21 Juil Chapitre II – La place de l’automobile
3551 – Les transports, sujet central. – Les déplacements constituent un sujet de réflexion central pour l’avenir du pays. À ce titre, l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme, fixant les objectifs à atteindre en matière d’urbanisme, pointe du doigt non seulement les besoins en matière de mobilité, mais également la nécessité de diminuer « les obligations de déplacements motorisés » et de développer « les transports alternatifs à l’usage individuel de l’automobile ».
La partition entre la ville compacte où la voiture est un luxe et la ville étendue où elle est encore indispensable n’est d’ailleurs pas innocente, en ce qu’elle met le problème du transport en général et de l’automobile en particulier au centre des difficultés urbaines.
3552 – La voiture en sursis dans les plus grandes villes. – Dans un futur proche, les villes compactes n’auront plus les mêmes préoccupations qu’aujourd’hui en matière de transport. La voiture polluante et omniprésente est actuellement en sursis au cœur des grandes cités932. L’incertitude pèse uniquement sur les moyens à employer pour la réduire à peau de chagrin. À ce jour, plutôt que l’enterrement des infrastructures routières933, les restrictions de voies934, le déclassement d’autoroutes935, les plans vélos, la disparition des stations-service urbaines936ou encore la « piétonisation » sont les moyens privilégiés d’une euphémique reconquête de l’espace public937. Demain, la condamnation inéluctable de l’automobile dans les villes compactes passera peut-être par un péage au montant rédhibitoire, une prime au maintien des voitures au garage938, voire une interdiction totale.
3553 – L’exigence de modes de substitution efficaces. – La majorité des individus n’est pas fondamentalement attachée à la voiture en centre-ville. La seule exigence posée concerne l’efficacité des modes de substitution. La multitude d’initiatives devant permettre de compenser la disparition totale ou partielle de l’automobile ne tient pas de la science-fiction, mais d’une simple extrapolation de l’existant.
Dans cet avenir probable, les voitures tolérées, forcément propres, guidées par des applications intégrées choisissant les chemins les plus pratiques et trouvant elles-mêmes les places de stationnement libres, tiennent compte de l’économie collaborative et du covoiturage. Les autres véhicules individuels, venant de la périphérie, sont agglutinés dans d’immenses parkings en entrée d’agglomération.
Les grandes villes, dont les transports collectifs souterrains sont saturés, multiplient les transports en commun non polluants sur les voies libérées par les voitures.
Les modes doux continuent leur développement exponentiel, avec d’immenses parkings à vélos installés aux endroits stratégiques tels que les gares. La mixité fonctionnelle est d’autant plus importante que le besoin d’instantanéité de l’individu ne diminue pas, quand bien même son espace de vie se réduit au rayon d’action de l’écomobilité. Il continue à vouloir toujours les mêmes services, mais ne pouvant se déplacer autant, il les veut plus proches. Le déplacement de la chose vers l’homme remplace le déplacement de l’homme vers la chose, au moyen de points de desserte petits mais nombreux et disséminés à travers les villes.
Les gares deviennent des lieux stratégiques dans la vie des gens en transit, leur permettant un gain de temps sur des achats plus réguliers939et leur offrant une multitude de services de proximité. Les villes côtières ou traversées par des fleuves offrent des services de taxis propres et silencieux naviguant quelques dizaines de centimètres au-dessus de l’eau940.
Corrélativement, l’occupation de la voirie est mieux répartie dans le temps. Ainsi, le début des cours est désynchronisé dans les écoles et les universités pour alléger la charge des transports en commun aux heures de pointe. Les livraisons de nuit sont également privilégiées. La logistique des derniers kilomètres est repensée pour des livraisons par drones941…
Pour autant, les modes de substitution prévisibles sont surtout adaptés aux villes compactes.
3554 – Un (dés)espoir pour les villes étendues ? – L’engorgement des voies n’est pas l’apanage des habitants de l’hypercentre des métropoles. Il constitue également le quotidien des automobilistes de la périphérie. Non seulement ces derniers contribuent grandement à l’encombrement du cœur des cités mononucléaires, mais ils irriguent également les voies d’acheminement vers le centre-ville. Leur masse toujours plus nombreuse remplit les rayons d’un simili-cercle dont la ville compacte est le centre et les banlieues une aire principale au périmètre mouvant. Ainsi, quand le résident de la ville dense supporte quelques minutes de bouchon, l’habitant de la ville étendue endure le même mal beaucoup plus longtemps. Finalement, les principales victimes des transports, menacées quotidiennement par le ras-le-bol généralisé d’un engorgement sans fin, sont celles ayant voulu profiter de l’étalement urbain.
Dans les villes étendues dépourvues de centre compact, le problème des ralentissements est moindre. Néanmoins, la dépendance à la voiture y est encore plus forte.
Alors que faire ? L’avenir de la ville de demain dépend en grande partie de la réponse à cette question. Soit l’automobile reste la pièce maîtresse du transport dans le cadre d’un modèle implacable l’ayant déjà transformée en besoin fondamental (Section I), soit l’avenir lui offre un nouveau rôle (Section II).
3555 Le rapport de l’homme à l’automobile tient un peu de l’histoire de cœur. Il se crée un lien entre l’individu et son véhicule ressemblant souvent à de l’affection, voire à de la dépendance (Sous-section I). Mais, comme souvent dans ces cas-là, l’amour du chauffeur pour sa voiture s’érode avec les difficultés et les contraintes (Sous-section II).
3556 La dépendance à l’automobile est le fruit de la conjonction entre un besoin de mobilité répondant à une volonté de liberté (§ I) et l’insuffisance des autres modes de transport (§ II). Pour beaucoup, le besoin fondamental de transport s’est transformé en besoin fondamental… de voiture.
3557 – L’auto(nomie)-mobile. – L’automobile a été conçue, y compris sur le plan sémantique, comme le lieu de rencontre de l’autonomie et de la mobilité. Mais, dans un monde où tout est devenu « mobile », seule « l’auto » garantit la liberté. Quand un individu trouve la mobilité dans n’importe quel wagon d’un train, seule l’indépendance offerte par sa voiture personnelle lui permet d’aller à un endroit précis de son choix.
Aujourd’hui, le constat est implacable : pour l’immense majorité des Français, il est inimaginable de ne pas avoir la faculté de se déplacer à volonté. Seule l’automobile apportant cette liberté, l’immense majorité des déplacements quotidiens en France942est effectuée en voiture.
3558 – L’absence d’autonomie dans l’espace. – L’atout principal de l’automobile est de permettre d’aller où l’on veut d’où l’on veut, quand les transports en commun (train, car, bus, bateau, avion, etc.) imposent les lieux de départ et d’arrivée. Les usagers de ces transports s’en satisfont parfois par concordance avec leurs besoins, souvent par des déplacements multimodaux, toujours par absence de choix.
Les deux-roues proposent une alternative autonome à la voiture. Mais les intempéries sont incommodes, la route est dangereuse943et, pour les cyclistes, seuls les déplacements courts sont possibles.
3559 – L’absence d’autonomie dans le temps. – La perte d’autonomie des individus utilisant les transports en commun se matérialise également dans le temps. L’automobiliste gère ses déplacements à sa guise. Ce comportement individualiste correspond à l’air du temps.
Dans les transports en commun, le consommateur est le jouet des grilles horaires de départ et d’arrivée, des correspondances, etc.
3560 – Les grèves et les pannes. – Bon gré mal gré, les usagers des transports collectifs acceptent les contraintes d’espace et de temps imposées, en contrepartie de l’efficacité annoncée944.
Mais cette efficacité n’est jamais garantie. Dans un monde de plus en plus exigeant, où tout tend à l’immédiateté, les annulations et les retards sont de moins en moins facilement acceptés. Une part toujours plus nombreuse de la population fustige les grèves paralysant les transports en commun945. Les pannes sont supportées lorsqu’elles relèvent de la force majeure. Or, elles sont de plus en plus la conséquence d’un défaut d’entretien, engendrant ainsi des réactions plus virulentes.
L’attractivité des quartiers est véritablement liée à la qualité de la desserte des transports en commun. Ainsi, l’automobile sera durablement supplantée uniquement si l’efficacité des transports de substitution est assurée partout de manière pérenne.
Et pourtant, la voiture a ses contraintes…
3561 – Un amour fragilisé. – Lorsque la voiture s’est démocratisée, l’homme n’a pas immédiatement appréhendé toutes ses contraintes. Mais, au fil des décennies, ses défauts s’exacerbent, laissant au chauffeur le choix souvent impossible de les supporter ou de se séparer de la machine.
Ce désamour est lié au nombre de véhicules en circulation (§ I) et à l’augmentation des coûts liés à la voiture (§ II).
3562 – Toujours plus de voitures. – La plupart des contraintes liées aujourd’hui à la voiture n’existaient pas au début de l’âge d’or de l’automobile. Elles sont liées au nombre de plus en plus important de véhicules circulant simultanément sur des voies dont la surface est en très faible augmentation.
L’analyse des courbes d’évolution du parc automobile français démontre qu’à travers l’histoire, le nombre de véhicules en circulation n’a jamais diminué d’une année sur l’autre946. Et même si les temps ne sont plus à l’extraordinaire explosion quantitative des années 1950 et 1960, il est peu probable que la situation change dans les prochaines années.
Indépendamment des accidents dont le nombre augmente avec la circulation, la densification automobile se traduit par l’engorgement des routes (A), la pollution (B) et les problèmes de stationnement (C).
3563 – Les six attributs de l’efficacité. – L’efficacité du déplacement est la préoccupation principale des automobilistes. Elle se matérialise par la recherche du meilleur équilibre entre la liberté947, la rapidité, la fonctionnalité948, le coût, la sécurité et le confort, à l’aune de leur importance relative dans l’esprit de l’intéressé.
Parmi ces six attributs de l’efficacité, seule la fonctionnalité n’est pas impactée par les engorgements. Tous les autres en pâtissent : la rapidité perd sensiblement de son intérêt ; les bouchons renchérissent le coût d’un trajet949 ; les accidents, certes moins mortels dans la faible allure des embouteillages, sont cependant plus nombreux950 ; quel que puisse être le confort de leur habitacle, il est rare de voir des conducteurs épanouis dans les bouchons ; même la liberté est atteinte, la conduite dans un ralentissement étant le plus souvent subie.
Sur la durée, la multiplication des engorgements des voies de circulation pourrait suffire à inverser le sentiment de meilleure efficacité de la voiture par rapport aux autres modes de transport.
3564 – Le souffle court. – L’impact environnemental du transport routier n’est plus à démontrer. La pollution touche les villes localement, mais aussi la planète dans sa globalité951. Le problème relève de la santé publique, la pollution de l’air provoquant en France 48 000 morts prématurées par an952. Les gaz d’échappement y tiennent une part non négligeable953. Le problème est si prégnant que, le 12 juillet 2017, le Conseil d’État a sommé le gouvernement d’agir contre la pollution de l’air en prenant dans le délai le plus court possible et au plus tard le 31 mars 2018 « toutes les mesures nécessaires pour ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites » fixées par la directive communautaire du 21 mai 2008 (C. env., art. L. 221-1 et R. 221-1)954.
3565 – Le manque de places de parking. – En dépit d’une législation longtemps contraignante, la construction d’aires de stationnement n’a pas suivi l’accroissement du nombre de véhicules en circulation.
Le foisonnement des parkings n’étant pas encore suffisamment entré dans les mœurs (V. nos a3342 et s.), il est fréquent de voir des automobilistes « tourner » tous les soirs autour de leur domicile à la recherche d’un emplacement pour la nuit, contribuant ainsi à l’encombrement des routes et à la pollution. Le même scénario se rencontre la journée en centre-ville et dans les zones de bureaux.
Ainsi, l’automobiliste rajoute-t-il une ligne à la liste des dépenses engendrées par son véhicule.
3566 – Une voiture onéreuse. – L’automobile a toujours été une source de dépense importante. Avec près de 6 000 € de dépenses annuelles955, les ménages français consacrent en moyenne plus de 10 % de leur budget à l’automobile. Ces chiffres varient peu d’une année sur l’autre, certaines dépenses en compensant d’autres. Ainsi, si le budget d’acquisition est en baisse avec l’augmentation de la durée de vie des véhicules, le poste entretien-réparation suit une courbe inverse. Les frais annexes constitués par les assurances, les péages ou les parkings sont également en constante progression956.
3567 – Le prix du carburant. – Le coût du carburant, représentant 30 % du budget annuel de l’automobile, constitue le poste principal de dépenses. Il varie au surplus au gré des fluctuations du cours du pétrole. Si les variations à la baisse sont possibles, la tendance générale liée à la raréfaction des énergies fossiles est à une forte hausse depuis le premier choc pétrolier.
Cette situation est défavorable aux automobilistes effectuant le plus de kilomètres, et notamment aux habitants des villes étendues. Or, les citoyens s’installent souvent loin du centre de leur vie économique pour des raisons budgétaires, le coût des logements diminuant avec l’éloignement. Ainsi, les moins favorisés subissent plus durement l’enchérissement du carburant. Partis gagner du pouvoir d’achat à l’extérieur des villes, les néo-ruraux risquent d’en perdre sur le poste automobile.
L’augmentation continue des coûts de l’automobile n’entraîne aucune diminution de son utilisation. Le modèle actuel étant à bout de course, il est urgent d’en imaginer un nouveau où l’automobile aura un rôle différent.
3568 – La perte du statut de besoin fondamental pour la voiture ? – S’il est probable que le monde de demain n’ôtera pas le statut de besoin fondamental aux transports, y parviendra-t-il pour l’automobile ?
À l’ère de la dématérialisation des échanges et de la tertiarisation de l’économie, l’humanité est à un carrefour de son histoire. Des progrès techniques à la volonté humaine, des besoins collectifs aux aspirations individuelles, de l’économie à l’écologie, tous les feux passent au vert pour rendre les déplacements professionnels optionnels dans un futur proche. Vider les routes de millions de travailleurs permettrait de leur donner un nouveau souffle957.
L’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme anticipe cette évolution. La « diminution des obligations de déplacements motorisés » permettra d’appréhender la voiture autrement (Sous-section I). Le « développement des transports alternatifs à l’usage individuel de l’automobile » conditionne néanmoins la réussite de ce pari (Sous-section II).
3569 Les journaux foisonnent d’articles relatifs aux voitures autonomes. Des milliers de brevets sont déposés sur le sujet, démontrant la proximité du jour où ces véhicules seront commercialisés. Il apparaît évident que l’automobile « nouvelle génération » apportera un confort rapprochant le trajet en voiture du loisir (§ I). La révolution attendue dépendra en outre de la diminution sensible du nombre de véhicules en circulation (§ II).
3570 – La révolution de la voiture autonome. – La voiture autonome apparaîtra bientôt dans nos vies. Qu’y changera-t-elle ? Pour répondre à cette question, prenons un instant les ailes de l’imagination et transportons-nous jusqu’à demain.
Si son efficacité se mesure à un équilibre entre liberté, rapidité, fonctionnalité, coût, sécurité et confort (V. n° a3563), l’automobile permet assurément de gagner de la marge de manœuvre sur les deux derniers points.
Conçue pour conserver des distances de sécurité, freiner, piler si nécessaire, la voiture autonome est le nec plus ultra de la sécurité routière958. Plus qu’aux risques de chocs, les constructeurs apportent toute leur attention à la cybersécurité, conscients qu’un détournement informatique massif permettant de prendre le contrôle des véhicules connectés pourrait entraîner une catastrophe sans précédent.
Le pilote a dans son habitacle un confort équivalent à celui de ses passagers. Dès lors, les constructeurs rivalisent en ingéniosité pour rendre l’habitacle aussi confortable que possible. Au gré du conducteur… et de son budget, la voiture devient un bureau, une salle de jeux ou de télévision, voire une cuisine. Le temps passé dans l’automobile n’est plus du temps perdu sur le reste de la vie du chauffeur.
Il y gagne également en liberté en pouvant rouler de nuit, endormi à son volant, voire en fonctionnalité en choisissant un véhicule adapté aux volumes à transporter.
La véritable révolution de la voiture autonome réside dans le cumul de ces nouveaux avantages.
3571 – Les écueils à éviter. – Le coût du véhicule n’a été une limite que de courte durée. Comme tant de produits avant lui, hors de prix à sa sortie sur le marché, il est entré rapidement dans le budget des masses médianes…
… Mais même l’imagination a ses limites.
Pour dépasser le stade du besoin fondamental et atteindre celui d’un plaisir pur, la voiture autonome devra prosaïquement conserver la faculté de rallier deux points dans un délai raisonnable. À défaut, elle aura perdu un de ses attributs principaux : la rapidité.
Les partisans de la voiture autoconduite la prétendent capable de raréfier les ralentissements, en roulant sur la file de droite sur les autoroutes, en supprimant les à-coups, en respectant les panneaux et les marquages au sol. Il est cependant douteux que ce scénario soit possible si la circulation automobile continue d’augmenter comme elle le fait depuis des décennies.
3572 – La nécessité d’un cadre réglementaire. – La voiture autonome a besoin d’un cadre réglementaire. Du fait de son apparition ex nihilo dans un contexte planétaire, son encadrement juridique mérite une résonance mondiale. Pour l’heure, la législation internationale en la matière dépend de la Convention de Vienne sur la circulation routière entrée en vigueur le 21 mai 1977 et stipulant dans son article 8 que « tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule ».
En France, une ordonnance du 3 août 2016 autorise à titre expérimental la circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite959. Le régime juridique de la responsabilité et son assurance en cas d’accident sont néanmoins à inventer totalement, au risque d’ailleurs de multiplier les mises en cause des collectivités locales en cas de défaillance d’entretien du réseau routier.
3573 – Un pari sur l’avenir. – Qu’elle relève de la méthode Coué ou d’une conviction véritable, la position des pouvoirs publics prônant la prise en compte d’une « diminution des obligations de déplacements motorisés » est un pari sur l’avenir. Elle s’appuie assurément sur les avancées technologiques et la révolution sociétale d’une explosion du travail à domicile. Mais la visioconférence et les liaisons internet permettant une connexion à distance au serveur central d’une entreprise existent déjà sans que leur influence sur la circulation routière ne soit évidente à ce jour. Sans doute n’ont-elles pas encore pris leur pleine dimension dans notre vie, l’assiette et la puissance du numérique étant encore insuffisantes à ce titre960.
La diminution du nombre d’automobiles en circulation serait également une conséquence de l’avènement des voitures autonomes. Des chercheurs de l’université du Texas prétendent en effet qu’un véhicule autonome utilisé comme taxi ou pour du covoiturage pourrait remplacer neuf voitures individuelles961, libérant notamment des espaces de parking réaménageables. Ces chiffres paraissent particulièrement optimistes, rien ne justifiant que le covoiturage ait tant de difficulté à s’imposer avec des chauffeurs et devienne la panacée sans eux.
D’autant que les déplacements professionnels sont si profondément ancrés dans les habitudes qu’une inversion brutale de leur courbe haussière s’annonce difficile. La fin des migrations quotidiennes ne se décrète pas, a fortiori dans un pays ayant longtemps privilégié un aménagement purement routier de son territoire. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la place laissée libre par les déplacements professionnels soit aussitôt remplie par les déplacements de loisir ou l’allongement des distances lié à une nouvelle ère d’étalement urbain962. Quoi qu’il en soit, il faudra que les autres modes de transport se montrent à la hauteur de l’efficacité attendue963.
3574 – Changer de paradigme. – La diminution effective du nombre de véhicules simultanément en circulation nécessite corrélativement un « développement efficace des transports alternatifs »964, étendu aux camions, car il est peu probable que la population française accepte en même temps de diminuer sa dépendance à la voiture et d’abandonner ses routes à des poids lourds toujours plus nombreux.
Ce développement passe par un changement de paradigme. Pendant des décennies, le but des décideurs français était d’aller le plus vite possible d’une ville à une autre, sur des trajets importants eu égard à la taille de l’Hexagone. Les pays voisins avaient pour objectif de permettre à un maximum d’individus de se déplacer entre deux villes. Notre problème était la vitesse, le leur la fréquence.
À présent, les transports collectifs doivent être en mesure de cumuler fréquence et vitesse965… mais pas seulement.
3575 – L’efficacité dans tous ses attributs. – L’usager prêt à se passer de sa voiture doit trouver dans les transports en commun un mode de substitution crédible, lui apportant peu ou prou les mêmes éléments d’efficacité que son véhicule personnel. Les transports collectifs sont généralement appréciés pour leur sécurité et leur coût966. Avec une diminution de la circulation automobile, les véhicules de surface gagneront en rapidité.
Ainsi, il est important de faire des efforts sur les trois principaux points sombres du tableau actuel : la liberté, le confort et la fonctionnalité.
La liberté attachée aux transports en commun ne sera jamais au niveau de ce que procure une voiture, mais elle peut s’en approcher, dans le cadre de progrès liés à la fréquence des passages, mais aussi au nombre de sites desservis. Les transports publics doivent couvrir tous les endroits de l’aire urbaine, non pas sous la forme d’une étoile renvoyant systématiquement au centre, mais sur le modèle d’une toile d’araignée967. Le métro de Paris est un exemple donnant satisfaction à cet égard968. Ainsi, la densification du maillage et des fréquences de passage est indispensable, en complément des solutions multimodales.
Il convient également d’adapter l’offre à la demande, le nombre de places par véhicule devant approximativement correspondre aux besoins.
Enfin, les transports collectifs devront contenir des espaces où déposer bagages et objets encombrants.
Pour répondre à ces objectifs, le secteur privé a montré un exemple inspirant. Par le jeu des applications numériques diverses, le secteur marchand connaît les habitudes de tout un chacun. L’analyse de ces connaissances par les pouvoirs publics permet de plus en plus de faire coïncider leurs propositions de transports avec les véritables besoins de la population, les trajets peu empruntés étant desservis moins souvent et par des véhicules de plus petite taille. Dans certaines communes969, la durée des feux tricolores varie selon les heures de la journée, pour une meilleure fluidité. Il est même envisageable que les parcours fluctuent en temps réel selon les besoins des usagers et les données numériques fournies par les capteurs des caméras, des feux rouges ou des autres véhicules collectifs géolocalisés, voire les informations des citoyens970.
Les transports publics devront concentrer tous ces attributs pour devenir un mode de substitution crédible à la voiture automobile. Ils auront en outre l’obligation d’avoir un impact minimum sur l’environnement971.
3576 – Avec quels moyens ? – La question des moyens est primordiale. Densifier les transports collectifs, les rendre plus confortables coûte cher et les finances publiques sont exsangues. Mais le problème est fondamental pour l’avenir des villes. Le législateur l’a compris, en transférant la gestion des stationnements aux collectivités à compter du 1er janvier 2018972et en leur permettant d’affecter les produits engendrés par les contraventions au financement de l’amélioration des transports en commun ou respectueux de l’environnement.
Cette première étape mérite approbation. Elle est néanmoins très insuffisante et devra être suivie rapidement d’une refonte totale du financement des modes de transport alternatifs à l’automobile, et plus généralement des plans de déplacements urbains (C. transports, art. L. 1214-1 et s.)973. Ces documents de planification définissant les orientations politiques locales en matière de transport des personnes et des marchandises, de circulation et de stationnement, devront être repensés après l’avènement de la voiture autonome.
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