Les obligations de la personne habilitée

Les obligations de la personne habilitée

- Dispense formelle des comptes de gestion. - L'autonomie renforcée dont bénéficie le protecteur habilité étonne d'autant plus que l'encadrement de son mandat est évanescent. Mise à part l'obligation d'accomplir l'acte (ou les actes) pour lequel elle est habilitée dans le respect des intérêts du majeur protégé, la personne désignée à cette fin n'a pas à se soumettre aux obligations habituellement mises à la charge des organes de la protection juridique. Elle se trouve dispensée, en effet, de l'obligation d'établir un compte annuel de gestion et de se soumettre à un contrôle, qu'il soit interne sous l'égide d'une personne habilitée subrogée, ou externe par le biais d'un professionnel qualifié, à l'instar du processus prévu dans le cadre des mesures de représentation judiciaire : la tutelle, la curatelle renforcée et la sauvegarde de justice avec mandat spécial (C. civ., art. 513) . Bien sûr, dans ces mesures classiques, l'organe de protection peut être dispensé de rendre des comptes, mais cette dispense est alors facultative et subordonnée à la modicité des revenus et des biens composant le patrimoine du majeur en tutelle (C. civ., art. 513), là où elle est consubstantielle à la mesure d'habilitation familiale. C'est dire que le statut de la personne habilitée la démarque, sur ce point, profondément de celui des autres protecteurs, y compris de celui du mandataire de protection future, tenu de rendre compte de sa gestion auprès du notaire qui a établi le mandat (C. civ., art. 486, al. 2 et art. 491, al. 2) .
La raison de cette dispense impérative, on la connaît, réside dans le climat de grande confiance familiale qui irrigue l'habilitation familiale. Les textes font ici l'hypothèse d'une famille unie, dans laquelle règne le consensus sur le principe et les modalités de la protection, rendant ainsi inutile la soumission du protecteur au « formalisme des mesures de protection judiciaire qui peut s'avérer pesant » .
- Dispense dangereuse des comptes de gestion. - Si elle est sans conteste un gage de souplesse pour la personne en charge de cette mesure de protection, pareille dispense est aussi féconde de dangers pour la personne protégée, surtout si l'on songe qu'elle se cumule avec les dispenses d'autorisation. Pour tout dire, il nous semble que le consensus familial qui préside à la mise en place d'une habilitation familiale ne saurait suffire à lui seul à justifier l'exclusion d'un tel garde-fou.
En effet, il serait bien naïf de penser, sauf à verser dans l'angélisme, que les détournements et actes répréhensibles n'ont pas leur place au sein de la famille. Comme l'a souligné le rapport Caron-Déglise, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs font observer que l'entente des familles peut n'être que de façade parfois, la gestion des ressources et du patrimoine pouvant être réalisée au détriment de la personne, surtout si aucun contrôle n'est organisé. Les mandataires professionnels ont également souligné qu'ils sont souvent désignés après des interventions familiales et découvrent alors des situations d'impayés de plusieurs mois, voire années : établissements non payés, non-reversements à l'aide sociale, droits non ouverts, etc.
Et puis, le consensus et la bienveillance familiale indispensables au prononcé de la mesure peuvent s'émousser pendant son fonctionnement. Or, on discerne mal comment, en l'absence de contrôle judiciaire de la mission de la personne habilitée, peuvent se déployer la sanction de ses actes (C. civ., art. 424 et 494-9, al. 4) et, le cas échéant, la révocation de l'habilitation (C. civ., art. 494-10 et 494-11, 2o). L'inquiétude est d'autant plus de mise que la responsabilité civile de la personne habilitée risque d'être assez difficile à engager. En effet, le fondement pour une telle action en responsabilité est le même que celui utilisé pour la responsabilité du mandataire de protection future (C. civ., art. 424) qui renvoie lui-même aux règles du mandat. Or, on sait que l'article 1992 du Code civil prévoit que l'appréciation de la faute à l'origine de la responsabilité doit être faite moins rigoureusement lorsque le mandat est exercé à titre gratuit, ce qui est le cas de l'habilitation familiale.
Aussi apparaît-il nécessaire de mettre en place un minimum de contrôle sur le fonctionnement de la mesure, tout en convenant qu'il s'agit toutefois d'éviter des lourdeurs dans des familles où les relations sont par principe apaisées.
- Dispense relative des comptes de gestion. - À vrai dire, si les règles de l'habilitation familiale souffrent sans doute d'un déficit de contrôle, elles n'en sont pas entièrement dépourvues.
En effet, si elle échappe à l'obligation de rendre compte de sa gestion au cours de son mandat, la personne habilitée n'en demeure pas moins soumise à celle d'établir un compte final de gestion. Le renvoi de l'article 494-1 du Code civil au droit commun du mandat conduit à la soumettre à l'article 1993, lequel impose à « tout mandataire (?) de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il a reçu n'eût point été dû au mandant ». Si elle peut être écartée sous le mandat de droit commun, l'obligation de rendre compte s'impose ici à la personne habilitée, dès lors que cette dernière tient ses pouvoirs non pas du majeur, mais du juge des tutelles. Mieux, l'application de l'article 1993 conduit à transmettre cette obligation, après son décès, à ses héritiers. C'est dire que son statut de mandataire contraint la personne habilitée à rendre compte de sa gestion, lors de la cessation de l'habilitation familiale auprès de la personne protégée, lorsque la mainlevée de l'habilitation est prononcée en raison du rétablissement de ses facultés, au nouveau protecteur désigné à la suite de la révocation de l'habilitation familiale ou, après le décès de la personne protégée, à ses héritiers.
Il convient, en outre, de souligner que le droit commun du mandat impose au mandataire de rendre compte de sa mission, non pas seulement à la fin de celle-ci, mais aussi pendant son exécution. Or, et c'est là certainement que le bât blesse, pareille obligation ne peut trouver à s'appliquer sous l'habilitation familiale que si le juge procède à des cohabilitations en attribuant à l'un des protecteurs la mission de vérifier les comptes de gestion de la personne habilitée. Les dispositions de l'article 494-1, alinéa 1er du Code civil, qui permettent au juge de confier l'exercice de la mesure à plusieurs personnes, lui laissent une marge de man?uvre suffisante pour mettre en place un contrôle intrafamilial de la gestion du patrimoine de la personne protégée . Le juge des tutelles peut ainsi cohabiliter plusieurs personnes en leur attribuant des pouvoirs égaux ou attribuer à chaque personne cohabilitée une mission qui lui est propre. Les uns peuvent être investis, par exemple, de la mission de gérer le patrimoine de la personne protégée, tandis que les autres se voient confier une mission de suppléance, de surveillance et de consultation, sur le modèle de celle exercée par un subrogé tuteur ou curateur. Le juge peut aussi répartir la gestion du patrimoine en fonction des aptitudes de chacun et attribuer à chaque protecteur des pouvoirs de gestion différents. Inspirées de la tutelle et de la curatelle, les ressources de la cohabilitation permettent de sécuriser, en présence notamment d'un patrimoine important ou complexe, la gestion des biens du majeur en luttant contre les mauvais arbitrages que pourrait effectuer la personne seule habilitée . Source de transparence, la cohabilitation est de nature par ailleurs à favoriser la régulation de l'habilitation familiale et à en améliorer le fonctionnement. La proche famille étant associée à la mesure, elle se trouve aux premières loges pour prévenir les anomalies de gestion et les dénoncer au juge des tutelles ou au procureur de la République sur le fondement des articles 494-10 ou 494-11, 2o .
Si une habilitation à deux têtes paraît, à bien des égards, la solution idoine, encore faut-il, bien évidemment, que la personne protégée soit suffisamment entourée pour qu'un tel dispositif puisse être concrètement envisagé, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.