Le mineur nu-propriétaire

Le mineur nu-propriétaire

- La vulnérabilité du mineur nu-propriétaire. - Lorsque tout ou partie des biens de la succession sont dévolus en usufruit au conjoint du défunt, le mineur reçoit son héritage en nue-propriété. Il doit souffrir l'usufruit de son parent, voire de son beau parent. Dans ces deux hypothèses, il doit être protégé. Ses droits doivent être préservés pour qu'il puisse entrer en jouissance, lors de l'extinction de l'usufruit, de tous les biens qui lui ont été transmis.
Si l'usufruit est constitué au profit du beau-parent du mineur, on perçoit immédiatement la nécessité de protéger les droits du nu-propriétaire mineur. Mais, même lorsque l'usufruit profite à l'autre parent du mineur, il est important de protéger ce dernier en anticipant des événements futurs. En effet, le parent survivant peut constituer une nouvelle famille, avoir un autre conjoint et d'autres enfants.
Dans ces situations de plus en plus fréquentes où les parents d'un enfant n'ont pas les mêmes héritiers, la traçabilité des droits et des biens revenant à chaque enfant est capitale. À défaut de preuve de l'état du patrimoine transmis en nue-propriété et de garantie de restitution à l'extinction de l'usufruit, l'héritage s'évapore et l'enfant nu-propriétaire ne percevra jamais son héritage en totalité. Ce problème se pose essentiellement pour les actifs liquides pour lesquels l'usufruit mue en quasi-usufruit .
- La protection du mineur nu-propriétaire. - Quatre dispositifs permettent d'organiser la protection du mineur nu-propriétaire afin de lui garantir la transmission de son héritage à l'extinction de l'usufruit.
L'inventaire. Nous nous bornons à rappeler que l'inventaire représente la preuve préconstituée de la composition et de l'état du patrimoine transmis au mineur. Dans la mesure où l'héritier n'a pas la jouissance immédiate des biens transmis, l'établissement de l'inventaire est capital. Il permettra à l'héritier, le jour de l'extinction de l'usufruit, d'apporter la preuve de son droit de propriété sur les biens qui lui ont été transmis plusieurs années, voire décennies plus tôt. Pour les biens meubles et les liquidités, si cette preuve n'a pas été préconstituée, l'héritier ne pourra pas établir son droit et entrer en jouissance de son héritage.
La caution. Pour garantir au nu-propriétaire la restitution de ses biens à l'extinction de l'usufruit, il peut être constitué des sûretés. L'article 601 du Code civil prévoit à cet effet le cautionnement. Cette sûreté personnelle est effectivement de nature à protéger efficacement les intérêts du nu-propriétaire. Mais les exceptions prévues par le texte en réduisent tellement sa portée qu'elles ruinent son efficacité. Ainsi les père et mère ayant l'usufruit légal du bien de leurs enfants sont dispensés de fournir une caution. Il en est de même lorsque l'acte constitutif de l'usufruit contient une dispense au profit de l'usufruitier. Les formules usuelles de donation entre époux contiennent à cet égard en général de telles dispenses.
Cependant, dans les familles recomposées, si le nu-propriétaire n'est pas l'enfant de l'usufruitier, il n'entre pas dans le champ de l'exception légale précitée. Par conséquent, s'il n'en a pas été dispensé aux termes d'une donation entre époux, le nu-propriétaire pourrait exiger de l'usufruitier qu'il lui fournisse une caution.
L'obligation d'emploi. Une protection efficace pour garantir la conservation et la traçabilité des biens démembrés est de contraindre l'usufruitier à employer les liquidités de la succession dans des biens non consomptibles, voire non fongibles. Cette obligation d'emploi des fonds est prévue à l'article 602 du Code civil. Il convient de déterminer un juste équilibre entre la protection nécessaire du nu-propriétaire et la liberté de gestion de l'usufruitier.
Lorsque les parents sont mariés, ils ont pu se consentir une donation entre époux. Les formules usuelles de ces donations prévoient en général une dispense d'emploi des fonds. Cette préférence accordée au conjoint peut se justifier lorsque les parents ont les mêmes héritiers, car le nu-propriétaire entrera en possession de son héritage au décès de l'usufruitier. Il en va différemment lorsque les parents n'ont pas les mêmes héritiers. Dans ce cas, la dispense d'emploi des fonds de la succession peut causer un préjudice irréparable au nu-propriétaire.
Lorsque les conjoints ne sont pas mariés ou ne se sont pas consentis de donation entre époux, l'article 602 du Code civil prévoit que les fonds soumis à usufruit soient placés. Force est de constater qu'en pratique, cette obligation est peu respectée. Les fonds sont, en application de l'article 587 du Code civil, mis à la disposition de l'usufruitier qui en dispose librement. Si l'on se préoccupe de la protection des intérêts du nu-propriétaire, ceci peut lui causer un préjudice. C'est pourquoi cette mise à disposition des fonds au profit de l'usufruitier nécessite l'accord du nu-propriétaire et l'on peut s'interroger sur le régime de cette autorisation consentie au nom d'un nu-propriétaire mineur. Cette mise à disposition de fonds au profit de l'usufruitier, avec dispense d'emploi, constitue une renonciation à un droit. Elle nécessiterait donc l'autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille.
La convention de quasi-usufruit. Si les fonds dépendant de la succession ne sont pas employés dans des actifs garantissant la conservation des biens démembrés, ceux-ci sont remis à l'usufruitier qui en dispose librement. Ceci est conforme à l'article 587 du Code civil qui dispose que : « Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit la valeur estimée à la date de la restitution ». Dans ce cas, il convient a minima, pour garantir les droits du nu-propriétaire, de régulariser une convention de quasi-usufruit. Cette convention doit traiter au moins deux points.
Elle doit d'abord déterminer le montant de la créance de restitution que le nu-propriétaire pourra recouvrer au décès de l'usufruitier. La convention de quasi-usufruit préconstitue la preuve d'une créance certaine et déterminée qui sera opposable aux ayants droit de l'usufruitier. Cette créance peut demeurer figée à sa valeur nominale ou revalorisée.
Elle doit également arrêter les règles de gestion des fonds, déterminer les pouvoirs de l'usufruitier et son degré de liberté. Celle-ci peut être totale. Dans ce cas, l'usufruitier dispose des fonds librement sans rendre compte de sa gestion. Cette liberté peut au contraire être encadrée. La convention peut prévoir des règles de gestion, une obligation d'emploi des fonds démembrés ou un contrôle de gestion par le nu-propriétaire, voire une autorisation préalable de ce dernier pour la réalisation d'actes de disposition sur les actifs soumis au démembrement. L'équilibre à déterminer, aux termes de cette convention, entre les parties dépend de la situation familiale et patrimoniale particulière.