Le large éventail et la souplesse offerts par la donation-partage se manifestent également par les biens qu'elle peut avoir en objet. Il s'agira bien évidemment des biens du disposant (§ I), mais peuvent lui être intégrés ceux de la succession de son époux prémourant (§ II) ou ceux de son conjoint (§ III).
L'élargissement de la donation-partage quant aux biens
L'élargissement de la donation-partage quant aux biens
Les biens du disposant
- Biens présents. - À l'évidence, on ne peut donner que ce que l'on a, aussi la donation-partage ne peut-elle porter que sur des biens ou des droits qui sont la propriété du disposant. Même si la donation-partage est une forme autorisée de pacte sur succession future, elle n'en est pas moins une donation, et un appauvrissement est donc une condition essentielle. La donation-partage ne saurait donc permettre une donation de biens à venir. Cette prohibition est clairement énoncée à l'article 1076, alinéa 1 du Code civil.
- Diversité des biens donnés et attribués. - Les biens objets de la donation-partage peuvent être de toute nature et de toute valeur pourvu qu'ils soient dans le commerce ou qu'ils ne soient pas frappés par une quelconque interdiction d'aliéner ou soumis à des autorisations ou agréments soit relevant de l'autorité publique (comme les cessions d'entreprises réglementées), soit de personnes privées (clauses statutaires pour les donations de parts ou actions, interdiction d'aliéner consentie au bénéfice d'un tiers). Ces biens peuvent être donnés en usufruit, en nue-propriété ou bien évidemment en pleine propriété. Il n'en demeure pas moins qu'une donation-partage qui attribuerait des droits en pleine propriété à l'un, des droits en usufruit à l'autre, et des droits en nue-propriété au dernier n'est pas sans susciter quelques interrogations quant à l'équilibre global du partage. Enfin, la donation-partage peut comprendre des droits indivis, mais à la condition que l'attributaire ne soit pas en indivision avec ses copartagés. En ce cas l'acte est disqualifié en donation simple et perd sa nature de libéralité-partage. En cas de donation de droit indivis, le lot de l'attributaire sera suspendu aux opérations de partage de l'indivision à laquelle désormais il appartient. Le cadeau peut ainsi être empoisonné !
Les biens du disposant et les biens de la succession de son conjoint prédécédé
- Notion et validité de la donation-partage cumulative. - Il est également possible à l'ascendant survivant de consentir une donation portant sur ses biens pour les réunir aux biens dépendant de la succession de l'ascendant prédécédé. Il est ainsi procédé à un partage global dans un même acte. On parle de donation-partage cumulative
. L'intérêt d'un tel acte est d'augmenter le nombre de biens à partager et d'y intégrer des droits indivis (pouvant provenir d'une communauté conjugale) sur certains biens, ce qui permet de les porter pour l'intégralité. Plus la masse est importante, plus il est facile de composer des lots. Cet acte a une nature hybride. Il est à la fois partage de succession avec des rapports et donation-partage avec des réincorporations.
La donation-partage cumulative semble être possible pour des enfants de lits différents dans la mesure où les règles édictées pour les donations-partages conjonctives sont respectées. L'enfant non commun ne peut se voir attribuer que des biens ayant appartenu à son auteur (C. civ., art. 1076-1).
- Régime spécial de la donation-partage cumulative. - La donation-partage cumulative doit respecter les conditions de fond et de forme des donations et des partages (capacité). Par contre, l'action en complément de part est écartée pour la totalité de l'opération, pas seulement pour sa partie donation-partage
. Son régime fiscal est donc double : le droit de partage est perçu sur les biens successoraux (dont les indemnités de rapport) et les droits de mutation à titre gratuit sont dus pour les biens donnés. Il faut ajouter le droit de partage sur les donations éventuellement réincorporées. L'action en réduction pourra être introduite dans les cinq ans qui suivent le second décès. L'éventuelle atteinte à la réserve sera appréciée en confondant les deux successions. L'article 1078 du Code civil pourra, si ses conditions d'application sont réunies, recevoir application
.
Sur le plan de la protection, la donation-partage cumulative permet au survivant de procéder aux arbitrages d'un règlement successoral qui peut s'avérer complexe ou conflictuel. Elle permet également d'user des règles fiscales favorables à l'anticipation successorale.
Les biens du couple
Transmettre par donation-partage est dans bien des cas une opération au caractère familial important. Elle représente le projet des parents de transmettre et partager leurs biens entre leurs enfants. La donation-partage peut donc avoir un caractère collectif marqué. Envisageons le cas des époux (A), puis le cas des autres parents (B).
La donation-partage par les époux
La donation-partage par deux parents mariés, dite « donation-partage conjonctive », est consacrée par les articles 1076-1 et 1077-2, alinéa 2 du Code civil, qui visent les donations-partages faites conjointement par des époux. La donation-partage va être influencée par le régime matrimonial des époux donateurs copartageants.
Les distinctions selon le régime matrimonial
- Les époux communs en biens. - Il pourra être fait masse des biens propres et des biens communs pour en ressortir autant de lots que de copartagés sans considération de l'origine des biens paternels ou maternels. Les copartagés sont même réputés tenir leurs droits de chacun de leurs parents dans des proportions identiques. Il se peut que dans la masse des biens donnés, il existe des droits à récompense soit au profit de la communauté, soit au profit de l'un des patrimoines propres. Il est admis que la donation-partage conjonctive éteint ces droits à récompense parce qu'ils figurent dans la donation elle-même. La validité d'une telle extinction des récompenses a été longuement controversée en ce qu'elle constituait une liquidation partielle anticipée d'un régime matrimonial et qu'elle procédait d'une convention matrimoniale modificative sans en respecter les formes. Aujourd'hui cet abandon ne fait plus aucun doute
. Il est néanmoins conseillé de préciser par une clause de la donation cette extinction des récompenses portant sur les biens donnés et partagés. Cette extinction des récompenses de la communauté, voire de créances entre patrimoines propres des époux n'est pas sans incidence sur le règlement de leurs propres successions. En effet, l'un des époux peut ainsi se trouver appauvri et les droits de ses héritiers amoindris.
- Les époux séparés de biens. - Leur situation est encore plus simple que celle des époux communs en biens. La donation-partage peut porter sur des biens personnels à chacun des époux ou sur des biens indivis entre eux. De la même manière, chacun des copartagés est réputé tenir ses droits des deux donateurs même si son lot ne comprend qu'un bien personnel de l'un ou l'autre. Tous les biens donnés et partagés font masse. Il est également conseillé de prévoir que l'acte de donation-partage éteint toute créance entre époux au sujet des biens donnés et attribués, à l'image des récompenses sous la communauté.
- Les époux en participation aux acquêts. - Si ce régime, comme la communauté d'acquêts, procède de l'idée d'un partage des richesses en fin de mariage
, au cours de régime les biens restent personnels à chacun. Aussi l'époux, seul propriétaire de ses biens, peut accomplir sur ceux-ci tout acte de disposition. Il peut notamment les aliéner par donation ; les deux époux, comme sous la séparation des biens, peuvent consentir une donation-partage. À l'image de ce que nous avons dit pour le régime de la séparation des biens (créances entre époux) ou pour le régime de la communauté (récompenses), il y aura lieu de prévoir un abandon entre les époux de toutes les créances entre époux afférentes aux biens donnés et partagés et de préciser que ces biens et les plus-values qui auraient pu leur être apportées au cours de régime et financées par des acquêts ne seront plus pris en compte dans la liquidation de leur régime.
Les distinctions selon les configurations familiales
- Attribution à des enfants de lits différents. - Les époux et les parents non mariés peuvent consentir une donation-partage à leurs enfants communs, mais aussi à leurs enfants issus d'autres lits. Le récent article 1076-1 du Code civil le permet désormais, mais cette faculté est soumise à plusieurs conditions :
- il doit y avoir au moins deux enfants communs, car une donation-partage ne peut être faite qu'à plusieurs présomptifs héritiers. S'il n'y a pas au moins deux enfants communs, l'un d'entre eux se trouvera seul dans l'opération de partage par son parent ;
- le ou les enfants non communs ne peuvent être attributaires que des biens propres de leur auteur, ou de biens communs. Cet allotissement devra être autorisé, bien évidemment, par le conjoint (C. civ., art. 922). Ce second époux n'est pas codonateur et cette donation-partage fera naître une récompense au bénéfice de la communauté (C. civ., art. 1437).
Sur le plan fiscal, les droits dus par l'enfant attributaire sont calculés sur la valeur totale du bien mis dans son lot au tarif qui le lie au donateur (CGI, art. 778 bis).
Il ne semble pas possible d'attribuer à l'enfant non commun des biens indivis au donateur, de sorte que sont exclus de ces donations-partages à enfants de plusieurs lits non seulement les époux séparés de biens ou en participation aux acquêts, mais aussi les concubins et les partenaires liés par un Pacs
.
Les distinctions quant à l'action en réduction
- L'exception peu protectrice : le report de l'exercice de l'action en réduction. - En matière de donation-partage conjonctive, il est une exception au principe de prescription de cinq années à compter de chacun des décès. Le délai est ici décompté à compter du deuxième décès
. Cette règle de l'article 1077-2, alinéa 2 du Code civil part de l'idée que les deux successions doivent être réglées de manière confondue et que les droits réservataires doivent être appréciés en considération des deux successions. La règle peut être lourde de conséquences au regard de la protection des différents ayants cause. Au décès du prémourant, une liquidation de sa succession sera effectuée pour éventuellement déterminer des indemnités de réduction des autres donations qui auraient pu être consenties par le de cujus. Cette première liquidation ne sera que provisoire, car pour calculer une éventuelle réduction de la donation-partage, il y aura lieu de procéder à une nouvelle liquidation au décès du second, et c'est à la date du second décès qu'il faudra se placer pour calculer les indemnités de réduction éventuelles. Il faudra alors reprendre la première liquidation et l'actualiser ; tous les biens seront donc réévalués au second décès
. Si une longue période sépare les deux décès, alors les fluctuations dans les valeurs peuvent être importantes et remettre en cause les résultats de la première liquidation ; elles peuvent rendre réductible ce qui ne l'était pas, ou inversement ! Ce système n'est sans doute pas très protecteur, non pas des copartagés qui sont logés à la même enseigne, mais des autres héritiers ou gratifiés (par ex., un légataire universel…). Ce report a été, à juste titre, critiqué
et une analyse globale de la donation-partage sans considération de l'origine des biens pourrait permettre de l'éviter, en revenant à la règle classique
.
- L'exception à l'exception : retour au principe général. - Si la donation-partage a été faite a des enfants communs et à des enfants nés d'autres lits, alors, pour ces derniers, l'action en réduction contre la donation-partage faite par son auteur doit être introduite dans les cinq ans du décès de son auteur (C. civ., art. 1077-2, al. 2 in fine)
.
La donation par d'autres que les époux
- Des textes discriminatoires ? - La donation-partage conjonctive serait-elle réservée aux seuls époux et les parents seulement pacsés ou concubins
en seraient-ils exclus ? Les textes qui traitent de la donation-partage conjonctive ne mentionnent que les époux codonateurs, mais il est de l'avis unanime de la doctrine que ces libéralités-partages sont ouvertes aux parents non mariés
. Une solution contraire reviendrait à sortir du champ de la donation-partage une grande partie des familles, le mariage étant en forte diminution et probablement voué à devenir minoritaire dans quelques décennies. Le Droit doit être fait pour le plus grand nombre et non réservé à une minorité. Aussi faut-il admettre que même non mariés, des parents peuvent valablement consentir une donation-partage à leurs enfants tant au moyen de biens qui leur sont personnels qu'au moyen de biens qui leur sont indivis.