Le rôle du notaire au sein de la mesure de protection

Le rôle du notaire au sein de la mesure de protection

- Outils de contrôle. - La mise en place de mesures de protection judiciaire, notamment les plus incapacitantes, à savoir la curatelle renforcée et davantage encore la tutelle, justifient que le législateur ait prévu corrélativement des outils de contrôle destinés à éviter des dérives de la part de l'organe de protection, qu'il s'agisse d'un mandataire professionnel ou familial, et de permettre au juge d'exécuter son obligation générale de surveillance des mesures de protection (C. civ., art. 416, al. 1er). L'objectif ici, on l'aura compris, est de préserver ainsi les intérêts de la personne vulnérable. Ainsi, dès l'entame de la mesure, le tuteur doit procéder à l'inventaire des biens de la personne protégée puis, tout au long de la mesure, il doit établir, en principe annuellement, des comptes de gestion. Dans son rapport établi en 2016, la Cour des comptes a cependant relevé de nombreuses défaillances dans l'établissement, la transmission et le contrôle de ces documents essentiels . C'est pourquoi la loi du 23 mars 2019 a entendu non seulement renforcer l'obligation d'inventaire, point de départ d'un contrôle efficace, mais aussi améliorer le contrôle des comptes de gestion afin de prémunir toutes les personnes vulnérables contre une dilapidation de leurs biens au fil du temps. Partant, nulle surprise de constater que le notaire s'est vu attribuer, par un mouvement de balancier naturel, un rôle accru dans les mesures de protection judiciaire, qu'il s'agisse de l'inventaire (§ I) ou du contrôle des comptes de gestion (§ II).

L'inventaire des biens du majeur protégé

- Intérêt de l'inventaire. - Parmi les obligations pesant sur lui au début de la mesure, le mandataire doit établir trois documents qui conditionneront largement sa gestion de la mesure : l'inventaire des biens du majeur, son budget prévisionnel et le document individuel de protection du majeur (DIPM).
S'agissant plus précisément de la première des obligations pensant sur lui, laquelle est susceptible d'intéresser au premier chef la pratique notariale, l'article 503 du Code civil dispose que « le tuteur fait procéder, en présence du subrogé tuteur s'il a été désigné, à un inventaire des biens de la personne protégée ». On sait que pareille obligation pèse également sur le curateur, en cas de curatelle renforcée (C. civ., art. 472, al. 3). Cet inventaire doit être transmis au juge puis actualisé au cours de la mesure. Ainsi, par exemple, en cas de succession échue au tutélaire, le protecteur se devra de procéder à un nouvel inventaire. En revanche, une simple donation ne paraît pas imposer un nouvel inventaire, une copie de l'acte de donation adressée au juge semblant suffire.
L'inventaire constitue la « clé de voûte » de la protection des biens du majeur. Il est le point de départ de la gestion du patrimoine par le tuteur ou le curateur renforcé. Il permet au juge de vérifier la pertinence du budget prévisionnel, au directeur des services de greffe judiciaires de vérifier les comptes annuels, et, à la fin de la mesure de protection, au majeur protégé ou à ses héritiers de s'assurer de la bonne gestion et de la sauvegarde de son patrimoine, même si celui-ci est modeste.
- Auteur de l'inventaire. - Classiquement, il appartient au tuteur ou au curateur d'une curatelle renforcée de faire procéder à l'inventaire des biens de la personne protégée. On perçoit aisément les inconvénients d'un système reposant sur la bonne volonté et la compétence présumée du seul organe de protection, curieusement institué par la loi comme l'unique acteur d'une mesure destinée à assurer le contrôle de sa gestion. À l'évidence, ainsi entendu, l'inventaire peut soulever des problèmes d'intégrité , ou tout simplement de savoir-faire. Ces dangers, et principalement le premier d'entre eux, sont palpables principalement en présence d'un mandataire familial , mais pas seulement si l'on songe que nombre d'associations contrôlées n'ont pas de procédures écrites encadrant les opérations d'inventaire .
En 2016, la Cour des comptes soulignait à ce propos que « s'agissant de l'établissement des inventaires, seul le recours à un commissaire-priseur ou à un notaire satisferait aux exigences de transparence et de contradictoire qui s'imposent ici, en tous cas pour les patrimoines dont la valeur excéderait un montant à déterminer ».
À l'écoute de ces suggestions, la loi du 23 mars 2019 a prévu que s'il « l'estime nécessaire », le juge « peut désigner dès l'ouverture de la mesure un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice ou un notaire pour procéder, aux frais de la personne protégée, à l'inventaire des biens meubles corporels » (C. civ., art. 503, al. 3). Si l'on ne peut que louer l'éclosion de cette nouvelle règle, destinée à faciliter le déroulement de l'inventaire, en y associant, le cas échéant, des professionnels dont la probité et la compétence peuvent s'avérer précieuses, on regrette cependant son champ d'intervention étriqué. Dans les faits, il a été souligné que les inventaires sont souvent dressés de manière partielle : si les comptes bancaires et les placements apparaissent, en général, correctement retracés, les inventaires n'incluent pas toujours les biens immobiliers du majeur . C'est pourquoi il eût été opportun de ne pas limiter la désignation par le juge d'un professionnel pour l'inventaire des seuls biens meubles corporels mais de l'élargir à tous les biens, surtout pour le logement du majeur protégé et aussi en présence d'un immeuble de rapport, de biens fonciers non bâtis, ou encore de contrats d'assurance-vie, de parts de société non négociables, etc.
En tout état de cause, eu égard au coût supplémentaire inexorablement attaché à l'intervention d'un commissaire-priseur, d'un huissier de justice ou d'un notaire , il est de bon sens d'avoir laissé au juge un pouvoir d'appréciation pour ce faire. Nul besoin de désigner un tel professionnel lorsque la consistance et la valorisation du patrimoine de la personne protégée ne soulèvent aucune difficulté.
- Délai de l'inventaire. - Classiquement, l'inventaire devait être dressé dans un délai de dix jours à compter de l'ouverture de la tutelle. La loi du 5 mars 2007 avait allongé, dans un souci de réalisme, ce délai à trois mois (C. civ., art. 503, al. 1er). Si l'on comprend les raisons qui ont poussé le législateur à prévoir des délais extrêmement resserrés, l'inventaire n'ayant de portée réelle que s'il est effectué à brève échéance, il n'empêche que ce délai, même rallongé, demeurait décrié par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Ces derniers soulignaient notamment la difficulté pour eux, dans un certain nombre de situations, de transmettre l'inventaire dans les temps impartis, compte tenu du caractère intrusif de l'établissement d'un tel document pour la personne protégée, dont la mesure venait d'être mise en place et avec laquelle la relation de confiance ne s'était pas encore établie. Ils soulignaient, en outre, les difficultés rencontrées en pratique pour obtenir les renseignements nécessaires à l'établissement d'un document fiable, dans des délais raisonnables, auprès des professionnels interrogés : banques, services des impôts, etc. Et, bien évidemment, les difficultés étaient accrues en présence de biens situés à l'étranger. Sans surprise, les statistiques témoignaient du reste qu'une proportion très élevée des inventaires dressés (plus de 80 % des dossiers examinés) n'était pas réalisée dans les trois mois qui suivent l'ouverture de la mesure .
Conscient de ces difficultés, le législateur est intervenu, à double égard, au travers de la loi du 23 mars 2019.
D'une part, celle-ci a porté le délai de transmission de l'inventaire à six mois pour les biens autres que les biens meubles corporels (immeubles, créances, dettes, comptes bancaires, assurances-vie, etc.), conservant le délai de trois mois pour ces derniers (véhicules, bijoux, meubles meublants, etc.). Concrètement, l'inventaire du patrimoine peut donc être aujourd'hui réalisé en deux temps, selon la nature des biens concernés. Cette dichotomie s'explique aisément : si, pour les meubles meublants, l'urgence commande qu'un inventaire soit dressé le plus rapidement possible après l'ouverture de la mesure, compte tenu de leur caractère volatile, en revanche les délais peuvent être plus longs pour les autres biens .
D'autre part, la loi a prévu qu'en cas de retard dans la transmission de l'inventaire, outre l'amende civile qu'il peut toujours prononcer après une injonction restée sans effet (C. civ., art. 417, al. 1er), « le juge peut désigner un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice, un notaire ou un mandataire judiciaire à la protection des majeurs pour y procéder aux frais du tuteur ». En créant la possibilité pour le juge de désigner un professionnel, dans un premier temps, pour réaliser l'inventaire et, dans un second temps, pour pallier la carence de l'organe de protection dans la réalisation de cet inventaire, la loi témoigne d'une volonté louable d'assurer un contrôle accru sur le patrimoine dont disposent les personnes protégées.
- Réalisation de l'inventaire. - Concernant le contenu de l'inventaire, rien n'est précisé par le Code civil. C'est l'article 1253 du Code de procédure civile qui fixe les règles sur ce point. Il en résulte que l'inventaire doit contenir « une description des meubles meublants, une estimation des biens immobiliers ainsi que des biens mobiliers ayant une valeur de réalisation supérieure à 1 500 euros, la désignation des espèces en numéraire et un état des comptes bancaires, des placements et des autres valeurs mobilières » (al. 2). Il doit être « daté et signé par les personnes présentes » (al. 3). En dépit des termes lacunaires du texte, il n'est pas douteux que l'inventaire doive également préciser le passif qui affecte, le cas échéant, le patrimoine de la personne protégée.
En la forme, l'inventaire est dressé selon les formes prescrites à l'article 1253 du Code de procédure civile. Ainsi il doit être réalisé en présence de la personne protégée, si son état de santé ou son âge le permet, de son avocat le cas échéant, ainsi que de deux témoins majeurs qui ne sont au service ni de la personne protégée ni de son protecteur lorsque l'inventaire n'est pas réalisé par un officier public ou ministériel. Le subrogé tuteur doit également être présent le cas échéant. L'inventaire peut être authentique, quand il est dressé par un officier ministériel, ou sous seing privé à condition que l'exigence des deux témoins soit remplie. Dans les faits, on sait que les inventaires sont très rarement effectués en présence des témoins requis par le Code civil, lesquels témoins s'avèrent souvent difficiles à trouver, a fortiori quand la personne protégée est isolée . Et la Cour des comptes de souligner du reste que la présence de deux témoins n'est pas nécessairement un « gage de fiabilité, de confidentialité et de sécurité » .

Un contrôle inopérant des inventaires

Dans les faits, le rapport rendu par la Cour des comptes en 2016 constate, pour le déplorer, que les inventaires ne sont que rarement vérifiés par les juges et les anomalies ne sont quasiment jamais sanctionnées . En effet, rares sont les tribunaux qui adressent aux mandataires des remarques ou des relances sur les inventaires transmis ou sur leur absence. Les tribunaux d'instance éprouvent par ailleurs des difficultés pour consulter le Fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), géré par le ministère des Finances pour s'assurer de l'exhaustivité de la liste des comptes bancaires du majeur établie par le tuteur. Et la Cour de souligner que lorsqu'ils contrôlent un mandataire, les inspecteurs de la direction départementale de la cohésion sociale l'interrogent généralement sur le respect de ses obligations sans vérifier la présence des pièces dans les dossiers des majeurs.
Il n'existe pas de statistiques nationales consolidées sur la valeur du patrimoine des majeurs protégés, qui reste très mal connu. Un réseau de services tutélaires a cependant pu estimer à 4,2 Md? les seules valeurs mobilières (comptes à vue, comptes à terme, livrets d'épargne, comptes titres et assurance-vie) détenues par des majeurs sous sa protection.
Dès lors, on rejoint la Cour des comptes et le rapport Caron-Déglise quand ils estiment que ce constat dessine une situation préoccupante. Un inventaire non contrôlé, a fortiori non produit ou produit en retard représente un risque considérable pour la préservation du patrimoine du majeur. Le désintérêt très répandu pour les procédures d'inventaire que la Cour a observé ne pouvant, au surplus, que faciliter les abus.
Indubitablement, ce constat milite en faveur d'inventaires dressés, dans la mesure du possible, par des professionnels.

Le contrôle des comptes de gestion

- Remise annuelle du compte de gestion par le tuteur. - Outre l'obligation qui lui est faite d'établir un compte final de gestion au moment de la cessation de sa mission, les textes enjoignent au tuteur d'établir un compte annuel de gestion faisant apparaître les recettes et les dépenses engagées au nom et pour le compte du tutélaire, accompagné de toutes les pièces justificatives utiles, en vue de sa vérification et de son approbation (C. civ., art. 510 à 514). À cette fin, le tuteur a le droit d'obtenir communication d'un relevé annuel des comptes bancaires ouverts au nom de la personne protégée, sans que l'établissement bancaire puisse lui opposer le secret professionnel ou le secret bancaire (C. civ., art. 510). Par ailleurs, le tuteur est tenu d'assurer la confidentialité du compte de gestion.
Dans son principe, le compte de gestion est une sorte de mise à jour de l'inventaire ; il est aussi l'outil qui permet de vérifier la qualité de la gestion du budget et des biens du majeur par le mandataire et donc de garantir la protection de la personne vulnérable. À l'exception des commentaires de la loi de 2007 faits par la circulaire de 2009, le ministère de la Justice n'a apporté quasiment aucune précision, qu'il s'agisse de la date limite d'envoi du compte, de son contenu ou de sa présentation.
Nulle surprise, dans ces conditions, de constater que la Cour des comptes, dans son rapport de 2016 , a relevé que les comptes-rendus établis par les mandataires professionnels sont de qualité variable : nombre d'entre eux ne présentent pas la situation sociale et l'environnement de l'intéressé, n'ont pas de tableau de synthèse des mouvements intervenus sur les comptes bancaires du majeur, comportent des copies incomplètes des relevés du compte courant du majeur (« compte de fonctionnement ») ou de ses autres comptes, ne font pas la synthèse annuelle des actifs du majeur et de ses ressources et dépenses par grands postes, pourtant nécessaire pour vérifier l'absence de disproportion manifeste dans les dépenses. Ces constats sont également applicables aux comptes-rendus établis par des mandataires familiaux. Beaucoup de comptes-rendus ne comportent pas les justificatifs des placements financiers effectués ou la copie des ordonnances du juge qui les ont autorisés, la justification du calcul de la participation financière du majeur pour les mesures exercées par des professionnels, les justificatifs de ventes et successions, les factures des principales dépenses, notamment celles occasionnelles, nécessaires au contrôle sur la dépense. Des soldes de début d'exercice sont en outre omis. Pour clore ce constat inquiétant, la Cour des comptes a pu constater que de nombreux mandataires, familiaux ou professionnels toutes catégories confondues, adressent tardivement les comptes-rendus au greffe, voire ne les produisent pas.
- Déjudiciarisation du contrôle des comptes de gestion. - En dépit de ces alertes inquiétantes, l'obligation pour les tuteurs d'établir des comptes annuels a été maintenue à l'identique par la loi du 23 mars 2019. Les mandataires professionnels et familiaux demeurent donc livrés à eux-mêmes, démunis de directives, puisque les textes n'apportent quasiment aucune précision, qu'il s'agisse de la date limite d'envoi du compte, de son contenu ou de sa présentation . Dans l'optique d'améliorer et de sécuriser les contrôles, la réaction législative s'est portée, en aval, sur l'organe chargé de vérifier les comptes annuels de gestion. Cette réaction se caractérise par une déjudiciarisation, laquelle aboutit à retirer le contrôle des comptes aux greffiers (A) pour le confier, le cas échéant, aux notaires (B).

La déjudiciarisation aboutit à l'exclusion du greffier

- Plan. - Classiquement en charge du contrôle des comptes de gestion (I), les greffiers se sont vu, par la loi du 23 mars 2019 (II), retirer cette tâche particulièrement chronophage, qui constituait l'une des causes de l'encombrement des greffes et cabinets de juge des tutelles.

Un contrôle autrefois confié aux greffiers

- Le contrôle à l'aune des textes. - Selon les textes, la vérification du compte annuel était opérée par le greffier en chef du tribunal d'instance auquel le compte devait être transmis (C. civ., art. 511, al. 1er). Si un subrogé tuteur avait été nommé, il devait opérer une vérification des comptes avant de les transmettre avec ses observations (C. civ., art. 511, al. 4). Le greffier en chef devait approuver le compte après l'avoir vérifié au besoin avec l'assistance de tiers tels qu'un huissier de justice (CPC, art. 1254-1). S'il refusait de donner son approbation, le greffier en chef dressait un rapport des difficultés rencontrées qu'il transmettait au juge. Ce dernier devait alors statuer sur la conformité du compte (C. civ., art. 511, al. 6). Par ailleurs, il était possible que le juge décide de substituer au greffier en chef, dans cette mission de vérification et d'approbation des comptes, le subrogé tuteur lorsqu'il avait été mis en place (C. civ., art. 511, al. 7) ou le conseil de famille s'il en existait un et si le tuteur était un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (C. civ., art. 515, al. 8) ou encore un technicien « si les ressources de la personne protégée le permett[ai]ent et si l'importance et la composition de son patrimoine le justifi[ai]ent » (C. civ., art. 513).
- Les textes à épreuve des faits. - Dans les faits, la Cour des comptes a pu constater, et regretter qu'exception faite de quelques greffes, la procédure d'examen des comptes-rendus était largement inopérante . Il faut dire qu'aucun texte de niveau national ne définissait ni même ne mentionnait ce qui pourrait tenir lieu de « politique de vérification » des comptes. De fait, à quelques exceptions près, les greffes n'utilisaient pas de méthodologie rigoureuse de contrôle et les modes opératoires pouvaient varier au sein d'un même tribunal. Si quelques directeurs de greffe examinaient s'il existait des dépenses « manifestement disproportionnées » et si les pièces justificatives étaient transmises, la plupart se contentaient de vérifier l'évolution du solde du ou des comptes bancaires et l'absence de solde négatif. Plus encore, la majeure partie des tribunaux ne communiquaient pas leur décision aux mandataires.
Selon la Cour des comptes, cette « situation alarmante et gravement préjudiciable aux personnes protégées comme aux mandataires » était surtout imputable aux compétences professionnelles inadaptées des greffes, le contrôle des comptes exigeant une compétence particulière que ne détiennent pas ces derniers. Et, le rapport Caron-Déglise de rajouter, à juste titre, que la question des moyens alloués était également centrale et déterminante. Si les directeurs de greffe d'instance, par leur association, avaient rappelé qu'ils étaient très sensibles aux difficultés des publics les plus fragiles qu'ils rencontraient au quotidien, ils avaient surtout souligné tout à la fois que cette mission était chronophage et que les moyens pour y faire face n'avaient jamais été à la hauteur, alors que le nombre de comptes à vérifier chaque année rendait la tâche impossible pour les seuls fonctionnaires de justice et les magistrats .

Un contrôle désormais retiré aux greffiers

- Suppression d'un contrôle judiciaire systématique. - Tirant les conséquences des critiques lancinantes adressées au système ancien, la loi du 23 mars 2019 a modifié en profondeur l'organisation du contrôle des comptes de gestion, en excluant désormais toute intervention du greffier en chef, dans la mouvance d'une déjudiciarisation du droit des personnes protégées . Aujourd'hui, la détermination des personnes chargées du contrôle dépend désormais à la fois de la composition des organes assurant la charge tutélaire et de la consistance du patrimoine du majeur .
- Contrôle interne des comptes de gestion. - Afin d'assurer l'effectivité du contrôle des comptes de gestion, les articles 512 et 514 du Code civil mettent en place un système de contrôle « interne » à la mesure de protection, qui devient le principe lorsque plusieurs personnes sont désignées .
En pareille occurrence, les comptes de gestion sont vérifiés et approuvés annuellement par le subrogé tuteur lorsqu'il en a été nommé un ou par le conseil de famille lorsque ce dernier a désigné un mandataire judiciaire à la protection des majeurs comme tuteur. On sait toutefois que cette tutelle complète demeure statistiquement minoritaire.
En cas de désignation de plusieurs tuteurs chargés de la gestion aux biens, ce qui s'avère également rare en pratique, les comptes annuels de gestion doivent être signés par chacun d'eux, ce qui vaut approbation (C. civ., art. 512 al. 1er).
Le juge ne disparaît pas totalement du dispositif mais reste présent en arrière-plan et peut, en cas de difficulté et à la requête de l'une des personnes chargées de la mesure de protection, statuer sur la conformité des comptes (C. civ., art. 511, al. 1er).
Au-delà du souci d'alléger les greffes, la disposition est une incitation à favoriser l'exercice plural de la mesure, ou à tout le moins la mise en place d'organes de contrôle interne, par le recours à la subrogée tutelle, encore trop peu utilisée .
- Contrôle externe des comptes de gestion. - À défaut de ce contrôle interne, la loi prévoit un contrôle « externe » par des professionnels du chiffre ou du droit, et ce dans deux hypothèses, destinées de facto à être les plus nombreuses.
En l'absence de désignation d'un subrogé tuteur, d'un cotuteur, d'un tuteur adjoint ou d'un conseil de famille, le juge doit désigner, dès réception de l'inventaire et du budget prévisionnel, un professionnel qualifié, chargé de la vérification et de l'approbation des comptes dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État (C. civ., art. 512, al. 3).
Ce professionnel reçoit également la mission de vérification et d'approbation du compte de gestion, malgré la présence d'un subrogé tuteur, d'un cotuteur, d'un tuteur adjoint ou d'un conseil de famille, « lorsque l'importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient » (C. civ., art. 512, al. 2).
Eu égard à l'impossibilité de préconiser une solution interne aux services publics , la circulaire du 25 mars 2019 a précisé que ce transfert du contrôle des comptes à des professionnels qualifiés constituait la seule solution pour qu'un contrôle efficace et régulier soit assuré.

La déjudiciarisation favorise l'intervention du notaire

- Plan. - Suivant en cela un plan chronologique, nous allons successivement envisager la désignation (I) puis la mission (II) du notaire désigné en qualité de professionnel qualifié.

La désignation du notaire en qualité de professionnel qualifié

- La désignation ratione materiae du notaire. - Dans un certain nombre de situations, il appartiendra désormais à un professionnel qualifié de vérifier et d'approuver les comptes annuels de gestion du tuteur. Un décret en Conseil d'État est prévu pour déterminer qui peut être le professionnel qualifié visé à l'article 512 du Code civil et les conditions justifiant sa désignation. Cela étant, la circulaire du 25 mars 2019 a d'ores et déjà précisé que ce professionnel qualifié pourra être un huissier, un avocat, un expert-comptable, un commissaire aux comptes, un administrateur ou un mandataire judiciaire, selon la nature et la consistance du patrimoine de la personne vulnérable . Il pourra également s'agir, bien évidemment, d'un notaire.
D'ailleurs, dans les faits, nul doute que le notaire, au regard de son large champ d'intervention, est appelé à devenir le relais privilégié du magistrat, dans une posture déjà connue par la profession dans le domaine voisin du droit patrimonial de la famille, à l'occasion spécifiquement d'une procédure de divorce ou, plus largement, dans le cadre des opérations de partage judiciaire. Dans le premier cas, il est susceptible d'intervenir en qualité d'expert, soit « en vue de dresser un inventaire estimatif ou de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux » (C. civ., art. 255, 9o) , soit pour « élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager » (C. civ., art. 255, 10o), alors que dans le second cas, il agit en sa qualité de notaire commis aux fins de « procéder aux opérations de partage » (CPC, art. 1364 et s.). Faut-il rappeler, au surplus, que le notaire est appelé à tenir ce rôle de « contrôleur des comptes » en présence d'un mandat de protection future notarié (C. civ., art. 491, al. 1er) .
Dans la pureté des principes, le notaire désigné en qualité de professionnel qualifié sera celui-là même à qui le juge a peut-être déjà confié le soin d'établir l'inventaire ; il se verra ainsi doté d'une mission générale de précontrôle de la mesure de protection judiciaire.
En présence d'un patrimoine complexe, si rien n'interdit au juge de désigner plusieurs professionnels qualifiés, il convient cependant d'éviter les nominations multiples, source de complexité et de surcoûts, pour privilégier la seule désignation d'un notaire, quitte pour ce dernier à s'adjoindre un technicien dans une autre spécialité que la sienne, comme par exemple un expert-comptable qui interviendra sous son contrôle. En pareil cas, il appartient au notaire de centraliser les informations qui lui sont communiquées par ses sapiteurs aux fins, le cas échéant, de rédiger un rapport complet et synthétique qui envisage l'ensemble des difficultés soulevées par le dossier.
- La désignation ratione personae du notaire. - Le juge qui entend désigner en qualité de professionnel qualifié pour vérifier les comptes de gestion du tuteur doit s'inspirer à cette fin des règles inhérentes au partage judiciaire, en l'occurrence celle posée à l'article 1364 du Code de procédure civile. C'est dire qu'il peut procéder à la désignation du notaire de son choix, sauf à ce que la personne protégée, si elle est en mesure d'exprimer sa volonté, ou son futur représentant, propose un nom, celui vraisemblablement du notaire de famille.
Dans les deux cas, la question se pose de savoir si le notaire désigné en qualité de professionnel qualifié peut recevoir les actes concernant la personne protégée, qu'il s'agisse, par exemple, de son vivant, de la vente du bien immobilier constituant son logement ou, à son décès, du règlement de sa succession. Cette question, déjà envisagée sous l'angle du mandat de protection future , doit à notre sens recevoir une réponse identique, même si l'origine judiciaire, et non plus conventionnelle de l'intervention notariale pouvait peut-être jeter un trouble plus prononcé à cet égard. En effet, s'il y a une certaine logique à ce que le notaire choisi par le mandant et donc en qui celui-ci a placé sa confiance reçoive ensuite les actes concernant directement ou indirectement ce dernier , quid lorsque le notaire a été choisi par le juge, souvent sans lien manifeste avec la personne protégée ? À notre sens, il n'y a pas d'incompatibilité à ce que le notaire puisse recevoir un acte, auquel la personne protégée - qu'elle soit représentée ou simplement assistée - est partie et agir parallèlement en qualité de notaire commis judiciairement, aux fins d'inventaire et/ou de contrôle des comptes. Dans un cas comme dans l'autre, il agit en effet dans l'intérêt de la personne protégée, ce qui exclut le conflit d'intérêts . L'argument prend de l'ampleur lorsque la désignation du notaire commis résulte en réalité d'un choix exprimé par la personne protégée ou son représentant.
En tout état de cause, on aurait tendance à penser qu'il y a une réelle cohérence à ce que le notaire commis instrumente les actes que le tuteur est amené à passer pour le compte de la personne protégée, cette intervention à l'acte lui permettant ainsi d'assurer in vivo la mission de précontrôle de l'activité du tuteur que lui a confié le juge. Cette mission est d'autant plus importante aujourd'hui que de nombreux actes passés par le tuteur, on le sait, ne nécessitent plus l'autorisation préalable du juge .

L'opportunité de dresser une liste de notaires volontaires

En tout état de cause, et sachant que la désignation « semi-conventionnelle » d'un notaire restera vraisemblablement minoritaire, faute de choix exprimé par la personne protégée ou de notaire auquel il est attaché, il s'agit de désigner des notaires ayant une appétence particulière pour ces questions, mais aussi dont la structure leur permet de faire face à de telles désignations. Il s'agit ainsi d'assurer une mise en ?uvre efficace du dispositif légal sur le terrain. Dans cette optique, il serait opportun qu'il soit établi, dans chaque chambre, une liste de notaires prêts à être désignés par le juge en tant que professionnels qualifiés, ce qui existe déjà dans certains départements, en matière de droit patrimonial de la famille.

La mission du notaire en qualité de professionnel qualifié

- Le teneur du contrôle notarial. - Le rôle du notaire, appelé à vérifier les comptes de gestion, est dual. En la forme, il doit assurer la conservation des comptes et des pièces justificatives qui lui sont remis, sans pouvoir les communiquer à des tiers, en raison de la confidentialité des indications contenues dans ces comptes .
Quant au fond, sans être juge de l'opportunité de la gestion tutélaire, le notaire doit vérifier que celle-ci est conforme aux intérêts de la personne protégée. En somme, s'il n'a pas à porter de jugement sur le choix des options budgétaires prises par le tuteur, il lui appartient de contrôler et de détecter les éventuelles anomalies de gestion. Concrètement, son rôle consiste à déceler l'existence éventuelle de dépenses manifestement disproportionnées, d'actes injustifiés ou anormaux. Au besoin, s'il estime que certaines pièces lui font défaut pour opérer ce contrôle (absence de justificatifs des placements financiers effectués, absence des factures relatives aux principales dépenses visées, etc.), il doit solliciter leur production par le tuteur. D'une manière générale, il peut d'ailleurs demander toute explication utile au tuteur destinée à lui permettre de s'assurer que celui-ci agit de manière raisonnable, dans le souci des biens et intérêts qui lui ont été confiés.
En présence d'anomalies manifestes ou d'explications lacunaires, le notaire peut refuser d'approuver les comptes. Il dresse alors un rapport des difficultés constatées qu'il transmet au juge, lequel statuera sur la conformité des comptes et pourra décharger le tuteur de sa mission voire, en cas de manquement grave ayant causé un préjudice aux intérêts du majeur protégé, soulever sa responsabilité pour faute, notamment en cas de fraude. Un schéma identique doit être suivi en l'absence de transmission des comptes par le tuteur dans les délais impartis.
Comme en matière de mandat de protection future, le notaire a ici un rôle de lanceur d'alerte qui est essentiel . Il s'agit d'assurer la protection de la personne protégée, dont les bons soins ont malheureusement pu être confiés à un tuteur négligent, incompétent ou peu scrupuleux.

Remarque pratique

Là encore, les dispositions relatives au partage judiciaire (CPC, art. 1464 et s.) doivent inspirer les rédacteurs du décret à venir. Le notaire doit avoir un pouvoir de coercition sur le tuteur et pouvoir lui imposer des délais pour la communication des pièces. Il doit pouvoir également établir un procès-verbal de difficultés ou de carence dans l'hypothèse où le tuteur n'exécute pas ses obligations en la matière.

- La périodicité du contrôle notarial. - Il appartient au juge des tutelles, s'il désigne un notaire ou tout autre professionnel qualifié, de fixer dans sa décision les modalités selon lesquelles le tuteur soumet à ce professionnel le compte de gestion, accompagné des pièces justificatives (C. civ., art. 512, al. 2). Aucune périodicité n'est donc mentionnée par les textes. C'est dire que le juge devra déterminer la fréquence à laquelle le contrôle sera réalisé : il pourra ainsi moduler dans le temps le rythme dudit contrôle et prévoir, par exemple, que celui-ci s'effectuera tous les deux ans. L'objectif évident est de permettre aux personnes protégées dont les ressources sont limitées de bénéficier de cette externalisation du contrôle des comptes de gestion sans qu'elle constitue pour autant une charge excessive pour eux.
- Le coût du contrôle notarial. - L'externalisation du contrôle des comptes de gestion au profit d'un professionnel qualifié soulève inévitablement la question de son financement. Le débat est sensible.
Il n'est pas question de rémunérer de manière dispendieuse le professionnel qualifié appelé à intervenir, sous peine de prendre le risque évident de voir ce contrôle grever trop lourdement le patrimoine de la personne protégée, laquelle est appelée à en supporter la charge financière. D'un autre côté, s'agissant d'une mission à la fois primordiale et gratifiante, au service de la personne protégée, mais aussi, il ne faut pas se leurrer, fastidieuse, chronophage et source de responsabilité, il est évident qu'une rémunération purement symbolique risque fort de décourager les vocations .
Ces considérations n'ont d'ailleurs pas échappé aux pouvoirs publics. Si l'idée de financer la déjudiciarisation du contrôle des comptes par le biais des fonds publics a été abandonnée, la circulaire du 25 mars 2019, dans un souci de pragmatisme, a précisé qu'en raison de son coût cette externalisation ne devait être ordonnée par le juge qu'à défaut de solutions moins coûteuses pour le majeur protégé. Ce même souci explique du reste, en grande partie, les cas de dispense envisagés par la loi.
- Dispenses de contrôle des comptes. - L'article 513 du Code civil prévoit des dispenses de contrôle des comptes, lesquelles ont d'ailleurs été élargies par la loi du 23 mars 2019. Le texte distingue aujourd'hui deux types de dispense susceptibles d'être préconisés par le juge :
  • le tuteur professionnel, ce qui est une innovation, peut être dispensé de soumettre le compte de gestion à approbation, en considération de la modicité des revenus ou du patrimoine de la personne protégée ;
  • le tuteur familial peut être dispensé non seulement de soumettre le compte de gestion à approbation, mais aussi tout bonnement d'établir un tel compte, dans des conditions similaires.
On comprend la volonté des pouvoirs publics de vouloir limiter le contrôle des comptes, et son coût, aux « situations à risque » généralement liées à l'importance et à la composition du patrimoine de la personne protégée. Il n'en reste pas moins que la disparition d'une partie du contrôle des comptes de gestion est inquiétante, ce d'autant plus qu'elle se cumule avec les dispenses d'autorisation.
S'agissant des tuteurs professionnels, Mme Pecqueur, magistrate, estime que « la création d'une dispense généralisée de contrôle, au prétexte que la consistance des biens à gérer est modeste, est (?) surprenante » . Elle souligne, au soutien de sa position, qu'entre « les personnes qui disposent d'un patrimoine conséquent et celles qui n'ont rien, il existe toute une partie de la population qui a des ressources limitées et un tout petit patrimoine - quelques économies, un immeuble - et qui est isolée. L'étude réalisée par la Chancellerie sur les décisions prises en 2015 a montré que les personnes prises en charge par des mandataires professionnels étaient propriétaires d'un immeuble dans 40 % des cas, disposaient d'une épargne de plus de 4 020 ? pour la moitié d'entre eux et de revenus pour 73 % d'entre eux dont le montant médian est de 1 130 ?. C'est peu, mais ce n'est pas rien. Et en l'absence de proches, l'alternative sera de ne rien vérifier, au risque de voir se multiplier les erreurs de gestion ou malversations ou de vérifier aux frais de la personne, mais alors au prix de son bien-être, car les quelques centaines d'euros nécessaires à cette vérification, ajoutées au coût de la gestion de la mesure pèseront nécessairement sur la qualité de sa prise en charge - un peu moins d'aide à domicile, un peu moins d'argent de vie » . Et Mme Pecqueur de conclure que : « Ces nouvelles dispositions laissent un vide très important sur le contrôle des mesures exercées hors du cadre familial » .
Quant aux tuteurs familiaux, le rapport Caron-Déglise a souligné, à juste titre, que les risques de gestion défaillante et/ou négligente de la part d'un proche sont réels, les mandataires professionnels ayant souligné qu'ils étaient souvent désignés après des interventions familiales et qu'ils découvraient alors des situations d'impayés de plusieurs mois, voire années (établissements non payés, non-reversements à l'aide sociale, par exemple, droits non ouverts) . Le but, notamment pour des raisons d'économie budgétaire, est ici de favoriser la tutelle familiale, ce qui suppose de limiter les contraintes pesant sur l'organe de protection non professionnel. Mais autant nous pouvons percevoir la justesse du propos en présence d'une habilitation familiale, qui suppose un consensus familial, autant il nous semble plus difficilement audible dans le cadre d'une mesure de protection judiciaire classique, laquelle postule par principe l'absence d'un environnement apaisé autour de la personne protégée.
Partant, et parce que le contrôle des comptes a une incidence directe sur la vérification du respect concret des droits des personnes dans l'exercice même des mesures, il reste à espérer que les magistrats se montreront prudents lorsqu'il s'agira pour eux de dispenser l'organe de protection d'établir et/ou de solliciter l'approbation de son compte de gestion. À défaut, on sait que le renvoi à « l'obligation générale de surveillance des mesures de protection » par le juge des tutelles (C. civ., art. 416, al. 1er) est insuffisant pour garantir les intérêts de la personne protégée, sauf à démultiplier les moyens alloués aux juridictions, ce qui n'est pas vraiment dans l'air du temps.
D'une manière plus générale, le juge est toujours appelé à intervenir une fois la mesure de protection judiciaire mise en ?uvre, mais ce n'est qu'en ultime recours, c'est-à-dire en cas de difficultés, et encore faut-il qu'il soit alerté de celles-ci. Dans ces conditions, nul doute que les notaires doivent aujourd'hui faire preuve d'une vigilance accrue lorsqu'ils instrumentent un acte dont l'une des parties est soumise à un régime de protection, quel qu'il soit. En effet, déjudiciarisation oblige, la protection de celle-ci est désormais, plus que jamais, l'affaire de tous, et notamment celle des notaires qui, au travers de leurs actes, sont susceptibles de prendre le pouls au quotidien des difficultés rencontrées par une personne vulnérable et des dangers auxquels elle peut être confrontée.