La donation-partage : une conception très large des proches à protéger

La donation-partage : une conception très large des proches à protéger

- Annonce de plan. - « Toute personne peut faire, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits. » C'est le principe affirmé par l'article 1075 du Code civil (§ I). L'article 1076 ajoute que toute personne peut également faire la distribution et le partage de ses biens et de ses droits entre des descendants de degrés différents, qu'ils soient ou non ses héritiers présomptifs (§ II). Enfin, l'article 1075-2 autorise qu'un non-successible, voire un non-parent participe à la donation-partage si les biens à lui attribués sont constitués par une entreprise, que celle-ci soit détenue sous forme d'un fonds ou par le biais de droits sociaux (§ III).

Les héritiers présomptifs : le principe

- Les héritiers présomptifs. - Avant 2007, la donation-partage n'était ouverte qu'en ligne directe, de l'ascendant envers ses descendants et présomptifs héritiers . Le législateur de 2006 a ouvert la donation-partage à tous les héritiers présomptifs. Ainsi, on peut procéder à un tel acte au sein de chacun des ordres de la dévolution légale. C'est cette dévolution légale qui sert de référence pour définir le domaine de la donation-partage. Peu importe la nature de la parenté. Ainsi la parenté adoptive (que l'adoption soit plénière ou simple) produit les mêmes effets que les liens du sang. Ce principe implique également la possibilité de faire jouer la représentation.
- Tout ou partie des héritiers présomptifs. - Avant l'entrée en vigueur de la grande réforme des liquidations successorales du 3 juillet 1971, le partage d'ascendant devait être consenti à tous les enfants. Cette règle est apparue inappropriée en cas de survenance d'enfant. Aussi le législateur de 1971 l'a-t-il abandonnée en admettant que la donation-partage pouvait être consentie à certains des présomptifs héritiers seulement, ou parce que le donateur ne veut pas de lui, ou bien parce que cet héritier exclu n'a pas accepté son lot. La loi a simplement donné la possibilité à cet héritier de composer son lot héréditaire au décès sur l'actif existant et de recourir à son action en réduction en cas d'insuffisance. Cela ne vaut que s'il est réservataire, car dans le cas contraire il ne pourra prétendre à rien, sauf s'il était héritier présomptif non encore conçu lors de la donation-partage (C. civ., art. 1077-2, al. 3). En présence de réservataire, il y aura malgré tout une incidence importante lors des opérations de liquidation et de partage de la succession. En effet, les conditions de la règle d'exception de l'article 1078 du Code civil n'étant pas remplies, les règles classiques de calcul de la réserve héréditaire et de l'imputation s'appliqueront. Pour ce calcul, les biens seront pris pour leur valeur au jour du décès dans leur état au jour de la donation. Par contre, en tant que donation-partage, les copartagés ne seront pas assujettis au rapport. Leur protection est donc moindre, mais elle demeure malgré tout.
- Indifférence de la qualité de réservataire. - Lorsque la donation était partage d'ascendant, elle ne se concevait qu'en contemplation de la réserve héréditaire des descendants à laquelle elle s'accrochait. Désormais, libre à une personne de consentir une donation-partage à ses neveux, à ses frères et parents dès lors qu'au jour de la donation-partage ils sont ses présomptifs héritiers. Par contre, il n'est pas possible de sauter une génération en dehors de l'ordre des descendants. Ainsi un célibataire ne peut consentir une donation-partage directement à ses neveux. Il n'est pas pour autant dépourvu de moyens : il peut procéder par une série de donations simples, mais préciputaires (donc avec dispense de rapport).
- Dans l'ordre des descendants. - Les applications sont bien connues. Contentons-nous de rappeler que l'ascendant donateur peut réaliser une donation-partage en faisant jouer les règles de la représentation successorale si un ou plusieurs de ses enfants sont prédécédés. C'est une donation-partage par souche, que l'on retrouve également dans les donations transgénérationnelle. Il n'est pas obligatoire que tous les présomptifs héritiers réservataires concourent à la donation-partage. Dans ce cas, elle sera privée de certains effets liquidatifs propres (C. civ., art. 1078). L'héritier absent à l'acte bénéficiera alors d'une action propre pour être rempli de ses droits réservataires.
- Dans les autres ordres. - En l'absence de descendant, la donation-partage peut profiter aux ascendants privilégiés, aux collatéraux privilégiés, aux collatéraux ordinaires, aux ascendants ordinaires. Chez les collatéraux privilégiés, la représentation successorale pourra jouer, et chez les ascendants ce sera la fente qui œuvrera pour assurer l'égalité des lignes. On peut légitimement s'interroger sur l'utilité de consentir une telle donation-partage. En effet, une série de donations consenties hors part successorale à chacun d'eux peut permettre d'aboutir au même résultat. Ce mode opératoire est même plus protecteur des gratifiés, car ils ne sont pas exposés, par donation simple préciputaire, à l'obligation de fournir son lot au présomptif héritier non conçu au jour de la donation-partage (C. civ., art. 1077-2). Toutefois, il est avancé l'idée que le donateur peut préférer la solennité collective de la donation-partage , argument peu décisif dans la mesure où le disposant attaché à cette solennité, peut, dans un même acte au sens de l'instrumentum, consentir autant de donations simples qu'il a de présomptifs héritiers en édictant des conditions et charges communes aux donations. Le meilleur argument pour faire usage de la donation-partage est l'incorporation d'une donation antérieure lorsqu'il est d'une volonté collective d'attribuer le bien primitivement donné à un autre. La fiscalité de l'incorporation se limite alors au droit de partage. La donation-partage peut, par contre, avoir un véritable intérêt en présence d'un conjoint.
- Le conjoint. - Quel que soit l'ordre auquel appartiennent les héritiers présomptifs à la donation-partage, le conjoint peut y être également alloti. L'intérêt peut être réel, notamment en l'absence de descendants. En effet, dans cette hypothèse, le conjoint est réservataire. Aussi, s'il concourt à la donation-partage et si tous les héritiers présomptifs sont allotis, alors l'article 1078 du Code civil et le gel des valeurs qu'il édicte pourront recevoir application. Les lots seront sécurisés et le risque de réduction des copartagés sera amoindri. La difficulté née de la présence du conjoint à la donation-partage est que son lien avec le disposant n'est pas, à la différence de ceux du sang, immuable. En effet, le conjoint d'un jour n'est pas forcément le conjoint du dernier jour. Se poseront donc les questions liquidatives.

Le conjoint à la donation-partage, divorcé au décès de son époux

Au décès, le conjoint alloti n'est plus conjoint. Il en résulte plusieurs conséquences :

En conclusion, le conjoint divorcé encourt un risque de devoir une indemnité de réduction. Cela paraît bien normal puisqu'il a perdu cette qualité de proche privilégié qu'est celle d'époux ou d'épouse ! Il n'est pas non plus exclu que le <em>de cujus</em> se soit remarié et ait consenti une nouvelle donation-partage en y invitant son nouveau conjoint…

Le saut de génération : première exception

- Une volonté de protéger ses petits-enfants. - La donation transgénérationnelle est sans doute, avec la renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR), une des plus grandes innovations de la réforme de 2006 des successions et des libéralités. Ces deux innovations sont de la même veine et procèdent de l'idée qu'une personne, une génération, va renoncer à une partie de ses droits héréditaires même s'ils relèvent de l'ordre public successoral. La donation-partage transgénérationnelle était souhaitée par le notariat . Toutefois, le succès escompté n'est pas au rendez-vous. On note, d'après les quelques éléments statistiques en notre possession, que ce nouveau procédé d'anticipation successorale à plus long terme est utilisé principalement dans les très grosses agglomérations - plus spécialement à Paris -, au sein des offices notariaux importants, et est réservé à la frange la plus fortunée de la clientèle notariale . Ce constat est très probablement dû à un défaut d'incitation fiscale supplémentaire. Pour autant la donation transgénérationnelle est un merveilleux outil symbolisant la solidarité entre plusieurs générations. Cette solidarité des grands-parents envers les petits-enfants est d'autant plus utile qu'aujourd'hui les enfants n'héritent de leurs parents le plus souvent qu'à l'âge de leur retraite, c'est-à-dire à l'âge où, en principe, leurs besoins financiers, que ce soit pour installer leur vie de famille (acquisition d'un logement) ou lancer leur activité professionnelle (reprise ou création d'entreprise) sont passés ; tel n'est pas le cas de leurs propres enfants.
La donation-partage transgénérationnelle est un acte par lequel un ascendant va transmettre et partager des biens qui auraient dû revenir à ses descendants immédiats à la génération suivante .
- Les conditions de ce « saut de protection ». - Elles ont trait aux personnes, aux biens attribués, et à un consentement spécial :
  • les personnes : la donation-partage transgénérationnelle n'est autorisée qu'en ligne directe et descendante, c'est-à-dire qu'elle n'est ouverte qu'à un ascendant. Elle peut également être consentie par deux époux sous la forme d'une donation conjonctive. La donation transgénérationnelle, à la différence de la donation-partage, n'est pas possible en faveur de neveux ou nièces. Il n'est pas de limitation dans le degré, et des arrière-petits-enfants pourraient être ainsi gratifiés. Mais les conséquences liquidatives, à l'égard de la renonciation du petit-enfant qui laisse sa place à ses propres enfants, sont mal maîtrisées. Le conjoint du donateur peut également être alloti dans une donation-partage transgénérationnelle. De la même manière, il est possible d'y allotir des descendants de degrés différents. Cette forme de libéralité est relativement souple ;
  • les biens : l'allotissement se fait par souche. C'est-à-dire que la donation-partage transgénérationnelle, à l'image de la donation-partage simple, doit contenir en elle-même constitution et attributions de lots divis à chacune des souches invitées à cet acte, l'attribution pouvant être indivise au regard des descendants de chaque souche. Il n'est pas obligatoire que toutes les souches soient représentées, tout comme une donation-partage peut avoir lieu au bénéfice de seulement une partie des présomptifs héritiers. S'il est souhaitable que la donation-partage transgénérationnelle soit dominée par le principe d'égalité entre les souches, elle n'est en rien obligatoire. La seule limite est le respect de la réserve héréditaire considérée ici par souche (ce sont les enfants qui comptent pour déterminer son quantum) ;
  • l'abandon par la génération intermédiaire : la condition de fond essentielle est le consentement de la génération « sautée ». L'idée est que les enfants renoncent à leur part au bénéfice de leurs propres enfants. Cette renonciation est capitale, car elle va avoir un impact sur la succession du successible qui s'efface au profit de la génération suivante. L'intensité libérale de la donation-partage transgénérationnelle est donc double puisqu'on l'observe à tous les étages !

L'enfant unique et la donation transgénérationnelle

La donation-partage transgénérationnelle est conçue comme une transmission par souche. En seraient donc exclues les familles avec enfant unique. Toutefois, l'article 1078-5, alinéa 1 du Code civil prévoit qu'il est possible à l'ascendant qui n'a qu'un seul enfant de procéder par voie de donation-partage transgénérationnelle. C'est la condition de pluralité de lots qui va ainsi compter ; si l'enfant n'a lui aussi qu'un seul enfant, alors il faudra que l'ascendant allotisse à la fois son enfant et son petit-enfant ; si l'enfant a plusieurs petits enfants, il peut alors allotir ses petits-enfants, son enfant donnera bien évidemment son accord à ce saut de génération.
Schéma :
Tableau à venir
- Intérêts civil et économique évidents, intérêt fiscal réduit. - La donation-partage transgénérationnelle était attendue avec impatience eu égard à son utilité pratique. Toutefois, son utilisation semble limitée en raison d'une attractivité fiscale insuffisante :
  • sur le plan économique : la donation transgénérationnelle répond à des besoins sociaux économiques dus à l'allongement de la durée de la vie. Jadis on héritait de ses parents à la force de l'âge, entre quarante et cinquante ans, c'est-à-dire à l'âge où l'on était en pleine activité économique et où, familialement parlant, un afflux patrimonial permet de poursuivre des projets. Aujourd'hui c'est dix à quinze plus tard que l'on hérite, lorsque les besoins sont moindres, la vie professionnelle, les projets familiaux, l'éducation et l'installation des enfants sont des préoccupations passées. L'héritage devient une prime de retraite. Sur le plan économique, il n'est pas forcément bon que les patrimoines se concentrent entre les mains des plus âgés qui ont tendance à thésauriser, à ne pas consommer, à ne pas investir… Aussi la donation transgénérationnelle offre-t-elle un outil juridique licite pour accélérer cette transmission de patrimoine en permettant aux générations les plus jeunes de recevoir leur héritage par anticipation ;
  • sur le plan civil : s'il a toujours été permis à une personne de gratifier ses petits-enfants par le biais de donations simples, ces transmissions subissent plusieurs limites :La donation-partage transgénérationnelle permet de contourner ces deux écueils. Par sa nature, elle constitue une donation en avancement de part successorale de la souche, et si ses conditions sont réunies elle bénéficie de la règle dérogatoire de l'article 1078 du Code civil. Si toutes les souches sont représentées à l'acte et s'il n'y pas de réserve d'usufruit sur une somme d'argent, alors les valeurs pour calculer la quotité disponible et les imputations sont définitivement fixées à celles de l'acte. À l'évidence, avec ce régime spécial, la donation-partage transgénérationnelle est un mode de transmission véritablement protecteur des plus jeunes générations des familles.Ajoutons que la donation-partage transgénérationnelle peut également contenir une réincorporation d'une donation antérieure, ce qui, dans certaines hypothèses, peut s'avérer d'une particulière utilité car elle permet d'attribuer un bien qui avait été précédemment donné à une génération à celle suivante. La donation-partage transgénérationnelle bénéficie également de la prescription abrégée de cinq en cas d'atteinte à la réserve héréditaire (C. civ., art. 1077-2, al. 2) ;
  • sur le plan fiscal : le succès de la donation-partage transgénérationnelle n'est pas au rendez-vous pour la raison principale qu'elle ne présente que très peu d'intérêt sur le plan des droits de donation . En effet les droits de mutation sont calculés en fonction des règles de droit commun, c'est-à-dire du lien de parenté. Les petits-enfants ne bénéficient pas de l'abattement de leur auteur. Les règles que l'on connaît en matière de représentation ne s'appliquent pas. Les petits-enfants ne peuvent donc bénéficier que des abattements qui leur sont propres. L'intérêt fiscal de la donation-partage transgénérationnelle demeure toutefois dans les cas suivants :
- Le traitement liquidatif de la donation-partage transgénérationnelle. - La donation-partage transgénérationnelle doit être prise en compte dans la succession du disposant, mais aussi dans la succession de celui qui s'est effacé au bénéfice de la génération suivante :
  • dans la succession du donateur : on fait comme si les enfants immédiats du donateur avaient été allotis. Il en résulte que les lots recueillis par la souche s'imputent sur la réserve individuelle de leur auteur (C. civ., art. 1078-8, al. 1). L'article 1078 s'appliquera si toutes les souches sont alloties et si la génération intermédiaire a, évidemment, consenti à l'acte. C'est tout simplement la règle de l'unanimité que l'on constate sur deux générations (C. civ., art. 1078-8) ;
  • dans la succession du successible représenté : là encore, une autre fiction est à appliquer. On fait comme si les biens reçus par les donataires finaux provenaient de leurs parents immédiats, de la génération représentée. Cette dernière règle mérite quelques précisions.Le principe est que les biens reçus par donation-partage transgénérationnelle sont traités sur le plan liquidatif dans la succession du représenté comme les donations simples. Ils sont donc soumis aux règles habituelles du rapport et de la réduction. La nature de donation-partage, en principe hermétique au rapport, s'efface puisque la donation est rapportable à la succession de l'auteur représenté. Mais il est une exception importante si toutes les souches sont représentées et qu'il n'y a pas de réserve d'usufruit sur une somme d'argent : alors la donation est exemptée du rapport. La seconde exception est que si ces mêmes conditions sont remplies, alors l'article 1078 du Code civil va recevoir application et les valeurs, pour le calcul de la quotité disponible et l'imputation, seront bloquées à la date de l'acte.
On notera plusieurs choses :
  • dans la succession du donateur (grand-parent), l'article 1078 du Code civil présente un intérêt évident : il donne une certaine visibilité sur la liquidation de sa succession, et par là même il protège les donataires ;
  • en revanche, dans la succession des enfants (la génération sautée), la règle de l'article 1078 peut présenter un certain handicap dans la mesure où elle va figer les valeurs à la date de la donation initiale qui, par définition, est relativement ancienne puisque deux générations se seront éteintes. L'érosion monétaire et l'évolution économique générales feront que les biens donnés seront réunis fictivement pour une maigre valeur, ce qui impliquera une forte minoration de la quotité disponible du représenté et donc de sa faculté de disposer à titre gratuit. Aussi est-il possible d'écarter l'application de l'article 1078 qui n'est pas d'ordre public dès lors qu'il est fait appel aux règles de droit commun (C. civ., art. 922) ;
  • enfin, que se passe-t-il si l'un des gratifiés renonce à la succession du représenté ? Une fois encore, les prévisions initiales seront perturbées par la volonté d'un seul. Le législateur n'a pas envisagé cette situation. Aussi pensons-nous qu'il faut distinguer la situation des autres copartagés et celle du renonçant :

Le tiers à la donation-partage : seconde exception

- Une exception anecdotique. - Le législateur, estimant que le départ en retraite d'un patron peut constituer un péril pour son entreprise et qu'il est le mieux placé pour choisir son successeur a, par sa loi du 5 janvier 1988, ouvert la possibilité d'attribuer par voie de donation-partage l'entreprise à un tiers non-parent ou plutôt non présomptif héritier. Cette forme de donation est particulièrement rare en présence de descendants. Son intérêt est également réduit en l'absence de réservataire. Par ailleurs, la fiscalité n'est pas non plus très incitative . La loi du 23 juin 2006 a élargi cette faculté à toutes les entreprises, y compris celles détenues sous forme de société. Le chef d'entreprise ne préfère-t-il pas céder son entreprise plutôt que la donner ?…
- Sur le plan liquidatif. - Cette libéralité-partage faite à des présomptifs héritiers et à un tiers n'appelle pas d'observation particulière quant à la liquidation de la succession. Les règles des donations-partages classiques sont appliquées, avec les mêmes interrogations. La seule spécificité est que celui qui est alloti par l'entreprise, par définition, n'est pas réservataire. Et sa donation pourra être réductible si les héritiers ne sont pas remplis de leur réserve. L'article 1078 du Code civil pourra jouer pleinement.