- Plan. - L'importance des pouvoirs de la personne habilitée (Sous-section I) tranche avec l'atonie de ses obligations (Sous-section II).
L'exercice de l'habilitation familiale
L'exercice de l'habilitation familiale
Les pouvoirs de la personne habilitée
- Une question sensible concernant l'habilitation « représentation ». - Si l'on excepte l'habilitation spéciale, peu prisée en pratique, et dont on peine à savoir si elle a vocation à s'appliquer - et dans quelle mesure - à l'assistance, la personne désignée par le juge des tutelles peut bénéficier d'une habilitation générale, soit pour assister, soit pour représenter la personne protégée.
Dans le cadre de l'habilitation « assistance », l'article 467 du Code civil, qui définit les pouvoirs de chacun en curatelle, et auquel l'article 494-1 du Code civil fait renvoi exprès, fournit ici la marche à suivre. Ainsi les actes conservatoire et d'administration sont à l'initiative du majeur sous habilitation agissant seul, comme un curatélaire, alors que les actes de disposition impliquent, par principe, l'assistance de la personne habilitée, sans qu'il soit utile de solliciter le juge pour obtenir une autorisation. Bien évidemment, l'autonomie accrue dont jouit aujourd'hui le curatélaire à l'égard de tels actes est susceptible de bénéficier, par effet de miroir, au majeur sous habilitation, ce qui soulève des interrogations identiques
. Les pouvoirs de la personne habilitée sont finalement assez réduits et ne soulèvent guère de difficultés.
Il en va autrement en cas d'habilitation « représentation », dans la mesure où l'on est frappé à la fois par les « pouvoirs exorbitants du droit commun de la matière »
conférés à la personne habilitée (§ I), mais aussi par la réponse énigmatique du législateur à la question, pourtant sensible, de l'opposition d'intérêts entre la personne protégée et la personne habilitée (§ II).
La portée de l'habilitation
- Plan. - Dans la mesure où l'habilitation familiale suppose un contexte familial pacifique, une grande confiance est donnée à la personne habilitée qui, par principe, lorsqu'elle dispose d'un pouvoir général de représentation peut agir seule, sans être tenue de se munir au préalable d'une autorisation judiciaire (A). Cette autonomie trouve seulement une limite s'agissant des actes les plus graves, lesquels demeurent soumis à un contrôle du juge (B).
Les actes dispensés d'autorisation
- Une sphère d'autonomie renforcée. - Contrairement au tuteur, la personne habilitée qui a reçu un pouvoir général pour représenter le majeur protégé n'a pas à se préoccuper de savoir s'il s'agit d'un acte conservatoire, d'un acte d'administration ou d'un acte de disposition. Cette distinction traditionnelle n'a pas vocation à s'appliquer s'agissant de l'habilitation familiale. Aussi la personne habilitée peut-elle accomplir seule, sans autorisation judiciaire, tous les actes de gestion du patrimoine du majeur, y compris les actes de disposition à titre onéreux, ce qui vise, par exemple, la vente d'un immeuble, l'aliénation d'un portefeuille de valeurs mobilières, ou encore la constitution d'une hypothèque. La personne habilitée se trouve ici dans une situation identique à celle du mandataire qui a reçu un pouvoir de représentation dans un mandat de protection future conclu sous la forme notariée (C. civ., art. 490, al. 1er). C'est pourquoi l'habilitation familiale est plus simple à mettre en ?uvre que la tutelle familiale.
- Une sphère d'autonomie étendue à la gestion des comptes bancaires. - Mieux encore, l'habilitation familiale déploie ses vertus simplificatrices sur le terrain de la protection des comptes bancaires. En principe, on le sait, la personne en charge de la mesure de protection ne peut pas modifier ou clore les comptes bancaires de la personne protégée sans autorisation judiciaire. Elle ne peut davantage transférer les comptes du majeur, sans une telle autorisation, auprès d'un autre établissement ou d'une autre agence bancaire (C. civ., art. 427). Cette règle de l'intangibilité des comptes bancaires, qui est primordiale dans un souci de protection de la personne vulnérable, se trouve pourtant écartée sous l'habilitation familiale, sauf décision contraire du juge des tutelles (C. civ., art. 494-7). Sous cette réserve, la personne investie de l'habilitation familiale a donc toute liberté pour gérer les comptes bancaires de la personne protégée, qu'il s'agisse de clore ses comptes et/ou d'en ouvrir de nouveaux. Conformément à cette logique, elle n'est pas davantage tenue de se munir au préalable d'une autorisation du juge pour transférer les comptes de l'intéressé dans sa propre agence bancaire et les faire fonctionner. La loi consacre ici un principe inversé à celui habituellement retenu pour les autres mesures de protection, ce qui témoigne, de manière particulièrement significative, de la liberté d'action dont bénéficie la personne habilitée comparée aux autres organes de protection.
L'absence de contrôle judiciaire en amont de l'acte se prolonge d'ailleurs en aval de ce dernier, par l'absence de contrôle judiciaire de l'utilisation par la personne habilitée des fonds de la personne protégée. Sur ce point, l'habilitation familiale se démarque profondément de la tutelle, sous laquelle l'emploi des capitaux liquides et de l'excédent des revenus du majeur demeure strictement encadré, même si la loi du 23 mars 2019 a assoupli les règles en la matière
, restreignant ainsi la différence de traitement existant à cet égard entre le protecteur habilité et le tuteur.
Les actes soumis à autorisation
- Actes de disposition à titre gratuit. - Le pouvoir général de représentation portant sur les biens du majeur protégé est soumis à des autorisations pour les actes les plus graves. Ainsi l'autorisation du juge des tutelles est requise lorsque la personne habilitée entend disposer à titre gratuit des biens du majeur protégé (C. civ., art. 494-6, al. 4).
Sur ce point, tout d'abord, le texte soulève les mêmes reproches que ceux formulés en matière de mandat de protection future, à l'encontre de l'article 490, alinéa 2 du Code civil
. La catégorie des actes de disposition à titre gratuit est plus large que celle imaginée par le législateur, de sorte qu'il aurait fallu circonscrire la rédaction aux « dispositions à titre gratuit entre vifs » dans la mesure où un testament, acte strictement personnel, ne saurait être rédigé par la personne habilitée au nom du majeur protégé, même avec l'autorisation du juge des tutelles (C. civ., art. 476, al. 2).
Ensuite, ainsi circonscrite, la formule usitée demeure cependant toujours entourée d'une regrettable opacité, déjà déplorée s'agissant du mandat de protection future. Si elle vise bien entendu les donations, elle ne saurait, à notre sens, se réduire à elles seules et devrait englober aussi les aliénations et les renonciations gratuites interdites au tuteur, même autorisé, telles que la renonciation à succession, la renonciation anticipée à l'action en réduction, la renonciation à un droit de retour conventionnel ou encore la remise de dette (C. civ., art. 509, 1o).
Enfin, ainsi entendue, la notion laisse intacte la question de la nécessité de l'autorisation judiciaire pour souscrire une assurance-vie mixte au nom du majeur et en désigner le bénéficiaire. Dans la pureté des principes, ces opérations devraient être regardées comme participant d'un contrat aléatoire exclusif de l'intention libérale, mais l'autorisation judiciaire sera alors tributaire, ce qui n'est évidemment pas satisfaisant, de la possible requalification de l'assurance-vie en donation indirecte. Et quid des primes manifestement excessives au regard des facultés de la personne protégée ? On perçoit aisément que la détermination des pouvoirs de la personne habilitée ne peut se satisfaire d'une requalification a posteriori et que l'autorisation s'avère nécessaire, à tout le moins pour la désignation ou la modification de la clause du bénéficiaire
.
- Actes relatifs au logement de la personne protégée. - Si la personne investie d'une habilitation générale peut en principe aliéner seule à titre onéreux les biens de la personne protégée, la question se pose de savoir si cette autonomie a vocation à s'étendre aux actes relatifs au logement de la personne protégée.
Les rédacteurs de l'ordonnance du 15 octobre 2015 n'ont pas jugé utile de soumettre de tels actes à l'autorisation du juge, contrairement au texte initial de l'avant-projet d'ordonnance, et la loi du 23 mars 2019 ne s'est pas montrée davantage prolixe à ce propos. Partant, le silence des textes peut être interprété comme une autorisation donnée à la personne habilitée de disposer du logement de la famille sans avoir à requérir l'autorisation du juge. Une interprétation littérale de l'article 494-6 du Code civil pourrait également justifier une telle analyse. Nous n'y sommes pas favorables. Eu égard à son emplacement dans le Code civil au sein des dispositions communes à toutes les mesures de protection juridique des majeurs, on doit considérer, à notre sens, que le texte a vocation à s'appliquer en cas d'habilitation familiale, quelle que soit l'étendue de cette dernière. Du reste, si une dérogation à l'article 427 du Code civil a été expressément introduite par l'article 494-7, le silence de l'ordonnance choisi à propos de l'article 426 dudit code milite pour son application à l'habilitation familiale. On imagine mal que le législateur ait entendu consacrer une dérogation à une règle essentielle, qui fait partie du régime primaire de la protection des majeurs, de manière implicite.
Le respect de cette disposition constitue une limite, certes non négligeable mais compréhensible et nécessaire, aux pouvoirs de la personne habilitée, laquelle de ce fait doit être considérée comme ne pouvant pas aliéner les droits relatifs au logement de la personne protégée, c'est-à-dire vendre sa résidence principale ou secondaire et le mobilier qui les garnit, les hypothéquer, les donner à bail ou résilier le bail portant sur ces biens, sans l'accord préalable du juge des tutelles
. À l'évidence, comme il a été suggéré par des auteurs
, il eût été judicieux toutefois, pour éviter toute difficulté et divergences d'interprétations, que la loi indique, de manière expresse, si elle entendait donner effet ou non à l'article 426 du Code civil dans le domaine de l'habilitation familiale. C'était du reste l'une des propositions formulées par le rapport Caron-Déglise
.
L'opposition d'intérêts
- Une difficulté sensible en cas d'habilitation générale. - Que doit faire le notaire lorsqu'il constate que l'accomplissement d'un acte, qu'il est chargé d'instrumenter, place la personne protégée et la personne habilitée en conflit d'intérêts ? Que l'on songe, par exemple, mais pas seulement, à une habilitation familiale qui aurait été confiée au conjoint, partenaire ou concubin, en voie de séparation avec la personne protégée, au moment de l'acte litigieux ou, plus spécifiquement, à la vente envisagée d'un bien immobilier dont l'usufruit appartient à la personne protégée et la nue-propriété à la personne habilitée. La notion d'opposition d'intérêts est une notion de fait que le juge des tutelles va souverainement apprécier
. Dès lors que la mission confiée à l'habilité porte sur un ou plusieurs actes déterminés, on peut légitimement penser que le juge aura pris soin de mesurer l'éventuelle opposition d'intérêts pour de tels actes avant d'habiliter la personne en question. Peu sensible par conséquent en cas d'habitation spéciale, la difficulté apparaît, en revanche, assurément plus sérieuse en présence d'une habilitation générale. Dès lors, nulle surprise de constater qu'en pareille occurrence, le conflit d'intérêts est envisagé par les textes, l'article 494-6, alinéa 6 du Code civil prévoyant que, par principe : « La personne habilitée dans le cadre d'une habilitation générale ne peut accomplir un acte pour lequel elle serait en opposition d'intérêts avec la personne protégée », en soulignant que : « Toutefois, à titre exceptionnel et lorsque l'intérêt de celle-ci l'impose, le juge peut autoriser la personne habilitée à accomplir cet acte ».
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De lege lata
, la nécessité de recourir au juge. - L'habilitation familiale fonctionnant sans organe subrogé ou ad hoc, le contrôle judiciaire est donc instauré.
L'opposition d'intérêts soupçonnée, le juge doit être saisi. À ce propos, on peut constater, d'une part, qu'il n'y a pas de présomption posée pour caractériser une telle opposition dans un cas précis, véritable règle de fond, comme cela est parfois le cas pour d'autres mesures judiciaires et que, d'autre part, rien n'est prévu concernant la saisine du juge. Il en résulte que celle-ci peut être l'?uvre de la personne protégée, ce qui suppose qu'elle ait conscience du danger potentiel, de l'organe protecteur, ce qui postule sa bonne foi, ou alors d'un tiers, ce qui nécessite qu'il ait connaissance, ou mieux encore qu'il intervienne, d'une manière ou d'une autre, à l'acte envisagé. À l'évidence, le tiers en question peut être le notaire chargé d'instrumenter l'acte litigieux. Ce devoir d'alerte pesant sur le notaire rédacteur résulte de l'article 494-10 du Code civil, lequel offre la faculté au juge de statuer « à la demande de tout intéressé ou du procureur de la République sur les difficultés qui pourraient survenir dans la mise en ?uvre du dispositif ». Or, à l'évidence, le risque d'un conflit d'intérêts constitue une difficulté d'application de l'habilitation familiale, susceptible de justifier la saisine du juge.
L'opposition d'intérêts divulguée, le juge doit refuser à la personne habilitée la faculté d'accomplir un acte. Si le conflit d'intérêts constitue donc, par principe, un obstacle péremptoire à l'accomplissement de l'acte, il ne paralyse toutefois pas nécessairement l'action de la personne habilitée. Il l'encadre simplement. Il ne suffit pas de constater l'opposition d'intérêts et d'affirmer la paralysie de la procédure habituelle. Il faut débloquer la situation. Le but reste de protéger les intérêts du majeur sans décourager les bonnes volontés des organes protecteurs. C'est la raison pour laquelle le législateur permet au juge, nonobstant l'opposition identifiée, d'autoriser l'acte. Cette autorisation judiciaire obéit cependant à des conditions restrictives : non seulement elle est appelée à jouer exceptionnellement, mais elle est subordonnée, de surcroît, à l'intérêt du majeur protégé, qui doit être souverainement apprécié.
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De lege ferenda
, l'intérêt de désigner un habilité subrogé ou
ad hoc
. - À l'instar de nombreux auteurs
, on peut s'étonner ici de la voie choisie par le législateur pour le traitement du conflit d'intérêts et regretter son choix d'un retour au juge, dont il aurait pu aisément faire l'économie. Faut-il se rappeler que l'avant-projet de l'ordonnance de 2015 attribuait au juge la faculté d'adjoindre à la personne habilitée un mandataire ad hoc ou un subrogé mandataire doté des prérogatives traditionnellement reconnues à cet organe tutélaire (C. civ., art. 454 et 455) et étendait, à l'habilitation familiale, les présomptions de conflit d'intérêts édictées sous la tutelle et la curatelle (C. civ., art. 508). L'article 494-6, alinéa 6, n'en a malheureusement conservé que le vestige.
L'objectif poursuivi, on peut le comprendre, a été d'éviter d'alourdir le procédé par la mise en place d'une cohabilitation. En opportunité, le choix opéré, en ce qu'il aboutit à une saisine du juge, laisse cependant songeur. Plus encore, il nous semble que cette volonté de simplification s'opère au détriment de la protection du vulnérable. En effet, on peut légitimement craindre qu'en l'absence de subrogé et d'information des proches, la régulation judiciaire des oppositions d'intérêts affectant le protecteur demeure théorique. Qui est destiné à suppléer, en l'absence de devoir d'alerte des tiers conçu sur le modèle de la curatelle et de la tutelle, la carence de la personne habilitée ? C'est dire toute la nécessité de favoriser le recours aux cohabilitations, seuls mécanismes fournissant ici le moyen d'instaurer un organe régulateur de l'exercice de la mission de la personne habilitée
.
En conséquence, et à l'instar de la solution préconisée en matière de curatelle et de tutelle, le juge devrait pouvoir désigner :
- d'une part, un « subrogé habilité » parmi les autres membres de la famille ou parmi les mandataires judiciaires à la protection des majeurs, dont l'une des missions consisterait à assister ou à représenter, selon le cas, la personne protégée lorsque ses intérêts sont en opposition avec ceux de la personne habilitée ;
- et, d'autre part, en l'absence de subrogé, un « habilité ad hoc », se saisissant au besoin d'office, pour protéger la personne vulnérable et remédier à la difficulté née d'un conflit d'intérêts.
Cette préconisation se situe dans la lignée du rapport Caron-Déglise, qui a proposé de « prévoir la possibilité de subrogation ou de subrogation ad hoc dans la rédaction de l'actuel article 494-6 du Code civil »
.
Les obligations de la personne habilitée
- Dispense formelle des comptes de gestion. - L'autonomie renforcée dont bénéficie le protecteur habilité étonne d'autant plus que l'encadrement de son mandat est évanescent. Mise à part l'obligation d'accomplir l'acte (ou les actes) pour lequel elle est habilitée dans le respect des intérêts du majeur protégé, la personne désignée à cette fin n'a pas à se soumettre aux obligations habituellement mises à la charge des organes de la protection juridique. Elle se trouve dispensée, en effet, de l'obligation d'établir un compte annuel de gestion et de se soumettre à un contrôle, qu'il soit interne sous l'égide d'une personne habilitée subrogée, ou externe par le biais d'un professionnel qualifié, à l'instar du processus prévu dans le cadre des mesures de représentation judiciaire : la tutelle, la curatelle renforcée et la sauvegarde de justice avec mandat spécial (C. civ., art. 513)
. Bien sûr, dans ces mesures classiques, l'organe de protection peut être dispensé de rendre des comptes, mais cette dispense est alors facultative et subordonnée à la modicité des revenus et des biens composant le patrimoine du majeur en tutelle (C. civ., art. 513), là où elle est consubstantielle à la mesure d'habilitation familiale. C'est dire que le statut de la personne habilitée la démarque, sur ce point, profondément de celui des autres protecteurs, y compris de celui du mandataire de protection future, tenu de rendre compte de sa gestion auprès du notaire qui a établi le mandat (C. civ., art. 486, al. 2 et art. 491, al. 2)
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La raison de cette dispense impérative, on la connaît, réside dans le climat de grande confiance familiale qui irrigue l'habilitation familiale. Les textes font ici l'hypothèse d'une famille unie, dans laquelle règne le consensus sur le principe et les modalités de la protection, rendant ainsi inutile la soumission du protecteur au « formalisme des mesures de protection judiciaire qui peut s'avérer pesant »
.
- Dispense dangereuse des comptes de gestion. - Si elle est sans conteste un gage de souplesse pour la personne en charge de cette mesure de protection, pareille dispense est aussi féconde de dangers pour la personne protégée, surtout si l'on songe qu'elle se cumule avec les dispenses d'autorisation. Pour tout dire, il nous semble que le consensus familial qui préside à la mise en place d'une habilitation familiale ne saurait suffire à lui seul à justifier l'exclusion d'un tel garde-fou.
En effet, il serait bien naïf de penser, sauf à verser dans l'angélisme, que les détournements et actes répréhensibles n'ont pas leur place au sein de la famille. Comme l'a souligné le rapport Caron-Déglise, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs font observer que l'entente des familles peut n'être que de façade parfois, la gestion des ressources et du patrimoine pouvant être réalisée au détriment de la personne, surtout si aucun contrôle n'est organisé. Les mandataires professionnels ont également souligné qu'ils sont souvent désignés après des interventions familiales et découvrent alors des situations d'impayés de plusieurs mois, voire années : établissements non payés, non-reversements à l'aide sociale, droits non ouverts, etc.
Et puis, le consensus et la bienveillance familiale indispensables au prononcé de la mesure peuvent s'émousser pendant son fonctionnement. Or, on discerne mal comment, en l'absence de contrôle judiciaire de la mission de la personne habilitée, peuvent se déployer la sanction de ses actes (C. civ., art. 424 et 494-9, al. 4) et, le cas échéant, la révocation de l'habilitation (C. civ., art. 494-10 et 494-11, 2o). L'inquiétude est d'autant plus de mise que la responsabilité civile de la personne habilitée risque d'être assez difficile à engager. En effet, le fondement pour une telle action en responsabilité est le même que celui utilisé pour la responsabilité du mandataire de protection future (C. civ., art. 424) qui renvoie lui-même aux règles du mandat. Or, on sait que l'article 1992 du Code civil prévoit que l'appréciation de la faute à l'origine de la responsabilité doit être faite moins rigoureusement lorsque le mandat est exercé à titre gratuit, ce qui est le cas de l'habilitation familiale.
Aussi apparaît-il nécessaire de mettre en place un minimum de contrôle sur le fonctionnement de la mesure, tout en convenant qu'il s'agit toutefois d'éviter des lourdeurs dans des familles où les relations sont par principe apaisées.
- Dispense relative des comptes de gestion. - À vrai dire, si les règles de l'habilitation familiale souffrent sans doute d'un déficit de contrôle, elles n'en sont pas entièrement dépourvues.
En effet, si elle échappe à l'obligation de rendre compte de sa gestion au cours de son mandat, la personne habilitée n'en demeure pas moins soumise à celle d'établir un compte final de gestion. Le renvoi de l'article 494-1 du Code civil au droit commun du mandat conduit à la soumettre à l'article 1993, lequel impose à « tout mandataire (?) de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il a reçu n'eût point été dû au mandant ». Si elle peut être écartée sous le mandat de droit commun, l'obligation de rendre compte s'impose ici à la personne habilitée, dès lors que cette dernière tient ses pouvoirs non pas du majeur, mais du juge des tutelles. Mieux, l'application de l'article 1993 conduit à transmettre cette obligation, après son décès, à ses héritiers. C'est dire que son statut de mandataire contraint la personne habilitée à rendre compte de sa gestion, lors de la cessation de l'habilitation familiale auprès de la personne protégée, lorsque la mainlevée de l'habilitation est prononcée en raison du rétablissement de ses facultés, au nouveau protecteur désigné à la suite de la révocation de l'habilitation familiale ou, après le décès de la personne protégée, à ses héritiers.
Il convient, en outre, de souligner que le droit commun du mandat impose au mandataire de rendre compte de sa mission, non pas seulement à la fin de celle-ci, mais aussi pendant son exécution. Or, et c'est là certainement que le bât blesse, pareille obligation ne peut trouver à s'appliquer sous l'habilitation familiale que si le juge procède à des cohabilitations en attribuant à l'un des protecteurs la mission de vérifier les comptes de gestion de la personne habilitée. Les dispositions de l'article 494-1, alinéa 1er du Code civil, qui permettent au juge de confier l'exercice de la mesure à plusieurs personnes, lui laissent une marge de man?uvre suffisante pour mettre en place un contrôle intrafamilial de la gestion du patrimoine de la personne protégée
. Le juge des tutelles peut ainsi cohabiliter plusieurs personnes en leur attribuant des pouvoirs égaux ou attribuer à chaque personne cohabilitée une mission qui lui est propre. Les uns peuvent être investis, par exemple, de la mission de gérer le patrimoine de la personne protégée, tandis que les autres se voient confier une mission de suppléance, de surveillance et de consultation, sur le modèle de celle exercée par un subrogé tuteur ou curateur. Le juge peut aussi répartir la gestion du patrimoine en fonction des aptitudes de chacun et attribuer à chaque protecteur des pouvoirs de gestion différents. Inspirées de la tutelle et de la curatelle, les ressources de la cohabilitation permettent de sécuriser, en présence notamment d'un patrimoine important ou complexe, la gestion des biens du majeur en luttant contre les mauvais arbitrages que pourrait effectuer la personne seule habilitée
. Source de transparence, la cohabilitation est de nature par ailleurs à favoriser la régulation de l'habilitation familiale et à en améliorer le fonctionnement. La proche famille étant associée à la mesure, elle se trouve aux premières loges pour prévenir les anomalies de gestion et les dénoncer au juge des tutelles ou au procureur de la République sur le fondement des articles 494-10 ou 494-11, 2o
.
Si une habilitation à deux têtes paraît, à bien des égards, la solution idoine, encore faut-il, bien évidemment, que la personne protégée soit suffisamment entourée pour qu'un tel dispositif puisse être concrètement envisagé, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.