La donation-partage témoigne d'une volonté affirmée de protéger, car elle est une libéralité et concentre en elle une intention libérale. Cette protection va concerner certains proches (Sous-section I) et porter sur certains biens (Sous-section II).
La donation-partage : un acte protecteur par son domaine
La donation-partage : un acte protecteur par son domaine
La donation-partage : une conception très large des proches à protéger
- Annonce de plan. - « Toute personne peut faire, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits. » C'est le principe affirmé par l'article 1075 du Code civil (§ I). L'article 1076 ajoute que toute personne peut également faire la distribution et le partage de ses biens et de ses droits entre des descendants de degrés différents, qu'ils soient ou non ses héritiers présomptifs (§ II). Enfin, l'article 1075-2 autorise qu'un non-successible, voire un non-parent participe à la donation-partage si les biens à lui attribués sont constitués par une entreprise, que celle-ci soit détenue sous forme d'un fonds ou par le biais de droits sociaux (§ III).
Les héritiers présomptifs : le principe
- Les héritiers présomptifs. - Avant 2007, la donation-partage n'était ouverte qu'en ligne directe, de l'ascendant envers ses descendants et présomptifs héritiers
. Le législateur de 2006 a ouvert la donation-partage à tous les héritiers présomptifs. Ainsi, on peut procéder à un tel acte au sein de chacun des ordres de la dévolution légale. C'est cette dévolution légale qui sert de référence pour définir le domaine de la donation-partage. Peu importe la nature de la parenté. Ainsi la parenté adoptive (que l'adoption soit plénière ou simple) produit les mêmes effets que les liens du sang. Ce principe implique également la possibilité de faire jouer la représentation.
- Tout ou partie des héritiers présomptifs. - Avant l'entrée en vigueur de la grande réforme des liquidations successorales du 3 juillet 1971, le partage d'ascendant devait être consenti à tous les enfants. Cette règle est apparue inappropriée en cas de survenance d'enfant. Aussi le législateur de 1971 l'a-t-il abandonnée en admettant que la donation-partage pouvait être consentie à certains des présomptifs héritiers seulement, ou parce que le donateur ne veut pas de lui, ou bien parce que cet héritier exclu n'a pas accepté son lot. La loi a simplement donné la possibilité à cet héritier de composer son lot héréditaire au décès sur l'actif existant et de recourir à son action en réduction en cas d'insuffisance. Cela ne vaut que s'il est réservataire, car dans le cas contraire il ne pourra prétendre à rien, sauf s'il était héritier présomptif non encore conçu lors de la donation-partage (C. civ., art. 1077-2, al. 3). En présence de réservataire, il y aura malgré tout une incidence importante lors des opérations de liquidation et de partage de la succession. En effet, les conditions de la règle d'exception de l'article 1078 du Code civil n'étant pas remplies, les règles classiques de calcul de la réserve héréditaire et de l'imputation s'appliqueront. Pour ce calcul, les biens seront pris pour leur valeur au jour du décès dans leur état au jour de la donation. Par contre, en tant que donation-partage, les copartagés ne seront pas assujettis au rapport. Leur protection est donc moindre, mais elle demeure malgré tout.
- Indifférence de la qualité de réservataire. - Lorsque la donation était partage d'ascendant, elle ne se concevait qu'en contemplation de la réserve héréditaire des descendants à laquelle elle s'accrochait. Désormais, libre à une personne de consentir une donation-partage à ses neveux, à ses frères et parents dès lors qu'au jour de la donation-partage ils sont ses présomptifs héritiers. Par contre, il n'est pas possible de sauter une génération en dehors de l'ordre des descendants. Ainsi un célibataire ne peut consentir une donation-partage directement à ses neveux. Il n'est pas pour autant dépourvu de moyens : il peut procéder par une série de donations simples, mais préciputaires (donc avec dispense de rapport).
- Dans l'ordre des descendants. - Les applications sont bien connues. Contentons-nous de rappeler que l'ascendant donateur peut réaliser une donation-partage en faisant jouer les règles de la représentation successorale si un ou plusieurs de ses enfants sont prédécédés. C'est une donation-partage par souche, que l'on retrouve également dans les donations transgénérationnelle. Il n'est pas obligatoire que tous les présomptifs héritiers réservataires concourent à la donation-partage. Dans ce cas, elle sera privée de certains effets liquidatifs propres (C. civ., art. 1078). L'héritier absent à l'acte bénéficiera alors d'une action propre pour être rempli de ses droits réservataires.
- Dans les autres ordres. - En l'absence de descendant, la donation-partage peut profiter aux ascendants privilégiés, aux collatéraux privilégiés, aux collatéraux ordinaires, aux ascendants ordinaires. Chez les collatéraux privilégiés, la représentation successorale pourra jouer, et chez les ascendants ce sera la fente qui œuvrera pour assurer l'égalité des lignes. On peut légitimement s'interroger sur l'utilité de consentir une telle donation-partage. En effet, une série de donations consenties hors part successorale à chacun d'eux peut permettre d'aboutir au même résultat. Ce mode opératoire est même plus protecteur des gratifiés, car ils ne sont pas exposés, par donation simple préciputaire, à l'obligation de fournir son lot au présomptif héritier non conçu au jour de la donation-partage (C. civ., art. 1077-2). Toutefois, il est avancé l'idée que le donateur peut préférer la solennité collective de la donation-partage
, argument peu décisif dans la mesure où le disposant attaché à cette solennité, peut, dans un même acte au sens de l'instrumentum, consentir autant de donations simples qu'il a de présomptifs héritiers en édictant des conditions et charges communes aux donations. Le meilleur argument pour faire usage de la donation-partage est l'incorporation d'une donation antérieure lorsqu'il est d'une volonté collective d'attribuer le bien primitivement donné à un autre. La fiscalité de l'incorporation se limite alors au droit de partage. La donation-partage peut, par contre, avoir un véritable intérêt en présence d'un conjoint.
- Le conjoint. - Quel que soit l'ordre auquel appartiennent les héritiers présomptifs à la donation-partage, le conjoint peut y être également alloti. L'intérêt peut être réel, notamment en l'absence de descendants. En effet, dans cette hypothèse, le conjoint est réservataire. Aussi, s'il concourt à la donation-partage et si tous les héritiers présomptifs sont allotis, alors l'article 1078 du Code civil et le gel des valeurs qu'il édicte pourront recevoir application. Les lots seront sécurisés et le risque de réduction des copartagés sera amoindri. La difficulté née de la présence du conjoint à la donation-partage est que son lien avec le disposant n'est pas, à la différence de ceux du sang, immuable. En effet, le conjoint d'un jour n'est pas forcément le conjoint du dernier jour. Se poseront donc les questions liquidatives.
Le conjoint à la donation-partage, divorcé au décès de son époux
Au décès, le conjoint alloti n'est plus conjoint. Il en résulte plusieurs conséquences :
En conclusion, le conjoint divorcé encourt un risque de devoir une indemnité de réduction. Cela paraît bien normal puisqu'il a perdu cette qualité de proche privilégié qu'est celle d'époux ou d'épouse ! Il n'est pas non plus exclu que le <em>de cujus</em> se soit remarié et ait consenti une nouvelle donation-partage en y invitant son nouveau conjoint…
Le saut de génération : première exception
- Une volonté de protéger ses petits-enfants. - La donation transgénérationnelle est sans doute, avec la renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR), une des plus grandes innovations de la réforme de 2006 des successions et des libéralités. Ces deux innovations sont de la même veine et procèdent de l'idée qu'une personne, une génération, va renoncer à une partie de ses droits héréditaires même s'ils relèvent de l'ordre public successoral. La donation-partage transgénérationnelle était souhaitée par le notariat
. Toutefois, le succès escompté n'est pas au rendez-vous. On note, d'après les quelques éléments statistiques en notre possession, que ce nouveau procédé d'anticipation successorale à plus long terme est utilisé principalement dans les très grosses agglomérations - plus spécialement à Paris -, au sein des offices notariaux importants, et est réservé à la frange la plus fortunée de la clientèle notariale
. Ce constat est très probablement dû à un défaut d'incitation fiscale supplémentaire. Pour autant la donation transgénérationnelle est un merveilleux outil symbolisant la solidarité entre plusieurs générations. Cette solidarité des grands-parents envers les petits-enfants est d'autant plus utile qu'aujourd'hui les enfants n'héritent de leurs parents le plus souvent qu'à l'âge de leur retraite, c'est-à-dire à l'âge où, en principe, leurs besoins financiers, que ce soit pour installer leur vie de famille (acquisition d'un logement) ou lancer leur activité professionnelle (reprise ou création d'entreprise) sont passés ; tel n'est pas le cas de leurs propres enfants.
La donation-partage transgénérationnelle est un acte par lequel un ascendant va transmettre et partager des biens qui auraient dû revenir à ses descendants immédiats à la génération suivante
.
- Les conditions de ce « saut de protection ». - Elles ont trait aux personnes, aux biens attribués, et à un consentement spécial :
- les personnes : la donation-partage transgénérationnelle n'est autorisée qu'en ligne directe et descendante, c'est-à-dire qu'elle n'est ouverte qu'à un ascendant. Elle peut également être consentie par deux époux sous la forme d'une donation conjonctive. La donation transgénérationnelle, à la différence de la donation-partage, n'est pas possible en faveur de neveux ou nièces. Il n'est pas de limitation dans le degré, et des arrière-petits-enfants pourraient être ainsi gratifiés. Mais les conséquences liquidatives, à l'égard de la renonciation du petit-enfant qui laisse sa place à ses propres enfants, sont mal maîtrisées. Le conjoint du donateur peut également être alloti dans une donation-partage transgénérationnelle. De la même manière, il est possible d'y allotir des descendants de degrés différents. Cette forme de libéralité est relativement souple ;
- les biens : l'allotissement se fait par souche. C'est-à-dire que la donation-partage transgénérationnelle, à l'image de la donation-partage simple, doit contenir en elle-même constitution et attributions de lots divis à chacune des souches invitées à cet acte, l'attribution pouvant être indivise au regard des descendants de chaque souche. Il n'est pas obligatoire que toutes les souches soient représentées, tout comme une donation-partage peut avoir lieu au bénéfice de seulement une partie des présomptifs héritiers. S'il est souhaitable que la donation-partage transgénérationnelle soit dominée par le principe d'égalité entre les souches, elle n'est en rien obligatoire. La seule limite est le respect de la réserve héréditaire considérée ici par souche (ce sont les enfants qui comptent pour déterminer son quantum) ;
- l'abandon par la génération intermédiaire : la condition de fond essentielle est le consentement de la génération « sautée ». L'idée est que les enfants renoncent à leur part au bénéfice de leurs propres enfants. Cette renonciation est capitale, car elle va avoir un impact sur la succession du successible qui s'efface au profit de la génération suivante. L'intensité libérale de la donation-partage transgénérationnelle est donc double puisqu'on l'observe à tous les étages !
L'enfant unique et la donation transgénérationnelle
La donation-partage transgénérationnelle est conçue comme une transmission par souche. En seraient donc exclues les familles avec enfant unique. Toutefois, l'article 1078-5, alinéa 1 du Code civil prévoit qu'il est possible à l'ascendant qui n'a qu'un seul enfant de procéder par voie de donation-partage transgénérationnelle. C'est la condition de pluralité de lots qui va ainsi compter ; si l'enfant n'a lui aussi qu'un seul enfant, alors il faudra que l'ascendant allotisse à la fois son enfant et son petit-enfant ; si l'enfant a plusieurs petits enfants, il peut alors allotir ses petits-enfants, son enfant donnera bien évidemment son accord à ce saut de génération.
Schéma :
Tableau à venir
- Intérêts civil et économique évidents, intérêt fiscal réduit. - La donation-partage transgénérationnelle était attendue avec impatience eu égard à son utilité pratique. Toutefois, son utilisation semble limitée en raison d'une attractivité fiscale insuffisante :
- sur le plan économique : la donation transgénérationnelle répond à des besoins sociaux économiques dus à l'allongement de la durée de la vie. Jadis on héritait de ses parents à la force de l'âge, entre quarante et cinquante ans, c'est-à-dire à l'âge où l'on était en pleine activité économique et où, familialement parlant, un afflux patrimonial permet de poursuivre des projets. Aujourd'hui c'est dix à quinze plus tard que l'on hérite, lorsque les besoins sont moindres, la vie professionnelle, les projets familiaux, l'éducation et l'installation des enfants sont des préoccupations passées. L'héritage devient une prime de retraite. Sur le plan économique, il n'est pas forcément bon que les patrimoines se concentrent entre les mains des plus âgés qui ont tendance à thésauriser, à ne pas consommer, à ne pas investir… Aussi la donation transgénérationnelle offre-t-elle un outil juridique licite pour accélérer cette transmission de patrimoine en permettant aux générations les plus jeunes de recevoir leur héritage par anticipation ;
- sur le plan civil : s'il a toujours été permis à une personne de gratifier ses petits-enfants par le biais de donations simples, ces transmissions subissent plusieurs limites :La donation-partage transgénérationnelle permet de contourner ces deux écueils. Par sa nature, elle constitue une donation en avancement de part successorale de la souche, et si ses conditions sont réunies elle bénéficie de la règle dérogatoire de l'article 1078 du Code civil. Si toutes les souches sont représentées à l'acte et s'il n'y pas de réserve d'usufruit sur une somme d'argent, alors les valeurs pour calculer la quotité disponible et les imputations sont définitivement fixées à celles de l'acte. À l'évidence, avec ce régime spécial, la donation-partage transgénérationnelle est un mode de transmission véritablement protecteur des plus jeunes générations des familles.Ajoutons que la donation-partage transgénérationnelle peut également contenir une réincorporation d'une donation antérieure, ce qui, dans certaines hypothèses, peut s'avérer d'une particulière utilité car elle permet d'attribuer un bien qui avait été précédemment donné à une génération à celle suivante. La donation-partage transgénérationnelle bénéficie également de la prescription abrégée de cinq en cas d'atteinte à la réserve héréditaire (C. civ., art. 1077-2, al. 2) ;
- sur le plan fiscal : le succès de la donation-partage transgénérationnelle n'est pas au rendez-vous pour la raison principale qu'elle ne présente que très peu d'intérêt sur le plan des droits de donation . En effet les droits de mutation sont calculés en fonction des règles de droit commun, c'est-à-dire du lien de parenté. Les petits-enfants ne bénéficient pas de l'abattement de leur auteur. Les règles que l'on connaît en matière de représentation ne s'appliquent pas. Les petits-enfants ne peuvent donc bénéficier que des abattements qui leur sont propres. L'intérêt fiscal de la donation-partage transgénérationnelle demeure toutefois dans les cas suivants :
- Le traitement liquidatif de la donation-partage transgénérationnelle. - La donation-partage transgénérationnelle doit être prise en compte dans la succession du disposant, mais aussi dans la succession de celui qui s'est effacé au bénéfice de la génération suivante
:
- dans la succession du donateur : on fait comme si les enfants immédiats du donateur avaient été allotis. Il en résulte que les lots recueillis par la souche s'imputent sur la réserve individuelle de leur auteur (C. civ., art. 1078-8, al. 1). L'article 1078 s'appliquera si toutes les souches sont alloties et si la génération intermédiaire a, évidemment, consenti à l'acte. C'est tout simplement la règle de l'unanimité que l'on constate sur deux générations (C. civ., art. 1078-8) ;
- dans la succession du successible représenté : là encore, une autre fiction est à appliquer. On fait comme si les biens reçus par les donataires finaux provenaient de leurs parents immédiats, de la génération représentée. Cette dernière règle mérite quelques précisions.Le principe est que les biens reçus par donation-partage transgénérationnelle sont traités sur le plan liquidatif dans la succession du représenté comme les donations simples. Ils sont donc soumis aux règles habituelles du rapport et de la réduction. La nature de donation-partage, en principe hermétique au rapport, s'efface puisque la donation est rapportable à la succession de l'auteur représenté. Mais il est une exception importante si toutes les souches sont représentées et qu'il n'y a pas de réserve d'usufruit sur une somme d'argent : alors la donation est exemptée du rapport. La seconde exception est que si ces mêmes conditions sont remplies, alors l'article 1078 du Code civil va recevoir application et les valeurs, pour le calcul de la quotité disponible et l'imputation, seront bloquées à la date de l'acte.
On notera plusieurs choses :
- dans la succession du donateur (grand-parent), l'article 1078 du Code civil présente un intérêt évident : il donne une certaine visibilité sur la liquidation de sa succession, et par là même il protège les donataires ;
- en revanche, dans la succession des enfants (la génération sautée), la règle de l'article 1078 peut présenter un certain handicap dans la mesure où elle va figer les valeurs à la date de la donation initiale qui, par définition, est relativement ancienne puisque deux générations se seront éteintes. L'érosion monétaire et l'évolution économique générales feront que les biens donnés seront réunis fictivement pour une maigre valeur, ce qui impliquera une forte minoration de la quotité disponible du représenté et donc de sa faculté de disposer à titre gratuit. Aussi est-il possible d'écarter l'application de l'article 1078 qui n'est pas d'ordre public dès lors qu'il est fait appel aux règles de droit commun (C. civ., art. 922) ;
- enfin, que se passe-t-il si l'un des gratifiés renonce à la succession du représenté ? Une fois encore, les prévisions initiales seront perturbées par la volonté d'un seul. Le législateur n'a pas envisagé cette situation. Aussi pensons-nous qu'il faut distinguer la situation des autres copartagés et celle du renonçant :
Le tiers à la donation-partage : seconde exception
- Une exception anecdotique. - Le législateur, estimant que le départ en retraite d'un patron peut constituer un péril pour son entreprise et qu'il est le mieux placé pour choisir son successeur a, par sa loi du 5 janvier 1988, ouvert la possibilité d'attribuer par voie de donation-partage l'entreprise à un tiers non-parent ou plutôt non présomptif héritier. Cette forme de donation est particulièrement rare en présence de descendants. Son intérêt est également réduit en l'absence de réservataire. Par ailleurs, la fiscalité n'est pas non plus très incitative
. La loi du 23 juin 2006 a élargi cette faculté à toutes les entreprises, y compris celles détenues sous forme de société. Le chef d'entreprise ne préfère-t-il pas céder son entreprise plutôt que la donner ?…
- Sur le plan liquidatif. - Cette libéralité-partage faite à des présomptifs héritiers et à un tiers n'appelle pas d'observation particulière quant à la liquidation de la succession. Les règles des donations-partages classiques sont appliquées, avec les mêmes interrogations. La seule spécificité est que celui qui est alloti par l'entreprise, par définition, n'est pas réservataire. Et sa donation pourra être réductible si les héritiers ne sont pas remplis de leur réserve. L'article 1078 du Code civil pourra jouer pleinement.
L'élargissement de la donation-partage quant aux biens
Le large éventail et la souplesse offerts par la donation-partage se manifestent également par les biens qu'elle peut avoir en objet. Il s'agira bien évidemment des biens du disposant (§ I), mais peuvent lui être intégrés ceux de la succession de son époux prémourant (§ II) ou ceux de son conjoint (§ III).
Les biens du disposant
- Biens présents. - À l'évidence, on ne peut donner que ce que l'on a, aussi la donation-partage ne peut-elle porter que sur des biens ou des droits qui sont la propriété du disposant. Même si la donation-partage est une forme autorisée de pacte sur succession future, elle n'en est pas moins une donation, et un appauvrissement est donc une condition essentielle. La donation-partage ne saurait donc permettre une donation de biens à venir. Cette prohibition est clairement énoncée à l'article 1076, alinéa 1 du Code civil.
- Diversité des biens donnés et attribués. - Les biens objets de la donation-partage peuvent être de toute nature et de toute valeur pourvu qu'ils soient dans le commerce ou qu'ils ne soient pas frappés par une quelconque interdiction d'aliéner ou soumis à des autorisations ou agréments soit relevant de l'autorité publique (comme les cessions d'entreprises réglementées), soit de personnes privées (clauses statutaires pour les donations de parts ou actions, interdiction d'aliéner consentie au bénéfice d'un tiers). Ces biens peuvent être donnés en usufruit, en nue-propriété ou bien évidemment en pleine propriété. Il n'en demeure pas moins qu'une donation-partage qui attribuerait des droits en pleine propriété à l'un, des droits en usufruit à l'autre, et des droits en nue-propriété au dernier n'est pas sans susciter quelques interrogations quant à l'équilibre global du partage. Enfin, la donation-partage peut comprendre des droits indivis, mais à la condition que l'attributaire ne soit pas en indivision avec ses copartagés. En ce cas l'acte est disqualifié en donation simple et perd sa nature de libéralité-partage. En cas de donation de droit indivis, le lot de l'attributaire sera suspendu aux opérations de partage de l'indivision à laquelle désormais il appartient. Le cadeau peut ainsi être empoisonné !
Les biens du disposant et les biens de la succession de son conjoint prédécédé
- Notion et validité de la donation-partage cumulative. - Il est également possible à l'ascendant survivant de consentir une donation portant sur ses biens pour les réunir aux biens dépendant de la succession de l'ascendant prédécédé. Il est ainsi procédé à un partage global dans un même acte. On parle de donation-partage cumulative
. L'intérêt d'un tel acte est d'augmenter le nombre de biens à partager et d'y intégrer des droits indivis (pouvant provenir d'une communauté conjugale) sur certains biens, ce qui permet de les porter pour l'intégralité. Plus la masse est importante, plus il est facile de composer des lots. Cet acte a une nature hybride. Il est à la fois partage de succession avec des rapports et donation-partage avec des réincorporations.
La donation-partage cumulative semble être possible pour des enfants de lits différents dans la mesure où les règles édictées pour les donations-partages conjonctives sont respectées. L'enfant non commun ne peut se voir attribuer que des biens ayant appartenu à son auteur (C. civ., art. 1076-1).
- Régime spécial de la donation-partage cumulative. - La donation-partage cumulative doit respecter les conditions de fond et de forme des donations et des partages (capacité). Par contre, l'action en complément de part est écartée pour la totalité de l'opération, pas seulement pour sa partie donation-partage
. Son régime fiscal est donc double : le droit de partage est perçu sur les biens successoraux (dont les indemnités de rapport) et les droits de mutation à titre gratuit sont dus pour les biens donnés. Il faut ajouter le droit de partage sur les donations éventuellement réincorporées. L'action en réduction pourra être introduite dans les cinq ans qui suivent le second décès. L'éventuelle atteinte à la réserve sera appréciée en confondant les deux successions. L'article 1078 du Code civil pourra, si ses conditions d'application sont réunies, recevoir application
.
Sur le plan de la protection, la donation-partage cumulative permet au survivant de procéder aux arbitrages d'un règlement successoral qui peut s'avérer complexe ou conflictuel. Elle permet également d'user des règles fiscales favorables à l'anticipation successorale.
Les biens du couple
Transmettre par donation-partage est dans bien des cas une opération au caractère familial important. Elle représente le projet des parents de transmettre et partager leurs biens entre leurs enfants. La donation-partage peut donc avoir un caractère collectif marqué. Envisageons le cas des époux (A), puis le cas des autres parents (B).
La donation-partage par les époux
La donation-partage par deux parents mariés, dite « donation-partage conjonctive », est consacrée par les articles 1076-1 et 1077-2, alinéa 2 du Code civil, qui visent les donations-partages faites conjointement par des époux. La donation-partage va être influencée par le régime matrimonial des époux donateurs copartageants.
Les distinctions selon le régime matrimonial
- Les époux communs en biens. - Il pourra être fait masse des biens propres et des biens communs pour en ressortir autant de lots que de copartagés sans considération de l'origine des biens paternels ou maternels. Les copartagés sont même réputés tenir leurs droits de chacun de leurs parents dans des proportions identiques. Il se peut que dans la masse des biens donnés, il existe des droits à récompense soit au profit de la communauté, soit au profit de l'un des patrimoines propres. Il est admis que la donation-partage conjonctive éteint ces droits à récompense parce qu'ils figurent dans la donation elle-même. La validité d'une telle extinction des récompenses a été longuement controversée en ce qu'elle constituait une liquidation partielle anticipée d'un régime matrimonial et qu'elle procédait d'une convention matrimoniale modificative sans en respecter les formes. Aujourd'hui cet abandon ne fait plus aucun doute
. Il est néanmoins conseillé de préciser par une clause de la donation cette extinction des récompenses portant sur les biens donnés et partagés. Cette extinction des récompenses de la communauté, voire de créances entre patrimoines propres des époux n'est pas sans incidence sur le règlement de leurs propres successions. En effet, l'un des époux peut ainsi se trouver appauvri et les droits de ses héritiers amoindris.
- Les époux séparés de biens. - Leur situation est encore plus simple que celle des époux communs en biens. La donation-partage peut porter sur des biens personnels à chacun des époux ou sur des biens indivis entre eux. De la même manière, chacun des copartagés est réputé tenir ses droits des deux donateurs même si son lot ne comprend qu'un bien personnel de l'un ou l'autre. Tous les biens donnés et partagés font masse. Il est également conseillé de prévoir que l'acte de donation-partage éteint toute créance entre époux au sujet des biens donnés et attribués, à l'image des récompenses sous la communauté.
- Les époux en participation aux acquêts. - Si ce régime, comme la communauté d'acquêts, procède de l'idée d'un partage des richesses en fin de mariage
, au cours de régime les biens restent personnels à chacun. Aussi l'époux, seul propriétaire de ses biens, peut accomplir sur ceux-ci tout acte de disposition. Il peut notamment les aliéner par donation ; les deux époux, comme sous la séparation des biens, peuvent consentir une donation-partage. À l'image de ce que nous avons dit pour le régime de la séparation des biens (créances entre époux) ou pour le régime de la communauté (récompenses), il y aura lieu de prévoir un abandon entre les époux de toutes les créances entre époux afférentes aux biens donnés et partagés et de préciser que ces biens et les plus-values qui auraient pu leur être apportées au cours de régime et financées par des acquêts ne seront plus pris en compte dans la liquidation de leur régime.
Les distinctions selon les configurations familiales
- Attribution à des enfants de lits différents. - Les époux et les parents non mariés peuvent consentir une donation-partage à leurs enfants communs, mais aussi à leurs enfants issus d'autres lits. Le récent article 1076-1 du Code civil le permet désormais, mais cette faculté est soumise à plusieurs conditions :
- il doit y avoir au moins deux enfants communs, car une donation-partage ne peut être faite qu'à plusieurs présomptifs héritiers. S'il n'y a pas au moins deux enfants communs, l'un d'entre eux se trouvera seul dans l'opération de partage par son parent ;
- le ou les enfants non communs ne peuvent être attributaires que des biens propres de leur auteur, ou de biens communs. Cet allotissement devra être autorisé, bien évidemment, par le conjoint (C. civ., art. 922). Ce second époux n'est pas codonateur et cette donation-partage fera naître une récompense au bénéfice de la communauté (C. civ., art. 1437).
Sur le plan fiscal, les droits dus par l'enfant attributaire sont calculés sur la valeur totale du bien mis dans son lot au tarif qui le lie au donateur (CGI, art. 778 bis).
Il ne semble pas possible d'attribuer à l'enfant non commun des biens indivis au donateur, de sorte que sont exclus de ces donations-partages à enfants de plusieurs lits non seulement les époux séparés de biens ou en participation aux acquêts, mais aussi les concubins et les partenaires liés par un Pacs
.
Les distinctions quant à l'action en réduction
- L'exception peu protectrice : le report de l'exercice de l'action en réduction. - En matière de donation-partage conjonctive, il est une exception au principe de prescription de cinq années à compter de chacun des décès. Le délai est ici décompté à compter du deuxième décès
. Cette règle de l'article 1077-2, alinéa 2 du Code civil part de l'idée que les deux successions doivent être réglées de manière confondue et que les droits réservataires doivent être appréciés en considération des deux successions. La règle peut être lourde de conséquences au regard de la protection des différents ayants cause. Au décès du prémourant, une liquidation de sa succession sera effectuée pour éventuellement déterminer des indemnités de réduction des autres donations qui auraient pu être consenties par le de cujus. Cette première liquidation ne sera que provisoire, car pour calculer une éventuelle réduction de la donation-partage, il y aura lieu de procéder à une nouvelle liquidation au décès du second, et c'est à la date du second décès qu'il faudra se placer pour calculer les indemnités de réduction éventuelles. Il faudra alors reprendre la première liquidation et l'actualiser ; tous les biens seront donc réévalués au second décès
. Si une longue période sépare les deux décès, alors les fluctuations dans les valeurs peuvent être importantes et remettre en cause les résultats de la première liquidation ; elles peuvent rendre réductible ce qui ne l'était pas, ou inversement ! Ce système n'est sans doute pas très protecteur, non pas des copartagés qui sont logés à la même enseigne, mais des autres héritiers ou gratifiés (par ex., un légataire universel…). Ce report a été, à juste titre, critiqué
et une analyse globale de la donation-partage sans considération de l'origine des biens pourrait permettre de l'éviter, en revenant à la règle classique
.
- L'exception à l'exception : retour au principe général. - Si la donation-partage a été faite a des enfants communs et à des enfants nés d'autres lits, alors, pour ces derniers, l'action en réduction contre la donation-partage faite par son auteur doit être introduite dans les cinq ans du décès de son auteur (C. civ., art. 1077-2, al. 2 in fine)
.
La donation par d'autres que les époux
- Des textes discriminatoires ? - La donation-partage conjonctive serait-elle réservée aux seuls époux et les parents seulement pacsés ou concubins
en seraient-ils exclus ? Les textes qui traitent de la donation-partage conjonctive ne mentionnent que les époux codonateurs, mais il est de l'avis unanime de la doctrine que ces libéralités-partages sont ouvertes aux parents non mariés
. Une solution contraire reviendrait à sortir du champ de la donation-partage une grande partie des familles, le mariage étant en forte diminution et probablement voué à devenir minoritaire dans quelques décennies. Le Droit doit être fait pour le plus grand nombre et non réservé à une minorité. Aussi faut-il admettre que même non mariés, des parents peuvent valablement consentir une donation-partage à leurs enfants tant au moyen de biens qui leur sont personnels qu'au moyen de biens qui leur sont indivis.