Les techniques du droit des biens

Les techniques du droit des biens

– Le volume. – Le territoire n'étant pas infini, il est nécessaire de multiplier les affectations dans un même espace. Pour cette raison, il devient courant d'utiliser la toiture des bâtiments existants pour l'installation de panneaux photovoltaïques. Si ces panneaux ne sont pas destinés à l'autoconsommation mais à une exploitation commerciale par un tiers, le recours aux volumes permet de dissocier la propriété de chacun 1500113173260. Deux volumes sont ainsi créés : un premier comprenant le bâtiment jusqu'à la sous-face de la toiture, et un second pour l'espace situé au-dessus 1500113329273. Cette technique permet la superposition de la propriété privée et de la domanialité publique. Une société privée peut ainsi être propriétaire d'une installation édifiée sur le toit d'un édifice public 1500113465142. Elle vise également à écarter l'application du régime de la copropriété des immeubles bâtis. Cette faculté est toutefois discutée. Selon une thèse restrictive, il n'est possible de déroger au statut de la copropriété que pour les ensembles immobiliers complexes présentant une hétérogénéité de droits 1500117966300. Pour cette doctrine, la loi du 10 juillet 1965 s'applique impérativement à un immeuble homogène, excluant la division en volumes 1500118325081. À l'inverse, une partie de la doctrine plaide pour une application libérale de la volumétrie. Rien n'interdit, selon elle, une organisation juridique différente de la copropriété pour un immeuble réparti entre plusieurs propriétaires, alors qu'il n'existe aucune partie commune entre eux 1500118627129. La jurisprudence semble aller dans le sens de cette seconde analyse. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle admis la division en volumes dans l'hypothèse d'un couloir appartenant à plusieurs indivisaires, surmonté d'un porche appartenant à un seul d'entre eux 1500120241684. Par ailleurs, plusieurs décisions admettent la division en volumes pour des immeubles simples et homogènes 1500120254211. Selon la jurisprudence, le statut de la copropriété s'impose néanmoins en présence de parties communes au sein de l'immeuble 1500120266039. L'exégèse de ces arrêts conduit à admettre la scission juridique d'un bâtiment simple en deux volumes, dont l'un est uniquement constitué de la toiture et des panneaux photovoltaïques 1500120281134. Il convient à ce titre de rédiger un état descriptif de division en volumes contenant les servitudes d'appui et de passage nécessaires. On peut toutefois redouter l'éventuel désintérêt de l'exploitant photovoltaïque, voire sa faillite au cas où son projet se révélerait non rentable. Pour éviter le risque de déshérence du volume contenant l'exploitation, il peut être opportun de régulariser un bail à long terme dont le bailleur serait le propriétaire du dessous, et dont le preneur serait l'exploitant de l'énergie renouvelable.
– La copropriété des immeubles bâtis. – Le syndicat des copropriétaires peut céder la jouissance de la toiture, partie commune de l'immeuble, pour l'implantation de divers ouvrages exploités par des tiers 1500124586801. La loi de 2015 relative à la transition énergétique a abaissé les règles de majorité pour l'installation d'énergies renouvelables sur les toitures des copropriétés 1500124772598. De manière générale, les travaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont votés à la majorité de l'article 25, c'est-à-dire à la majorité des voix de tous les copropriétaires 1500125130935. Lorsque le quorum n'est pas atteint mais que le projet a recueilli au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, la même assemblée peut immédiatement procéder à un second vote à la majorité des voix exprimées 1500125434621. Enfin, une nouvelle assemblée convoquée dans le délai maximal de trois mois peut statuer à la majorité des voix présentes ou représentées 1500125504521. La jouissance d'une toiture s'envisage soit par l'intermédiaire d'un droit réel, en particulier d'une jouissance exclusive sur une partie commune, soit grâce à un droit personnel, et notamment à un bail de droit commun. En toute hypothèse, cette mise à disposition est autorisée par l'assemblée générale des copropriétaires, le règlement de copropriété ne pouvant l'octroyer par avance 1500230036456. Il convient d'éviter la pratique consistant à ériger le haut du bâtiment en lot privatif. Sa légalité est douteuse au regard de la législation sur la copropriété 1504439308836. Et le copropriétaire exploitant supporte alors seul la charge de l'entretien du toit et de son étanchéité.
– L'usufruit temporaire. – La constitution d'un usufruit temporaire est un autre moyen de conférer un droit réel à l'exploitant 1500236074749. En général, la cession d'un usufruit temporaire a lieu moyennant un prix versé en une seule fois, à l'inverse d'un bail impliquant le versement d'un loyer périodique. L'usufruit temporaire concerne tout type d'immeuble : terrain non bâti comme ouvrage bâti. La loi précise seulement que l'usufruitier a un droit de jouissance (C. civ., art. 578). La jurisprudence reconnaît un droit de construire au profit de l'usufruitier, sans que le nu-propriétaire ne soit tenu de l'indemniser 1500237736311, et sans que l'opération ne soit ipso facto qualifiée de donation indirecte au profit du nu-propriétaire 1500237523453. Les constructions nouvelles sont la propriété de l'usufruitier, le nu-propriétaire bénéficiant de l'accession à l'extinction de l'usufruit 1500237528716. Il ne faut toutefois pas que la construction porte atteinte à la substance de la chose dont la propriété est démembrée 1500237533255. L'usufruit temporaire peut donc aisément servir à l'exploitation d'une énergie renouvelable. Cela a toutefois deux limites. D'une part, l'usufruit temporaire au profit d'une personne morale ne peut dépasser trente ans (C. civ., art. 619). D'autre part, sur le plan fiscal, la première cession à titre onéreux d'un usufruit immobilier temporaire ne relève plus de l'impôt sur les plus-values 1500235614965. L'opération est désormais taxable à l'impôt sur le revenu 1504439413839au titre des revenus fonciers (CGI, art. 13, 5).
– Le droit réel de jouissance spéciale. – Il est également possible d'avoir recours au droit réel de jouissance spéciale d'origine prétorienne 1500667926711. Son principal atout par rapport à l'usufruit temporaire est de pouvoir être constitué au profit d'une personne morale pour une durée supérieure à trente ans, sans toutefois pouvoir être perpétuel 1500667940417. Selon la jurisprudence, le droit n'est pas perpétuel lorsqu'il est constitué pour la durée de vie de la personne morale bénéficiaire. De manière générale, ce droit n'étant pas régi par les règles en matière d'usufruit, offre une très grande liberté contractuelle 1500667967689. Il ne doit cependant pas permettre d'éviter les règles d'ordre public du droit des biens : par exemple, il ne peut priver le droit de propriété de toute utilité 1500667984773. Il est néanmoins tout à fait possible d'utiliser cette nouvelle institution pour opérer un démembrement économique de l'immeuble, c'est-à-dire une répartition durable des utilités d'une chose entre deux personnes 1500667996968. Les techniques précédemment énoncées reposent sur une division de la propriété dans l'espace : à l'un la propriété de la construction, à l'autre la propriété de l'immeuble la supportant. Le droit de jouissance spéciale permet d'imaginer une situation où une partie serait propriétaire de l'outil de production et l'autre bénéficiaire d'un droit réel sur l'énergie produite pendant un temps déterminé. Cependant, l'institution n'étant fondée que sur quelques solutions prétoriennes récentes, beaucoup de questions pratiques restent encore dans l'ombre. Par exemple, quelle sûreté est-il possible de constituer sur le droit de jouissance spéciale appliqué à l'énergie produite par une éolienne ? Faut-il considérer, par analogie avec l'usufruit, qu'il s'agit d'un droit réel immobilier susceptible d'hypothèque ?