Propos introductifs de Olivier BOUDEVILLE, Rapporteur général du 117e Congrès des notaires de France

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Olivier Boudeville
Olivier BOUDEVILLE
Rapporteur général du 117e Congrès des notaires de France

« Le numérique, l’Homme et le droit. Accompagner et sécuriser la révolution digitale »

La révolution numérique bouleverse l’Homme et le droit. Elle est souvent comparée aux grandes ruptures technologiques provoquées par l’invention de la machine à vapeur ou de l’électricité au cours des révolutions industrielles passées. Mais en réalité, la rupture est bien plus profonde et ses effets beaucoup plus diffractés. Algorithmes, big data, réalité virtuelle, machine learning, robotique, intelligence artificielle, objets connectés, ville intelligente, blockchain, fintech... Les technologies de la révolution numérique sont plus puissantes et plus universelles que celles des révolutions industrielles et ont investi tous les
pans de la vie et de l’économie. La révolution numérique implique donc un changement de paradigme sociétal. Elle offre une formidable opportunité pour repenser la place de l’Homme dans l’économie et la société.

Voilà pourquoi l’Homme a été au centre de la réflexion de l’équipe du 117 e Congrès des notaires de France sur le numérique et le droit.

Voilà aussi pourquoi le rapport que j’ai l’honneur de vous présenter rejoint les préoccupations de nos clients, forcés de vivre dans une nouvelle ère numérique qui bouscule les schémas établis.

Car c’est un fait, l’ère numérique oblige l’Homme à changer son rapport au temps et à l’espace en créant un temps plus court et un espace plus étendu.

Il s’agit là des deux principales caractéristiques du monde numérique : immédiateté et mondialisation.

L’homme « numérisé » vit en effet dans un temps qui appartient au présent et qui fait de l’instant le champ de tous les possibles grâce à une technologie toujours plus aboutie. Sa réaction aux évènements doit par ailleurs être immédiate pour ne pas paraître obsolète. Cette immédiateté qui caractérise le monde numérique a profondément modifié le rapport de l’Homme avec la société, mais aussi avec l’État et les professionnels du droit que nous sommes. Ses effets sont d’autant plus considérables que l’espace numérique n’a pas de frontière et crée les conditions d’un nouvel espace virtuel mondial où naviguent des internautes épris d’un accès direct au savoir.

  • Comment alors apprécier l’application de la règle de droit dans ce nouvel espace-temps provoqué par la révolution digitale ?
  • Faut-il adapter la règle de droit existante au monde numérique ?
  • Faut-il au contraire créer de nouvelles règles ?
  • Peut-on même ambitionner de réguler un univers caractérisé par l’immédiateté et la mondialisation ?

Ces questions ont été centrales dans la réflexion de l’équipe des rapporteurs.

Certes, l’adaptation de notre droit au progrès ou aux évolutions sociétales n’est pas en soi une nouveauté, et le législateur a déjà démontré par le passé qu’il savait s’emparer de cette tâche. Mais la mission est cette fois-ci beaucoup plus complexe car la technologie et les acteurs du monde numérique sont omniprésents et particulièrement puissants. Peut-on réellement imposer à Google ou Facebook l’application d’une règle de notre droit interne ? Peut-on réguler le transfert de bitcoins qui se fait par un simple clic ? Comment même définir le champ d’application de la règle de droit dans un univers
virtuel et infini ?

Notre réflexion nous a rapidement conduit à faire le constat de l’existence de deux mondes bien distincts : le « vieux monde matériel » d’une part, – pour lequel nos règles du Code civil ont été écrites à une époque qui ne connaissait que la matérialité des faits et des évènements – et le « nouveau monde numérique » d’autre part, complètement emprunt d’immatérialité et de virtuel et qui semble répondre à ses propres règles 1. L’homme « numérisé » serait donc partagé entre ces deux mondes, et c’est précisément la coexistence de ces deux mondes qui constitue aujourd’hui un défi pour le droit. Il s’agit en effet d’instaurer une unité entre les règles du monde matériel et celles du monde immatériel au risque de voir ces deux mondes s’opposer. C’est là le principal enjeu du législateur : créer les passerelles nécessaires à la coexistence de ces deux mondes pour que l’un ne se construise pas sans l’autre et que le développement effréné du numérique ne conduise pas à l’apparition d’un Homme bicéphale ou pire encore, à l’effacement de l’Homme devant la technologie.

Cette réflexion sur l’unicité des règles entre le monde matériel et le monde immatériel nous a bien évidemment amené à confronter les règles existantes avec les outils et nouvelles technologies du monde numérique. Le lecteur ne sera donc pas étonné de voir poindre entre les lignes de ce rapport des termes et expressions qui relèvent volontiers d’une forme de « barbarisme » numérique ! Mais ne nous y trompons pas, le thème de ce congrès n’est pas celui de l’outil numérique, et les développements techniques n’ont été autorisés dans ce rapport que pour expliquer ou mieux comprendre l’application de la règle de droit dans l’univers numérique.

La technique ne doit d’ailleurs pas effrayer le juriste. Bien au contraire, la technique ne change finalement pas grand-chose dans le raisonnement juridique qui une fois de plus reposera d’abord sur la qualification des actes et des faits pour ensuite les rattacher à une règle de droit.

  • Peut-on qualifier les cryptomonnaies de monnaies ?
  • Un blog peut-il être qualifié d’œuvre de l’esprit ?
  • Peut-on assimiler le régime des actifs numériques à celui des stock-options ?
  • Un compte Facebook peut-il être qualifié de bien à caractère personnel ?

Dans sa confrontation au monde numérique, le droit est plus que jamais un art de la qualification et le juriste ne devrait pas être en cela décontenancé.

En revanche, la naissance d’un nouveau bien, voire d’un nouveau concept associé à une nouvelle technologie a ceci d’intéressant qu’elle oblige le juriste et en particulier le notaire, à « repenser » sa matière. En effet, même si les intentions des parties restent identiques et intemporelles (transmission, vente, prêt, etc.), la nouveauté et l’originalité du bien transféré ou donné en garantie impose au notaire de rechercher de nouvelles solutions en utilisant les anciens outils mis à sa disposition par le Code civil. Les notaires ne peuvent plus se contenter d’être les officiers publics de l’espace matériel de leurs clients sans les accompagner aussi dans leur vie immatérielle ; et les utilités qu’ils remplissent dans le monde physique ont également tout leur sens dans le monde dématérialisé.

  • Le notaire peut-il négliger la présence d’un compte de cryptomonnaies dans une liquidation ?
  • Que répondre à un client qui souhaite léguer les photos de son compte Facebook ?
  • Comment procéder à la cession d’un fonds de commerce électronique ?

Les problématiques liées au monde numérique ont déjà investi toutes les strates de la vie de nos clients et cette tendance ne fera que s’accentuer dans les années qui viennent. Or, à côté de l’Homme qui vit dans le monde numérique, il doit aussi y avoir un notaire qui accompagne et sécurise.

Le rapport a donc été conçu pour permettre au notaire de s’orienter dans l’espace numérique. Face à l’ampleur du sujet, certains thèmes ont été volontairement écartés comme la cybercriminalité et les mutations de la propriété intellectuelle pour approfondir trois sujets qui orchestrent la pratique quotidienne des notaires :

  • la personne ;
  • le patrimoine ;
  • et le contrat.

Première commission. – Protéger la personne et le citoyen dans le monde numérique

Rachel Dupuis-Bernard, Alain Maisonnier et Hubert Letinier commencent par dresser un état des lieux de la dématérialisation de la vie sociale pour l’Homme et le citoyen. Cet état des lieux est en partie sociologique, car comme cela a déjà été souligné, c’est bien sous le prisme de l’Homme que nous avons mené notre réflexion. Il fallait donc analyser
la place de l’individu dans ce monde ultra connecté avant d’en mesurer les conséquences sur la règle de droit.

Je tiens ici à remercier très chaleureusement Dominique Boullier, professeur des universités en sociologie qui nous a beaucoup aidé dans cette tâche et dont la hauteur d’esprit a guidé notre équipe peu enclin à cette matière.

Cette analyse sociologique a d’abord mis en évidence le risque d’une fracture sociale numérique. En effet, le numérique n’est pas un choix pour bon nombre d’individus. Ce nouvel univers dématérialisé crée des inégalités pour ceux qui n’ont pas accès à internet et aux technologies numériques. Ces exclus du numérique, frappés « d’illectronisme » sont atteints d’une nouvelle forme de e-vulnérabilité qui mérite une protection particulière. Mais ce sont aussi et surtout les majeurs protégés qui doivent bénéficier de mesures particulières de protection dans la sphère numérique. Une proposition en ce sens sera présentée à Nice.

L’analyse sociologique a ensuite relevé une dématérialisation inquiétante des relations du citoyen avec l’État. Cette dématérialisation de l’action publique, souvent justifiée par une volonté de simplification des rapports entre l’État et le citoyen ne doit pas se faire au détriment des « jamais-connectés ». L’État doit pouvoir garantir à chaque citoyen un accès à l’« e-administration ». Là aussi, des propositions seront faites à Nice pour garantir à chaque individu un accès à internet.

Enfin, l’analyse sociologique de la société ultra connectée fait les promesses d’une nouvelle forme de liberté d’expression. Le numérique offre, en effet à chaque individu des moyens nouveaux pour se reconnaître une identité, s’exprimer et parfois même exister. Toutes ces traces de vie privée ainsi laissées sur la toile sont autant d’empreintes de l’existence et de la vie réelle de chacun. Une réflexion s’est donc très vite imposée sur la notion même de « vie privée » et de « vie publique » qui ne recouvre pas les mêmes réalités eu égard aux différences culturelles et sociologiques pouvant exister entre les
individus.

Après avoir dressé cet état des lieux sociologique de la dématérialisation de la vie sociale, les rapporteurs se sont attachés à étudier les attributs numériques de la personne. L’identité numérique d’abord, et surtout la reconnaissance de cette identité par le titre d’identité numérique et la signature dématérialisée. La capacité numérique ensuite, avec les enjeux déjà évoqués concernant la protection de l’autonomie numérique. Je tiens à saluer au passage, le formidable travail réalisé sur ces sujets par la troisième commission du 113e Congrès des notaires de Lille et qui a constitué le point de départ de notre étude.

La reconnaissance d’une identité numérique fiable et sécurisée est sans doute l’un des enjeux majeurs des pouvoirs publics aujourd’hui, notre pays étant sur ce point plus en retard que la moyenne des autres pays européens. Elle constitue le prérequis indispensable à une transposition dans le monde numérique de la sécurité des transactions assurée dans le monde réel grâce à la carte nationale d’identité. L’application du règlement n° 2019/11587 du Parlement européen et du Conseil en date du 20 juin 2019 oblige les États membres à mettre en œuvre le déploiement de la « Carte Nationale d’Identité électronique » (CNIe) dont la version française est sans doute perfectible. Des pistes d’amélioration de la CNIe seront ainsi proposées à Nice.

Les rapporteurs de la première commission ont enfin très logiquement terminé leur étude de la personne par la question de la mort dans le monde numérique. Ils ont ainsi constaté que l’Homme « numérisé » pouvait survivre à sa mort physique : le monde numérique créant ainsi l’illusion d’une forme d’immortalité.

En effet, l’existence numérique d’une personne (adresses mail, comptes sur réseaux sociaux, espaces de stockage de photos, etc.) ne s’arrête pas à sa mort physique. À l’inverse, le droit à une disparition numérique de son vivant doit être reconnu à chaque individu par un exercice du droit à l’effacement des données ou « droit à l’oubli ».

Le rapport détaille ainsi l’ensemble des dispositions issues de la loi Lemaire du 7 octobre 2016 qui a fixé le sort des données à caractère personnel selon que la personne décédée a pris des dispositions de dernières volontés ou n’en a pas pris. Cette étude approfondie a mis en évidence certaines imprécisions de rédaction du législateur qui nécessitent d’être
clarifiées. Une proposition en ce sens sera faite à Nice.

Deuxième commission. – Valoriser et transmettre le patrimoine dans le monde numérique

Le numérique ne s’est pas contenté de révolutionner les modes de détention et de gestion des actifs traditionnels, il a créé ses propres actifs (cryptomonnaies bitcoins, ethereum, tokens d’usage, security token) qui participent à la constitution d’un patrimoine numérique d’un ordre nouveau.

Au cours de leur réflexion, Cédric Pommier, Vannina Mamelli et Arthur Cazalet ont mis en évidence cette spécificité du numérique qui peut à la fois constituer l’environnement du patrimoine traditionnel et l’objet même du patrimoine. Cette dualité d’approche du numérique appréhendé comme le « contenant » ou le « contenu » a conduit les rapporteurs à s’interroger sur les utilités du patrimoine entrepreneurial, immobilier et familial dans le monde numérique.

Le patrimoine entrepreneurial d’abord, car c’est pour satisfaire le développement d’une nouvelle économie que le numérique a créé ses propres actifs. Il suffit pour s’en convaincre, de rappeler que le bitcoin est né en réaction à la crise des subprimes de 2008 afin de permettre l’éclosion d’une « monnaie virtuelle » fonctionnant en toute indépendance du système bancaire en place et des monnaies ayant cours légal. Le développement de la « cryptoéconomie » a donc donné naissance à de nouveaux biens, droits et obligations dont une personne physique ou morale peut être titulaire ou tenue.

L’entreprise découvre ainsi des possibilités de financement inédites par la tokénisation d’instruments financiers et de ses produits ou services (ICO). Elle voit apparaître de nouveaux outils qui facilitent sa gouvernance grâce notamment à la technologie blockchain. Surtout, l’apparition de ces nouveaux actifs pose la question de leur valorisation et de leur mise en garantie par la constitution de sûretés, conditions déterminantes de la pérennité d’une économie numérique qui fait déjà les promesses de sa prospérité.

Les rapporteurs de la deuxième commission ont ensuite mené une importante étude sur l’impact de la révolution digitale sur le patrimoine immobilier. Une analyse très approfondie et inédite est consacrée au Building Information Modeling (ou BIM), processus de modélisation graphique qui a révolutionné la conception de l’immeuble en s’imposant comme un moyen d’optimiser la qualité d’un projet et de rationaliser les coûts. L’ère numérique offre aux professionnels de l’immobilier des informations et des outils exceptionnels pour planifier, concevoir, construire et gérer plus efficacement des bâtiments et des infrastructures. Elle offre également de nouvelles perspectives sur les transactions avec l’apparition de la tokénisation immobilière et la digitalisation de la publicité foncière.

Les rapporteurs de cette commission terminent leurs travaux par une analyse des enjeux du patrimoine familial dans le monde numérique. Ils font le constat que la digitalisation a provoqué un bouleversement du droit de la famille et des modifications substantielles dans l’organisation des biens familiaux. Les actifs numériques occupent ainsi une place croissante dans la composition du patrimoine des personnes privées en général et de celui des membres d’un couple ou d’une famille en particulier.

Les notaires ne peuvent plus ignorer l’existence de ces nouveaux actifs au sein du patrimoine familial. La liquidation et le partage de régimes matrimoniaux et de successions comprenant des actifs numériques familiaux n’est pas sans susciter des interrogations et difficultés pratiques liées à leurs spécificités économiques, civiles et fiscales.

  • Comment traiter le sort d’un token ou d’un site internet ouvert par l’un des conjoints dans un divorce ou une succession ?
  • Comment calculer une récompense liée à un bitcoin dont la principale caractéristique est sa volatilité ?
  • Comment même distinguer l’actif numérique qui a une valeur patrimoniale de la « chose numérique » attachée à la personne qui en est titulaire ?

Le rapport répond à toutes ces questions en opérant une relecture de la règle de droit applicable aux régimes matrimoniaux et aux successions sous le prisme du numérique. Il offre ainsi des réponses concrètes aux notaires qui sont déjà ou seront inévitablement confrontés à ses problématiques en mettant en évidence, une fois de plus, l’enjeu lié à l’identification et à la qualification de ces nouveaux actifs familiaux. Un cas pratique reprenant ces principales situations sera développé à Nice.

Une réflexion sur l’adaptation des transmissions entre vifs et à cause de mort au monde numérique s’est également imposée aux rapporteurs de cette commission. En particulier, les règles de forme des testaments qui n’ont pas évoluées depuis des décennies ne doivent elles pas s’adapter aux pratiques d’une génération 3.0 née dans un monde pixélisé ? De
nombreuses pistes sont possibles dans le respect d’un subtil équilibre entre sécurité et modernité. Certaines feront l’objet de propositions à Nice.

Troisième commission. – Moderniser et encadrer le contrat dans le monde numérique

Le contrat appartient déjà sans doute à la sphère de l’immatériel car il repose avant tout sur un accord de volontés dont l’expression ne commande en principe aucune matérialité. Pour autant, la révolution digitale interroge le droit des contrats sur la pertinence de règles établies à l’époque du Code napoléonien où la matérialité commandait à la fois l’objet et la forme des contrats.

Xavier Ricard, Laetitia Jossier et Caroline Chaunu passent ainsi au crible du numérique les règles de formation et d’exécution du contrat, telles qu’elles sont aujourd’hui rédigées dans le Code civil.

Cette troisième commission met en évidence une nécessaire adaptation du droit des contrats à la vie numérique.

  • La conclusion d’un contrat par un simple « clic » ne nécessite-t-elle pas une obligation d’information précontractuelle renforcée ?
  • Quelle est la portée probatoire de la signature numérique ou de la blockchain dans un litige consécutif à une transaction ?
  • Quel niveau de confiance le notaire doit-il accorder à une procuration signée électroniquement par son client ?
  • Les sanctions du contrat doivent-elles se calculer et s’exécuter automatiquement au moyen d’un smart contract et en dehors de toute intervention humaine ?

Les questions sont nombreuses et le sujet très vaste car le monde numérique produit sans cesse de nouvelles technologies auxquelles le juriste doit associer un régime juridique. Car c’est bien le droit des contrats qui est contraint de s’adapter au monde numérique, et non l’inverse.

Cette adaptation du droit des contrats à la vie numérique ne peut pas toutefois se réaliser sans sécurité juridique. La sécurité juridique est en effet une condition déterminante au développement de l’économie numérique. L’exigence de sécurité et d’efficacité qui justifie souvent la conclusion d’un contrat est par ailleurs une attente légitime des cocontractants quelle que soit la forme numérique de l’opération contractuelle en général ou du contrat en particulier. La sécurité juridique suppose en effet que les parties puissent obtenir avec certitude ce qu’elles ont recherché en contractant ensemble. Pour autant, les nouvelles technologies rendent-elles le contrat plus sûr ? Facilitent-elles les relations contractuelles ? D’une façon générale, en assurent-elles la sécurité juridique ?

Les rapporteurs pointent ainsi des difficultés portant notamment sur la portée probatoire de la signature électronique et la qualification du smart contract qui nécessitent que des propositions soient faites à Nice.

Au-delà de la règle de droit, ce sont également les professionnels du droit en général et les notaires en particulier qui doivent repenser leurs rôles et leurs missions. En effet, quelle est la plus-value apportée par un rédacteur d’actes lorsque l’intelligence artificielle peut détecter les incohérences d’un contrat ou les clauses contraires au droit positif ? Quelle est la plus-value de l’officier public pour attester d’une date, de l’existence d’un consentement ou d’une donnée face au chrono datage d’un logiciel, à l’enregistrement vidéo d’un accord ou au maillage de la blockchain ?

Les enjeux pour notre profession sont bien plus importants qu’ils n’y paraissent. Il ne s’agit pas simplement de s’adapter à l’outil numérique ou de transposer l’acte authentique sur support numérique. Il s’agit avant tout de repenser notre fonction d’officier public et transposer les vertus de l’authenticité dans l’univers numérique. Pour y parvenir, nous pouvons compter sur la confiance que nous accordent nos clients, le conseil que nous donnons pour des solutions personnalisées, le contrôle que nous assurons pour sécuriser les transactions et enfin la conservation que nous garantissons dans le temps.

Confiance, conseil, contrôle et conservation. La dernière partie du rapport mène une réflexion approfondie sur ces quatre missions qui ont toute leur pertinence aussi bien dans le monde matériel que dans le monde immatériel. Et c’est sans doute à l’aune de ces quatre missions qu’il faut apprécier l’expérience temporaire de l’acte authentique avec comparution à distance pendant la crise sanitaire puis l’institution pérenne de la procuration notariée à distance . Ces nouvelles manières de concevoir l’authenticité grâce à la technique ont pu légitimement susciter des réactions passionnées au sein de notre profession. En définitive, c’est bien le législateur qui détermine souverainement le périmètre de l’authenticité et le décret no 2020-1422 du 20 novembre 2020 relatif à la procuration notariée à distance questionne sur de nombreux points. Ce sujet fera bien évidemment l’objet de propositions à Nice.

Le Congrès des notaires est avant tout une formidable expérience humaine et cette édition l’a démontré une fois de plus. Je tiens ici à exprimer toute ma reconnaissance et mon admiration pour les membres de cette belle équipe qui ont su sans cesse s’adapter pendant deux années marquées par la crise sanitaire et qui ont fait preuve de beaucoup de courage et de détermination, souvent au sacrifice de leur vie personnelle, familiale et professionnelle.

Je tiens aussi à remercier très chaleureusement Manuella Bourassin, notre professeur de synthèse, pour son investissement sans faille à nos côtés, sa disponibilité de tous les instants et son extrême bienveillance. Ce rapport doit énormément à sa très grande expertise qu’elle a nous a transmis avec beaucoup de patience et de modestie.

Dans l’univers numérique qui s’ouvre devant nous, le notaire devra avec ses clients s’orienter et faire des choix dans un labyrinthe de possibilités, de complexités et de responsabilités. Je fais le vœu que ce rapport permettra au lecteur de mettre l’Homme au centre de l’équilibre à bâtir entre le numérique et le droit. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait déjà Rabelais en son temps.