3148 – Des contraintes plus ou moins supportables. – L’utilisation des terrains constructibles dans les secteurs déjà urbanisés est une nécessité collective, permettant d’alléger la pression foncière dans les zones périurbaines. Or, tous les terrains ne sont pas immédiatement disponibles à la construction, souvent parce qu’ils ont déjà connu une, deux voire trois vies antérieures, génératrices de pollutions. Parfois, les contraintes des terrains sensibles sont surmontées, rendant utilisables ces ressources foncières (Section I). D’autres fois, les obstacles sont infranchissables, sinon à très long terme. Ces terrains inutilisables doivent néanmoins trouver une place pérenne en ville (Section II).
3149 – La pollution. – Très souvent, la pollution des terrains constitue une contrainte majeure de commercialisation. Cette difficulté varie en fonction de la nature et de la quantité des produits infectant le sol. Certains terrains sont tellement emplis de matières dangereuses que le coût de dépollution252atteint ou dépasse leur valeur. La remise en état, devant respecter un « coût économiquement acceptable » (C. env., art. L. 110-1), engendre des calculs (§ I). La prise en charge de ces coûts est également au centre des débats (§ II).
3150 – Un régime pour les sols gras. – Avant la loi ALUR253ayant créé un véritable régime des « sites et sols pollués » dans le Code de l’environnement (C. env., art. L. 556-1 à L. 556-3)254, la pollution des sols était uniquement gérée sous l’angle du droit des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) concernant les anciens sites industriels, et du droit des déchets pour les autres sites contenant par exemple des remblais ou d’anciennes décharges255.
3151 – La preuve par SIS des situations de pollution. – À partir du 1er janvier 2019256, la connaissance des situations de pollution devrait progresser sensiblement, suite à la mise en place de secteurs d’information sur les sols (SIS) et à la publication d’une carte des anciens sites industriels et activités de services (CASIAS) par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL)257. Ainsi, l’existence d’un SIS sur un terrain impose non seulement au propriétaire d’informer le locataire ou le futur acquéreur de la présence de pollution, mais également au futur aménageur la réalisation d’études de sol et de mesures de gestion de la pollution afin de garantir la compatibilité du projet d’aménagement avec l’état du sol.
Cette information obligatoire a pour objectif de sécuriser les opérations sur le plan économique.
3152 – Forages pétrolifères et dépollution, même combat. – Lorsque le coût de remise en état du terrain est supérieur à sa valeur, le projet est abandonné. Souvent, il est uniquement reporté, au même titre que l’extraction du pétrole : impossible un jour, elle se révèle rentable le lendemain grâce à des coûts de forage moindres ou un prix de vente plus élevé.
Le jour où le bilan coût de dépollution/valeur du terrain remis en état s’inverse, le foncier laissé en jachère revient sur le marché. La rareté foncière et les progrès techniques favorisent ces occurrences, même si l’inflation des normes tend à rendre cet axiome compliqué.
3153 – Les insuffisances du système pollueur-payeur. – Le système pollueur-payeur a longtemps été présenté comme une vérité absolue de justice258. Mais avec près de 450 000 sites potentiellement pollués recensés en France, les juges et le législateur ont dû faire preuve de pragmatisme et privilégier parfois la solvabilité à l’équité. Ainsi, la loi ALUR a-t-elle mis en place un classement par ordre de priorité des responsables en matière de sites pollués, quelle que soit la cause de la pollution (C. env., art. L. 556-3, II)259. Le dernier exploitant d’une installation classée est responsable de la pollution du terrain pendant trente ans à compter de la notification de la cessation d’activité260. À défaut, la responsabilité du producteur ou du détenteur des déchets à l’origine de la pollution pourra être recherchée (C. env., art. L. 541-2 et L. 541-3). Enfin, le propriétaire du terrain est responsable à titre subsidiaire lorsqu’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’a pas été étranger à la pollution261, quand ce n’est pas l’État au travers de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)262.
3154 – Recherche d’un transfert de responsabilité. – Les contraintes de remise en état sont telles que chacun est tenté d’en transférer la responsabilité à autrui. Le législateur, conscient de l’intérêt à élargir le cercle des intéressés, a prévu un transfert de responsabilité aux tiers volontaires (C. env., art. L. 512-21 et R. 512-76 et s.). Il s’agit ici de faciliter la libération et la réutilisation d’anciens sites industriels en laissant la responsabilité de la remise en état à une personne physique ou morale indépendante des propriétaires et exploitants antérieurs, mais qui, au travers d’un titre263, prend à sa charge la responsabilité de l’état du terrain.
3155 – Les différentes étapes du transfert de responsabilité. – Le transfert de responsabilité est prévu en plusieurs étapes successives264 :
1. un accord écrit est régularisé entre le tiers et l’exploitant265, relativement au transfert de responsabilité et à la détermination de l’usage futur du site266 ;
2. un premier accord de principe est demandé au préfet sur la base d’un pré-dossier ;
3. un dossier de demande de transfert de responsabilité est transmis au préfet267 ;
4. un arrêté préfectoral définit les travaux à réaliser268et leur délai, ainsi que le montant et la durée des garanties financières exigées ;
5. les travaux sont mis en œuvre par le tiers demandeur, jusqu’au constat par la DREAL de la réalisation de tous les travaux nécessaires à la remise en état du site, ce qui justifiera la levée des garanties financières.
À ce jour, très peu de procédures sont allées à leur terme, l’importance des garanties financières demandées au tiers intéressé et la responsabilité résiduelle de l’exploitant en cas d’insolvabilité du demandeur nuisant à l’efficacité du processus.
3156 – Des terrains sans avenir. – Les ressources foncières sont inutilisables lorsque les contraintes sont telles que même à long terme, un avenir urbanisé est inenvisageable.
Cette impasse relève principalement de l’existence de risques naturels, technologiques ou miniers.
Le plan de prévention des risques naturels (PPRN)269vise à réduire la vulnérabilité des personnes et des biens par une réglementation des installations dans les zones potentiellement dangereuses au titre des inondations, des avalanches, des feux de forêt et autres risques liés aux débordements de la nature. De son côté, le plan de prévention des risques technologiques270se concentre uniquement sur la protection des personnes, par un contrôle de l’urbanisme autour des établissements industriels à haut risque installés à proximité de zones habitées.
Chaque situation nécessite une étude personnalisée, le classement d’un bien dans une zone à risque étant susceptible d’avoir de très graves conséquences sur son avenir.
3157 – Le futur des terrains sans avenir. – À cet égard, les collectivités sont en constante recherche d’équilibre. L’objectif est double : diminuer l’intensité des risques jusqu’à les rendre acceptables lorsque c’est possible, et circonscrire au plus juste le périmètre des dangers définitivement avérés. Par ailleurs, s’il est impératif de protéger les citoyens contre les risques de toute nature, il convient également de tenir compte du droit de propriété et des contraintes budgétaires. Ainsi, une collectivité met toujours en œuvre les mesures lui permettant de réduire les risques à la source lorsqu’elles sont moins onéreuses que le rachat des biens concernés.
En revanche, lorsqu’il n’existe plus d’espoir de protéger les biens situés en zone d’exposition maximale aux risques à des coûts raisonnables, la collectivité peut être contrainte de racheter les terrains (§ I). Il convient ensuite de gérer l’avenir des sites acquis sans obérer les finances publiques (§ II).
3158 – Des mesures… financières. – L’importance des contraintes pesant sur les terrains situés dans des zones à risque varie selon les biens. Certaines servitudes restreignent tellement le droit de propriété que l’expropriation est la seule mesure envisageable (A). Dans d’autres cas, l’existence d’une procédure de délaissement protège suffisamment le propriétaire, lui laissant le choix de rester ou de partir (B).
Le choix de soumettre les biens immobiliers à une procédure d’expropriation ou de délaissement appartient à la collectivité. En toute hypothèse, ces mesures doivent être financées, à l’instar de la mise en sécurité des sites et de la démolition des biens, le cas échéant. À l’heure des restrictions budgétaires généralisées, ce financement est d’autant moins facile à mettre en place que la valeur des biens est fixée sans tenir compte de la dépréciation engendrée par le classement en zone à risque.
Lorsque l’industriel responsable du risque est encore in situ et in bonis, il est généralement contraint de participer aux efforts financiers271, au moyen d’une convention tripartite le liant à l’État et aux collectivités locales272. Mais ce n’est pas toujours possible et la facture est importante pour la collectivité.
3159 – L’expropriation pour les cas gravissimes. – L’expropriation pour cause d’utilité publique a fait l’objet d’une analyse détaillée dans le rapport du 109e congrès relatif aux propriétés publiques273. Elle se justifie pour les biens situés en zone d’exposition très grave d’un plan de prévention des risques naturels ou technologiques.
À ce titre, dans le cadre des procédures liées au drame de la tempête Xynthia, un arrêt de la cour d’appel de Nantes a confirmé la légalité des expropriations concernant les maisons des propriétaires n’ayant pas voulu vendre à l’amiable. La cour a considéré que « le coût des travaux de sauvegarde jugés nécessaires à la protection des vies humaines était très supérieur au coût des expropriations » et que « l’atteinte à la propriété privée et le coût de l’opération n’étaient pas de nature à retirer à l’expropriation contestée son caractère d’utilité publique »274.
La procédure d’expropriation n’est pas obligatoire. La vente amiable est en effet toujours possible275.
3160 – Le droit de délaissement pour les cas graves. – Après son approbation, le plan de prévention des risques technologiques vaut servitude d’utilité publique (SUP) et s’impose au PLU. Ainsi, les terrains situés en zone d’exposition grave à un danger sont grevés de servitudes en restreignant la jouissance. En compensation, le propriétaire bénéficie d’un choix : conserver son bien en réalisant des travaux de protection ou utiliser le droit de délaissement (C. urb., art. L. 230-1 et s.).
Ce droit consiste à mettre en demeure la collectivité publique de procéder à l’acquisition du bien concerné. Elle dispose d’un an à compter de la réception en mairie de la mise en demeure pour décider si elle acquiert ou non le terrain situé dans la zone à risque. Dans le premier cas, le prix est fixé soit à l’amiable dans le même délai276, soit par le juge de l’expropriation277. Dans le second cas, la collectivité est tenue de modifier son PLU pour faire disparaître les servitudes dépréciant la valeur du terrain278.
En cas d’exercice du droit de délaissement, tous les droits réels et personnels tels que les servitudes et les baux sont éteints par le transfert de propriété au profit de la collectivité, indépendamment de la nature de l’acte ou de la décision ayant opéré cette cession (C. urb., art. L. 230-5).
3161 Les biens situés dans des zones où l’importance des risques justifie un transfert de propriété au profit de la collectivité requièrent une protection immédiate (A). Corrélativement, il convient de réglementer l’urbanisation future des zones concernées (B).
3162 – Gérer l’existant. – L’évolution du principe de précaution provoque un durcissement des lois protectrices. Ainsi, nombre de bâtiments sont situés sur des terrains aujourd’hui inconstructibles au regard de leur emplacement en zone à risque. Dans les cas les plus extrêmes, l’État prend ses responsabilités et prévoit des démolitions279. Mais, le plus souvent, il intervient sur le bâti existant, en subventionnant les mesures de protection des habitants ou des travailleurs du secteur prévues dans les PLU280.
3163 – Une réglementation plus ou moins sévère. – En général, les terrains ayant fait l’objet de mesures d’expropriation ou de délaissement ne recouvrent jamais une constructibilité pleine et entière. Aussi convient-il de réglementer leur urbanisation future.
Les terrains situés dans les zones les plus exposées sont sanctuarisés en dehors de tout urbanisme opérationnel. Tout bâtiment nouveau y est interdit, contrairement aux zones moins touchées où de nouvelles constructions peuvent être autorisées sans qu’il y ait toutefois augmentation de la population. Dans d’autres zones encore moins sensibles, seuls les changements de destination ou les conditions d’installation des établissements recevant du public (ERP) sont réglementés. Il s’agit parfois même uniquement de réglementer certains usages, tels que les équipements de plein air ou les accès des zones exposées.
3164 – Garder en mémoire l’état des milieux. – Pour les terrains les plus sensibles, il est important de garder en mémoire l’état des milieux. À cet égard, la meilleure façon de pérenniser l’information consiste à mettre en place des servitudes d’utilité publique, qui, par le truchement de la publicité foncière, conserveront intacte l’empreinte du passé du terrain.