels dont l’avenir n’avait pas été pensé sont d’ores et déjà entrés dans cette phase négative créatrice de sites orphelins.

3185 – Agir avant qu’il ne soit trop tard. – Dans les années 1970 et 1980 en Île-de-France, les parcs de bureaux étaient conçus assez loin des agglomérations dans des zones de bâti peu denses, accessibles principalement en voiture. Ces particularités, constituant à l’origine l’attrait de ces parcs, sont aujourd’hui des inconvénients. Les charges importantes et les médiocres performances énergétiques accompagnant généralement ces ensembles de bureaux dessinent des contours peu engageants311, engendrant vacance puis abandon.

Ainsi, il est capital de profiter de la densification nécessaire des zones déjà investies pour réaménager ces sites avant qu’ils ne deviennent orphelins.

3186

L’exemple du Fort d’Issy

L’écoquartier numérique du Fort d’Issy, fort de ses 1 600 logements dont 300 logements sociaux312, 3 500 habitants, 1 500 mètres carrés de commerces de proximité, ainsi que de ses équipements et espaces publics innovants313 peut servir de modèle sur de nombreux points. Construit sur le site d’une ancienne forteresse du 19e siècle, démilitarisée en 2009, il répond en effet à lui seul à une grande quantité des objectifs de l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme (V. n° a3076). Ainsi, il respecte notamment :

le renouvellement urbain et le développement urbain maîtrisé ;

la conservation et la restauration du patrimoine culturel ;

les qualités urbaine et architecturale ;

la diversité des fonctions et la mixité sociale dans l’habitat ;

la création d’activités économiques, touristiques, sportives, culturelles et d’intérêt général ainsi que d’équipements publics et d’équipement commercial ;

l’amélioration des performances énergétiques ;

le développement des communications électroniques ;

la diminution des obligations de déplacements motorisés314.

Sous-section II – Le dépassement des contraintes de l’existant

3187 – Un titre en trompe-l’œil. – Sous un même titre se cachent parfois deux situations opposées. C’est le cas lorsque le dépassement des contraintes de l’existant évoque à la fois le but recherché (§ I) et l’obstacle à surmonter (§ II).

§ I – Les contraintes de l’existant, créatrices de restructuration

3188 – Un véritable besoin d’investissements énergétiques. – Les bâtiments sont responsables de plus de 40 % de la consommation d’énergie finale et de 25 % des émissions de gaz à effet de serre315. Dès lors, l’optimisation de la sobriété énergétique dans le cadre de la rénovation de l’existant constitue l’un des principaux gisements d’économies. Même s’il s’agit encore principalement d’économies d’énergie, les citoyens commencent à parler d’économies en général à l’heure où la rareté des combustibles fossiles et l’insuffisance des énergies renouvelables conduisent à une augmentation sensible des coûts. Dès lors, le caractère plus ou moins énergivore des habitations devient une source d’inquiétude pour les particuliers, dans un pays où près des deux tiers des logements ont été construits avant la première réglementation thermique de 1974 (RT 1974), et où plus des trois quarts d’entre eux se situent à un niveau de performance énergétique égal ou supérieur à la classe D316.

Ainsi, il convient de permettre au plus grand nombre de réaliser rapidement les travaux nécessaires à un allègement significatif des factures énergétiques. Les aides existantes à ce titre méritent d’être renforcées à différents niveaux (V. nos  a4404 et s.). En particulier, les logements sociaux pâtissent de la faiblesse des investissements engendrant des économies d’énergie.

3189 – L’exemple des tours. – Chères à démolir, encore plus chères à remplacer, les tours sont l’archétype des bâtiments où les efforts énergétiques sont pertinents. Les économies sont en effet d’autant plus sensibles que la surface d’occupation est importante. Or, les programmes de travaux vont généralement très loin dans ce type de biens317. L’exemple des tours est criant : la rénovation énergétique est porteuse d’avenir, même pour des immeubles de moindre importance. Des précautions s’imposent néanmoins. Par exemple, il est indispensable de s’assurer que des actions ponctuelles n’empêcheront pas d’autres actions futures. Un effort financier parfois modique permet également de faire d’importantes économies à l’avenir318.

3190 – Vers des textes (enfin) coercitifs ? – La loi « Grenelle 2 »319avait prévu une obligation d’économie d’énergie dans certains bâtiments tertiaires. Il a fallu attendre le 9 mai 2017 pour que son décret d’application voie le jour320, le texte fixant une réduction de consommation de 25 % d’ici 2020 pour les bâtiments à usage de bureaux, commerces et enseignement d’une surface supérieure à 2 000 mètres carrés.

Mais, par une décision du 11 juillet 2017, le juge des référés du Conseil d’État a intégralement suspendu ce « décret tertiaire »321qui obligeait les propriétaires à réaliser une étude énergétique et les occupants à instaurer une charte de bonne utilisation des équipements de confort et d’activité

En revanche, la loi de transition énergétique322n’a pas été remise en cause. Elle prolonge l’obligation d’économies par périodes de dix ans à partir de 2020 jusqu’en 2050. La prochaine période impose une réduction des consommations de 40 % d’ici 2030, assortie de mesures coercitives.

§ II – Les contraintes : obstacles à la restructuration de l’existant

3191 – Trop de normes… beaucoup trop de normes. – Les normes coûtent cher. L’ex-ministre délégué au Logement Benoist Apparu évaluait à 30 % le surcoût induit par les normes hexagonales par rapport à l’Allemagne323.

Même si depuis des années la simplification est à la mode, ayant notamment eu le privilège de se voir dédier un secrétariat d’État de juin 2014 à mai 2017, la frénésie textuelle reste la norme (V., par ex., n° a3101).

Dans le cadre de la rénovation des immeubles, les contraintes en résultant augmentent considérablement les complications techniques du travail sur l’existant, décourageant nombre de bonnes volontés. Or, les normes continuent de s’empiler régulièrement, constituant petit à petit un mille-feuille indigeste où se perdent les énergies324.

Ainsi, il semble que pour se dispenser d’une norme, il faille en créer d’autres, au point de faire de la France, forte de plus de 10 500 lois, 130 000 décrets et 400 000 normes, le 126e pays sur 144 en matière de complexité administrative.

3192 – Les lueurs d’espoir. – Et pourtant, il faut bien se raccrocher aux lueurs d’espoir !

La simplification des normes « accessibilités » en est une, même si elle ne touche que les logements neufs325. Les promoteurs étaient ainsi en forte attente de ces textes modifiant de fond en comble la réglementation des constructions au niveau des normes applicables aux personnes à mobilité réduite. La plupart n’osaient plus espérer la disposition permettant dorénavant à l’acquéreur d’un logement neuf situé dans un bâtiment d’habitation collectif vendu en l’état futur d’achèvement de conclure avec le promoteur un contrat de travaux modificatifs dès lors que le logement demeure visitable par une personne handicapée et que les travaux modificatifs permettent la réversibilité des aménagements par des travaux simples.

Un allègement des contraintes est également possible dans le cadre de la construction avec l’existant. Ainsi, dans les zones à forte densité de population, le préfet a la faculté d’accorder des dérogations à certaines dispositions relatives notamment à l’isolation acoustique, dans le cadre d’un projet de surélévation d’immeuble achevé depuis plus de deux ans (CCH, art. L. 111-4-1). Il est néanmoins regrettable de constater la longueur de la liste des conditions à remplir pour que la dérogation prévue par ce texte soit accordée par le préfet.

3193 – La fin du tunnel . – Pourtant, à la suite de beaucoup d’autres326, les gouvernants du pays semblent avoir vraiment pris conscience de la situation. Outre qu’ils pestent tous contre les normes et leurs excès327, ils annoncent enfin des mesures applicables immédiatement328.

Acceptons-en l’augure, les contours de la ville de demain en dépendent.


281) Seul le droit de mitoyenneté n’est pas pertinent en terme de réserve foncière.
282) Dans le cadre de ce projet, il est possible de citer les tunnels Henri-IV et Tuileries, le souterrain de l’Étoile, des voies sur berges, un quai de la station de métro Saint-Martin ou l’ancienne gare de 13 000 mètres carrés sous l’esplanade des Invalides (cités par L. Van Eeckhout, Les sous-sols parisiens : un potentiel à promouvoir : Le Monde 23 mai 2017).
283) « L’idée n’est pas de construire une ville souterraine, une ville sous la ville, qui vivrait de façon autonome. Il ne s’agit pas d’habiter sous le sol, mais de prolonger les bâtiments de surface et leur activité » indique Dominique Perrault, qui fut l’architecte de la Bibliothèque François-Mitterrand, laquelle compte 200 000 mètres carrés de surface en tréfonds : Le Monde 23 mai 2017, art. préc.
284) Selon les formules de Michaël Doyle, chercheur américain au Laboratoire d’économie urbaine et de l’environnement à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) : Le Monde 23 mai 2017, art.préc.
285) En pratique, les divisions en volumes régissent déjà le plus souvent les difficultés de superpositions de structures de natures différentes.
286) Parmi d’autres cités, Singapour, Hong Kong ou Helsinki s’en sont inspirées.
287) Le Montréal souterrain contient près de 12 % des commerces du centre-ville, faisant du réseau piétonnier souterrain de cette ville le plus grand complexe en sous-sol au monde (connu sous la dénomination officielle de RESO depuis 2004). Long de trente-trois kilomètres, il couvre une quarantaine d’îlots urbains sur douze km², relie 80 % des bureaux du centre-ville et est emprunté par près de 183 millions de personnes chaque année. Source : Wikipédia.
288) Encore que les progrès de la science laissent augurer des possibilités insoupçonnées il y a peu, comme les forages japonais sous zone résidentielle sans tranchée en surface, prix de l’innovation 2017 de l’Association internationale des tunnels et de l’espace souterrain (AITES) (source : Paris accueille les tunnels les plus innovants au monde : Les Échos 15 nov. 2017).
289) Ainsi, l’ordonnance du 23 septembre 2015 a-t-elle créé l’article L. 152-6 du Code de l’urbanisme autorisant notamment, dans les communes dépendant d’une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants ainsi que dans certaines communes de plus de 15 000 habitants en forte croissance démographique, des dérogations aux règles relatives à la densité et aux obligations en matière de créations d’aires de stationnement pour permettre sous conditions la surélévation à usage d’habitation : Ord. n° 2015-1174, 23 sept. 2015 : JO 24 sept. 2015, art. 9, p. 16803.
290) Ce fut le cas pour soixante et onze nouveaux appartements édifiés à Vélizy-Villacoublay en 2012, et le sera pour trente-trois nouveaux logements en surélévation en cours de construction à Poissy (source : Poissy : des logements construits sur les toits des immeubles : Le Parisien 17 août 2016).
291) C’est le cas le plus souvent en pratique en surélévation, lorsque le volume le plus haut monte jusqu’à « plus l’infini ».
292) Rapport du 112e Congrès des notaires de France, Nantes, 2016, 3e commission, p. 731 et s.
293) L. n° 2009-323, 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi Molle », aussi connue sous la dénomination de « loi Boutin », art. 8 (JO 27 mars 2009, p. 5408) : dans les communes ayant instauré un droit de préemption, le vote a été abaissé de la double majorité de l’article 26 à la majorité des voix de tous les copropriétaires de l’article 25.
294) L. n° 2014-366, 24 mars 2014, art. 61 : cet article de la loi ALUR a modifié l’article 35 de la loi du 10 juillet 1965, de sorte, d’une part, que la décision de surélévation ne nécessite plus l’unanimité mais seulement la double majorité de l’article 26 et, d’autre part, que cette majorité de l’article 26 soit suffisante pour décider de la cession du droit de surélévation. La contrainte supplémentaire de l’accord des copropriétaires de l’étage supérieur du bâtiment surélevé a été remplacée par un droit de priorité dans le cadre de la vente tant du droit de surélévation que des locaux privatifs créés en surélévation.
295) Copropriétés : l’option de la surélévation : Le Monde 5 juin 2017.
296) Nantes, 2016, 3e commission, art. 3226 à 3261.
297) L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 30 : JO 11 juill. 1965, p. 5950.
298) L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 37 : JO 11 juill. 1965, p. 5950.
299) Rapport du 112e Congrès des notaires de France, Nantes, 2016, 3e commission, art. 3242 à 3247.
300) Ce copropriétaire précautionneux est bien souvent le promoteur d’origine, ayant conservé de la constructibilité pour des tranches futures à l’époque où la commercialisation immédiate de nouveaux appartements était délicate (pour une description des avantages du lot transitoire, cf. P. Rezeau, L’immeuble en copropriété : une véritable réserve foncière ? : Administrer janv. 2016, p. 10).
301) Cette solution est la plus compliquée : elle inclut en effet l’acquéreur dans la copropriété et oblige à déterminer la quote-part des parties communes afférente au nouveau lot.
302) L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 28 : JO 11 juill. 1965, p. 5950.
303) Rapport du 103e Congrès des notaires de France, Lyon, 2007, 4e commission, La division de l’immeuble : le sol – l’espace – le bâti, art. 4507 à 4624.
304) Rapport du 112e Congrès des notaires de France, Nantes, 2016, 3e commission, La propriété immobilière : entre liberté et contraintes, art. 3123 à 3167.
305) Pour l’exemple d’une église transformée en maison de retraite : D. Cantaut-Ronfort, Des lieux de culte transfigurés, Session nationale, Empreintes du religieux dans l’espace public, Bordeaux, 2014.
306) Ou seulement pour une occupation temporaire, afin d’éviter les squats, comme avec le projet dit des « grands voisins » sur le site de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris (source : Le renouveau des friches urbaines : Le Figaro 3 nov. 2017)
307) Les travaux de rénovation commencent par une phase plus ou moins importante de démolition. La réhabilitation oblige à respecter le caractère architectural des bâtiments, fût-ce en trompe-l’œil. La restauration implique un retour à l’état initial.
308) Les réaménagements des hôtels-Dieu de Marseille et de Lyon en sont des exemples frappants, de même qu’EuraTechnologie, le « château du numérique » à Lille, issu de la réhabilitation d’anciennes usines textiles.
309) F. Hollande avait indiqué en 2013 vouloir reconvertir 2,5 millions de mètres carrés ; en 2014, A. Hidalgo avait annoncé le chiffre de 200 000 mètres carrés pour Paris.
310) Pour un exemple de sociétés textiles situées à Tarare, ville longtemps qualifiée de « capitale de la mousseline » : S’implanter en Rhône-Alpes Auvergne, L’aménagement des territoires pour et par les entreprises : Tout Lyon Affiches 8 avr. 2017, n° 5252, suppl. « MIPIM », p. 66.
311) L’obsolescence des bureaux franciliens devient un problème majeur : Le Monde 29 nov. 2016.
312) Tous les appartements ont été conçus avec des équipements domotiques et numériques à la pointe de la modernité, dans le respect de la très haute qualité environnementale. Deux puits géothermaux couvrent plus de 75 % des besoins du quartier en chauffage et eau chaude, et un système de collecte pneumatique des déchets par aspiration a été mis en place.
313) Une école en paille et en bois, une piscine feng shui, un jardin partagé, un parking partagé, des voitures électriques en libre-service, etc.
314) Finalement, au milieu d’un concert de louanges (sources : Fort d’Issy : premier bilan et perspectives : Issy.com, 20 nov. 2015. – L’écoquartier du fort d’Issy a conquis ses résidents : Usinenouvelle.com, 12 nov. 2015), les rares commentaires négatifs sur ce projet critiquent un concept basé sur l’autarcie. Se suffisant à eux-mêmes, les habitants du fort ne feraient pas les efforts d’ouverture à l’extérieur, ce qui les « ghettoïserait » et nuirait au commerce de proximité, dans le fort et en dehors.
315) A. Rudinger, La rénovation thermique des bâtiments en France et en Allemagne : quels enseignements pour le débat sur la transition énergétique ? : Working Papers n° 07/13, mai 2013, IDDRI, 2013, p. 5.
316) Correspondant à une consommation supérieure à 150 kilowatts heure d’énergie primaire par mètre carré (kWhep/m²) et par an.
317) Comme sur la tour CB21 à La Défense, ayant vu sa façade intégralement changée et ses équipements techniques remplacés, le tout de manière à obtenir en 2009 les labels BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method) dans la catégorie « Good » et Haute Qualité Environnementale dans la catégorie « Exploitation » (Les Cahiers de la chaire Immobilier et Développement durable 2013, n° 1, Immobilier et société en mutation : éléments de réflexion sur la ville de demain, ESSEC Business School). Il convient de préciser qu’en 2010, dès la rénovation achevée, la tour a été prise à bail par Suez Environnement et certaines de ses filiales, ce qui tend à démontrer l’attractivité économique des bâtiments économes.
318) « À titre d’exemple, isoler une première fois avec 10 cm d’isolant pour le refaire une seconde fois avec 10 cm additionnels 10 ans plus tard revient à payer deux fois la même opération, tandis que le surcoût d’une isolation initiale à 20 cm aurait été de l’ordre de 10 % » : A. Rudinger, art. préc., p. 8.
319) L. n° 2010-788, 12 juill. 2010 : JO 13 juill. 2010, p. 12905.
320) D. n° 2017-918, 9 mai 2017 : JO 10 mai 2017.
321) CE, ord., 11 juill. 2017, n° 411578.
322) L. n° 2015-992, 17 août 2015 : JO 18 août 2015, p. 14288.
323) Ces bureaucrates qui nous tyrannisent : Le Point 21 mars 2013.
324) Au hasard, parmi une multitude de textes, citons l’arrêté du 13 avril 2017 pris en application du décret du 14 juin 2016 relatif aux travaux d’isolation acoustique en cas de travaux de rénovation importants. Entré en vigueur le 1er juillet 2017, il précise les exigences acoustiques minimales à respecter selon les types de bâtiments (habitation, enseignement, hébergement et soin, hôtel), mais aussi selon la zone d’exposition au bruit extérieur, et encore selon les types de travaux de rénovation. Et lorsque toutes ces informations sont digérées, le maître d’ouvrage doit savoir qu’il peut respecter ces normes soit par réalisation de travaux d’isolation acoustique déterminés dans le cadre d’une étude acoustique, soit par application d’exigences acoustiques par éléments : A. 13 avr. 2017, NOR : LHAL 161768A : JO 20 avr. 2017.
325) D. n° 2015-1770, 24 déc. 2015 : JO 27 déc. 2015, p. 24184. – A. 24 déc. 2015 : JO 27 déc. 2015, p. 24186.
326) Notamment, le Conseil d’État, qui a dressé le diagnostic d’une France au bord de l’overdose normative : lexisnexis.fr, 29 sept. 2016.
327) L’actuel président Emmanuel Macron a notamment regretté à plusieurs reprises, y compris avant son mandat, « trop de normes qui s’accumulent et qui changent en permanence » (source : Emmanuel Macron : la complexité est une maladie française : bfmbusiness.bfmtv.com, 15 oct. 2014).
328) Une circulaire du Premier ministre Édouard Philippe a été publiée le 27 juillet 2017, d’application à compter du 1er septembre 2017, et prévoyant que « toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes ».

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