La protection par des règles de fond

La protection par des règles de fond

La protection des parties à la donation

- Les vices du consentement : une protection générale, mais adaptée aux libéralités . - « La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence » . Il s'agit d'une application aux libéralités et donc à la donation du droit commun des contrats . Pour être cause de nullité, le vice du consentement doit avoir joué un rôle déterminant . S'il n'avait pas eu lieu, la partie qui l'invoque n'aurait pas consenti à cette donation. Les vices du consentement peuvent être invoqués tant par le donateur que par le donataire. Ce pourra être l'erreur, le dol ou la violence qui anéantiront l'acte de donation . Nous ne nous étendrons pas sur ces règles, et nous nous contenterons de dire que s'agissant des libéralités, la théorie des vices du consentement a un domaine plus large :
  • ce sera le cas pour l'erreur qui pourra certes porter sur les qualités substantielles de la chose donnée, sur les qualités essentielles du donataire (ou du donateur) mais aussi, ce qui n'est pas le cas pour les autres contrats, sur les motifs de l'acte de donation (C. civ., art. 1035, al. 2). Ainsi, si les parties se sont trompées sur la portée civile ou fiscale de leur acte, alors l'erreur pourrait être invoquée . Reste à la prouver ; pour cela il est nécessaire que ce motif essentiel et déterminant figure dans l'acte ;
  • le dol est souvent invoqué pour faire annuler une libéralité soit par le donateur, soit par ses héritiers. Il pourra s'agir de mensonges, de dissimulation d'un élément qui, s'il avait été connu par le donateur, l'aurait conduit à ne pas consentir à l'acte. Ces manœuvres frauduleuses qui caractérisent le dol peuvent être de tous ordres. Elles sont d'autant plus fréquentes que le donateur est âgé, seul et plus ou moins vulnérable. Le dol peut être le fait d'un tiers de connivence (C. civ., art. 1138, al. 2) ;
  • la violence, si échelle il y a dans les vices du consentement, est le plus grave dans la mesure où elle avoisine la maltraitance ; sa proximité avec le droit pénal ne fait aucun doute. La violence est une contrainte exercée sur une partie (le donateur) afin de l'obliger à passer l'acte. Elle peut être physique ou morale, constituée par des menaces, par une pression. Elle peut être l'œuvre d'un tiers au contrat. L'article 1143 du Code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et de la loi du 20 avril 2018 , consacre un cas spécifique de violence lorsqu'il est tiré bénéfice d'un état de dépendance d'une personne pour obtenir de celle-ci un avantage. Cette nouvelle disposition, destinée à accroître la protection des plus vulnérables, tient une place importante en matière de libéralité, car par définition elle confère un avantage au gratifié .
La sanction est une nullité relative (de protection) qui peut être invoquée dans les cinq ans à partir du jour où le vice a été connu.
Il importe que le notaire qui reçoit une donation s'inquiète de l'intégrité du consentement des parties à l'acte. Doivent être vérifiées, lorsqu'il est requis d'instrumenter un tel acte : la proportionnalité de l'acte au patrimoine du disposant et à son train de vie de sorte que l'acte lui-même ne mette pas en péril son avenir, ainsi que la perception par le donateur de la portée de la libéralité. La donation doit donc être précédée d'une sorte d'audit patrimonial qui prend en compte le patrimoine, les revenus et le train de vie du donateur. Il s'agit tout simplement de l'exécution du devoir de conseil du notaire.
- L'objet de la donation. - Pour être valable la donation, comme tout contrat, doit avoir un « contenu licite et certain » (C. civ., art. 1128). L'objet de la donation ne peut donc être contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs. De la même manière, les charges qui peuvent assortir la donation doivent respecter cet ordre public et les bonnes mœurs. Le bien donné doit être un bien présent, déterminé ou déterminable. La donation de bien futur est nulle sauf pour les institutions contractuelles entre époux.
- L'existence d'une cause licite. - Si la réforme des obligations a supprimé des textes la notion de cause, elle n'en demeure pas moins présente dans les donations. S'agissant de l'existence de la cause (cause objective) celle-ci, en raison du caractère unilatéral de l'acte, réside dans l'intention libérale. Faute d'intention libérale, il ne peut y avoir donation. La licéité de la cause correspond à la licéité des mobiles déterminants qui ont incité le disposant à consentir cette libéralité. Il n'est pas nécessaire que ces mobiles aient été connus de tous pour provoquer la nullité de l'acte . On sait que l'appréciation de la contrariété aux bonnes mœurs est d'appréciation évolutive et que, selon la Cour de cassation, la donation qui a pour but de maintenir la relation adultère que le donateur entretient avec le donataire n'est plus contraire à ces bonnes mœurs .

La protection des tiers à la donation

L'acte de donation étant par nature un acte d'appauvrissement, d'autres personnes que le donateur peuvent subir un désavantage par cet acte. Il s'agira principalement du conjoint du donateur (§ I), de ses créanciers (§ II) ou de ses associés (§ III).

La protection du conjoint

- Donation d'un bien commun. - Si l'époux marié sous le régime de la communauté peut valablement consentir la donation d'un de ses biens propres sans l'accord de son conjoint (sauf si le bien constitue le domicile conjugal), la donation d'un bien commun nécessite en principe le consentement des deux époux. En effet, parce qu'il s'agit d'un acte d'appauvrissement et donc grave, l'article 1422 du Code civil instaure une exception au principe de la gestion concurrente des biens communs. Ce texte est très large :
  • quant à la nature de l'acte : tous les types de donations, donation simple, donation-partage, donation transgénérationnelle, etc. sont concernés ;
  • la qualité du donataire est indifférente, que la donation soit faite à un enfant commun ou à un tiers, voire… au conjoint lui-même ;
  • le texte ne distingue pas non plus quant à la nature du bien donné. Aussi l'accord du conjoint est dû tant pour les immeubles que pour les meubles, qu'ils soient corporels ou incorporels ;
  • enfin, le texte s'applique à toutes les formes de donation : ostensible ou déguisée, directe ou indirecte, notariée ou par tradition (don manuel).
La sanction de ce texte est une nullité relative. L'action peut alors être intentée dans les deux ans du jour ou le conjoint lésé a eu connaissance de l'acte sans pouvoir excéder deux ans après la dissolution de la communauté (C. civ., art. 1027).
Il existe trois tempéraments à ce texte qui permettent à un seul époux de consentir une donation d'un bien commun :
  • lorsque la donation porte sur ses gains et salaires, puisque l'article 223 du Code civil permet à chacun des époux de disposer librement de ces revenus. Toutefois, cette exception ne joue pas si les gains et salaires ont été économisés, redevenant ainsi des biens communs classiques ;
  • la souscription d'une assurance-vie, même au bénéfice d'un tiers échappe au texte. Car elle est une forme de stipulation pour autrui est il n'y a pas de lien contractuel entre le souscripteur et le bénéficiaire , les capitaux versés au bénéficiaire ne viennent pas de la communauté, mais directement de la compagnie d'assurance ;
  • les présents d'usage n'étant pas une véritable donation faute de réel appauvrissement, ils échappent à cette règle de cogestion .
- Donation sous le régime de la participation aux acquêts. - S'agissant de la philosophie générale de ce régime, nous nous contenterons de rappeler que les époux, en cours de mariage, conservent la propriété exclusive et l'administration de leurs biens à l'image de sa grande sœur la séparation de biens (sauf jeu des règles du régime primaire ou de l'indivision). À la liquidation du régime, il est mesuré chez chacun des époux son enrichissement, fruit de son travail. Et chacun des époux partage par moitié cet enrichissement avec son conjoint . Ce régime est séduisant, car il cumule les avantages de la séparation des biens et ceux de la communauté d'acquêts. Toutefois, il peut paraître curieux, voire risqué, qu'un époux ait potentiellement des droits, certes en valeur et sous forme d'une créance de participation sur le patrimoine de son conjoint, sans n'y avoir aucun pouvoir. Aussi le conjoint mal intentionné peut être tenté de réduire frauduleusement ses acquêts pour diminuer une éventuelle dette de participation envers son conjoint. L'acte de donation pourrait être le support idéal d'une telle fraude. Face à ce risque de fraude, le législateur a prévu une parade. Depuis la loi du 23 décembre 1985, deux types de donations sont distingués :
  • la donation qui porte sur les biens originaires de l'époux, qui ne nécessite pas l'accord du conjoint (sauf application de l'article 215, alinéa 3 du Code civil). Ne provoquant pas de diminution des acquêts et donc de la dette de participation, elle ne présente pas de danger pour le conjoint ;
  • la donation qui porte sur des acquêts, quant à elle, implique nécessairement une diminution de l'enrichissement de l'époux donateur et donc un amoindrissement de la créance de participation du conjoint. Aussi le Code civil, s'il ne soumet pas formellement cet acte de donation à l'accord du conjoint, incite-t-il fortement à le requérir. En effet, au plan liquidatif l'article 1573 du Code civil prévoit que sont fictivement réunis aux biens existants (du patrimoine final) les biens ne relevant pas du patrimoine originaire et qui ont été donnés par l'époux sans le consentement de son conjoint . La sanction n'est ici que liquidative ; la donation est tout simplement ignorée, tout se passe comme si elle n'avait pas eu lieu . L'article 1577 du Code civil va plus loin, en disposant que si les biens existants de l'époux débiteur de la dette de participation ne sont pas suffisants pour permettre le paiement de la dette de participation, alors l'époux créancier peut subsidiairement en poursuivre le paiement sur les biens donnés sans son consentement, en commençant par ceux les plus récemment donnés. Cette action s'exerce donc contre le donataire, voire le tiers acquéreur du bien ; sa bonne ou mauvaise foi, à l'image de l'action paulienne, est indifférente . Elle se prescrit par deux années à compter de la clôture de la liquidation du régime matrimonial .

La protection des créanciers

- La fraude paulienne. - Pour échapper au paiement de sa dette, un débiteur peu scrupuleux pourrait être tenté de s'appauvrir en faisant une donation d'un de ses biens à un tiers de sorte que ce bien, une fois donné et donc sorti de son patrimoine, ne puisse plus être appréhendé par son ou ses créanciers. L'intention frauduleuse ne fait aucun doute. En dehors des règles spécifiques du droit des procédures collectives (nullités de la période suspecte), le droit commun permet au créancier de faire déclarer judiciairement l'acte frauduleux comme lui étant inopposable et l'autorisant ainsi à poursuivre le bien donné (C. civ., art. 1341-2) . Nous rappellerons rapidement les conditions à remplir pour bénéficier de l'action paulienne :
  • conditions tenant au créancier : le créancier doit être titulaire d'une créance antérieure à l'acte litigieux. Cette créance n'est pas forcément certaine, liquide et exigible. Elle doit néanmoins avoir un certain degré de certitude et le demandeur doit prouver que l'acte frauduleux lui porte préjudice c'est-à-dire que l'acte, en l'espèce une donation, provoque l'insolvabilité du débiteur ;
  • conditions tenant au débiteur : le débiteur qui se transforme en donateur doit être animé par une véritable intention de nuire. Celle-ci, s'agissant d'une libéralité, est appréciée avec une certaine souplesse tant il est évident que l'appauvrissement provoqué par l'acte cause un préjudice à ses créanciers ;
  • conditions tenant au donataire et au tiers acquéreur : si pour les actes à titre onéreux, le créancier doit démontrer la mauvaise foi du tiers cocontractant, pour les actes à titre gratuit, dont la donation, il n'est pas besoin de démontrer la mauvaise foi du donataire. Si le donataire dispose du bien reçu par une autre donation, l'action paulienne peut être dirigée contre son propre donataire sans avoir à démontrer sa bonne foi. Si le donataire a vendu le bien, alors il est nécessaire de démontrer sa mauvaise foi ;
  • condition de délai : l'action paulienne est soumise à la prescription quinquennale de droit commun à compter de la connaissance de l'acte litigieux.
Les effets de l'action paulienne sont ceux de l'inopposabilité de l'acte frauduleux. Ainsi la donation est purement et simplement ignorée et le créancier peut procéder à la saisie du bien qui avait été donné.
- Le passif affectant un bien. - Peut-on consentir la donation d'un bien qui est affecté au remboursement d'une dette ? Peut-on consentir une donation alors que le prêt qui a permis au donateur de l'acquérir n'est pas remboursé ? Sur le plan légal, rien ne l'interdit en dehors de la fraude paulienne que nous venons d'étudier rapidement. Si le bien fait l'objet d'une inscription hypothécaire, alors en raison du droit de suite d'une telle sûreté le donataire récupérera un bien ainsi grevé et supportera le risque d'exécution forcée sur le bien. La limitation à une donation, si elle ne se trouve pas dans la loi, existe dans les contrats liant le donateur-débiteur à son créancier. En effet, dans la plupart des contrats de prêt figure une clause de déchéance du terme en cas d'aliénation à titre gratuit du bien financé. Si l'acte de donation en lui-même demeure valable, le donateur sera amené à rembourser intégralement son créancier et à lui verser les éventuelles indemnités de remboursement anticipé. Mieux vaut donc anticiper la chose en s'assurant que le bien est intégralement payé ou en sollicitant l'accord du créancier pour renoncer à cette déchéance du terme. Le passif peut être mis à la charge du donataire conventionnellement dans l'acte de donation. Sur le plan liquidatif, le passif pris en charge par le donataire sera déduit de son émolument pour que ne soit retenu que ce qu'il a véritablement reçu.

La fiscalité de la donation avec prise en charge du passif

Auparavant le passif affectant un bien mis à la charge du donataire n'était pas pris en compte pour l'assiette des droits de mutation à titre gratuit. Depuis la loi n<sup>o</sup> 2004-1484 du 30 décembre 2004, la dette mise à la charge du donateur peut être déduite de la base taxable sous certaines conditions :

<strong>1. Quant à la dette déduite</strong>

<strong>2. Quant au créancier</strong>

<strong>3. Quant au montant de la dette</strong>

<strong>4. Quant à la forme</strong>

Bien évidemment, l'administration fiscale est en droit de vérifier l'effectivité de la prise en charge de ce passif par le donataire, qui peut en apporter la preuve compatible avec la procédure écrite. Il est donc conseillé au donataire de conserver les justificatifs de remboursement de cette dette.

Peu pratiquées, ces donations avec prise en charge de passif peuvent permettre au donateur, parce que sa pension de retraite ne lui permet pas de faire face à ses engagements, de s'alléger de tout ou partie (donation avec réserve d'usufruit) de ses échéances d'emprunt. Ce type de donation est un reflet particulier de la solidarité entre générations : l'une donne, l'autre reçoit en soulageant celui qui donne. Elle peut correspondre à un réel besoin social
.

La protection de l'associé

- Les clauses d'agrément. - Les sociétés, selon leur nature, sont empreintes d'un intuitu personae plus ou moins fort. L'associé en place pourrait être qualifié de « proche », il l'est tout le moins par l'affectio societatis qui le lie aux autres associés. Aussi il mérite une certaine protection pour ne pas se voir imposer un associé entrant sans son accord. Cette protection va être fonction de la forme de la société et de l'intuitu personae plus ou moins fort qu'elle implique. En donnant ses parts ou ses actions, un associé peut, dans certains cas, imposer aux autres un nouvel associé. Aussi certaines sociétés peuvent, dans leurs statuts, prévoir des clauses limitant cette faculté de céder ses parts ou actions. Préalablement à tout acte de donation de parts ou éventuellement d'actions, le notaire doit se référer aux statuts ou aux textes pour vérifier qu'il ne faut pas obtenir un agrément spécifique. Il convient également de vérifier qu'aucun pacte d'actionnaires ou d'associés ne prévoit de condition particulière à ces cessions. De cette manière, par une rédaction appropriée des statuts, il est possible de conférer une certaine protection à l'associé en place, qui peut être un proche.
Nous nous contenterons de rappeler dans le tableau qui suit les principales règles applicables en matière d'agrément.
Tableau à venir