L'utilisation de la propriété privée

L'utilisation de la propriété privée

Le moyen le plus évident de contrôler le foncier est d'en être propriétaire. Toutefois, comme souvent en matière industrielle et commerciale, l'exploitant d'une énergie renouvelable souhaite généralement dissocier propriété et jouissance. En pratique, la maîtrise pérenne du foncier est assurée de trois manières différentes. Tout d'abord, par le recours à des techniques légales (A). Ensuite, par l'emploi de techniques contractuelles, essentiellement l'emphytéose et le bail à construction (B). Enfin, par l'usage de techniques appartenant au droit des biens (C).

Les techniques légales

– Servitudes légales en géothermie. – En matière d'énergies renouvelables, diverses servitudes légales permettent d'utiliser le terrain d'autrui de manière pérenne 1499364498890. Ces servitudes existent pour la géothermie. Ainsi, à l'intérieur du périmètre minier, voire à l'extérieur au moyen d'une déclaration d'utilité publique, l'exploitant peut être autorisé par l'administration à jouir des terrains nécessaires à son exploitation (C. minier, art. L. 153-3). Sauf pour les gîtes géothermiques à basse température, cette servitude ne peut toutefois être imposée à moins de cinquante mètres d'une habitation ou de ses dépendances closes de murs sans le consentement du propriétaire (C. minier, art. L. 153-2). Une servitude légale similaire permet l'implantation de tout câble ou canalisation nécessaire à l'exploitation géothermique (C. minier, art. L. 153-8). Le propriétaire grevé de servitudes peut toutefois requérir l'achat ou l'expropriation de son bien, si l'utilisation normale de son fonds est rendue impossible (C. minier, art L. 153-10).
– Servitudes légales en hydroélectricité. – De telles servitudes existent également en matière hydroélectrique 1499364576017. Elles sont subordonnées à une déclaration d'utilité publique (C. énergie, art. L. 521-7). Ces servitudes octroient alors le droit d'ancrage et d'appui, le droit de passage et d'élagage des arbres, le droit de submersion et d'occupation temporaire, nécessaires à l'exploitation (C. énergie, art. L. 521-8). Là encore, les bâtiments et les dépendances d'habitation ne sont pas grevés de cette servitude (C. énergie, art. L. 521-8), et le propriétaire peut exiger l'achat de sa terre si celle-ci n'est plus propre à la culture (C. énergie, art. L. 521-10). Par contre, la servitude n'est indemnisée que si son institution entraîne un préjudice direct, matériel et certain (C. énergie, art. L. 521-11).

Droit à l'expropriation

Si les servitudes légales se révèlent insuffisantes, la législation réserve la possibilité de requérir l'expropriation pour permettre l'exploitation des énergies renouvelables. Ainsi, à la demande de l'exploitant géothermique, l'expropriation des immeubles nécessaires peut être poursuivie tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du périmètre minier (C. minier, art. L. 153-14). Le même recours à l'expropriation peut être sollicité par l'exploitant hydroélectrique (C. énergie, art. L. 521-7).

Les techniques contractuelles

– Bail commercial. – L'exploitation professionnelle d'une énergie renouvelable est possible dans le cadre d'un bail commercial. Le bail commercial s'applique en effet aux immeubles dans lesquels un fonds appartenant à un commerçant est exploité (C. com., art. L. 145-1). Or, la transformation d'énergie, spécialement la production d'électricité à partir de panneaux photovoltaïques, est en principe un acte de commerce 1499635218898. Cette production est en effet assimilée à une activité de manufacture parmi la liste des actes de commerce prévue à l'article L. 110-1 du Code de commerce. La personne produisant de l'énergie à titre habituel bénéficie ainsi de la qualité de commerçant (C. com., art. L. 121-1). Pour autant, le bail consenti à un tel professionnel ne relève pas nécessairement du statut d'ordre public des baux commerciaux 1499635255362. En effet, le bail commercial s'applique à un terrain nu, à condition que des « constructions à usage commercial, industriel ou artisanal » y soient édifiées avant ou après le bail avec le consentement du bailleur (C. com., art. L. 145-1, I, 2°). Or, la jurisprudence entend le terme « construction » au sens de ce texte comme un « local » où est exercée une activité 1499635288094. Il est donc douteux que la location d'un terrain en vue d'y installer un parc d'éoliennes ou une ferme photovoltaïque relève de ce texte. Par comparaison, des locations pour l'implantation de pylônes de téléski 1499635302275ou d'antennes-relais 1499635318893ne sont pas considérées comme des baux commerciaux. Le bail commercial concerne en effet la location de « locaux » (C. com., art. L. 145-1, I, 1°). La condition n'est pas davantage remplie pour les installations intégrées en surface des bâtiments telles que les panneaux photovoltaïques sur la toiture d'un immeuble 1499635339448.
– Préférence pour les baux conférant un droit réel. – Il est toujours possible de conclure un bail selon le droit commun du Code civil, dont les dispositions ne sont que supplétives, particulièrement quant à la durée ou les obligations respectives du bailleur ou du preneur. Mais ces baux présentent l'inconvénient de ne conférer que des droits personnels. Ils ne peuvent être l'objet de sûretés immobilières, comme les baux à long terme les plus usités dans la pratique des énergies renouvelables : bail à construction et emphytéose.
– Bail à construction. – Le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier pouvant être hypothéqué, à l'instar des constructions édifiées sur le terrain loué (CCH, art. L. 251-3). Ce contrat a l'avantage de fournir une grande stabilité à l'exploitant, étant conclu pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans, sans possibilité de tacite reconduction (CCH, art. L. 251-1). Cette durée peut toutefois être une contrainte pour le preneur devant être certain de la pérennité de son activité. Dans le cadre de ce bail, le preneur s'engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain loué et à les conserver en bon état d'entretien pendant toute la durée du bail (CCH, art. L. 251-1). Le sort des constructions en fin de bail fait l'objet de stipulations entre les parties (CCH, art. L. 251-2) : accession au bailleur, propriété du seul preneur, démantèlement. Ce cadre en fait ainsi un contrat privilégié pour les parcs d'éoliennes ou les fermes photovoltaïques 1499635406973. Il est en revanche inadapté pour une simple location de toit en vue d'y implanter des panneaux photovoltaïques. En effet, on peut douter que la simple pose de panneaux solaires sur un bâtiment existant satisfasse l'obligation de construire dont est débiteur le preneur 1499635421584.
– Bail emphytéotique. – L'emphytéose présente de nombreuses similitudes avec le bail à construction : droit réel immobilier susceptible d'hypothèque, durée de dix-huit à quatre-vingt-dix-neuf ans (C. rur. pêche marit., art. L. 451-1). Le preneur profite également de l'accession pendant la durée du contrat (C. rur. pêche marit., art. L. 451-10). Les clauses d'usage du contrat sont ainsi très similaires à celles du bail à construction énoncées ci-dessus. Néanmoins, l'emphytéose n'impose pas au preneur d'édifier une construction 1499636246016. Cette souplesse accrue est souvent préférée par les exploitants d'énergies renouvelables. Au surplus, la jurisprudence considère qu'un bail emphytéotique ne peut pas comporter de clause limitant l'usage des biens par le preneur, interdisant ainsi au bailleur d'imposer une certaine destination aux lieux loués 1499636379686. En fin de bail, les constructions deviennent en principe la propriété du bailleur (C. rur. pêche marit., art. L. 451-7). Cette règle n'étant pas d'ordre public, il est possible d'imposer à l'exploitant l'obligation de démanteler ses installations en fin de bail 1499636561227. Seul le bailleur peut mettre fin au bail avant le terme en cas de non-paiement de la redevance, inexécution par le preneur de ses obligations, ou détériorations graves (C. rur. pêche marit., art. L. 451-5). En revanche, le preneur n'a pas la faculté de se libérer de la redevance, ni de se soustraire à l'exécution des conditions du bail emphytéotique en délaissant le fonds (C. rur. pêche marit., art. L. 451-6). En pratique, les exploitants souhaitent souvent insérer une clause de résiliation anticipée à leur profit en cas de perte de rentabilité du projet 1499726265474. Le risque lié à l'application de cette clause est une requalification du bail emphytéotique en bail régi par le droit commun du Code civil, avec notamment la perte des sûretés immobilières, particulièrement si le jeu de la clause réduit la durée du bail à moins de dix-huit ans1499726282384.

Clauses particulières des baux à long terme

L'acte notarié comporte tous les éléments habituels d'un bail à construction ou d'un bail emphytéotique : comparution des parties, capacité, désignation de l'immeuble loué, loyer, origine de propriété, vérifications hypothécaires, déclarations fiscales, état des risques naturels et technologiques, déclarations pour l'environnement, charge des frais, etc. Dans le cadre du bail à construction, les ouvrages à édifier sont évidemment détaillés : nature et caractéristiques techniques, délai de réalisation, sort en fin de bail, etc. Au surplus, des points spécifiques méritent une attention particulière.

Il s'agit :

En raison des délais importants pour obtenir ces informations, il est d'usage de régulariser une promesse de bail à long terme sous conditions suspensives.

Les techniques du droit des biens

– Le volume. – Le territoire n'étant pas infini, il est nécessaire de multiplier les affectations dans un même espace. Pour cette raison, il devient courant d'utiliser la toiture des bâtiments existants pour l'installation de panneaux photovoltaïques. Si ces panneaux ne sont pas destinés à l'autoconsommation mais à une exploitation commerciale par un tiers, le recours aux volumes permet de dissocier la propriété de chacun 1500113173260. Deux volumes sont ainsi créés : un premier comprenant le bâtiment jusqu'à la sous-face de la toiture, et un second pour l'espace situé au-dessus 1500113329273. Cette technique permet la superposition de la propriété privée et de la domanialité publique. Une société privée peut ainsi être propriétaire d'une installation édifiée sur le toit d'un édifice public 1500113465142. Elle vise également à écarter l'application du régime de la copropriété des immeubles bâtis. Cette faculté est toutefois discutée. Selon une thèse restrictive, il n'est possible de déroger au statut de la copropriété que pour les ensembles immobiliers complexes présentant une hétérogénéité de droits 1500117966300. Pour cette doctrine, la loi du 10 juillet 1965 s'applique impérativement à un immeuble homogène, excluant la division en volumes 1500118325081. À l'inverse, une partie de la doctrine plaide pour une application libérale de la volumétrie. Rien n'interdit, selon elle, une organisation juridique différente de la copropriété pour un immeuble réparti entre plusieurs propriétaires, alors qu'il n'existe aucune partie commune entre eux 1500118627129. La jurisprudence semble aller dans le sens de cette seconde analyse. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle admis la division en volumes dans l'hypothèse d'un couloir appartenant à plusieurs indivisaires, surmonté d'un porche appartenant à un seul d'entre eux 1500120241684. Par ailleurs, plusieurs décisions admettent la division en volumes pour des immeubles simples et homogènes 1500120254211. Selon la jurisprudence, le statut de la copropriété s'impose néanmoins en présence de parties communes au sein de l'immeuble 1500120266039. L'exégèse de ces arrêts conduit à admettre la scission juridique d'un bâtiment simple en deux volumes, dont l'un est uniquement constitué de la toiture et des panneaux photovoltaïques 1500120281134. Il convient à ce titre de rédiger un état descriptif de division en volumes contenant les servitudes d'appui et de passage nécessaires. On peut toutefois redouter l'éventuel désintérêt de l'exploitant photovoltaïque, voire sa faillite au cas où son projet se révélerait non rentable. Pour éviter le risque de déshérence du volume contenant l'exploitation, il peut être opportun de régulariser un bail à long terme dont le bailleur serait le propriétaire du dessous, et dont le preneur serait l'exploitant de l'énergie renouvelable.
– La copropriété des immeubles bâtis. – Le syndicat des copropriétaires peut céder la jouissance de la toiture, partie commune de l'immeuble, pour l'implantation de divers ouvrages exploités par des tiers 1500124586801. La loi de 2015 relative à la transition énergétique a abaissé les règles de majorité pour l'installation d'énergies renouvelables sur les toitures des copropriétés 1500124772598. De manière générale, les travaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont votés à la majorité de l'article 25, c'est-à-dire à la majorité des voix de tous les copropriétaires 1500125130935. Lorsque le quorum n'est pas atteint mais que le projet a recueilli au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, la même assemblée peut immédiatement procéder à un second vote à la majorité des voix exprimées 1500125434621. Enfin, une nouvelle assemblée convoquée dans le délai maximal de trois mois peut statuer à la majorité des voix présentes ou représentées 1500125504521. La jouissance d'une toiture s'envisage soit par l'intermédiaire d'un droit réel, en particulier d'une jouissance exclusive sur une partie commune, soit grâce à un droit personnel, et notamment à un bail de droit commun. En toute hypothèse, cette mise à disposition est autorisée par l'assemblée générale des copropriétaires, le règlement de copropriété ne pouvant l'octroyer par avance 1500230036456. Il convient d'éviter la pratique consistant à ériger le haut du bâtiment en lot privatif. Sa légalité est douteuse au regard de la législation sur la copropriété 1504439308836. Et le copropriétaire exploitant supporte alors seul la charge de l'entretien du toit et de son étanchéité.
– L'usufruit temporaire. – La constitution d'un usufruit temporaire est un autre moyen de conférer un droit réel à l'exploitant 1500236074749. En général, la cession d'un usufruit temporaire a lieu moyennant un prix versé en une seule fois, à l'inverse d'un bail impliquant le versement d'un loyer périodique. L'usufruit temporaire concerne tout type d'immeuble : terrain non bâti comme ouvrage bâti. La loi précise seulement que l'usufruitier a un droit de jouissance (C. civ., art. 578). La jurisprudence reconnaît un droit de construire au profit de l'usufruitier, sans que le nu-propriétaire ne soit tenu de l'indemniser 1500237736311, et sans que l'opération ne soit ipso facto qualifiée de donation indirecte au profit du nu-propriétaire 1500237523453. Les constructions nouvelles sont la propriété de l'usufruitier, le nu-propriétaire bénéficiant de l'accession à l'extinction de l'usufruit 1500237528716. Il ne faut toutefois pas que la construction porte atteinte à la substance de la chose dont la propriété est démembrée 1500237533255. L'usufruit temporaire peut donc aisément servir à l'exploitation d'une énergie renouvelable. Cela a toutefois deux limites. D'une part, l'usufruit temporaire au profit d'une personne morale ne peut dépasser trente ans (C. civ., art. 619). D'autre part, sur le plan fiscal, la première cession à titre onéreux d'un usufruit immobilier temporaire ne relève plus de l'impôt sur les plus-values 1500235614965. L'opération est désormais taxable à l'impôt sur le revenu 1504439413839au titre des revenus fonciers (CGI, art. 13, 5).
– Le droit réel de jouissance spéciale. – Il est également possible d'avoir recours au droit réel de jouissance spéciale d'origine prétorienne 1500667926711. Son principal atout par rapport à l'usufruit temporaire est de pouvoir être constitué au profit d'une personne morale pour une durée supérieure à trente ans, sans toutefois pouvoir être perpétuel 1500667940417. Selon la jurisprudence, le droit n'est pas perpétuel lorsqu'il est constitué pour la durée de vie de la personne morale bénéficiaire. De manière générale, ce droit n'étant pas régi par les règles en matière d'usufruit, offre une très grande liberté contractuelle 1500667967689. Il ne doit cependant pas permettre d'éviter les règles d'ordre public du droit des biens : par exemple, il ne peut priver le droit de propriété de toute utilité 1500667984773. Il est néanmoins tout à fait possible d'utiliser cette nouvelle institution pour opérer un démembrement économique de l'immeuble, c'est-à-dire une répartition durable des utilités d'une chose entre deux personnes 1500667996968. Les techniques précédemment énoncées reposent sur une division de la propriété dans l'espace : à l'un la propriété de la construction, à l'autre la propriété de l'immeuble la supportant. Le droit de jouissance spéciale permet d'imaginer une situation où une partie serait propriétaire de l'outil de production et l'autre bénéficiaire d'un droit réel sur l'énergie produite pendant un temps déterminé. Cependant, l'institution n'étant fondée que sur quelques solutions prétoriennes récentes, beaucoup de questions pratiques restent encore dans l'ombre. Par exemple, quelle sûreté est-il possible de constituer sur le droit de jouissance spéciale appliqué à l'énergie produite par une éolienne ? Faut-il considérer, par analogie avec l'usufruit, qu'il s'agit d'un droit réel immobilier susceptible d'hypothèque ?