Le contrôle des comptes de gestion

Le contrôle des comptes de gestion

- Remise annuelle du compte de gestion par le tuteur. - Outre l'obligation qui lui est faite d'établir un compte final de gestion au moment de la cessation de sa mission, les textes enjoignent au tuteur d'établir un compte annuel de gestion faisant apparaître les recettes et les dépenses engagées au nom et pour le compte du tutélaire, accompagné de toutes les pièces justificatives utiles, en vue de sa vérification et de son approbation (C. civ., art. 510 à 514). À cette fin, le tuteur a le droit d'obtenir communication d'un relevé annuel des comptes bancaires ouverts au nom de la personne protégée, sans que l'établissement bancaire puisse lui opposer le secret professionnel ou le secret bancaire (C. civ., art. 510). Par ailleurs, le tuteur est tenu d'assurer la confidentialité du compte de gestion.
Dans son principe, le compte de gestion est une sorte de mise à jour de l'inventaire ; il est aussi l'outil qui permet de vérifier la qualité de la gestion du budget et des biens du majeur par le mandataire et donc de garantir la protection de la personne vulnérable. À l'exception des commentaires de la loi de 2007 faits par la circulaire de 2009, le ministère de la Justice n'a apporté quasiment aucune précision, qu'il s'agisse de la date limite d'envoi du compte, de son contenu ou de sa présentation.
Nulle surprise, dans ces conditions, de constater que la Cour des comptes, dans son rapport de 2016 , a relevé que les comptes-rendus établis par les mandataires professionnels sont de qualité variable : nombre d'entre eux ne présentent pas la situation sociale et l'environnement de l'intéressé, n'ont pas de tableau de synthèse des mouvements intervenus sur les comptes bancaires du majeur, comportent des copies incomplètes des relevés du compte courant du majeur (« compte de fonctionnement ») ou de ses autres comptes, ne font pas la synthèse annuelle des actifs du majeur et de ses ressources et dépenses par grands postes, pourtant nécessaire pour vérifier l'absence de disproportion manifeste dans les dépenses. Ces constats sont également applicables aux comptes-rendus établis par des mandataires familiaux. Beaucoup de comptes-rendus ne comportent pas les justificatifs des placements financiers effectués ou la copie des ordonnances du juge qui les ont autorisés, la justification du calcul de la participation financière du majeur pour les mesures exercées par des professionnels, les justificatifs de ventes et successions, les factures des principales dépenses, notamment celles occasionnelles, nécessaires au contrôle sur la dépense. Des soldes de début d'exercice sont en outre omis. Pour clore ce constat inquiétant, la Cour des comptes a pu constater que de nombreux mandataires, familiaux ou professionnels toutes catégories confondues, adressent tardivement les comptes-rendus au greffe, voire ne les produisent pas.
- Déjudiciarisation du contrôle des comptes de gestion. - En dépit de ces alertes inquiétantes, l'obligation pour les tuteurs d'établir des comptes annuels a été maintenue à l'identique par la loi du 23 mars 2019. Les mandataires professionnels et familiaux demeurent donc livrés à eux-mêmes, démunis de directives, puisque les textes n'apportent quasiment aucune précision, qu'il s'agisse de la date limite d'envoi du compte, de son contenu ou de sa présentation . Dans l'optique d'améliorer et de sécuriser les contrôles, la réaction législative s'est portée, en aval, sur l'organe chargé de vérifier les comptes annuels de gestion. Cette réaction se caractérise par une déjudiciarisation, laquelle aboutit à retirer le contrôle des comptes aux greffiers (A) pour le confier, le cas échéant, aux notaires (B).

La déjudiciarisation aboutit à l'exclusion du greffier

- Plan. - Classiquement en charge du contrôle des comptes de gestion (I), les greffiers se sont vu, par la loi du 23 mars 2019 (II), retirer cette tâche particulièrement chronophage, qui constituait l'une des causes de l'encombrement des greffes et cabinets de juge des tutelles.

Un contrôle autrefois confié aux greffiers

- Le contrôle à l'aune des textes. - Selon les textes, la vérification du compte annuel était opérée par le greffier en chef du tribunal d'instance auquel le compte devait être transmis (C. civ., art. 511, al. 1er). Si un subrogé tuteur avait été nommé, il devait opérer une vérification des comptes avant de les transmettre avec ses observations (C. civ., art. 511, al. 4). Le greffier en chef devait approuver le compte après l'avoir vérifié au besoin avec l'assistance de tiers tels qu'un huissier de justice (CPC, art. 1254-1). S'il refusait de donner son approbation, le greffier en chef dressait un rapport des difficultés rencontrées qu'il transmettait au juge. Ce dernier devait alors statuer sur la conformité du compte (C. civ., art. 511, al. 6). Par ailleurs, il était possible que le juge décide de substituer au greffier en chef, dans cette mission de vérification et d'approbation des comptes, le subrogé tuteur lorsqu'il avait été mis en place (C. civ., art. 511, al. 7) ou le conseil de famille s'il en existait un et si le tuteur était un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (C. civ., art. 515, al. 8) ou encore un technicien « si les ressources de la personne protégée le permett[ai]ent et si l'importance et la composition de son patrimoine le justifi[ai]ent » (C. civ., art. 513).
- Les textes à épreuve des faits. - Dans les faits, la Cour des comptes a pu constater, et regretter qu'exception faite de quelques greffes, la procédure d'examen des comptes-rendus était largement inopérante . Il faut dire qu'aucun texte de niveau national ne définissait ni même ne mentionnait ce qui pourrait tenir lieu de « politique de vérification » des comptes. De fait, à quelques exceptions près, les greffes n'utilisaient pas de méthodologie rigoureuse de contrôle et les modes opératoires pouvaient varier au sein d'un même tribunal. Si quelques directeurs de greffe examinaient s'il existait des dépenses « manifestement disproportionnées » et si les pièces justificatives étaient transmises, la plupart se contentaient de vérifier l'évolution du solde du ou des comptes bancaires et l'absence de solde négatif. Plus encore, la majeure partie des tribunaux ne communiquaient pas leur décision aux mandataires.
Selon la Cour des comptes, cette « situation alarmante et gravement préjudiciable aux personnes protégées comme aux mandataires » était surtout imputable aux compétences professionnelles inadaptées des greffes, le contrôle des comptes exigeant une compétence particulière que ne détiennent pas ces derniers. Et, le rapport Caron-Déglise de rajouter, à juste titre, que la question des moyens alloués était également centrale et déterminante. Si les directeurs de greffe d'instance, par leur association, avaient rappelé qu'ils étaient très sensibles aux difficultés des publics les plus fragiles qu'ils rencontraient au quotidien, ils avaient surtout souligné tout à la fois que cette mission était chronophage et que les moyens pour y faire face n'avaient jamais été à la hauteur, alors que le nombre de comptes à vérifier chaque année rendait la tâche impossible pour les seuls fonctionnaires de justice et les magistrats .

Un contrôle désormais retiré aux greffiers

- Suppression d'un contrôle judiciaire systématique. - Tirant les conséquences des critiques lancinantes adressées au système ancien, la loi du 23 mars 2019 a modifié en profondeur l'organisation du contrôle des comptes de gestion, en excluant désormais toute intervention du greffier en chef, dans la mouvance d'une déjudiciarisation du droit des personnes protégées . Aujourd'hui, la détermination des personnes chargées du contrôle dépend désormais à la fois de la composition des organes assurant la charge tutélaire et de la consistance du patrimoine du majeur .
- Contrôle interne des comptes de gestion. - Afin d'assurer l'effectivité du contrôle des comptes de gestion, les articles 512 et 514 du Code civil mettent en place un système de contrôle « interne » à la mesure de protection, qui devient le principe lorsque plusieurs personnes sont désignées .
En pareille occurrence, les comptes de gestion sont vérifiés et approuvés annuellement par le subrogé tuteur lorsqu'il en a été nommé un ou par le conseil de famille lorsque ce dernier a désigné un mandataire judiciaire à la protection des majeurs comme tuteur. On sait toutefois que cette tutelle complète demeure statistiquement minoritaire.
En cas de désignation de plusieurs tuteurs chargés de la gestion aux biens, ce qui s'avère également rare en pratique, les comptes annuels de gestion doivent être signés par chacun d'eux, ce qui vaut approbation (C. civ., art. 512 al. 1er).
Le juge ne disparaît pas totalement du dispositif mais reste présent en arrière-plan et peut, en cas de difficulté et à la requête de l'une des personnes chargées de la mesure de protection, statuer sur la conformité des comptes (C. civ., art. 511, al. 1er).
Au-delà du souci d'alléger les greffes, la disposition est une incitation à favoriser l'exercice plural de la mesure, ou à tout le moins la mise en place d'organes de contrôle interne, par le recours à la subrogée tutelle, encore trop peu utilisée .
- Contrôle externe des comptes de gestion. - À défaut de ce contrôle interne, la loi prévoit un contrôle « externe » par des professionnels du chiffre ou du droit, et ce dans deux hypothèses, destinées de facto à être les plus nombreuses.
En l'absence de désignation d'un subrogé tuteur, d'un cotuteur, d'un tuteur adjoint ou d'un conseil de famille, le juge doit désigner, dès réception de l'inventaire et du budget prévisionnel, un professionnel qualifié, chargé de la vérification et de l'approbation des comptes dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État (C. civ., art. 512, al. 3).
Ce professionnel reçoit également la mission de vérification et d'approbation du compte de gestion, malgré la présence d'un subrogé tuteur, d'un cotuteur, d'un tuteur adjoint ou d'un conseil de famille, « lorsque l'importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient » (C. civ., art. 512, al. 2).
Eu égard à l'impossibilité de préconiser une solution interne aux services publics , la circulaire du 25 mars 2019 a précisé que ce transfert du contrôle des comptes à des professionnels qualifiés constituait la seule solution pour qu'un contrôle efficace et régulier soit assuré.

La déjudiciarisation favorise l'intervention du notaire

- Plan. - Suivant en cela un plan chronologique, nous allons successivement envisager la désignation (I) puis la mission (II) du notaire désigné en qualité de professionnel qualifié.

La désignation du notaire en qualité de professionnel qualifié

- La désignation ratione materiae du notaire. - Dans un certain nombre de situations, il appartiendra désormais à un professionnel qualifié de vérifier et d'approuver les comptes annuels de gestion du tuteur. Un décret en Conseil d'État est prévu pour déterminer qui peut être le professionnel qualifié visé à l'article 512 du Code civil et les conditions justifiant sa désignation. Cela étant, la circulaire du 25 mars 2019 a d'ores et déjà précisé que ce professionnel qualifié pourra être un huissier, un avocat, un expert-comptable, un commissaire aux comptes, un administrateur ou un mandataire judiciaire, selon la nature et la consistance du patrimoine de la personne vulnérable . Il pourra également s'agir, bien évidemment, d'un notaire.
D'ailleurs, dans les faits, nul doute que le notaire, au regard de son large champ d'intervention, est appelé à devenir le relais privilégié du magistrat, dans une posture déjà connue par la profession dans le domaine voisin du droit patrimonial de la famille, à l'occasion spécifiquement d'une procédure de divorce ou, plus largement, dans le cadre des opérations de partage judiciaire. Dans le premier cas, il est susceptible d'intervenir en qualité d'expert, soit « en vue de dresser un inventaire estimatif ou de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux » (C. civ., art. 255, 9o) , soit pour « élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager » (C. civ., art. 255, 10o), alors que dans le second cas, il agit en sa qualité de notaire commis aux fins de « procéder aux opérations de partage » (CPC, art. 1364 et s.). Faut-il rappeler, au surplus, que le notaire est appelé à tenir ce rôle de « contrôleur des comptes » en présence d'un mandat de protection future notarié (C. civ., art. 491, al. 1er) .
Dans la pureté des principes, le notaire désigné en qualité de professionnel qualifié sera celui-là même à qui le juge a peut-être déjà confié le soin d'établir l'inventaire ; il se verra ainsi doté d'une mission générale de précontrôle de la mesure de protection judiciaire.
En présence d'un patrimoine complexe, si rien n'interdit au juge de désigner plusieurs professionnels qualifiés, il convient cependant d'éviter les nominations multiples, source de complexité et de surcoûts, pour privilégier la seule désignation d'un notaire, quitte pour ce dernier à s'adjoindre un technicien dans une autre spécialité que la sienne, comme par exemple un expert-comptable qui interviendra sous son contrôle. En pareil cas, il appartient au notaire de centraliser les informations qui lui sont communiquées par ses sapiteurs aux fins, le cas échéant, de rédiger un rapport complet et synthétique qui envisage l'ensemble des difficultés soulevées par le dossier.
- La désignation ratione personae du notaire. - Le juge qui entend désigner en qualité de professionnel qualifié pour vérifier les comptes de gestion du tuteur doit s'inspirer à cette fin des règles inhérentes au partage judiciaire, en l'occurrence celle posée à l'article 1364 du Code de procédure civile. C'est dire qu'il peut procéder à la désignation du notaire de son choix, sauf à ce que la personne protégée, si elle est en mesure d'exprimer sa volonté, ou son futur représentant, propose un nom, celui vraisemblablement du notaire de famille.
Dans les deux cas, la question se pose de savoir si le notaire désigné en qualité de professionnel qualifié peut recevoir les actes concernant la personne protégée, qu'il s'agisse, par exemple, de son vivant, de la vente du bien immobilier constituant son logement ou, à son décès, du règlement de sa succession. Cette question, déjà envisagée sous l'angle du mandat de protection future , doit à notre sens recevoir une réponse identique, même si l'origine judiciaire, et non plus conventionnelle de l'intervention notariale pouvait peut-être jeter un trouble plus prononcé à cet égard. En effet, s'il y a une certaine logique à ce que le notaire choisi par le mandant et donc en qui celui-ci a placé sa confiance reçoive ensuite les actes concernant directement ou indirectement ce dernier , quid lorsque le notaire a été choisi par le juge, souvent sans lien manifeste avec la personne protégée ? À notre sens, il n'y a pas d'incompatibilité à ce que le notaire puisse recevoir un acte, auquel la personne protégée - qu'elle soit représentée ou simplement assistée - est partie et agir parallèlement en qualité de notaire commis judiciairement, aux fins d'inventaire et/ou de contrôle des comptes. Dans un cas comme dans l'autre, il agit en effet dans l'intérêt de la personne protégée, ce qui exclut le conflit d'intérêts . L'argument prend de l'ampleur lorsque la désignation du notaire commis résulte en réalité d'un choix exprimé par la personne protégée ou son représentant.
En tout état de cause, on aurait tendance à penser qu'il y a une réelle cohérence à ce que le notaire commis instrumente les actes que le tuteur est amené à passer pour le compte de la personne protégée, cette intervention à l'acte lui permettant ainsi d'assurer in vivo la mission de précontrôle de l'activité du tuteur que lui a confié le juge. Cette mission est d'autant plus importante aujourd'hui que de nombreux actes passés par le tuteur, on le sait, ne nécessitent plus l'autorisation préalable du juge .

L'opportunité de dresser une liste de notaires volontaires

En tout état de cause, et sachant que la désignation « semi-conventionnelle » d'un notaire restera vraisemblablement minoritaire, faute de choix exprimé par la personne protégée ou de notaire auquel il est attaché, il s'agit de désigner des notaires ayant une appétence particulière pour ces questions, mais aussi dont la structure leur permet de faire face à de telles désignations. Il s'agit ainsi d'assurer une mise en ?uvre efficace du dispositif légal sur le terrain. Dans cette optique, il serait opportun qu'il soit établi, dans chaque chambre, une liste de notaires prêts à être désignés par le juge en tant que professionnels qualifiés, ce qui existe déjà dans certains départements, en matière de droit patrimonial de la famille.

La mission du notaire en qualité de professionnel qualifié

- Le teneur du contrôle notarial. - Le rôle du notaire, appelé à vérifier les comptes de gestion, est dual. En la forme, il doit assurer la conservation des comptes et des pièces justificatives qui lui sont remis, sans pouvoir les communiquer à des tiers, en raison de la confidentialité des indications contenues dans ces comptes .
Quant au fond, sans être juge de l'opportunité de la gestion tutélaire, le notaire doit vérifier que celle-ci est conforme aux intérêts de la personne protégée. En somme, s'il n'a pas à porter de jugement sur le choix des options budgétaires prises par le tuteur, il lui appartient de contrôler et de détecter les éventuelles anomalies de gestion. Concrètement, son rôle consiste à déceler l'existence éventuelle de dépenses manifestement disproportionnées, d'actes injustifiés ou anormaux. Au besoin, s'il estime que certaines pièces lui font défaut pour opérer ce contrôle (absence de justificatifs des placements financiers effectués, absence des factures relatives aux principales dépenses visées, etc.), il doit solliciter leur production par le tuteur. D'une manière générale, il peut d'ailleurs demander toute explication utile au tuteur destinée à lui permettre de s'assurer que celui-ci agit de manière raisonnable, dans le souci des biens et intérêts qui lui ont été confiés.
En présence d'anomalies manifestes ou d'explications lacunaires, le notaire peut refuser d'approuver les comptes. Il dresse alors un rapport des difficultés constatées qu'il transmet au juge, lequel statuera sur la conformité des comptes et pourra décharger le tuteur de sa mission voire, en cas de manquement grave ayant causé un préjudice aux intérêts du majeur protégé, soulever sa responsabilité pour faute, notamment en cas de fraude. Un schéma identique doit être suivi en l'absence de transmission des comptes par le tuteur dans les délais impartis.
Comme en matière de mandat de protection future, le notaire a ici un rôle de lanceur d'alerte qui est essentiel . Il s'agit d'assurer la protection de la personne protégée, dont les bons soins ont malheureusement pu être confiés à un tuteur négligent, incompétent ou peu scrupuleux.

Remarque pratique

Là encore, les dispositions relatives au partage judiciaire (CPC, art. 1464 et s.) doivent inspirer les rédacteurs du décret à venir. Le notaire doit avoir un pouvoir de coercition sur le tuteur et pouvoir lui imposer des délais pour la communication des pièces. Il doit pouvoir également établir un procès-verbal de difficultés ou de carence dans l'hypothèse où le tuteur n'exécute pas ses obligations en la matière.

- La périodicité du contrôle notarial. - Il appartient au juge des tutelles, s'il désigne un notaire ou tout autre professionnel qualifié, de fixer dans sa décision les modalités selon lesquelles le tuteur soumet à ce professionnel le compte de gestion, accompagné des pièces justificatives (C. civ., art. 512, al. 2). Aucune périodicité n'est donc mentionnée par les textes. C'est dire que le juge devra déterminer la fréquence à laquelle le contrôle sera réalisé : il pourra ainsi moduler dans le temps le rythme dudit contrôle et prévoir, par exemple, que celui-ci s'effectuera tous les deux ans. L'objectif évident est de permettre aux personnes protégées dont les ressources sont limitées de bénéficier de cette externalisation du contrôle des comptes de gestion sans qu'elle constitue pour autant une charge excessive pour eux.
- Le coût du contrôle notarial. - L'externalisation du contrôle des comptes de gestion au profit d'un professionnel qualifié soulève inévitablement la question de son financement. Le débat est sensible.
Il n'est pas question de rémunérer de manière dispendieuse le professionnel qualifié appelé à intervenir, sous peine de prendre le risque évident de voir ce contrôle grever trop lourdement le patrimoine de la personne protégée, laquelle est appelée à en supporter la charge financière. D'un autre côté, s'agissant d'une mission à la fois primordiale et gratifiante, au service de la personne protégée, mais aussi, il ne faut pas se leurrer, fastidieuse, chronophage et source de responsabilité, il est évident qu'une rémunération purement symbolique risque fort de décourager les vocations .
Ces considérations n'ont d'ailleurs pas échappé aux pouvoirs publics. Si l'idée de financer la déjudiciarisation du contrôle des comptes par le biais des fonds publics a été abandonnée, la circulaire du 25 mars 2019, dans un souci de pragmatisme, a précisé qu'en raison de son coût cette externalisation ne devait être ordonnée par le juge qu'à défaut de solutions moins coûteuses pour le majeur protégé. Ce même souci explique du reste, en grande partie, les cas de dispense envisagés par la loi.
- Dispenses de contrôle des comptes. - L'article 513 du Code civil prévoit des dispenses de contrôle des comptes, lesquelles ont d'ailleurs été élargies par la loi du 23 mars 2019. Le texte distingue aujourd'hui deux types de dispense susceptibles d'être préconisés par le juge :
  • le tuteur professionnel, ce qui est une innovation, peut être dispensé de soumettre le compte de gestion à approbation, en considération de la modicité des revenus ou du patrimoine de la personne protégée ;
  • le tuteur familial peut être dispensé non seulement de soumettre le compte de gestion à approbation, mais aussi tout bonnement d'établir un tel compte, dans des conditions similaires.
On comprend la volonté des pouvoirs publics de vouloir limiter le contrôle des comptes, et son coût, aux « situations à risque » généralement liées à l'importance et à la composition du patrimoine de la personne protégée. Il n'en reste pas moins que la disparition d'une partie du contrôle des comptes de gestion est inquiétante, ce d'autant plus qu'elle se cumule avec les dispenses d'autorisation.
S'agissant des tuteurs professionnels, Mme Pecqueur, magistrate, estime que « la création d'une dispense généralisée de contrôle, au prétexte que la consistance des biens à gérer est modeste, est (?) surprenante » . Elle souligne, au soutien de sa position, qu'entre « les personnes qui disposent d'un patrimoine conséquent et celles qui n'ont rien, il existe toute une partie de la population qui a des ressources limitées et un tout petit patrimoine - quelques économies, un immeuble - et qui est isolée. L'étude réalisée par la Chancellerie sur les décisions prises en 2015 a montré que les personnes prises en charge par des mandataires professionnels étaient propriétaires d'un immeuble dans 40 % des cas, disposaient d'une épargne de plus de 4 020 ? pour la moitié d'entre eux et de revenus pour 73 % d'entre eux dont le montant médian est de 1 130 ?. C'est peu, mais ce n'est pas rien. Et en l'absence de proches, l'alternative sera de ne rien vérifier, au risque de voir se multiplier les erreurs de gestion ou malversations ou de vérifier aux frais de la personne, mais alors au prix de son bien-être, car les quelques centaines d'euros nécessaires à cette vérification, ajoutées au coût de la gestion de la mesure pèseront nécessairement sur la qualité de sa prise en charge - un peu moins d'aide à domicile, un peu moins d'argent de vie » . Et Mme Pecqueur de conclure que : « Ces nouvelles dispositions laissent un vide très important sur le contrôle des mesures exercées hors du cadre familial » .
Quant aux tuteurs familiaux, le rapport Caron-Déglise a souligné, à juste titre, que les risques de gestion défaillante et/ou négligente de la part d'un proche sont réels, les mandataires professionnels ayant souligné qu'ils étaient souvent désignés après des interventions familiales et qu'ils découvraient alors des situations d'impayés de plusieurs mois, voire années (établissements non payés, non-reversements à l'aide sociale, par exemple, droits non ouverts) . Le but, notamment pour des raisons d'économie budgétaire, est ici de favoriser la tutelle familiale, ce qui suppose de limiter les contraintes pesant sur l'organe de protection non professionnel. Mais autant nous pouvons percevoir la justesse du propos en présence d'une habilitation familiale, qui suppose un consensus familial, autant il nous semble plus difficilement audible dans le cadre d'une mesure de protection judiciaire classique, laquelle postule par principe l'absence d'un environnement apaisé autour de la personne protégée.
Partant, et parce que le contrôle des comptes a une incidence directe sur la vérification du respect concret des droits des personnes dans l'exercice même des mesures, il reste à espérer que les magistrats se montreront prudents lorsqu'il s'agira pour eux de dispenser l'organe de protection d'établir et/ou de solliciter l'approbation de son compte de gestion. À défaut, on sait que le renvoi à « l'obligation générale de surveillance des mesures de protection » par le juge des tutelles (C. civ., art. 416, al. 1er) est insuffisant pour garantir les intérêts de la personne protégée, sauf à démultiplier les moyens alloués aux juridictions, ce qui n'est pas vraiment dans l'air du temps.
D'une manière plus générale, le juge est toujours appelé à intervenir une fois la mesure de protection judiciaire mise en ?uvre, mais ce n'est qu'en ultime recours, c'est-à-dire en cas de difficultés, et encore faut-il qu'il soit alerté de celles-ci. Dans ces conditions, nul doute que les notaires doivent aujourd'hui faire preuve d'une vigilance accrue lorsqu'ils instrumentent un acte dont l'une des parties est soumise à un régime de protection, quel qu'il soit. En effet, déjudiciarisation oblige, la protection de celle-ci est désormais, plus que jamais, l'affaire de tous, et notamment celle des notaires qui, au travers de leurs actes, sont susceptibles de prendre le pouls au quotidien des difficultés rencontrées par une personne vulnérable et des dangers auxquels elle peut être confrontée.