CGV – CGU

Partie I – Les grands principes du droit international privé
Titre 1 – Le cadre du droit international privé
Sous-titre 1 – Quand le droit privé devient international
Chapitre II – Les doctrines du droit international privé et les principaux auteurs

1008 Dans le temps se sont succédé différentes doctrines qui aujourd’hui continent encore à influencer la réflexion du droit international privé.

Section I – Les doctrines statutaires

1009 La théorie des statuts marque le début de la science des conflits de lois et a déterminé les principales règles de rattachement5. Ce terme de statut désigne une règle établie, une loi ou un règlement.

Pour les théoriciens italiens, un principe général a d’abord été retenu. Le statut édicté par un souverain suit ses sujets au-delà des frontières. On en a conclu que les statuts sont personnels en ce qu’ils suivent les personnes.

Puis ces théoriciens ont défini qu’il était important que le statut contractuel permette aux parties de se fier à leurs prévisions. Ils en ont conclu que le statut du lieu de conclusion est applicable aux contrats.

Enfin, ils ont établi que le statut réel s’applique aux biens immobiliers situés à l’intérieur de la frontière.

Ces principes constituent toujours la base du droit international privé.

Cette méthode fut théorisée notamment par Bartole ou en latin Bartolus de Saxoferrato (1314-1357), jurisconsulte italien, professeur de droit, spécialiste du droit romain, qui identifie également un statut dit « odieux », constituant les prémices de notre ordre public international6. En France, Charles Dumoulin (1500-1566), avocat au Parlement de Paris, enrichit la doctrine des statuts avec sa célèbre consultation aux époux de Ganay7. Il ajoute au statut personnel et au statut réel des Italiens le statut dont l’application dépend de la volonté des parties et qui s’applique notamment aux régimes matrimoniaux.

En effet, les époux de Ganay lui avaient demandé une consultation pour connaître la loi applicable à leur patrimoine. Certains biens étaient situés sur la commune de Paris et d’autres sur la commune de Lyon. Quelle loi était applicable à leur régime matrimonial ? Pour Dumoulin, les parties ayant choisi de s’établir à Paris, elles ont souhaité implicitement voir appliquer la loi parisienne. Il faut donc rechercher la volonté tacite des époux de se soumettre à une coutume qui, en l’espèce, est celle de leur premier domicile commun. Le régime matrimonial a été classé dans la catégorie des contrats. Les époux pouvaient choisir leur régime matrimonial. Ce fut la naissance de la théorie de l’autonomie de la volonté, aujourd’hui très largement reprise par les textes européens, et notamment dans le règlement européen Rome I applicable aux obligations contractuelles8.

Section II – Les doctrines territorialistes

1010 Les territorialistes considèrent que les statuts ont un domaine essentiellement territorial. Les biens sont régis par la loi du lieu de situation, les personnes sont régies par la loi de leur domicile. L’idée principale est de limiter l’application des lois étrangères moins connues des juges du for. Ils tentent de privilégier la loi de l’État du for.

Bertrand d’Argentré (1519-1590), juriste et historien breton, a répandu cette doctrine. Il souhaitait appliquer le plus largement possible la coutume bretonne. Il donne une place très importante au statut réel et restreint la place du statut personnel.

Des auteurs hollandais au XVIIe siècle tels que Ulrik Huber (1636-694) ou Paul et son fils Jean Voet (1647-1714), ont également contribué à développer cette doctrine. Le pays, à cette époque, connaît un essor économique important avec l’organisation de grandes foires où se retrouvent des marchands de toute l’Europe. Ainsi, pour ces auteurs, seul le droithollandais devait s’appliquer sur le territoire des Pays-Bas. Cependant, ils ont considéré comme nécessaire, dans certaines hypothèses, d’appliquer une loi étrangère, non par obligation vis-à-vis de l’État étranger, mais sur le seul fondement de la courtoisie internationale, avec l’espoir que cet État étranger allait faire de même.

Cette théorie a également été adoptée par les pays de la common law. C’est aux États-Unis que les premiers travaux doctrinaux apparurent, notamment avec Joseph Story (1779-1845), qui accorde une grande importance au domicile, d’origine ou de choix.

Section III – Les doctrines particularistes

1011 Pour une partie de la doctrine, dont fait partie Étienne Bartin (1860-1948) ou encore, plus proche de nous, Jean-Paulin Niboyer (1886-1952), le droit international privé n’est qu’une projection du droit interne sur la scène internationale. Selon Bartin, « les règles de conflit sont des règles nationales, dans chaque pays, au même titre que les institutions de droit interne dont elles circonscrivent le domaine. Elles leur restent liées comme l’ombre au corps, parce qu’elles ne sont autre chose que la projection de ces institutions elles-mêmes sur le plan du droit international »9. Le droit international privé est ancré et dépend du droit privé.

Section IV – Les doctrines universalistes

1012 Ces doctrines proposent de fonder le statut personnel sur la loi nationale. Elles doivent s’appliquer à ces nationaux, et à eux seuls, même s’ils se trouvent à l’étranger. Ce système a une portée universelle et accorde plus d’importance à la personne qu’au territoire. Ces doctrines s’opposent donc à la territorialité des lois.

Certaines conventions et codes s’en sont inspirés. Ce fut notamment le cas pour les premières conventions de La Haye, sur la période 1893-1914. La Convention de La Haye de 1902 sur le mariage précise en son article 1 que « Le droit de contracter mariage est réglé par la loi nationale de chacun des futurs époux, à moins qu’une disposition de cette loi ne se réfère expressément à une autre loi ».

Cette thèse a été défendue par Pasquale Stanislao Mancini, comte de Mancini (1817-1888), professeur italien et homme politique. En France, elle a été reprise par Antoine Pillet (1857-1926), enseignant à la Faculté de droit de Paris et à l’Académie de droit international de La Haye.

1013 Puis une synthèse des théories antérieures a été proposée par Friedrich Carl von Savigny (1779-1861). Son école a fondé la théorie moderne des conflits de lois dans les pays de tradition romano-germanique.

Pour Savigny, le droit est le produit de l’histoire et d’un environnement économique. Les règles de conflit sont donc déterminées en fonction de la loi la mieux adaptée pour réagir. Les États ne sont pas mis en cause, mais uniquement les personnes privées. Il n’existe plus de lien entre les conflits de lois et les conflits de souveraineté. Les règles de conflit de lois ne se préoccupent que des conflits d’intérêts privés et non de ceux des États. Il s’agit de déterminer, pour chaque type de relation juridique, le lien le plus proche. Il faut trouver la loi la mieux adaptée au problème. Celle-ci est souvent le pays avec lequel la relation juridique présente les liens les plus étroits.

En appliquant ces principes, Savigny dégage les solutions suivantes : dans les conflits de lois relatifs à l’État ou à la personne, il faut appliquer la loi de son domicile. En effet, la personne qui s’établit dans un pays a souhaité implicitement se placer sous l’empire de cette loi. Dans les conflits de lois relatifs aux biens et aux droits réels qu’y se rapportent, le propriétaire a choisi de se soumettre volontairement à la loi locale. Il faut appliquer la loi du lieu de leur situation. Dans les conflits de lois relatifs aux obligations contractuelles, les parties ont choisi de se rapporter à la loi du lieu d’exécution du contrat. Enfin, en matière d’obligations délictuelles, la logique veut que l’on applique la loi du lieu de perpétration du délit.

Même si l’influence de Savigny a été très importante et que son œuvre fondatrice10a façonné le raisonnement conflictuel, sa doctrine s’est elle aussi heurtée à la critique. Tout d’abord, la recherche de la loi la mieux adaptée au problème, en privilégiant de manière objective le rapport de droit, induit parfois des rattachements inadaptés. Par ailleurs, sa doctrine universaliste conduit à l’idée que les différences entre les systèmes juridiques sont négligeables et qu’en conséquence les États peuvent supporter de voir un droit étranger s’appliquer indifféremment sur leur territoire.

1014 Quelles que soient les critiques des différentes écoles doctrinales, il faut surtout noter qu’elles ont fait évoluer les règles de conflit de lois. À ce jour, les catégories mises en avant par les différents auteurs sont utilisées par la jurisprudence. Ces règles de conflit sont également reprises lorsqu’une question nouvelle se pose.

La doctrine actuelle a abandonné toute position dogmatique entre universalisme, territorialisme ou nationalisme en prenant en compte l’efficacité des solutions et en cherchant un équilibre. Les tribunaux ont également largement contribué à mettre en place des règles de conflit de lois mieux inspirées, avec la prise en compte de principes nouveaux de proximité et d’autonomie (V. infra, n° a1095).

Après cette définition et ce bref rappel historique, il est important de préciser dans quels cas le notaire devra être particulièrement attentif pour savoir s’il doit appliquer ou non le raisonnement conflictuel.


5) Sur cette notion, V. infra, n° a1053.
6) Sur cette notion, V. infra, n° a1105.
7) Consultation datée de 1525, publiée dans les Consilia de Du Moulin (Cons. LIII, Opera, t. II, 2e partie, cc. 315-322).
8) Sur cette notion, V. infra, n° a1163.
9) Études de droit international privé, éd. A. Chevalier-Marescq, 1899.
10) Traité de droit romain, éd. Panthéon-Assas, 1960.
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