L'inventaire des biens du majeur protégé

L'inventaire des biens du majeur protégé

- Intérêt de l'inventaire. - Parmi les obligations pesant sur lui au début de la mesure, le mandataire doit établir trois documents qui conditionneront largement sa gestion de la mesure : l'inventaire des biens du majeur, son budget prévisionnel et le document individuel de protection du majeur (DIPM).
S'agissant plus précisément de la première des obligations pensant sur lui, laquelle est susceptible d'intéresser au premier chef la pratique notariale, l'article 503 du Code civil dispose que « le tuteur fait procéder, en présence du subrogé tuteur s'il a été désigné, à un inventaire des biens de la personne protégée ». On sait que pareille obligation pèse également sur le curateur, en cas de curatelle renforcée (C. civ., art. 472, al. 3). Cet inventaire doit être transmis au juge puis actualisé au cours de la mesure. Ainsi, par exemple, en cas de succession échue au tutélaire, le protecteur se devra de procéder à un nouvel inventaire. En revanche, une simple donation ne paraît pas imposer un nouvel inventaire, une copie de l'acte de donation adressée au juge semblant suffire.
L'inventaire constitue la « clé de voûte » de la protection des biens du majeur. Il est le point de départ de la gestion du patrimoine par le tuteur ou le curateur renforcé. Il permet au juge de vérifier la pertinence du budget prévisionnel, au directeur des services de greffe judiciaires de vérifier les comptes annuels, et, à la fin de la mesure de protection, au majeur protégé ou à ses héritiers de s'assurer de la bonne gestion et de la sauvegarde de son patrimoine, même si celui-ci est modeste.
- Auteur de l'inventaire. - Classiquement, il appartient au tuteur ou au curateur d'une curatelle renforcée de faire procéder à l'inventaire des biens de la personne protégée. On perçoit aisément les inconvénients d'un système reposant sur la bonne volonté et la compétence présumée du seul organe de protection, curieusement institué par la loi comme l'unique acteur d'une mesure destinée à assurer le contrôle de sa gestion. À l'évidence, ainsi entendu, l'inventaire peut soulever des problèmes d'intégrité , ou tout simplement de savoir-faire. Ces dangers, et principalement le premier d'entre eux, sont palpables principalement en présence d'un mandataire familial , mais pas seulement si l'on songe que nombre d'associations contrôlées n'ont pas de procédures écrites encadrant les opérations d'inventaire .
En 2016, la Cour des comptes soulignait à ce propos que « s'agissant de l'établissement des inventaires, seul le recours à un commissaire-priseur ou à un notaire satisferait aux exigences de transparence et de contradictoire qui s'imposent ici, en tous cas pour les patrimoines dont la valeur excéderait un montant à déterminer ».
À l'écoute de ces suggestions, la loi du 23 mars 2019 a prévu que s'il « l'estime nécessaire », le juge « peut désigner dès l'ouverture de la mesure un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice ou un notaire pour procéder, aux frais de la personne protégée, à l'inventaire des biens meubles corporels » (C. civ., art. 503, al. 3). Si l'on ne peut que louer l'éclosion de cette nouvelle règle, destinée à faciliter le déroulement de l'inventaire, en y associant, le cas échéant, des professionnels dont la probité et la compétence peuvent s'avérer précieuses, on regrette cependant son champ d'intervention étriqué. Dans les faits, il a été souligné que les inventaires sont souvent dressés de manière partielle : si les comptes bancaires et les placements apparaissent, en général, correctement retracés, les inventaires n'incluent pas toujours les biens immobiliers du majeur . C'est pourquoi il eût été opportun de ne pas limiter la désignation par le juge d'un professionnel pour l'inventaire des seuls biens meubles corporels mais de l'élargir à tous les biens, surtout pour le logement du majeur protégé et aussi en présence d'un immeuble de rapport, de biens fonciers non bâtis, ou encore de contrats d'assurance-vie, de parts de société non négociables, etc.
En tout état de cause, eu égard au coût supplémentaire inexorablement attaché à l'intervention d'un commissaire-priseur, d'un huissier de justice ou d'un notaire , il est de bon sens d'avoir laissé au juge un pouvoir d'appréciation pour ce faire. Nul besoin de désigner un tel professionnel lorsque la consistance et la valorisation du patrimoine de la personne protégée ne soulèvent aucune difficulté.
- Délai de l'inventaire. - Classiquement, l'inventaire devait être dressé dans un délai de dix jours à compter de l'ouverture de la tutelle. La loi du 5 mars 2007 avait allongé, dans un souci de réalisme, ce délai à trois mois (C. civ., art. 503, al. 1er). Si l'on comprend les raisons qui ont poussé le législateur à prévoir des délais extrêmement resserrés, l'inventaire n'ayant de portée réelle que s'il est effectué à brève échéance, il n'empêche que ce délai, même rallongé, demeurait décrié par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Ces derniers soulignaient notamment la difficulté pour eux, dans un certain nombre de situations, de transmettre l'inventaire dans les temps impartis, compte tenu du caractère intrusif de l'établissement d'un tel document pour la personne protégée, dont la mesure venait d'être mise en place et avec laquelle la relation de confiance ne s'était pas encore établie. Ils soulignaient, en outre, les difficultés rencontrées en pratique pour obtenir les renseignements nécessaires à l'établissement d'un document fiable, dans des délais raisonnables, auprès des professionnels interrogés : banques, services des impôts, etc. Et, bien évidemment, les difficultés étaient accrues en présence de biens situés à l'étranger. Sans surprise, les statistiques témoignaient du reste qu'une proportion très élevée des inventaires dressés (plus de 80 % des dossiers examinés) n'était pas réalisée dans les trois mois qui suivent l'ouverture de la mesure .
Conscient de ces difficultés, le législateur est intervenu, à double égard, au travers de la loi du 23 mars 2019.
D'une part, celle-ci a porté le délai de transmission de l'inventaire à six mois pour les biens autres que les biens meubles corporels (immeubles, créances, dettes, comptes bancaires, assurances-vie, etc.), conservant le délai de trois mois pour ces derniers (véhicules, bijoux, meubles meublants, etc.). Concrètement, l'inventaire du patrimoine peut donc être aujourd'hui réalisé en deux temps, selon la nature des biens concernés. Cette dichotomie s'explique aisément : si, pour les meubles meublants, l'urgence commande qu'un inventaire soit dressé le plus rapidement possible après l'ouverture de la mesure, compte tenu de leur caractère volatile, en revanche les délais peuvent être plus longs pour les autres biens .
D'autre part, la loi a prévu qu'en cas de retard dans la transmission de l'inventaire, outre l'amende civile qu'il peut toujours prononcer après une injonction restée sans effet (C. civ., art. 417, al. 1er), « le juge peut désigner un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice, un notaire ou un mandataire judiciaire à la protection des majeurs pour y procéder aux frais du tuteur ». En créant la possibilité pour le juge de désigner un professionnel, dans un premier temps, pour réaliser l'inventaire et, dans un second temps, pour pallier la carence de l'organe de protection dans la réalisation de cet inventaire, la loi témoigne d'une volonté louable d'assurer un contrôle accru sur le patrimoine dont disposent les personnes protégées.
- Réalisation de l'inventaire. - Concernant le contenu de l'inventaire, rien n'est précisé par le Code civil. C'est l'article 1253 du Code de procédure civile qui fixe les règles sur ce point. Il en résulte que l'inventaire doit contenir « une description des meubles meublants, une estimation des biens immobiliers ainsi que des biens mobiliers ayant une valeur de réalisation supérieure à 1 500 euros, la désignation des espèces en numéraire et un état des comptes bancaires, des placements et des autres valeurs mobilières » (al. 2). Il doit être « daté et signé par les personnes présentes » (al. 3). En dépit des termes lacunaires du texte, il n'est pas douteux que l'inventaire doive également préciser le passif qui affecte, le cas échéant, le patrimoine de la personne protégée.
En la forme, l'inventaire est dressé selon les formes prescrites à l'article 1253 du Code de procédure civile. Ainsi il doit être réalisé en présence de la personne protégée, si son état de santé ou son âge le permet, de son avocat le cas échéant, ainsi que de deux témoins majeurs qui ne sont au service ni de la personne protégée ni de son protecteur lorsque l'inventaire n'est pas réalisé par un officier public ou ministériel. Le subrogé tuteur doit également être présent le cas échéant. L'inventaire peut être authentique, quand il est dressé par un officier ministériel, ou sous seing privé à condition que l'exigence des deux témoins soit remplie. Dans les faits, on sait que les inventaires sont très rarement effectués en présence des témoins requis par le Code civil, lesquels témoins s'avèrent souvent difficiles à trouver, a fortiori quand la personne protégée est isolée . Et la Cour des comptes de souligner du reste que la présence de deux témoins n'est pas nécessairement un « gage de fiabilité, de confidentialité et de sécurité » .

Un contrôle inopérant des inventaires

Dans les faits, le rapport rendu par la Cour des comptes en 2016 constate, pour le déplorer, que les inventaires ne sont que rarement vérifiés par les juges et les anomalies ne sont quasiment jamais sanctionnées . En effet, rares sont les tribunaux qui adressent aux mandataires des remarques ou des relances sur les inventaires transmis ou sur leur absence. Les tribunaux d'instance éprouvent par ailleurs des difficultés pour consulter le Fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), géré par le ministère des Finances pour s'assurer de l'exhaustivité de la liste des comptes bancaires du majeur établie par le tuteur. Et la Cour de souligner que lorsqu'ils contrôlent un mandataire, les inspecteurs de la direction départementale de la cohésion sociale l'interrogent généralement sur le respect de ses obligations sans vérifier la présence des pièces dans les dossiers des majeurs.
Il n'existe pas de statistiques nationales consolidées sur la valeur du patrimoine des majeurs protégés, qui reste très mal connu. Un réseau de services tutélaires a cependant pu estimer à 4,2 Md? les seules valeurs mobilières (comptes à vue, comptes à terme, livrets d'épargne, comptes titres et assurance-vie) détenues par des majeurs sous sa protection.
Dès lors, on rejoint la Cour des comptes et le rapport Caron-Déglise quand ils estiment que ce constat dessine une situation préoccupante. Un inventaire non contrôlé, a fortiori non produit ou produit en retard représente un risque considérable pour la préservation du patrimoine du majeur. Le désintérêt très répandu pour les procédures d'inventaire que la Cour a observé ne pouvant, au surplus, que faciliter les abus.
Indubitablement, ce constat milite en faveur d'inventaires dressés, dans la mesure du possible, par des professionnels.