L'assouvissement des besoins séculaires

L'assouvissement des besoins séculaires

– Le curé, le commerçant, l'instituteur, le maire et le docteur. – La campagne française a longtemps vécu autour de villages concentrant en leur bourg le curé, le commerçant, l'instituteur, le maire et le médecin. À ce minimum, se rajoutaient très souvent un bureau de poste et un notaire… Aujourd'hui, les lieux de culte sont toujours situés au centre des villages de plus de 18 000 communes de moins de 500 habitants, mais le maire s'y sent souvent bien seul.
Dans les plus petits bourgs, le curé est décédé et n'a pas été remplacé ; les commerçants ont déserté ; l'école a fermé et le docteur passe de temps en temps faire des visites aux domiciles des derniers habitants, généralement peu mobiles. Que ce soit en terme d'habitat de qualité (§ I), de commerce (§ II), d'éducation (§ III), de services publics (§ IV) et d'emploi (§ V), l'autopsie d'un bourg mort aide à soigner les villages malades.

L'habitat de qualité

– Un habitat vernaculaire 1510608860312 et vieillissant. – L'habitat des zones rurales mérite une attention particulière. Il constitue en effet une architecture vernaculaire racontant l'histoire du pays. À ce titre, il est nécessairement concerné par « la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel » (C. urb., art. L. 101-2, 1°, d).
Mais cet aspect historique est souvent loin des préoccupations des habitants, plus sensibles au vieillissement des immeubles et à la dégradation de leurs conditions d'occupation. La moitié seulement des résidences principales des communes rurales satisfait aux normes de confort standard 1503216953236. Cette situation provient de l'ampleur des réhabilitations nécessaires sur des biens n'ayant pas fait l'objet de travaux lourds depuis des décennies et du manque de moyens des occupants 1510473877276.
Les besoins étant immenses et le saupoudrage des aides publiques notoirement insuffisant, il est difficile d'entrevoir une solution pérenne à un problème tenant plus du traitement de la pauvreté en général que de l'habitat des zones rurales en particulier.

Le commerce

– Le symbole des bistrots. – De toutes les difficultés des villages, la disparition progressive des bistrots est sans doute la plus symbolique 1502393111344. Des quelque 600 000 cafés que comptait le pays dans les années 1960, il n'en reste qu'un peu moins de 35 000, disséminés sur 10 619 communes. 26 045 villages en sont ainsi dépourvus. Les causes sont connues. Le vieillissement et la désertification des bourgs ainsi que la répression de l'alcoolisme au volant ont privé ces commerces de rentabilité.
Or, le bistrot est un élément essentiel du lien social. Dépassant le plus souvent la fonction de débit de boissons pour offrir les services d'une supérette, il permet de redynamiser l'économie et la vie des plus petites communes.
– Le superflu et l'essentiel. – Les habitants de l'hyper-ruralité ont la faculté de vivre sans le superflu 1503069763457, mais ils ne peuvent pas se passer de l'essentiel tout le temps. Ainsi, le maintien d'une épicerie de campagne est souvent une condition sine qua non de la survie d'un village. Cet impératif justifie les efforts effectués par les collectivités locales et les organismes publics pour accueillir les rares candidats repreneurs 1503070612122de ces commerces « à tout faire » 1503070921364, derniers points de rencontre des fidèles du village. Malheureusement, en dépit des aides, travailler du matin au soir six ou sept jours par semaine n'est en général plus suffisant pour dégager des bénéfices permettant de faire vivre une famille. Ces commerçants s'inscrivent ainsi dans un choix de vie déconnecté de l'appât du gain.

L'éducation

– Une école fermée, la mort d'un village. – Chaque année, au moment de la rentrée des classes, certains villages retiennent leur souffle, espérant que la nouvelle carte scolaire ne les contraigne pas à fermer les portes de leur école. Car une école qui ferme, c'est un village qui meurt. Avant de penser à gagner une population venant de l'extérieur, il importe de ne pas perdre celle du cru. Or, les enfants qui partent sont bien souvent suivis par leurs parents, soucieux du bien-être de leur progéniture, susceptible d'être terni par un internat ou un abus de transports scolaires.
– Le calice jusqu'à la lie. – L'affectation des enseignants relève de l'État 1503072689341, fondant sa décision de supprimer un poste uniquement sur l'analyse prévisionnelle du nombre d'élèves 1503078256537, y compris pour les écoles à classe unique. L'inspecteur d'académie a le pouvoir de supprimer un poste s'il estime que les prévisions d'inscriptions scolaires sont volontairement gonflées pour éviter la fermeture 1503078561931. La situation est analysée année par année, quand bien même la commune assure mener une politique d'accueil des familles devant conduire à terme à un accroissement des effectifs.
Quand le maire et son équipe ont perdu la bataille de l'instituteur, ils doivent encore boire le calice jusqu'à la lie, la fermeture des établissements scolaires relevant d'une décision du conseil municipal, après avis du préfet du département 1503081899092.
Quid de l'école numérique ? – Les enfants ont besoin de cet encadrement donné de manière séculaire par le maître ou la maîtresse, figure de proue de l'Éducation nationale, symbole de l'égalité affichée de tous les Français. Peut-on se passer de ces personnes si estimées et les remplacer par des ordinateurs ? L'école numérique peut-elle être une solution alternative ? Ce scénario est difficile à imaginer mais il n'est pas à exclure, les facteurs de temps et de lieu n'étant plus fondamentalement constitutifs de l'acte d'enseigner.

Les services publics

– Les déserts médicaux. – Les déserts médicaux sont une réalité du monde rural. Ils obligent souvent le patient à se déplacer très loin de son domicile et à attendre très longtemps un rendez-vous chez un spécialiste. Le phénomène s'explique à la fois par les difficultés rencontrées pour remplacer les médecins prenant leur retraite 1503220176366et par la fermeture d'hôpitaux jugés coûteux ou inadaptés.
Jusqu'aux premières lois de décentralisation en 1986, la médecine relevait conjointement des politiques de santé et d'aménagement du territoire. Aujourd'hui, elle ne dépend plus que des seules politiques de santé, axées sur la qualité des soins mais aussi sur la maîtrise des coûts.
– Les remèdes. – La télémédecine est une alternative crédible à l'absence de médecins dans les zones rurales 1503221770657, au moins pour gérer le tout-venant médical. Néanmoins, elle ne réglerait pas les problèmes les plus importants tels que les urgences. Par ailleurs, tant que les zones rurales ne seront pas mieux desservies par le très haut débit, il est indispensable d'explorer d'autres voies 1503222335852.
Il serait envisageable d'inscrire la politique de santé dans le cadre de la politique migratoire du pays, en conditionnant l'attribution d'un visa aux médecins étrangers à leur installation et leur maintien temporaire dans un désert médical. Une telle mesure ne peut cependant être aussi efficace qu'au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, l'absence de statut public des médecins libéraux limitant cette contrainte aux seuls professionnels de santé non communautaires.
Cette difficulté pourrait être contournée en conférant le statut de fonctionnaire stagiaire aux étudiants en médecine. Touchant un traitement de fonctionnaire pendant leurs études, ils pourraient en contrepartie se voir imposer un certain nombre d'années au service public de la médecine, avant de retrouver une totale liberté d'installation. Les jeunes diplômés choisiraient le lieu de leur établissement sur une liste d'État, dans l'ordre de leur classement. La fonctionnarisation de la médecine, même temporaire, n'est cependant pas dans l'ère du temps.
Enfin, une spécialisation des petits hôpitaux ruraux est évoquée. Elle permettrait de maintenir un maillage de l'espace hospitalier, à défaut de pouvoir répondre partout aux singularités d'une patientèle forcément généraliste dans ses besoins.
– Les autres services publics. – Les difficultés du service public de la santé sont transposables dans tous les autres domaines de la fonction publique. À ce titre, les propositions du sénateur Bertrand (V. n° ) sont pertinentes. Elles sont malheureusement limitées par l'état des finances publiques. Le déploiement de la fibre partout sur le territoire est victime des mêmes restrictions financières, alors qu'il permettrait un traitement à distance de la plupart des demandes des usagers des services publics 1503828652679.

L'emploi

– De l'emploi pour tous, mais pas tous les emplois. – De très nombreux emplois n'existent pas dans les zones de l'hyper-ruralité 1513113820085. L'exode rural a d'ailleurs souvent pour cause la recherche d'un emploi inexistant à la campagne.
Pourtant, le moindre coût de la vie en zone rurale est de nature à favoriser l'implantation d'activités, principalement dans les domaines ne nécessitant pas beaucoup de transports. À titre d'exemple, le tarif médian pour un hébergement permanent dans une résidence pour personnes âgées s'élève à 3 154 € à Paris et dans les Hauts-de-Seine, contre 1 616 € dans la Meuse 1503152578673. On mesure ainsi le caractère gagnant-gagnant des implantations en zones rurales, au surplus moins polluées.
Par ailleurs, à défaut d'accès suffisant au numérique, de nombreux emplois ne sont pas proposés aujourd'hui en zones rurales.