Un modèle à imaginer : le nouveau rôle de l'automobile

Un modèle à imaginer : le nouveau rôle de l'automobile

– La perte du statut de besoin fondamental pour la voiture ? – S'il est probable que le monde de demain n'ôtera pas le statut de besoin fondamental aux transports, y parviendra-t-il pour l'automobile ?
À l'ère de la dématérialisation des échanges et de la tertiarisation de l'économie, l'humanité est à un carrefour de son histoire. Des progrès techniques à la volonté humaine, des besoins collectifs aux aspirations individuelles, de l'économie à l'écologie, tous les feux passent au vert pour rendre les déplacements professionnels optionnels dans un futur proche. Vider les routes de millions de travailleurs permettrait de leur donner un nouveau souffle 1502120941316.
L'article L. 101-2 du Code de l'urbanisme anticipe cette évolution. La « diminution des obligations de déplacements motorisés » permettra d'appréhender la voiture autrement (Sous-section I). Le « développement des transports alternatifs à l'usage individuel de l'automobile » conditionne néanmoins la réussite de ce pari (Sous-section II).

La voiture autrement

Les journaux foisonnent d'articles relatifs aux voitures autonomes. Des milliers de brevets sont déposés sur le sujet, démontrant la proximité du jour où ces véhicules seront commercialisés. Il apparaît évident que l'automobile « nouvelle génération » apportera un confort rapprochant le trajet en voiture du loisir (§ I). La révolution attendue dépendra en outre de la diminution sensible du nombre de véhicules en circulation (§ II).

La voiture autonome : la voiture loisir

– La révolution de la voiture autonome. – La voiture autonome apparaîtra bientôt dans nos vies. Qu'y changera-t-elle ? Pour répondre à cette question, prenons un instant les ailes de l'imagination et transportons-nous jusqu'à demain.
Si son efficacité se mesure à un équilibre entre liberté, rapidité, fonctionnalité, coût, sécurité et confort (V. n° ), l'automobile permet assurément de gagner de la marge de manœuvre sur les deux derniers points.
Conçue pour conserver des distances de sécurité, freiner, piler si nécessaire, la voiture autonome est le nec plus ultra de la sécurité routière 1502122901586. Plus qu'aux risques de chocs, les constructeurs apportent toute leur attention à la cybersécurité, conscients qu'un détournement informatique massif permettant de prendre le contrôle des véhicules connectés pourrait entraîner une catastrophe sans précédent.
Le pilote a dans son habitacle un confort équivalent à celui de ses passagers. Dès lors, les constructeurs rivalisent en ingéniosité pour rendre l'habitacle aussi confortable que possible. Au gré du conducteur… et de son budget, la voiture devient un bureau, une salle de jeux ou de télévision, voire une cuisine. Le temps passé dans l'automobile n'est plus du temps perdu sur le reste de la vie du chauffeur.
Il y gagne également en liberté en pouvant rouler de nuit, endormi à son volant, voire en fonctionnalité en choisissant un véhicule adapté aux volumes à transporter.
La véritable révolution de la voiture autonome réside dans le cumul de ces nouveaux avantages.
– Les écueils à éviter. – Le coût du véhicule n'a été une limite que de courte durée. Comme tant de produits avant lui, hors de prix à sa sortie sur le marché, il est entré rapidement dans le budget des masses médianes…
… Mais même l'imagination a ses limites.
Pour dépasser le stade du besoin fondamental et atteindre celui d'un plaisir pur, la voiture autonome devra prosaïquement conserver la faculté de rallier deux points dans un délai raisonnable. À défaut, elle aura perdu un de ses attributs principaux : la rapidité.
Les partisans de la voiture autoconduite la prétendent capable de raréfier les ralentissements, en roulant sur la file de droite sur les autoroutes, en supprimant les à-coups, en respectant les panneaux et les marquages au sol. Il est cependant douteux que ce scénario soit possible si la circulation automobile continue d'augmenter comme elle le fait depuis des décennies.
– La nécessité d'un cadre réglementaire. – La voiture autonome a besoin d'un cadre réglementaire. Du fait de son apparition ex nihilo dans un contexte planétaire, son encadrement juridique mérite une résonance mondiale. Pour l'heure, la législation internationale en la matière dépend de la Convention de Vienne sur la circulation routière entrée en vigueur le 21 mai 1977 et stipulant dans son article 8 que « tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule ».
En France, une ordonnance du 3 août 2016 autorise à titre expérimental la circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite 1502134255390. Le régime juridique de la responsabilité et son assurance en cas d'accident sont néanmoins à inventer totalement, au risque d'ailleurs de multiplier les mises en cause des collectivités locales en cas de défaillance d'entretien du réseau routier.

La diminution du nombre de voitures

– Un pari sur l'avenir. – Qu'elle relève de la méthode Coué ou d'une conviction véritable, la position des pouvoirs publics prônant la prise en compte d'une « diminution des obligations de déplacements motorisés » est un pari sur l'avenir. Elle s'appuie assurément sur les avancées technologiques et la révolution sociétale d'une explosion du travail à domicile. Mais la visioconférence et les liaisons internet permettant une connexion à distance au serveur central d'une entreprise existent déjà sans que leur influence sur la circulation routière ne soit évidente à ce jour. Sans doute n'ont-elles pas encore pris leur pleine dimension dans notre vie, l'assiette et la puissance du numérique étant encore insuffisantes à ce titre 1504353662812.
La diminution du nombre d'automobiles en circulation serait également une conséquence de l'avènement des voitures autonomes. Des chercheurs de l'université du Texas prétendent en effet qu'un véhicule autonome utilisé comme taxi ou pour du covoiturage pourrait remplacer neuf voitures individuelles 1509483111157, libérant notamment des espaces de parking réaménageables. Ces chiffres paraissent particulièrement optimistes, rien ne justifiant que le covoiturage ait tant de difficulté à s'imposer avec des chauffeurs et devienne la panacée sans eux.
D'autant que les déplacements professionnels sont si profondément ancrés dans les habitudes qu'une inversion brutale de leur courbe haussière s'annonce difficile. La fin des migrations quotidiennes ne se décrète pas, a fortiori dans un pays ayant longtemps privilégié un aménagement purement routier de son territoire. Il n'est d'ailleurs pas exclu que la place laissée libre par les déplacements professionnels soit aussitôt remplie par les déplacements de loisir ou l'allongement des distances lié à une nouvelle ère d'étalement urbain 1509483624489. Quoi qu'il en soit, il faudra que les autres modes de transport se montrent à la hauteur de l'efficacité attendue 1504950629774.

Les autres modes de transport

– Changer de paradigme. – La diminution effective du nombre de véhicules simultanément en circulation nécessite corrélativement un « développement efficace des transports alternatifs » 1502138594230, étendu aux camions, car il est peu probable que la population française accepte en même temps de diminuer sa dépendance à la voiture et d'abandonner ses routes à des poids lourds toujours plus nombreux.
Ce développement passe par un changement de paradigme. Pendant des décennies, le but des décideurs français était d'aller le plus vite possible d'une ville à une autre, sur des trajets importants eu égard à la taille de l'Hexagone. Les pays voisins avaient pour objectif de permettre à un maximum d'individus de se déplacer entre deux villes. Notre problème était la vitesse, le leur la fréquence.
À présent, les transports collectifs doivent être en mesure de cumuler fréquence et vitesse 1509283747512… mais pas seulement.
– L'efficacité dans tous ses attributs. – L'usager prêt à se passer de sa voiture doit trouver dans les transports en commun un mode de substitution crédible, lui apportant peu ou prou les mêmes éléments d'efficacité que son véhicule personnel. Les transports collectifs sont généralement appréciés pour leur sécurité et leur coût 1504352953423. Avec une diminution de la circulation automobile, les véhicules de surface gagneront en rapidité.
Ainsi, il est important de faire des efforts sur les trois principaux points sombres du tableau actuel : la liberté, le confort et la fonctionnalité.
La liberté attachée aux transports en commun ne sera jamais au niveau de ce que procure une voiture, mais elle peut s'en approcher, dans le cadre de progrès liés à la fréquence des passages, mais aussi au nombre de sites desservis. Les transports publics doivent couvrir tous les endroits de l'aire urbaine, non pas sous la forme d'une étoile renvoyant systématiquement au centre, mais sur le modèle d'une toile d'araignée 1509281303522. Le métro de Paris est un exemple donnant satisfaction à cet égard 1507323339461. Ainsi, la densification du maillage et des fréquences de passage est indispensable, en complément des solutions multimodales.
Il convient également d'adapter l'offre à la demande, le nombre de places par véhicule devant approximativement correspondre aux besoins.
Enfin, les transports collectifs devront contenir des espaces où déposer bagages et objets encombrants.
Pour répondre à ces objectifs, le secteur privé a montré un exemple inspirant. Par le jeu des applications numériques diverses, le secteur marchand connaît les habitudes de tout un chacun. L'analyse de ces connaissances par les pouvoirs publics permet de plus en plus de faire coïncider leurs propositions de transports avec les véritables besoins de la population, les trajets peu empruntés étant desservis moins souvent et par des véhicules de plus petite taille. Dans certaines communes 1508269611416, la durée des feux tricolores varie selon les heures de la journée, pour une meilleure fluidité. Il est même envisageable que les parcours fluctuent en temps réel selon les besoins des usagers et les données numériques fournies par les capteurs des caméras, des feux rouges ou des autres véhicules collectifs géolocalisés, voire les informations des citoyens 1504695090112.
Les transports publics devront concentrer tous ces attributs pour devenir un mode de substitution crédible à la voiture automobile. Ils auront en outre l'obligation d'avoir un impact minimum sur l'environnement 1509285465042.
– Avec quels moyens ? – La question des moyens est primordiale. Densifier les transports collectifs, les rendre plus confortables coûte cher et les finances publiques sont exsangues. Mais le problème est fondamental pour l'avenir des villes. Le législateur l'a compris, en transférant la gestion des stationnements aux collectivités à compter du 1er janvier 2018 1512654185159et en leur permettant d'affecter les produits engendrés par les contraventions au financement de l'amélioration des transports en commun ou respectueux de l'environnement.
Cette première étape mérite approbation. Elle est néanmoins très insuffisante et devra être suivie rapidement d'une refonte totale du financement des modes de transport alternatifs à l'automobile, et plus généralement des plans de déplacements urbains (C. transports, art. L. 1214-1 et s.) 1503151320860. Ces documents de planification définissant les orientations politiques locales en matière de transport des personnes et des marchandises, de circulation et de stationnement, devront être repensés après l'avènement de la voiture autonome.