L'occupation séquencée ou alternative : la mixité temporelle

L'occupation séquencée ou alternative : la mixité temporelle

L'occupation séquencée constitue une véritable mixité temporelle. Son développement est un phénomène relativement récent, révélé par la location touristique temporaire (§ I) et l'occupation partagée des places de stationnement (§ II).

La location touristique temporaire 

Le phénomène Airbnb

– Une nouvelle offre pour de nouveaux touristes. – Le développement de l'offre touristique collaborative répond à une demande exponentielle 1494359357924. Pour le propriétaire, il s'agit d'un revenu complémentaire échappant au plafonnement des loyers 1494359547371. Plus de 20 000 logements ont ainsi été retirés de la location classique à Paris, nuisant de manière importante à l'équilibre du secteur de l'habitat. Dans les grandes villes, les locations de courte durée sont placées sous surveillance des pouvoirs publics. Les règles varient très rapidement au gré des abus des propriétaires ou de leurs locataires sous-louant, dans un contexte de concurrence avec l'hôtellerie classique.

La définition et le régime du meublé de tourisme

– De nouvelles règles de principe pour cette nouvelle offre. – La location saisonnière est régie par le Code civil (C. civ., art. 1713 et s.). La durée, le prix et les conditions du contrat sont fixés librement par les parties 1494409374390. La location meublée de courte durée correspond à la définition légale des meublés de tourisme : il s'agit en effet d'une offre de logement à l'usage temporaire et exclusif du locataire n'y élisant pas son domicile (C. tourisme., art. D. 324-1) 1500474934193. Elle est obligatoirement déclarée en mairie, sous peine d'une amende d'un montant maximum de 450 € (C. tourisme., art. L. 324-1-1). En outre, ce type de location constitue un changement d'usage dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne (CCH, art. L. 631-7) 1494659948729. Le passage d'un logement vers un usage hôtelier nécessite une autorisation préalable de la commune. Le propriétaire est éventuellement contraint de proposer en compensation un autre bien destiné à usage d'habitation ou à défaut d'acheter des droits de commercialité pour obtenir une autorisation temporaire renouvelable 1494660702084. Dans les vingt-huit agglomérations comprenant des villes de plus de 50 000 habitants déclarées en zones tendues, le conseil municipal peut rendre obligatoire cette autorisation temporaire 1494666266361.

Un régime dérogatoire pour la résidence principale

– L'exception au principe. – Par exception, la mise à disposition de la résidence principale ne nécessite aucune autorisation (CCH, art. L. 631-7-1, A) 1494662144796. La résidence principale est définie comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, par le preneur ou son conjoint ou une personne à charge 1494662667404. En cas de contestation de la mairie, le ministère public est chargé de prouver le caractère secondaire de la résidence louée, en se basant exclusivement sur le temps d'occupation annuel par le propriétaire. En cas d'infraction avérée, l'amende civile prononcée par le tribunal de grande instance peut s'élever jusqu'à 50 000 € (CCH, art. L. 651-2) 1494663416119. Sur demande de la mairie, le président du tribunal peut en outre ordonner le retour à l'usage d'habitation dans un délai fixé sous peine d'astreinte d'un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré utile.

Une possible atteinte au régime dérogatoire

– Une exception à l'exception : le retour au principe ? – La loi pour une République numérique permet aux conseils municipaux de rendre obligatoire l'enregistrement de toute location meublée temporaire auprès de la commune 1494678648575, même s'agissant de la résidence principale du propriétaire. La délibération fixe par exemple le nombre de nuitées annuelles à partir duquel l'enregistrement est obligatoire. Les informations contenues dans la déclaration exigée par la commune sont fixées par décret1494678907035.

Les conséquences d'une sous-location non autorisée

– Une tolérance judiciaire en cas d'infraction au principe ? – Un locataire ayant sous-loué son logement sans l'autorisation de son propriétaire durant huit nuitées en 2016 n'a pas été condamné, les juges ayant estimé que la période de sous-location était trop faible pour attester d'un préjudice et qu'elle ne constituait pas non plus un motif de résiliation du bail 1494747560298.
– La location meublée à l'épreuve de la copropriété. – Sur le plan administratif, le local bénéficiant d'une autorisation temporaire de location ne change pas de destination (CCH, art. L. 631-7-1, A). Il convient néanmoins de s'assurer que la clause de destination de l'immeuble contenue dans le règlement de copropriété autorise les locations meublées temporaires.
L'analyse de la jurisprudence permet de répondre à cette question. Jusqu'en 2013, une clause d'habitation bourgeoise exclusive interdisait les locations meublées temporaires en raison de leur qualification commerciale 1500642621041. À l'inverse, lorsque le règlement de copropriété autorisait l'installation des professions libérales, la location meublée temporaire pouvait être pratiquée à condition de ne pas créer de nuisances plus importantes qu'auparavant 1494677841923.
Néanmoins, deux arrêts de la cour d'appel de Paris rendus les 11 septembre 2013 1500643402227et 21 mai 2014 1500643732401opèrent un revirement. Il n'y a plus à distinguer selon le caractère exclusif ou simple de la destination bourgeoise de l'immeuble. Le caractère commercial de la location meublée temporaire est contraire à la notion même d'habitation.
L'interdiction peut également être prononcée à la requête d'un copropriétaire sur le fondement du trouble anormal de voisinage caractérisé par des allées et venues incessantes, diurnes comme nocturnes, de touristes en nombre circulant avec leurs valises dans les parties communes de l'immeuble, peu soucieux de la tranquillité et du repos des occupants, de l'usure accentuée des parties communes 1500644339054, ou pour non-respect de la réglementation relative au changement d'usage (CCH, art. L. 631-7 et s.) 1500644915474.
L'article 19 de la loi ALUR prévoyait la possibilité d'exiger un accord préalable de l'assemblée générale des copropriétaires pour de telles locations. Le Conseil constitutionnel a écarté cette disposition, jugeant qu'elle portait une atteinte disproportionnée aux droits de chacun des copropriétaires d'user librement de ses biens 1494678147691.
Les hésitations jurisprudentielles et législatives traduisent la complexité juridique d'un secteur en pleine mutation 1497708207192. Or, la croissance exponentielle de la location touristique temporaire engendre une activité économique considérable. Elle mérite à ce titre un encadrement structuré, respectant à la fois les libertés individuelles et l'intérêt supérieur de l'accès au logement pour tous. L'accueil des Jeux olympiques en 2024 à Paris va certainement être un accélérateur de revenus, mais aussi de réformes.

L'occupation partagée des places de stationnement

– Une volonté individuelle et collective. – La location d'un emplacement de stationnement est un acte de gestion du patrimoine privé d'un propriétaire. Elle résulte également parfois d'une volonté politique imposant au promoteur de réserver temporairement des places de stationnement en foisonnement aux occupants des logements, bureaux et commerce de l'immeuble.
– La place de la voiture en ville. – Partager le stationnement permet d'économiser l'espace en maîtrisant la place de la voiture en ville. Ce raisonnement poursuit deux objectifs : réduire l'usage de l'automobile et, corrélativement, éviter qu'une trop faible rotation des véhicules nuise à l'attractivité des commerces. La loi MAPTAM a organisé la dépénalisation du stationnement en transférant son entière gestion aux collectivités à compter du 1er janvier 2018 1496563662680. Les produits engendrés par les amendes sont notamment destinés à financer l'amélioration des transports en commun ou respectueux de l'environnement. Cet accompagnement législatif est un vrai signal donné aux collectivités pour faire en sorte que la voiture retrouve sa juste place en ville.
Aussi convient-il de confronter le partage du stationnement 1501882008786à l'exercice du droit de propriété (A), avant de l'envisager sous l'angle du droit réel de jouissance spéciale (B).

Le foisonnement du stationnement, une prérogative du droit de propriété

– Distinction mutualisation et foisonnement. – La mutualisation du stationnement permet de limiter la création de parkings en regroupant les besoins complémentaires de plusieurs projets proches 1497775827984. Ce système dépasse l'échelle de l'immeuble, les parkings étant construits pour l'usage complémentaire de plusieurs immeubles. Les réalisations de ce type se rencontrent essentiellement dans les opérations d'aménagement d'envergure 1497778793209.
Le foisonnement du stationnement poursuit également un objectif d'économie d'espace. Il consiste en l'utilisation partagée d'un même emplacement à des horaires et par des utilisateurs différents 1497776427884. Ce système est relativement aisé à mettre en place, les principes de la mise à disposition (I) étant complétés par les spécificités en matière de copropriété (II).

Les principes de la mise à disposition

– La mise à disposition au profit d'un particulier. – La mise à disposition d'une place de stationnement résulte le plus souvent d'un contrat de louage, laissant toute latitude aux propriétaires et aux locataires pour convenir des conditions de jouissance du bien (C. civ., art. 1709 et s.). Les parties conviennent notamment que le locataire profitera du stationnement à certaines heures ou pendant certains jours de la semaine en l'absence du propriétaire.
– La mise à disposition au profit d'une société. – L'enjeu d'une convention de foisonnement conclue au profit d'une société est la qualification du contrat en bail commercial ou en simple contrat de louage. Sauf volonté commune des parties, les dispositions du statut des baux commerciaux ne s'appliquent pas, les emplacements de stationnement n'étant pas des immeubles au sens de bâtiments construits 1497871973902. Ils ne constituent pas non plus des locaux accessoires, le local principal étant en principe la propriété du bailleur.
Les limites du contrat de louage tiennent à sa nature de droit personnel n'emportant pas pour le locataire certains attributs du droit de propriété conférés par un droit réel.

Les spécificités de la mise à disposition de stationnements en copropriété

En copropriété, les parkings constituent soit des parties privatives, soit des parties communes.
– Le stationnement foisonné en parties privatives. – La convention de mise à disposition en foisonnement d'un stationnement doit être compatible avec le statut de la copropriété. En effet, certaines restrictions au droit de louer à des personnes extérieures à la copropriété sont licites lorsqu'elles sont fondées sur la destination de l'immeuble 1497793303576. Par exemple, la clause de destination d'habitation bourgeoise dans un immeuble de grand standing a pu justifier le refus d'une colocation 1501771121158.
– La qualification des équipements et le paiement des charges de copropriété. – La propriété d'une place de stationnement implique une participation aux charges de copropriété. Or, l'existence de stationnements foisonnés suppose des équipements spécifiques : signalétique extérieure, barrières, bornes de contrôle d'accès, dispositif de décompte du temps de présence, etc. Ces équipements engendrent un surcroît de charges pour des copropriétaires n'en voyant pas toujours l'utilité, a fortiori si à cela s'ajoute un contrat de maintenance conclu avec un prestataire imposé par la collectivité 1497952719819.
– Le stationnement foisonné en parties communes. – Le syndicat des copropriétaires est susceptible d'exploiter un patrimoine constitué de parties communes, engendrant ainsi des revenus pour la copropriété. Les places de stationnement constituent parfois ce patrimoine commun. Le règlement de copropriété détermine la destination de ces parties communes et leurs conditions d'utilisation 1501432427306. L'exploitation d'un parking foisonné s'effectue à l'initiative du syndicat des copropriétaires, le syndic en assurant l'effectivité pratique. Au-delà des règles de fonctionnement et de conformité à la réglementation comme celles s'appliquant aux établissements recevant du public, la question du statut de ces deux entités est posée. Si, dans l'avenir, la mutualisation des espaces et des services prospère, leur gestionnaire devra pouvoir en assumer pleinement l'exploitation et la conservation. À ce jour, tant le syndicat des copropriétaires que le syndic ne semblent pas pleinement compétents ou posséder suffisamment de moyens pour remplir cette mission.

Le foisonnement du stationnement, une application concrète pour le droit réel de jouissance spéciale

– La rencontre du troisième type. – Quel rapport existe-t-il entre le foisonnement du stationnement et le droit réel de jouissance spéciale ? Deux mots : jouissance spéciale, car il est effectivement très spécial de conférer une jouissance partagée sur un bien immobilier. Néanmoins, dans le cas du stationnement, ces deux notions semblaient faites pour se rencontrer.

De quelques rappels généraux

– Un nouveau droit réel très commenté. – Les arrêts Maison de Poésie I et II ont inspiré de nombreux auteurs 1497875476079. Cette abondance de littérature est légitime. En effet, ces deux décisions, exhumant les principes de l'arrêt Caquelard 1497881243378, ont ouvert la voie aux libres conventions de jouissance et de démembrement. Ce droit réel sui generis, non perpétuel, s'inscrit parfaitement dans l'ère du temps, valorisant les usages d'un bien.
– Un nouveau droit pour de multiples usages. – Le caractère réel du droit de jouissance spéciale constitue une alternative judicieuse à la multiplicité des droits de propriété individuels. Son objet peut en effet être une activité civile, commerciale, agricole ou industrielle 1497882684584. L'inventivité des praticiens permet d'imaginer de nombreuses applications en matière immobilière 1497948944484. Par exemple, pour compléter les prestations de services facilitant la mise à disposition de bureaux, la conclusion d'un droit réel de jouissance spéciale permettrait également d'encadrer efficacement leur occupation séquencée. Ainsi, un bénéficiaire pourrait être autorisé à occuper un bureau tous les lundis, jour de fermeture de son propriétaire.

Les intérêts de la mise en place du droit réel de jouissance spéciale pour le foisonnement

– Intérêts pour le propriétaire. – Le propriétaire consentant un droit réel de jouissance spéciale sur un emplacement de parking tout en continuant à l'utiliser à temps partiel accomplit la volonté première de tout bon gestionnaire : valoriser au mieux son bien. En percevant en une seule fois l'intégralité du prix correspondant à l'abandon partiel de jouissance 1497948821634, il écarte au surplus le risque d'impayé assumé par un bailleur traditionnel.
– De nombreux intérêts pour le bénéficiaire. – Garantir l'usage des stationnements nécessaires à l'exercice d'une activité économique pendant une durée donnée est primordial dans certains secteurs. À ce titre, l'indication d'un terme pouvant aller jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans sécurise le bénéficiaire. En outre, le caractère réel de ce droit lui permet d'exploiter son objet directement ou indirectement, de le louer, de le céder et de le donner en garantie. Par exemple, le bénéficiaire d'un droit réel de jouissance sur un emplacement de stationnement a la faculté d'amortir comptablement cet investissement.
– Un accompagnement vers le partage des nouveaux usages. – Dans la promotion des nouveaux usages immobiliers, les constructeurs commencent à commercialiser des emplacements de stationnement à jouissance partagée. Un coût d'achat moindre suffira-t-il à changer les mentalités actuelles ? Il semble en toute hypothèse que les nouvelles façons de consommer finiront par convertir une majorité des usagers de l'immobilier.

Les modalités conventionnelles à définir pour sa bonne application

– La liberté, guide rédactionnel. – La convention conférant un droit réel de jouissance spéciale impose une rédaction sur-mesure. En matière de foisonnement du stationnement, la vigilance du rédacteur porte notamment sur les points suivants :
  • durée du contrat ;
  • répartition des frais d'entretien, charges diverses et taxes ;
  • sécurité des accès ;
  • possibilité de location ;
  • en copropriété : participation aux assemblées générales, répartition des charges appelées par le syndic.
L'imagination respectueuse de l'ordre public n'a finalement pour seule limite que sa traduction juridique.

Le droit réel de jouissance spéciale est-il urbano-compatible ?

– Une politique du stationnement à la baisse. – Pour limiter la place de la voiture en ville, les pouvoirs publics accentuent le développement des modes de transport propres et limitent l'offre de places de stationnement dans le parc privé. Les PLU permettent la baisse du nombre de stationnements des futurs bâtiments en fonction des dessertes existantes (V. n° ). Ils permettent également leur délocalisation sur des assiettes foncières voisines (C. urb., art. L. 151-33, al. 1). Par ailleurs, le titulaire d'une autorisation d'urbanisme peut satisfaire l'exigence de production de stationnements, soit en bénéficiant d'une concession à long terme dans un parc public ou privé, soit par l'acquisition de places à proximité de l'opération de construction. À noter qu'une aire de stationnement attribuée dans une telle concession ne peut pas l'être une seconde fois pour autoriser un nouveau projet (C. urb., art. L. 151-33, al. 2).
Le premier aspect retenant l'attention est le renvoi à la notion de concession dans un parc de stationnement. Le droit réel de jouissance spéciale satisfait-il cet impératif ? Une réponse ministérielle récente 1498995777622concernant l'occupation du domaine public précise que : « Les aires de stationnement concédées doivent être réservées à l'usage exclusif du constructeur et leur attribution ne doit pas avoir un caractère précaire ». Le Conseil d'État a jugé qu'un engagement de location de quinze ans constitue une concession à long terme 1498996973887. Ainsi, la titularité d'un droit réel excluant toute précarité correspond aux exigences administratives.
Ensuite, la notion d'usage exclusif peut être interprétée de deux façons. La plus restrictive correspond à un usage personnel et non concurrent. La seconde s'accommode d'un usage partagé dans le temps mais exclusif dans son exercice séquencé. Selon l'interprétation retenue lors de la délivrance du permis de construire, le droit réel consistera soit en une jouissance concédée intégralement à son bénéficiaire, soit en une jouissance séquencée. La même question se pose pour les concessions dans un parc privé.
Enfin, l'article L. 151-33, alinéa 3 du Code de l'urbanisme érige en principe que le stationnement concédé une première fois ne peut pas être pris en compte pour une nouvelle utilisation. Or, le droit réel de jouissance spéciale présente la particularité d'être utilisable de façon séquencée. Ainsi, son utilisation semble être en mesure de pallier les exigences de construction de stationnements pour des opérations dont les usages sont complémentaires (V. n° ). Une modification de texte pérennisant cette solution serait la bienvenue.