La protection des tiers à la donation

La protection des tiers à la donation

L'acte de donation étant par nature un acte d'appauvrissement, d'autres personnes que le donateur peuvent subir un désavantage par cet acte. Il s'agira principalement du conjoint du donateur (§ I), de ses créanciers (§ II) ou de ses associés (§ III).

La protection du conjoint

- Donation d'un bien commun. - Si l'époux marié sous le régime de la communauté peut valablement consentir la donation d'un de ses biens propres sans l'accord de son conjoint (sauf si le bien constitue le domicile conjugal), la donation d'un bien commun nécessite en principe le consentement des deux époux. En effet, parce qu'il s'agit d'un acte d'appauvrissement et donc grave, l'article 1422 du Code civil instaure une exception au principe de la gestion concurrente des biens communs. Ce texte est très large :
  • quant à la nature de l'acte : tous les types de donations, donation simple, donation-partage, donation transgénérationnelle, etc. sont concernés ;
  • la qualité du donataire est indifférente, que la donation soit faite à un enfant commun ou à un tiers, voire… au conjoint lui-même ;
  • le texte ne distingue pas non plus quant à la nature du bien donné. Aussi l'accord du conjoint est dû tant pour les immeubles que pour les meubles, qu'ils soient corporels ou incorporels ;
  • enfin, le texte s'applique à toutes les formes de donation : ostensible ou déguisée, directe ou indirecte, notariée ou par tradition (don manuel).
La sanction de ce texte est une nullité relative. L'action peut alors être intentée dans les deux ans du jour ou le conjoint lésé a eu connaissance de l'acte sans pouvoir excéder deux ans après la dissolution de la communauté (C. civ., art. 1027).
Il existe trois tempéraments à ce texte qui permettent à un seul époux de consentir une donation d'un bien commun :
  • lorsque la donation porte sur ses gains et salaires, puisque l'article 223 du Code civil permet à chacun des époux de disposer librement de ces revenus. Toutefois, cette exception ne joue pas si les gains et salaires ont été économisés, redevenant ainsi des biens communs classiques ;
  • la souscription d'une assurance-vie, même au bénéfice d'un tiers échappe au texte. Car elle est une forme de stipulation pour autrui est il n'y a pas de lien contractuel entre le souscripteur et le bénéficiaire , les capitaux versés au bénéficiaire ne viennent pas de la communauté, mais directement de la compagnie d'assurance ;
  • les présents d'usage n'étant pas une véritable donation faute de réel appauvrissement, ils échappent à cette règle de cogestion .
- Donation sous le régime de la participation aux acquêts. - S'agissant de la philosophie générale de ce régime, nous nous contenterons de rappeler que les époux, en cours de mariage, conservent la propriété exclusive et l'administration de leurs biens à l'image de sa grande sœur la séparation de biens (sauf jeu des règles du régime primaire ou de l'indivision). À la liquidation du régime, il est mesuré chez chacun des époux son enrichissement, fruit de son travail. Et chacun des époux partage par moitié cet enrichissement avec son conjoint . Ce régime est séduisant, car il cumule les avantages de la séparation des biens et ceux de la communauté d'acquêts. Toutefois, il peut paraître curieux, voire risqué, qu'un époux ait potentiellement des droits, certes en valeur et sous forme d'une créance de participation sur le patrimoine de son conjoint, sans n'y avoir aucun pouvoir. Aussi le conjoint mal intentionné peut être tenté de réduire frauduleusement ses acquêts pour diminuer une éventuelle dette de participation envers son conjoint. L'acte de donation pourrait être le support idéal d'une telle fraude. Face à ce risque de fraude, le législateur a prévu une parade. Depuis la loi du 23 décembre 1985, deux types de donations sont distingués :
  • la donation qui porte sur les biens originaires de l'époux, qui ne nécessite pas l'accord du conjoint (sauf application de l'article 215, alinéa 3 du Code civil). Ne provoquant pas de diminution des acquêts et donc de la dette de participation, elle ne présente pas de danger pour le conjoint ;
  • la donation qui porte sur des acquêts, quant à elle, implique nécessairement une diminution de l'enrichissement de l'époux donateur et donc un amoindrissement de la créance de participation du conjoint. Aussi le Code civil, s'il ne soumet pas formellement cet acte de donation à l'accord du conjoint, incite-t-il fortement à le requérir. En effet, au plan liquidatif l'article 1573 du Code civil prévoit que sont fictivement réunis aux biens existants (du patrimoine final) les biens ne relevant pas du patrimoine originaire et qui ont été donnés par l'époux sans le consentement de son conjoint . La sanction n'est ici que liquidative ; la donation est tout simplement ignorée, tout se passe comme si elle n'avait pas eu lieu . L'article 1577 du Code civil va plus loin, en disposant que si les biens existants de l'époux débiteur de la dette de participation ne sont pas suffisants pour permettre le paiement de la dette de participation, alors l'époux créancier peut subsidiairement en poursuivre le paiement sur les biens donnés sans son consentement, en commençant par ceux les plus récemment donnés. Cette action s'exerce donc contre le donataire, voire le tiers acquéreur du bien ; sa bonne ou mauvaise foi, à l'image de l'action paulienne, est indifférente . Elle se prescrit par deux années à compter de la clôture de la liquidation du régime matrimonial .

La protection des créanciers

- La fraude paulienne. - Pour échapper au paiement de sa dette, un débiteur peu scrupuleux pourrait être tenté de s'appauvrir en faisant une donation d'un de ses biens à un tiers de sorte que ce bien, une fois donné et donc sorti de son patrimoine, ne puisse plus être appréhendé par son ou ses créanciers. L'intention frauduleuse ne fait aucun doute. En dehors des règles spécifiques du droit des procédures collectives (nullités de la période suspecte), le droit commun permet au créancier de faire déclarer judiciairement l'acte frauduleux comme lui étant inopposable et l'autorisant ainsi à poursuivre le bien donné (C. civ., art. 1341-2) . Nous rappellerons rapidement les conditions à remplir pour bénéficier de l'action paulienne :
  • conditions tenant au créancier : le créancier doit être titulaire d'une créance antérieure à l'acte litigieux. Cette créance n'est pas forcément certaine, liquide et exigible. Elle doit néanmoins avoir un certain degré de certitude et le demandeur doit prouver que l'acte frauduleux lui porte préjudice c'est-à-dire que l'acte, en l'espèce une donation, provoque l'insolvabilité du débiteur ;
  • conditions tenant au débiteur : le débiteur qui se transforme en donateur doit être animé par une véritable intention de nuire. Celle-ci, s'agissant d'une libéralité, est appréciée avec une certaine souplesse tant il est évident que l'appauvrissement provoqué par l'acte cause un préjudice à ses créanciers ;
  • conditions tenant au donataire et au tiers acquéreur : si pour les actes à titre onéreux, le créancier doit démontrer la mauvaise foi du tiers cocontractant, pour les actes à titre gratuit, dont la donation, il n'est pas besoin de démontrer la mauvaise foi du donataire. Si le donataire dispose du bien reçu par une autre donation, l'action paulienne peut être dirigée contre son propre donataire sans avoir à démontrer sa bonne foi. Si le donataire a vendu le bien, alors il est nécessaire de démontrer sa mauvaise foi ;
  • condition de délai : l'action paulienne est soumise à la prescription quinquennale de droit commun à compter de la connaissance de l'acte litigieux.
Les effets de l'action paulienne sont ceux de l'inopposabilité de l'acte frauduleux. Ainsi la donation est purement et simplement ignorée et le créancier peut procéder à la saisie du bien qui avait été donné.
- Le passif affectant un bien. - Peut-on consentir la donation d'un bien qui est affecté au remboursement d'une dette ? Peut-on consentir une donation alors que le prêt qui a permis au donateur de l'acquérir n'est pas remboursé ? Sur le plan légal, rien ne l'interdit en dehors de la fraude paulienne que nous venons d'étudier rapidement. Si le bien fait l'objet d'une inscription hypothécaire, alors en raison du droit de suite d'une telle sûreté le donataire récupérera un bien ainsi grevé et supportera le risque d'exécution forcée sur le bien. La limitation à une donation, si elle ne se trouve pas dans la loi, existe dans les contrats liant le donateur-débiteur à son créancier. En effet, dans la plupart des contrats de prêt figure une clause de déchéance du terme en cas d'aliénation à titre gratuit du bien financé. Si l'acte de donation en lui-même demeure valable, le donateur sera amené à rembourser intégralement son créancier et à lui verser les éventuelles indemnités de remboursement anticipé. Mieux vaut donc anticiper la chose en s'assurant que le bien est intégralement payé ou en sollicitant l'accord du créancier pour renoncer à cette déchéance du terme. Le passif peut être mis à la charge du donataire conventionnellement dans l'acte de donation. Sur le plan liquidatif, le passif pris en charge par le donataire sera déduit de son émolument pour que ne soit retenu que ce qu'il a véritablement reçu.

La fiscalité de la donation avec prise en charge du passif

Auparavant le passif affectant un bien mis à la charge du donataire n'était pas pris en compte pour l'assiette des droits de mutation à titre gratuit. Depuis la loi n<sup>o</sup> 2004-1484 du 30 décembre 2004, la dette mise à la charge du donateur peut être déduite de la base taxable sous certaines conditions :

<strong>1. Quant à la dette déduite</strong>

<strong>2. Quant au créancier</strong>

<strong>3. Quant au montant de la dette</strong>

<strong>4. Quant à la forme</strong>

Bien évidemment, l'administration fiscale est en droit de vérifier l'effectivité de la prise en charge de ce passif par le donataire, qui peut en apporter la preuve compatible avec la procédure écrite. Il est donc conseillé au donataire de conserver les justificatifs de remboursement de cette dette.

Peu pratiquées, ces donations avec prise en charge de passif peuvent permettre au donateur, parce que sa pension de retraite ne lui permet pas de faire face à ses engagements, de s'alléger de tout ou partie (donation avec réserve d'usufruit) de ses échéances d'emprunt. Ce type de donation est un reflet particulier de la solidarité entre générations : l'une donne, l'autre reçoit en soulageant celui qui donne. Elle peut correspondre à un réel besoin social
.

La protection de l'associé

- Les clauses d'agrément. - Les sociétés, selon leur nature, sont empreintes d'un intuitu personae plus ou moins fort. L'associé en place pourrait être qualifié de « proche », il l'est tout le moins par l'affectio societatis qui le lie aux autres associés. Aussi il mérite une certaine protection pour ne pas se voir imposer un associé entrant sans son accord. Cette protection va être fonction de la forme de la société et de l'intuitu personae plus ou moins fort qu'elle implique. En donnant ses parts ou ses actions, un associé peut, dans certains cas, imposer aux autres un nouvel associé. Aussi certaines sociétés peuvent, dans leurs statuts, prévoir des clauses limitant cette faculté de céder ses parts ou actions. Préalablement à tout acte de donation de parts ou éventuellement d'actions, le notaire doit se référer aux statuts ou aux textes pour vérifier qu'il ne faut pas obtenir un agrément spécifique. Il convient également de vérifier qu'aucun pacte d'actionnaires ou d'associés ne prévoit de condition particulière à ces cessions. De cette manière, par une rédaction appropriée des statuts, il est possible de conférer une certaine protection à l'associé en place, qui peut être un proche.
Nous nous contenterons de rappeler dans le tableau qui suit les principales règles applicables en matière d'agrément.
Tableau à venir