16 Juin Chapitre I – La durée des baux
3154 La durée du contrat de location est une modalité de protection du locataire, du droit au logement, droit fondamental affirmé par le premier article de la loi du 6 juillet 1989. Le droit à la reconduction du bail en est une application pratique. Le bailleur ne peut y faire échec que pour des motifs limitativement prévus et encadrés :
pendant le cours du bail : résiliation ;
au terme du bail : congé.
Le droit à la reconduction suppose une occupation régulière des lieux loués à titre de résidence principale. La résidence principale est entendue par la loi du 6 juillet 1989 comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du Code de la construction et de l’habitation. Il appartient au bailleur de prouver que le logement n’est plus la résidence principale du locataire pour sortir du champ d’application de cette loi.
3155 La loi du 6 juillet 1989 apporte une protection accrue au locataire. Nous avons choisi de présenter les différentes dispositions dans un tableau synoptique et comparatif. Voir tableau grand format disponible ici. Les développements qui suivent ont été choisis pour leur technicité et/ou leur nouveauté.
3156 – Congé pour vente ou reprise. Incidence de la vente du logement en cours de bail. – Si le logement nu à titre de résidence principale412 a été vendu en cours de bail, le nouveau propriétaire doit respecter un certain délai avant de pouvoir donner congé pour vendre ou pour habiter au locataire en place413 :
Congé pour reprise. Le terme du bail survient :
moins de deux ans après la vente : le bailleur peut donner congé à l’échéance du bail, mais il ne prendra effet qu’à l’expiration d’un délai de deux ans à partir de la date d’achat414 ;
plus de deux ans après la vente : le bailleur peut donner congé à l’échéance du bail.
Vente du logement : 15 juin 2019.
Terme du bail : 20 juillet 2020.
Le congé doit être délivré au plus tard le 20 janvier 2020. Le congé prendra effet le 15 juin 2021.
Congé pour vente. Le terme du bail survient :
moins de trois ans après la vente : pour le terme du premier renouvellement ou de la première reconduction du bail en cours au moment de l’achat415 ;
plus de trois ans après la vente : pour l’échéance du bail.
Vente du logement : 1er mars 2015.
Terme du bail : 31 mai 2017.
Le congé doit être délivré au plus tard le 30 novembre 2019, soit six mois avant le 31 mai 2020, terme de la première reconduction.
S’agissant du dispositif de prorogation résultant de l’article 11 de la loi de 1989, nous renvoyons au tableau comparatif figurant infra, au no a3165.
3157 – Interprétation complexe. – Le texte emploie trois termes anodins, mais dont l’interprétation est loin d’être aisée :
en cas d’acquisition : faut-il entendre « vente », le texte visant à « lutter contre des opérations immobilières purement spéculatives visant à racheter des logements occupés et à les reprendre dans la foulée pour réaliser une plus-value financière »416 ou également tout moyen d’acquérir la propriété417 comme les successions, donations ? Nous retiendrons la première lecture418 mais en incluant les adjudications ;
d’un bien419 : l’acquisition doit-elle avoir porté sur :
la pleine propriété, ou aussi sur un droit réel démembré ? La vente à la même personne de la nue-propriété et de l’usufruit emporte report du délai de congédiement. La réponse est moins évidente en cas d’acquisition de l’un ou de l’autre des droits démembrés. Elle doit être affirmative en cas de vente de la nue-propriété, la nue-propriété ayant vocation à la pleine propriété, et devrait l’être aussi en cas de vente de l’usufruit, s’agissant d’un droit réel immobilier, et l’usufruitier étant le bailleur en vertu de l’article 595 du Code civil, et par suite celui qui pourrait délivrer congé,
la toute propriété, ou aussi sur des droits indivis ? La vente à la même personne de tous les droits indivis emporte report du délai de congédiement. En revanche, la vente de partie des droits indivis ne porte pas sur l’entier logement. Toutefois, nous considérons que le texte est également applicable et que les parties et coïndivisaires doivent être informés420,
la pleine propriété, ou aussi sur des droits sociaux donnant vocation à cette pleine propriété ? Leur cession ouvre les droits de préemption des articles 10 et 10-1 de la loi de 1975, mais l’article 15 de la loi de 1989 n’en fait aucune mention. Il semble donc exclu d’étendre à cette hypothèse le dispositif de report du délai de congédiement, sous réserve d’une manœuvre frauduleuse ;
occupé :
il convient de comprendre en vertu d’un bail d’habitation nu, portant locaux à usage d’habitation ou à usage mixte professionnel et d’habitation, et qui constituent la résidence principale du preneur, soumis au régime de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989, seul concerné par les dispositions de l’article 15421. La location meublée régie par la loi de 1989 obéit à des règles spéciales de congédiement422,
le texte n’exige pas d’occupation effective, ce qui protège le locataire en cas de sous-location. Dans le même sens, rien ne s’opposerait à l’application aux locataires personnes morales bénéficiant d’une extension conventionnelle du statut.
3158 – Sanctions. – Le texte ne prévoit pas de sanction spécifique à défaut de respect de ce dispositif de report du délai de congédiement. Il nous semble que les sanctions encourues seraient :
inopposabilité du congé, ne faisant pas échec à la reconduction tacite du bail à son échéance ;
report des effets du congé qui serait alors considéré comme « prématuré » : le locataire ne pourrait pas encore exercer son droit de préemption (devant attendre les deux premiers mois du délai de préavis de six mois qui précède la fin du bail), ni renoncer à l’offre, le droit n’étant pas encore ouvert. Sans que le propriétaire puisse retirer son congé en vertu d’une jurisprudence constante423, ou relouer le bien libéré par le locataire à la suite de ce congé. Un joli casse-tête d’inaliénabilité temporaire qu’il conviendrait d’éviter424 !
3159 – Le congé reprise pour habiter, un congé à justifier. – Ce congé doit indiquer les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise, ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise425, qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire.
Par ailleurs, le bailleur doit justifier du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise426. Depuis le 1er janvier 2018, le bailleur doit joindre à la lettre de congé une notice d’information relative aux obligations du bailleur et aux voies de recours et d’indemnisation du locataire427, laquelle prévoit notamment que le congé pour reprise doit comporter plusieurs mentions spécifiques :
la mention que le bailleur entend reprendre le logement pour l’habiter ou pour y loger l’un de ses proches ;
les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ;
la nature du lien de parenté qui existe entre le bénéficiaire et le bailleur ;
une mention justifiant du caractère réel et sérieux de la décision de reprise ;
dans le cas où le bailleur est une société civile immobilière familiale, le congé doit indiquer le nom et l’adresse de l’associé bénéficiaire de la reprise.
Cette exigence supplémentaire de justification issue de la loi Alur vise à permettre au juge en cas de contestation de contrôler la justification du congé, mais suscite des difficultés d’interprétation. S’agit-il d’un contrôle de la réalité du congé ou de son opportunité ? Il nous semble que le contrôle doit s’attacher à la réalité du congé au risque de vider ce motif de congé de tout contenu428.
La loi Alur a renforcé les pouvoirs de contrôle du juge afin de lutter contre les congés frauduleux. Ce dernier exerce deux contrôles429 :
contrôle a priori :
du caractère réel et sérieux de l’intention de reprise : le motif doit être vraisemblable, sérieux au regard des circonstances de la reprise,
du caractère légitime de l’intention de reprise,
en cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues à l’article 15. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ;
contrôle a posteriori :
le bénéficiaire de la reprise doit y habiter, et ce à titre de résidence principale430 ;
dans un délai raisonnable431 ;
la charge de la preuve incombant au bailleur ou au bénéficiaire de la reprise432 ;
sans que la loi n’impose une durée de cette obligation d’habiter, dans la mesure où le désir d’habiter au moment du congé ne peut être contesté.
3160 Les sanctions encourues sont les suivantes :
sanctions civiles :
nullité du congé,
réintégration du locataire :
– les auteurs sont partagés433,
– elle a été admise en jurisprudence434 sauf si elle est devenue impossible435, mais également refusée436,
dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;
sanctions pénales437 : le fait pour un bailleur de délivrer un congé justifié frauduleusement par sa décision de reprendre ou de vendre le logement est puni d’une amende pénale dont le montant ne peut être supérieur à 6 000 € pour une personne physique et à 30 000 € pour une personne morale. Le montant de l’amende est proportionné à la gravité des faits constatés. Le locataire est recevable dans sa constitution de partie civile et la demande de réparation de son préjudice438.
3161 – Locataires protégés et droit au relogement. – Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du bail en donnant congé à l’égard de tout locataire :
âgé de plus de soixante-cinq ans439 (à la date d’échéance du bail) ;
et dont les ressources annuelles sont inférieures (à la date de notification du congé) à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement ;
ou ayant à sa charge une personne de plus de soixante-cinq ans (à la date d’échéance du bail) vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources (à la date de notification du congé), et que le montant cumulé des ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur audit plafond de ressources (à la date de notification du congé)440 ;
sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi no 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée.
Le locataire bénéficie dans ce cas d’un droit au relogement.
Il résulte du renvoi à la loi de 1948 que le logement offert doit être :
en bon état d’habitabilité, remplissant des conditions d’hygiène normales ou au moins équivalentes à celles du local objet de la reprise et correspondant à ses besoins personnels ou familiaux et, le cas échéant, professionnels, et à ses possibilités ;
situé :
dans le même arrondissement ou les arrondissements limitrophes ou les communes limitrophes de l’arrondissement où se trouve le local, objet de la reprise, si celui-ci est situé dans une commune divisée en arrondissements,
dans le même canton ou dans les cantons limitrophes de ce canton inclus dans la même commune ou dans les communes limitrophes de ce canton si la commune est divisée en cantons,
dans les autres cas sur le territoire de la même commune ou d’une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de cinq kilomètres.
Par exception, ces dispositions ne sont pas applicables :
lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans (à la date d’échéance du bail) ;
ou si ses ressources annuelles sont inférieures (à la date de notification du congé) audit plafond de ressources ;
ou s’il reloge le locataire.
Ainsi, en présence d’un locataire protégé, le bailleur ne peut donner congé et le bail est automatiquement renouvelé sauf si le bailleur :
a plus de soixante-cinq ans (à la date d’échéance du bail) ;
ou possède (à la date de notification du congé) des revenus inférieurs aux mêmes plafonds de ressources ;
ou s’il reloge le locataire.
Ce dispositif de protection est applicable aux logements nus et aux logements meublés loués à titre de résidence principale.
3162 – Le droit au maintien dans les lieux des titulaires de baux soumis à la loi de 1948. – Les occupants de bonne foi441 bénéficient d’un droit au maintien dans les lieux442. Le bailleur ne peut délivrer un congé pour vendre, et ne peut donner congé que pour deux motifs dans des conditions restrictives.
Reprise pour habiter443 :
à titre de résidence principale, pour le bailleur444 ou son époux, ou ses ascendants ou descendants, les ascendants ou descendants de son époux ;
obligation de proposer au locataire une solution de relogement conforme à ses besoins, sauf si le bailleur :
– a acquis le logement il y a au moins dix ans445, délai réduit à quatre ans s’il peut justifier auprès du juge qu’il a acheté le bien en vue de l’habiter,
– est lui-même évincé d’un logement qu’il loue à un bailleur qui exerce un droit de reprise,
– est lui-même évincé d’un logement qui fait l’objet d’une expropriation ou d’une mesure d’interdiction d’habiter dans les lieux pour cause de péril ou d’insalubrité,
– ne bénéficie plus de son logement de fonction pour des raisons indépendantes de sa volonté,
– et dans ces trois derniers cas, sauf s’il est déjà propriétaire d’un autre logement libre et correspondant à ses besoins normaux446 et à ceux des membres de sa famille vivant habituellement ou domiciliés avec lui ;
relogement : le local doit être en bon état d’habitation, remplir des conditions d’hygiène normales ou au moins équivalentes à celles du local objet de la reprise et correspondre à ses besoins personnels ou familiaux et, le cas échéant, professionnels, et à ses possibilités financières ;
exception : ce droit de reprise ne peut pas être exercé par le bailleur si le locataire du logement :
– est âgé de plus de soixante-dix ans,
– et dispose de ressources annuelles inférieures à 1,5 fois le montant annuel du Smic brut,
– sauf si le bénéficiaire de la reprise447 est lui-même âgé de plus de soixante-cinq ans ;
par acte extrajudiciaire ;
délai de préavis :
– avec offre de relogement au locataire : trois mois,
– autres cas : six mois ;
contenu du congé :
– proposition de relogement :
– l’acte d’huissier doit indiquer à peine de nullité :
– le nom et l’adresse du propriétaire du local offert,
– l’emplacement de celui-ci,
– le nombre de pièces qu’il comporte,
– le degré de confort,
– le loyer,
– le délai à l’expiration duquel il veut effectuer la reprise et pendant lequel il peut être pris possession du local offert, délai qui ne peut être inférieur à trois mois s’il s’agit d’un locataire448,
– l’identité du bénéficiaire de la reprise ainsi que sa situation de famille et sa profession ;
– sans proposition de relogement :
– l’acte d’huissier doit à peine de nullité :
– indiquer que le droit de reprise est exercé en vertu de l’article 19 de la loi de 1948,
– préciser la date et le mode d’acquisition de l’immeuble,
– faire connaître le nom et l’adresse du propriétaire qui loge le bénéficiaire ainsi que l’emplacement et le nombre de pièces du local occupé par ce dernier. En effet, le bénéficiaire de ce droit de reprise est tenu de mettre à la disposition du locataire ou de l’occupant dont il reprend le local, le logement qui, le cas échéant, pourrait être rendu vacant par l’exercice de ce droit449 ;
obligation d’exercice effectif de la reprise dans un délai de trois mois à compter du départ du locataire, et pour une durée minimum de trois ans450.
Reprise en vue de construire451 :
en vue de la réalisation de travaux de (i) démolition pour reconstruction, (ii) surélévation, ou (iii) d’addition de construction ;
obligation de proposer au locataire une solution de relogement conforme à ses besoins ;
le congé doit reproduire le motif du congé et les dispositions des articles 13 et 13 bis de la loi de 1948 ;
préavis de six mois ;
par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou acte d’huissier ou remise en main propre contre émargement ou récépissé.